On entend souvent dire que toute personne critiquant la politique de l’UE et des Etats membres de l’OTAN à l’égard de la Russie pense que dans ce pays tout va pour le mieux. Ce n’est pas vrai. Il n’y a aucun pays au monde, où «tout va pour le mieux» et cela vaut évidemment aussi pour la Russie. En outre, il n’y a pas de voix russes sérieuses affirmant cela. Au contraire, la plupart de la population russe tout comme les responsables politiques confirment ouvertement que leur pays doit faire face à d’énormes tâches. On aimerait bien pouvoir compter sur le soutien de l’étranger pour résoudre ces tâches – cependant sans que le principe de l’autodétermination du pays soit bafoué.
Cela ne relève pas d’une simple humeur russe mais du droit international en vigueur valable pour tous les pays. Il est nécessaire de souvent le rappeler:
«Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.» Voilà l’alinéa 1 de l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces deux pactes datent de l’année 1966 et ont été signés par presque tous les Etats membres de l’UE et de l’OTAN.
Cependant, après la dissolution de l’Union soviétique dans les années 1990, la Russie a vécu tout le contraire avec des conséquences catastrophiques pour le pays et ses habitants. Tout cela est connu, bien documenté et on l’a souvent mentionné. Sauf que les forces dominantes dans de nombreux Etats membres de l’UE et de l’OTAN tentent toujours de faire croire que les années 1990 furent les années de la liberté et de la démocratie en Russie. Et jusqu’à nos jours, les tentatives d’exercer une influence directe sur la Russie n’ont guère diminué – à la grande différence qu’actuellement la Russie et sa politique – différentes des années 90 – ne l’acceptent plus.
Matthias Platzeck est né en 1953 à Potsdam et a vécu en RDA jusqu’à la fin de celle-ci. Encore en RDA, il s’engagea pour les questions écologiques, puis dans les années qui suivirent la chute du mur, il participa au Bündnis 90 (qui fusionna plus tard avec les Verts ouest-allemands, fait inacceptable pour Matthias Platzeck, entrainant par la suite sa démission de ce parti). En 1995, il adhéra au SPD après avoir été sans aucune appartenance à un parti pendant quelques années. De 1990 à 1998, il fut ministre de l’environnement du Land Brandebourg et fut élu ministre-président de ce Land en 2002, fonction qu’il exerça jusqu’en 2013 avant d’y renoncer en raison d’ennuis de santé. En 2005, il devint président fédéral du SPD, fonction qu’il n’assura qu’une année. Depuis mars 2014, Matthias Platzeck est président du Forum germano-russe («Deutsch-Russisches Forum»).
Le 19 février 2017, Matthias Platzeck a prononcé un très important discours d’une heure dans le cadre des «Discours de Dresde» (organisés par le «Schauspielhaus» et la «Sächsische Zeitung»). Peu de médias en ont rendu compte et dans Vorwärts, le journal de son propre parti, le rédacteur de discours du ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel (également SPD) l’a attaqué de manière virulente.
On peut relire le discours intégral de Matthias Platzeck sur: <link http: www.sz-online.de nachrichten>www.sz-online.de/nachrichten/brauchen-europa-und-russland-einander-wirklich-3617266.html?bPrint=true. Il vaut aussi la peine de le réécouter sur: <link http: www.youtube.com>www.youtube.com/watch?v=ofhQOCH1cOQ
Le discours de Matthias Platzeck se distingue agréablement de tout ce dont on est habitué à lire dans les grands médias. Pourtant (ou peut-être à cause de cela) l’orateur a obtenu beaucoup d’applaudissement pour son intervention au Théâtre de Dresde. Il faut ajouter qu’en Allemagne de l’Est, ses propos sont généralement très appréciés. Un grand nombre des lecteurs du Vorwärts soutiennent les propos de Platzeck.
A Dresde, Matthias Platzeck a parlé de ses rapports personnels avec la Russie et les Russes. Il rend hommage aux Russes qu’il a personnellement fréquenté, rend hommage à la culture russe et à l’importance des rapports germano-russes tout au long de l’Histoire.
Puis, il précise: «Je vous prie de bien me comprendre. Aujourd’hui, en m’exprimant ici, je parle avant tout des aspects pas assez pris en compte ou que je trouve déplacé dans les rapports entre l’Occident, notamment l’Allemagne, et la Russie. Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec tout ce qui se passe en Russie. […] Cependant, je tente toujours de bien analyser la situation et de comprendre l’autre partie, malgré les critiques émises. […] Pour moi, c’est le minimum requis dans les rapports avec autrui – surtout si l’on veut favoriser des rapports pacifiques.»
Matthias Platzeck décrit l’image de la Russie largement propagée en Allemagne: «A la télévision, à la radio, dans les magazines et les journaux, dans les débats politiques – partout on se voit confronté à une image uniforme de la Russie et des Russes. Les voix tentant de différencier sont devenues rares.» L’image dominante de la Russie «repose sur des préjugés et des stéréotypes parfois séculaires.» Au cœur de ces préjugés, on retrouve l’idée que «la Russie et l’Occident ne vont pas ensemble; la Russie et l’Ouest, ce sont des antagonismes fondamentaux. On pourrait aussi dire: la Russie et l’Occident, ce sont des adversaires.»
Puis, Matthias Platzeck parle des expériences négatives faites par la Russie avec l’«Occident» après 1990: «Les transformations des années 1990 ont discrédité les termes de ‹démocratie› et d’‹économie de marché libérale› en Russie. Tout le système économique et social s’est écroulé […], la criminalité a explosé, les meurtres étaient à l’ordre du jour; les excès d’un capitalisme prédateur a apporté d’énormes richesses à un petit groupe d’‹oligarques›, mais un appauvrissement dans une grande partie de la population. Depuis le chaos des années Eltsine, la stabilité sociale et un Etat fonctionnant et fiable sont les priorités absolues pour la majorité de la population. La réorientation sur ses propres forces, sur les traditions et les mentalités nationales est la conséquence inévitable de ces expériences négatives […].» [Mise en évidence par l’auteur]
L’Allemagne, où la Russie avait espéré trouver un soutien après 1990, a contribué aux expériences négatives et n’a pas voulu prendre au sérieux les mauvaises expériences faites par la Russie. Au contraire, «l’Allemagne se plut à faire la morale à la jeune démocratie [russe]. La Russie ne fut plus pris au sérieux ni en tant que partenaire ni en tant que facteur de puissance.» Platzeck a rappelé le discours tenu par le président Vladimir Poutine devant le Bundestag allemand en 2001 et de son offre à la coopération. «La politique allemande n’a pas pris la main tendue. Le discours du président Poutine lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007 était un cri d’alarme, signe manifeste que la Russie voyait ses intérêts sécuritaires menacés, notamment par l’hégémonie américaine et l’élargissement de l’OTAN vers l’Est.»
Matthias Platzeck mentionne encore d’autres offres russes à la coopération n’ayant pas été prises en compte. Puis il conclut: «Il faut en retenir que la Russie, après avoir signé la Charte de Paris [en novembre 1990] n’est jamais devenu un partenaire d’égal à égal, ni pour le monde occidental ni pour l’Allemagne.»
La Russie regretta avant tout une réponse occidentale fiable concernant son besoin de sécurité. Pourquoi l’Occident ne participe-t-il pas à l’élaboration d’un ordre sécuritaire européen accepté par toutes les parties? Pour Matthias Platzeck cela est l’expression de l’hybris occidental.
«Le fait que ce sujet n’ait pas trouvé d’écho en Occident et n’en trouve toujours pas, relève pour beaucoup du ‹triomphalisme› né dans le monde occidental à la fin de la guerre froide. La Russie était clairement ‹vaincue› et l’Occident se croyait possesseur du salut pour le monde tout en étant persuadé de faire tout juste. Suite à cette hybris, avec vue sur la Russie, la politique allemande s’est concentrée principalement sur la ‹rééducation› aux valeurs occidentales.» Pourtant: «L’intégration de la Russie en Europe d’égal à égal, son intégration dans l’architecture de sécurité commune européenne, donc les aspects que la politique russe a tenté de faire valoir pendant de longues années, n’ont aucunement été pris au sérieux – pas même par nous autres Allemands bien que nous soyons liés à la Russie par une histoire tragique.»
C’est peut-être «la plus douloureuse déception du côté russe»: «L’Allemagne, ayant mené de 1941 à 1945 une guerre d’extermination d’une ampleur jamais connue contre les peuples soviétiques, a, selon les sentiments russes, manqué de leur exprimer sa reconnaissance.» Et de continuer: «Le grand effort de réconciliation du peuple russe, s’étant terminé pour les Allemands par le cadeau de la réunification allemande, n’a pas assez été reconnu. L’Allemagne réunifiée a clairement manqué de respect face aux victimes russes.» Ces dernières années, l’Allemagne a commémoré toutes sortes d’événements historiques, mais pas le jour de l’attaque de la Wehrmacht contre l’Union soviétique: «Ce jour-là, l’Allemagne est restée étrangement silencieuse. Le 75e anniversaire de l’attaque contre l’Union soviétique ne fut pas une journée de commémoration officielle, ni au Bundestag, ni sous forme de manifestations du gouvernement fédéral.
Concernant l’évolution de la situation en Ukraine, on reste «dans le manichéisme […]: c’est toujours la faute des autres.» Les discussions sur ce sujet sont «si fortement chargées d’émotions […], qu’il n’y a plus de place pour une analyse différenciée, voire une analyse autocritique. Des ressentiments et des craintes irrationnelles ont gagné le dessus et continuent d’être attisés, les vieux clichés de l’ennemi et les préjugés sont réanimés.» Cela a lieu des deux côtés – mais aussi du côté de l’UE et des Etats membres de l’OTAN.
Matthias Platzeck critique le «deux poids deux mesures» de l’Ouest; on veut faire la leçon à la Russie en évoquant le droit international, après l’avoir soi-même violé «par exemple par les attaques contraires au droit international au Kosovo, en Irak ou en Libye.»
L’analyse de Matthias Platzeck ne s’arrête pas là. Il fait des propositions afin d’améliorer la situation: «Dans nos rapports avec la Russie, nous devons tout remettre à la case départ et définir le point zéro pour les relations germano-russes. Un tel redémarrage comprend le traitement de la Russie sur un pied d’égalité dans les rencontres et les négociations. Nous devons également accepter et respecter des idées et des conceptions différentes basées sur d’autres traditions, idées et manières de penser. […] Nous devons accorder à la Russie le droit de choisir elle-même sa voie vers la démocratie et comment elle désire la développer dans un avenir proche ou plus lointain.»
A l’heure actuelle, «il est le plus probable que l’entente avec la Russie vienne de la part de la population et de l’économie». Matthias Platzeck mentionne un sondage de la fondation allemande Körber de 2016. Selon ce sondage, «une claire majorité de 81% des Allemands s’est prononcée en faveur de rapports plus étroits entre les deux pays. 95% des Allemands s’expriment même en faveur d’un rapprochement politique entre la Russie et l’Union européenne. […] En Russie les résultats étaient tout aussi clairs.»
Pour terminer Matthias Platzeck met en avant l’importance du Forum germano-russe et les prochains pas à faire. En concluant, il déclare: «Je pense que l’Allemagne et la Russie, tout comme l’Union européenne et la Russie, pourraient parfaitement se compléter en tant que partenaire sur le continent – avec des chances et des avantages pour les deux parties. Nous ne pourrons pas surmonter les crises planétaires de façon raisonnable et durable sans la participation de la Russie. Nous vivons dans un monde multipolaire de grande complexité où il faut tenir compte de multiples corrélations et interdépendances où presque tout est interdépendant.» Nous autres, en Europe, déclare Matthias Platzeck, «devons œuvrer avec toutes nos forces pour détendre et améliorer nos rapports avec la Russie. Nous devrions aussi envisager d’anticiper et de commencer unilatéralement à éliminer les sanctions. Cela pourra également contribuer à débloquer la situation sur le continent.»
Le potentiel pour de meilleurs rapports est «immense […]. Il reste cependant une condition sine qua non pour la coopération: c’est un ordre sécuritaire sur le continent européen auquel la Russie participe en tant que partenaire d’égal à égal. Car sans, voir contre, la Russie, il n’y aura ni stabilité ni sécurité en Europe. […] Les Allemands et les Russes ont en Europe une patrie géographique et culturelle commune. […] Ni les Allemands ni les Russes se rencontrent à cœur froid. Cela me rend optimiste et me renforce dans ma conviction que la voie vers un avenir commun avec la Russie à de bonnes chances de se réaliser.» •
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