Nouvelles de la Berne fédérale

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Contre-projet à l’initiative «Sortons de l’impasse!»: ouverture de la procédure de consultation

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

L’échéance de trois ans pour la mise en œuvre de la gestion autonome de l’immigration fixée dans la Constitution fédérale s’est terminée le 9 février 2017. Ni le Conseil fédéral, ni le Parlement n’ont rempli cette mission constitutionnelle.
Pour mémoire: Le Conseil fédéral a, pendant presque trois ans, manqué à mener les négociations avec Bruxelles sur l’«Accord de la libre circulation des personnes» (ALCP) décidé par le peuple suisse; les deux Chambres parlementaires ont adopté, lors de la session d’hiver 2016, un projet dit de «préférence des travailleurs en Suisse, version allégée», dont Bruxelles a pris connaissance favorablement, mais ne correspondant pas du tout à la volonté des électeurs. L’acte suivant est l’initiative «Sortons de l’impasse!» demandant l’abrogation pure et simple de l’article constitutionnel sur l’immigration accepté par le peuple le 9 février 2014.1 De cette manière, les auteurs de cette initiative veulent montrer à leurs concitoyens voulant rester indépendants la direction à prendre: Bruxelles, simple course!
Pour ne pas être confronté au très probable refus clair et net du peuple suisse à l’initiative «Sortons de l’impasse!» – et aussi pour tenter de dissimuler l’acte anticonstitutionnel du gouvernement et du Parlement –, le Conseil fédéral a œuvré dans l’activisme en soumettant deux propositions de contre-projet direct. Celui-ci a été soumis à la procédure de consultation le 2 février. L’une de ces options sera soumise au vote du peuple avec l’initiative «Sortons de l’impasse!». Sauf si les organisations consultées s’y opposent – ce qu’il faut vivement espérer.
Par une consultation, le Conseil fédéral demande leur avis aux gouvernements cantonaux, aux partis politiques, aux organisations faîtières des communes, aux villes et aux régions de montagne, aux organisations faîtières de l’économie et d’autres cercles intéressés avant de rédiger son Message aux Chambres fédérales sur un projet spécifique. D’habitude, une consultation dure entre trois et six mois afin que les parties consultées aient suffisamment de temps pour former leur opinion et le formuler par écrit.
Cette consultation dure du 2 février au
1er mars 2017: cela nous paraît bien court!
Dans ce cas précis, la consultation commence, selon le Conseil fédéral, le 1er février 2017, alors que la lettre adressée aux organisations consultées est datée du 2 février. La période entre la réception du dossier2 et la date limite pour retourner la réponse n’est pas même de quatre semaines. Passons sur la raison avancée par le Conseil fédéral dans sa missive pour justifier cette période ultracourte – c’est un fait que ce laps de temps est extrêmement court pour élaborer une réponse sérieuse.
Le Conseil fédéral reconnaît que le
mandat constitutionnel n’est pas rempli
Comme le Conseil fédéral remarque très justement dans son «Rapport explicatif», les articles constitutionnels acceptés par le peuple et les cantons «impliquent deux missions: adapter la loi fédérale […] sur les étrangers et renégocier les traités internationaux non conformes à ces dispositions.»3 Le Conseil fédéral reconnaît ouvertement que les deux missions des électeurs n’ont pas été remplies.
Au sujet de la première mission: le Parlement a en substance uniquement rajouté une «préférence des travailleurs en Suisse, version allégée» dans la loi sur les étrangers, étant compatible avec l’Accord avec l’UE sur la libre circulation des personnes. «Cependant, en renonçant de manière générale à fixer des nombres maximaux et des contingents pour les ressortissants d’Etats membres de l’UE ou de l’AELE, cette réglementation ne met pas intégralement en œuvre l’art. 121a Cst.»4 Quelle poudre aux yeux! En réalité l’article 121a n’a pas du tout été mis en œuvre.
Deuxième mission: La faiblesse et la servilité avec lesquelles le Conseil fédéral a rencontré les dirigeants de l’UE ont été décrites en détail dans Horizons et débats.5 Le Conseil fédéral a confirmé dans son «Rapport explicatif» les nombreuses, mais infructueuses, rondes de négociations avec M. Juncker et le Comité mixte et il se termine avec une remarque pessimiste: «Après la votation au Royaume-Uni sur la sortie de l’UE (Brexit), il s’est avéré qu’il n’était guère possible de faire aboutir dans un proche avenir les négociations menées avec l’UE sur une modification de l’ALCP [accord sur la libre circulation des personnes].»6 Pas étonnant que nos négociateurs n’aient pas de succès!
L’initiative «Sortons de l’impasse!»
mise au goût du Conseil fédéral
Concernant l’initiative «Sortons de l’impasse!» – qui n’est rien d’autre que le résultat d’un coup de colère d’un mauvais perdant –, le Conseil fédéral ne cache pas qu’il approuverait son acceptation, c’est-à-dire l’annulation de la «gestion de l’immigration» décidée par le peuple: «Une abrogation des art. 121a et 197, ch. 11 Cst. par le peuple et les cantons permettrait de résoudre le conflit entre la Constitution et l’ALCP. Cependant, elle entraînerait simultanément l’annulation du mandat de gestion et de limitation de l’immigration attribué par le peuple et les cantons.» Nos «serviteurs du peuple» se croient-ils tout permis? Le Conseil fédéral se rappelle tout de même, pour des raisons «tenant au fonctionnement démocratique», qu’il serait inapproprié de revenir sur la décision du peuple et des cantons «après un laps de temps si court».7 Mais il est vrai que la classe politique de la Berne fédérale pourrait plus facilement se rapprocher de l’élite bruxelloise, si elle n’était pas continuellement obligée de faire face au peuple et son envie de déterminer lui-même son sort … A cette fin, le Conseil fédéral a fabriqué un contre-projet avec deux options lui facilitant beaucoup la possibilité de «gouverner» sans contraintes.
Contre-projet, option 1:
Les accords avec l’UE sont-ils au-dessus de la Constitution fédérale?
L’article 121a resterait à première vue inchangé (al. 1–3: gérer de manière autonome l’immigration des étrangers, limitation par des plafonds et des contingents annuels, respect de la préférence nationale). Ce ne sont que les al. 4 et 5 qui sont changés et les dispositions transitoires à l’art. 197 ch. 11 Cst. sont abrogées.
L’énoncé de l’option 1:8
Art. 121a, al 4. La gestion de l’immigration doit tenir compte des accords internationaux d’une grande portée pour la position de la Suisse en Europe.
5    Abrogé
Art. 197 ch. 11 Cst. Disposition transitoire ad art. 121a (Gestion de l’immigration)
Abrogé.
En clair: le Conseil fédéral veut introduire, par détours, une limitation matérielle (touchant au contenu) du droit à l’initiative populaire et en même temps relativiser la disposition constitutionnelle de l’art. 121a. La gestion autonome de l’immigration par la Suisse ne serait possible que s’il n’y a pas d’«accords internationaux d’une grande portée pour la position de la Suisse en Europe» s’y opposant. Selon lui, en font tout autant partie les accords sur la libre circulation des personnes avec l’UE et l’AELE – qu’il met injustement au même niveau – que la Convention européenne des droits de l’homme et les conventions de l’ONU telles que la Convention relative au statut des réfugiés.9 Peut-être pour que cela soit moins visible? Un tel mix d’accords librement conclus et résiliables (ALCP entre la Suisse et l’UE) avec le droit international contraignant (Conventions relative au statut des réfugiés) n’est pas admissible du point de vue du droit public. Nous citoyens, nous prendrons garde à ne pas consentir à une telle pochette surprise, dans laquelle nos «représentants» à Berne peuvent tout placer au gré de leurs envies ou bien de ce qui leur semble opportun pour invalider une initiative populaire ou déclasser le droit constitutionnel.
En 2014, le souverain a décidé
exactement le contraire de l’option 1
Art. 121a (al. 1–3: gérer de manière autonome l’immigration des étrangers, limitation par des plafonds et des contingents annuels, respect de la préférence nationale).
4    Aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu.
5    La loi règle les modalités.
Art. 197 ch. 11. Disposition transitoire ad art. 121a (Gestion de l’immigration)
1    Les traités internationaux contraires à l’art. 121a doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans à compter de l’acceptation dudit article par le peuple et les cantons.
2    […]
En 2014, les électeurs désiraient pouvoir gérer l’afflux sans précédent de migrants venant des pays de l’UE – suite aux Accords bilatéraux I – à l’aide de contingents et de limitations par des plafonds, par exemple dans des branches ou des régions spécialement concernées. A cette fin, il faudrait justement renégocier l’ALCP que le Conseil fédéral veut placer – avec son option 1 – au-dessus des dispositions actuelles de l’article 121a. Car, en ce qui concerne l’immigration des pays non membres de l’UE et de l’AELE, la Suisse est libre de la gérer à sa manière – sans qu’une nouvelle disposition constitutionnelle soit nécessaire.
Domination par l’exécutif plutôt
que par le peuple et le Parlement?
Dans les dispositions que le Conseil fédéral veut éliminer de la Constitution, il y a l’alinéa 5 de l’article 121a qui ne lui semble plus nécessaire, suite à son option 1. C’est-à-dire qu’à son avis, il n’est pas nécessaire de légiférer, ou autrement dit: le Conseil fédéral pourrait décider lui-même, sans risquer être soumis à des contraintes par le Parlement ou un référendum, quels accords avec des Etats étrangers sont à son avis «d’une grande portée pour la position de la Suisse en Europe». C’est pourquoi la disposition transitoire de l’art. 197 est obsolète pour lui: il n’y a plus rien à négocier puisque l’ALCP et les autres accords sont sacro-saints et qu’il n’existe plus de délai de trois ans devant être respecté par le Conseil fédéral.
A présent, l’objectif poursuivi avec le contre-projet se concrétise: le renforcement, compatible avec l’UE, de la domination de l’exécutif, lié à l’affaiblissement de la démocratie directe. Comme nous l’avons déjà relevé dans le passé: ces deux modèles étatiques sont comme l’eau et le feu – donc inconciliables.
Contre-projet option 2:
Renvoi aux calendes grecques
Cette option est rapidement expliquée. L’article 121a Cst. reste inchangé, mais les dispositions transitoires, avec le délai de trois ans pour les renégociations et l’adaptation des accords, seraient abrogées. Le Conseil fédéral et le Parlement pourraient remettre jusqu’à la Saint-Glinglin la réglementation de l’immigration: «Cette solution vise à renoncer aux délais de mise en œuvre tout en maintenant le mandat consistant à adopter des mesures supplémentaires en vue de l’application de l’art. 121a Cst., si la situation concernant l’ALCP devait changer au sein de l’UE.»10 Donc, selon les envies et les désirs de la Berne fédérale. Là aussi, ce sont la démocratie directe et nous citoyens qui trinquons.
Proposition: option 3 avec prolongation du délai et clause de sauvegarde
Une variante ayant une chance de passer en votation serait la prolongation du délai de mise en œuvre pour un certain laps de temps, afin que la Suisse puisse, par exemple, participer au processus de la réglementation de l’immigration entre la Grande-Bretagne et l’UE. Nous ne pouvons cependant pas attendre jusqu’à ce que les institutions de l’UE offrent leur aide pour un amendement de l’ALCP. C’est pourquoi la Suisse doit entre-temps introduire une clause de sauvegarde, comme cela a déjà été discuté et même recommandé par des politiciens de l’UE.
Formulation provisoire (à améliorer):
Art. 121a Cst., al. 1–4 inchangés
5    Tant que l’adaptation de l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE n’est pas négociée, la Suisse introduit une clause de protection unilatérale avec des plafonds, des contingents et une préférence nationale. La clause de protection peut se limiter à certaines branches ou régions.
6    La loi règle les modalités.
Art. 197 ch. 11 Cst. Disposition transitoire
1    Les traités internationaux contraires à l’art. 121a doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois/cinq ans à compter de l’acceptation du contre-projet option 3 par le peuple et les cantons.
2    abrogé
Plusieurs Etats membres de l’UE se joindront à la Grande-Bretagne et la Suisse et voudront à l’avenir gérer eux-mêmes leur immigration – et peut-être également d’autres domaines. Pourquoi pas? Un ensemble de peuples, pouvant être maintenu comme tel uniquement à l’aide de contraintes et de pressions, n’est pas inséparable. Ce n’est qu’avec des alliés volontaires qu’on peut déplacer des montagnes.    •
1    cf. «Ne sacrifions pas l’Etat de droit suisse et
la démocratie à la folie de l’intégration à l’UE».
In: Horizons et débats no 1 du 9/1/17
2    Ouverture de la procédure de consultation:
DFJP. Contre-projet direct à l’initiative populaire
«Sortons de l’impasse! Renonçons à rétablir des contingents d’immigration». www.admin.ch/ch/f/gg/pc/pendent.html#DFJP
3    Rapport explicatif concernant le contre-projet direct du Conseil fédéral
à l’initiative populaire «Sortons de l’impasse! Renonçons à rétablir des contingents d’immi­gration» du 1er février 2017 [cité par la suite:
Rapport explicatif], p. 9
4    Rapport explicatif, p. 10
5    cf. «Ne sacrifions pas l’Etat de droit suisse et la démocratie à la folie de l’intégration à l’UE».
In: Horizons et débats no 1 du 9/1/17
6    Rapport explicatif, p. 11
7    Rapport explicatif, p. 13
8    Rapport explicatif, p. 14/15
9    Rapport explicatif, p. 15
10    Rapport explicatif, p. 16

Erasmus+: participation autonome fonctionne bien et à moindre prix

Un argument des auteurs de l’initiative «Sortons de l’impasse!» est qu’avec une mise en œuvre complète de la gestion de l’immigration, la Suisse serait exclue des programmes Horizon 2020 et Erasmus+.1 Comme cela a déjà été expliqué dans nos colonnes, l’exclusion temporaire de la Suisse aurait des effets secondaires bénéfiques. Car il s’est avéré que nous profitions d’une participation autonome à ces programmes.2
La presse quotidienne a publié la décision du Conseil fédéral du 7/9/16 de prolonger la «solution transitoire», c’est-à-dire l’organisation autonome de la participation d’étudiants suisses aux projets d’échange et de mobilité de l’UE par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), jusqu’à la fin de 2017.3
Entre-temps, Berne a décidé en catimini que le SEFRI poursuivra la réglementation actuelle sous forme d’une «mise en œuvre suisse d’Erasmus+» jusqu’en 2020. Car, il semble que la Commission européenne demandait davantage d’argent que la Suisse était prête à payer.4 Si la Suisse garde le contrôle sur la caisse, il restera, selon le communiqué de presse mentionné, suffisamment d’argent pour financer non seulement la «mobilité entrante (incoming)» mais aussi les «mobilités sortantes (outgoing)».5 Par ces termes cryptés, on explique que la Suisse ne finance pas seulement des projet de mobilité pour des étudiants suisses dans les pays de l’UE, mais aussi pour des étudiants étrangers en Suisse – et cela comme seul pays européen.
Malgré cela, les dépenses sont moins élevées que si elles passaient par les caisses de la Commission européenne… Voici donc une piste de réflexion pour tous les Suisses s’imaginant qu’avec un rapprochement à l’UE, nous pourrions profiter davantage qu’en décidant nous-mêmes en tant qu’Etat souverain.

1    Rapport explicatif, p. 8
2    Espace de recherche et de formation suisse et bureaucratie européenne. In: Horizons et débats no 27 du 28/11/16
3    Communiqué de presse du 7/9/16. Le Conseil fédéral prolonge la solution transitoire pour la participation à Erasmus+ jusqu’à fin 2017
4    Cf. «Wiler Zeitung» du 4/2/17
5    Fact-sheet_Erasmus_fr.pdf, information du 7/2/17

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