«Le baobab est tombé!»

«Le baobab est tombé!»

Notice nécrologique pour Etienne Tshisekedi, homme politique congolais

par Peter Küpfer

Avec Etienne Tshisekedi, les Congolais déplorent la perte d’un personnage symbolisant la lutte non armée pour un Congo démocratique.

«Le baobab déraciné» – c’est ainsi ou en tournures semblables que les éminents représentants de l’opposition démocratiques du Congo décrivent la mort subite d’Etienne Tshisekedi les ayant profondément affectés. Le caroubier africain est considéré comme un arbre extrêmement fort et résistant.
Ce guide très connu de l’opposition en République démocratique du Congo (anciennement Zaïre), fondateur de l’Union populaire pour la démocratie et le progrès social (UDPS) – longtemps le seul parti d’opposition à côté du Mouvement populaire de la Révolution (MPR) étant le parti unique de Mobutu –, est décédé à Bruxelles le 1er février 2017 à la suite d’une embolie pulmonaire. Récemment, Tshisekedi avait déjà passé deux ans dans la capitale belge pour des raisons de santé. Il dut interrompre son séjour pour rentrer à Kinshasa et participer aux négociations pour un accord entre le gouvernement et l’opposition suite aux troubles provoqués par la prolongation illégitime et anticonstitutionnelle du mandat réitéré du président Joseph Kabila. Fin janvier, Tshisekedi est retourné à Bruxelles pour se soumettre à un nouvel examen médical. Il y est décédé dans la nuit du mercredi 1er février 2017.

Proche de Lumumba

Tshisekedi, né dans le Kasaï en 1934, fut un des personnages politiques congolais de la première heure. En tant que premier diplômé universitaire congolais en droit, Etienne Tshisekedi appartenait au groupe des jeunes intellectuels patriotiques autour de Patrice Lumumba. Après son coup d’Etat de 1965, Mobutu fit de Tshisekedi – à l’époque, directeur de la Haute Ecole des fonctionnaires étatiques congolais ENDA (1961–1965) – son ministre de l’Intérieur qui participa largement à l’élaboration de la Constitution congolaise. Ce fut encore Tshisekedi qui rédigea en 1967 les statuts de l’organisation mobutiste Mouvement populaire de la révolution (MPR), permettant à l’époque encore l’existence d’un parti d’opposition. Ce ne fut que plus tard que Mobutu transforma le MPR en un parti unique à caractère totalitaire et se désigna lui-même président-dictateur à vie. Suite à cette «trahison» de Mobutu, Tshisekedi fut de plus en plus marginalisé et systématiquement démis de toutes ses fonctions gouvernementales. En 1980, face à l’apparente gestion catastrophique de Mobutu Sese Seko, Tshisekedi adressa, avec le soutien de 13 autres opposants courageux, une lettre ouverte à Mobutu, dans laquelle il dénonça ouvertement les traits totalitaires de son régime et les dégâts en découlant. Cette action engendra la création de l’UPDS demeurant aujourd’hui encore le parti d’opposition le plus respecté du Congo.

Aliénation face à Mobutu

Cette lettre ouverte est restée le premier document mémorable d’un mouvement s’opposant ouvertement à la dictature de Mobutu. Elle démontre à l’aide de chiffres impressionnants à quel point Mobutu – poussé par son avidité et ses aspirations à l’omnipuissance – abusa de la confiance des Congolais qu’il avait su gagner au cours des premières années de son régime. Les 13 signataires furent aussitôt arrêtés et punis, certains, y compris Tshisekedi, furent soumis à la justice arbitraire de Mobutu incluant des violences physiques et la torture. Dû à l’immense mécontentement de la population contre le régime Mobutu, Tshisekedi disposa d’une certaine marge de manœuvre. Dans la phase terminale du régime chancelant de Mobutu, Tshisekedi fut appelé à plusieurs reprises au poste de Premier ministre – parfois seulement pour quelques semaines, voire quelques jours.
Les deux guerres sanglantes qui s’enchaînèrent suite à la destitution de Mobutu mirent une fois de plus le pays à sang et à feu et lui imposèrent une domination téléguidée de l’Ouganda et du Rwanda, eux-mêmes soumis à la puissance tutelle des Etats-Unis. Tshisekedi se tint à l’écart de ces intrigues politiques et se borna à analyser les deux gouvernements Kabila qui se succédèrent (Laurent Désiré Kabila 1997–2001 et Joseph Kabila) à l’aune des principes d’une véritable démocratie. Tant la prise de pouvoir par Laurent Désiré Kabila que les élections prétendument «démocratiques» de son successeur Joseph Kabila – un pion rwandais au Congo – ne répondirent aucunement à ces critères et provoquèrent de larges protestations. Par conséquent, Tshisekedi n’accepta ni la légitimité de Laurent Désiré Kabila ni celle de son successeur Joseph Kabila. Bien au contraire: Tshisekedi se désigna lui-même président légitime ayant atteint, selon les scores officiels, le deuxième meilleur résultat.

Incorruptible et fidèle à la démocratie

Le grand respect et la reconnaissance dont jouissait Etienne Tshisekedi étaient le résultat de son engagement inlassable, depuis les années 1970, en faveur du peuple congolais. Il était convaincu que les Congolais étaient mûrs pour la démocratie et qu’ils ne méritaient pas d’être constamment soumis à une camarilla les privant des fruits de leur labeur. Ainsi, les angoisses de la nomenklatura congolaise au pouvoir à Kinshasa ne sont pas étonnantes, car les obsèques de «papa Tshisekedi» (comme ses sympathisants l’appelaient) pourraient déclencher de nouveaux troubles politiques dans cet immense pays.
Pour que le calme se réinstalle parmi les dirigeants et les populations, il faut qu’au minimum deux conditions soient remplies. Premièrement, que les Congolais parviennent à une véritable paix basée sur l’entente, la justice et la compréhension sur la totalité de ses territoires – sans oublier sa partie orientale, où des groupes de bandits armés et protégés venant des Etats limitrophes exploitent illégalement les immenses ressources naturelles en prenant les populations civiles en otages. Deuxièmement, que puissent avoir lieu des élections réellement démocratiques sous surveillance internationale pour élire un gouvernement de la République démocratique du Congo digne de ce nom. Chaque jour passé à attendre ne fait qu’agrandir la tragédie congolaise.

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