Depuis longtemps déjà, la démocratie est exposée à de nombreuses attaques. Les votes des Français et des Néerlandais sur le référendum de 2005 relatif à la Constitution européenne, ceux des Grecs concernant les mesures d’austérité de l’Union européenne en 2015, les réactions suite aux élections présidentielles américaines – il existent des forces politiques refusant cela et s’efforçant de nier farouchement la volonté majoritaire des citoyens.
Pour y parvenir, ils utilisent tous les moyens sans le moindre scrupule. Il faut d’autre part se rendre compte qu’actuellement un grand nombre d’«hommes de pouvoir», dans beaucoup d’Etats occidentaux, considèrent de moins en moins le pouvoir qui leur est conféré comme une compétence provisoire déléguée au service du bien public, mais de plus en plus comme un pouvoir quasi absolu dévolu à la réalisation des intérêts d’une minorité. La journaliste française Natacha Polony l’a exposé d’une façon impressionnante pour son propre pays (et pas seulement pour lui) et parle d’un «soft totalitarisme» en extension (cf. Horizons et débats, no 2 du 23 janvier 2017 [<link fr editions no-2-23-janvier-2017 le-systeme-de-la-globalisation-neoliberale-craque-de-toute-part.html>www.zeit-fragen.ch/fr/editions/2017/no-2-23-janvier-2017/le-systeme-de-la-globalisation-neoliberale-craque-de-toute-part.html]).
Comment l’opinion publiée dans le médias réagit-elle? De nombreux médias mainstream alimentent les vues et pavent la voie des élites politiques. Au sujet de la démocratie directe, on sous-entend, en particulier – et cela, malheureusement, à de nombreux endroits aussi en Suisse – qu’elle serait un danger pour le droit et la liberté, qu’elle donne souvent trop de poids à des sentiments confus et serait une porte ouverte à la démagogie. D’aucuns insinuent même que les décisions de la majorité des citoyens pourraient déboucher sur la tyrannie. Il faut cependant tenir compte de ce qui transparait habituellement sous la surface de ce genre d’affirmations: l’aspiration à une forme de «domination par les élites» – donc rien de bien nouveau au regard de l’Histoire, mais qui fatalement entraine de déplorables conséquences pour les Etats et les populations.
Dans Horizons et débats no 7 du 20 mars 2017, Werner Wüthrich cite des extraits d’un discours de l’ancien recteur de l’Université de Zurich Zaccaria Giacometti: «Le peuple doit être préparé à la démocratie et être politiquement mûr. Un peuple est mûr pour la véritable démocratie, s’il remplit certaines conditions.» Puis, il énumère les conditions prérequises mentionnées par Giacometti:
«L’idée de liberté: ‹Tout d’abord, l’idée de liberté doit être vivante chez l’individu et dans le peuple et le droit naturel ne doit pas avoir son impact en tant que droit, mais en tant que force éthique.›
La conviction politique: ‹Les valeurs de liberté doivent dominer, non comme des sentiments euphoriques nés en un clin d’œil ou des inspirations opportunistes, mais comme des convictions politiques profondes dominant la conscience du peuple sur la durée et portées par les forces de la vie politique.›
La conscience historique: ‹Le peuple doit posséder une tradition de liberté. Ses convictions libérales doivent avoir leurs racines dans une telle tradition. Si la tradition est la conscience historique, la tradition libérale est la conscience historique libérale. La démocratie ne détient cependant une telle conscience historique que si elle est influencée par un passé en liberté, c’est-à-dire que la génération précédente a transmis à la génération actuelle un trésor de convictions politiques, d’opinions et d’expériences libérales. […] Là aussi, il faut se référer au poète: L’héritage que tu as reçu de ton père, il te faut l’acquérir pour mieux le posséder.›
L’éducation politique: ‹La génération actuelle doit s’approprier ce trésor hérité de libres consciences politiques et de libres expériences politiques, elle doit le conquérir par l’éducation civique, l’expérimentation et la probation politique, en tant que constituant et comme un simple législateur d’une démocratie véritable.›»
Si nous prenions au sérieux ces assertions des années cinquante du siècle passé, nous devrions aujourd’hui dire: nous en sommes plus ou moins éloignés (et ce, dans tous les pays). Les critiques contemporains de la démocratie auraient-ils donc raison? Les gens sont-ils encore (ou déjà) mûrs pour la démocratie?
Mais cette question part dans la mauvaise direction. Le fait que des conditions doivent être créées pour que la démocratie puisse exister, peut s’énoncer pour tous ceux qui veulent réellement cette démocratie, seulement comme la mise en œuvre de toutes ces conditions préalables – pour autant qu’elles ne soient pas déjà présentes.
Mais c’est exactement le contraire qui se produit – à savoir dès l’enfance. Ce qui se passe aujourd’hui dans beaucoup de familles et qu’on peut observer dans de nombreux jardins d’enfants, d’écoles et de grandes écoles n’est en rien destiné à faire de nos enfants et de nos jeunes des citoyens responsables pouvant insuffler la vie dans la démocratie. Bien au contraire!
La situation n’est pas meilleure quand il s’agit d’inviter nos concitoyens adultes à développer la démocratie. Ce que l’on voit, entend et lit dans la plupart de nos médias, n’est en rien un encouragement à la pensée et à la vie démocratique. Le comportement de nos «élites», lui aussi, prend une toute autre orientation – même s’ils aiment toujours autant avoir le mot de démocratie à la bouche.
La question se repose alors de savoir si les personnes critiquant la démocratie, désirent tout autre chose … et pourquoi elles le veulent.
Pas fondamentalement: car lorsque les décisions de la majorité abondent dans leur sens, elles sont très bien accueillies. Tout le monde a pu s’en apercevoir après les élections aux Pays-Bas. Le nouveau candidat du SPD à la chancellerie a même atteint les 100% des voix lors de son élection à la présidence du parti. Jamais encore un tel résultat n’avait été atteint dans l’histoire de l’Allemagne depuis l’après-guerre. Le lendemain, la plupart des commentaires étaient plutôt euphoriques que critiques. Et cela n’aurait pas été très différent si Hillary Clinton avait été élue, si les Grecs avaient été d’accord avec les coupes drastiques prévues par l’UE dans leur vie quotidienne et la souveraineté de leur pays et si la majorité des Français et des Néerlandais avait voté en 2005 avec une confortable majorité en faveur du Traité constitutionnel européen.
On peut aussi le dire comme cela: une démocratie «contrôlée» dans le sens d’une gestion du changement («Change Management») national et international ou d’«ateliers du futur» nationaux et internationaux – avec de bons groupes de pilotage travaillant avec succès – irait tout à fait dans le sens des personnes critiquant la démocratie. Ils critiquent d’autant plus lorsque les résultats ne leur conviennent pas et lorsqu’il s’agit réellement de décisions librement consenties de citoyennes et citoyens indépendants, intéressés au bien public.
Bilan: il est fortement conseillé à tous de garder un œil critique sur ceux qui critiquent la démocratie. Tout le monde est invité à maintenir, renouveler ou créer les conditions permettant à la véritable démocratie d’exister et de prospérer.
Il est tout à fait essentiel de contribuer à ce que les sujets spécifiques fassent l’objet d’une discussion honnête et sérieuse. Et il y en a suffisamment: comment mettre fin aux guerres en cours dans le monde? Comment peut-on venir en aide aux personnes se trouvant en situation de danger existentiel, soit à cause de la violence, de la faim ou d’autres situations d’urgence? Comment remettre la finance et l’économie mondiale, ayant échappé à tout contrôle, sur des bases solides? Comment procurer une occupation sensée à ceux qui en ont besoin?
Comme pourrait-on restaurer l’estime et le soutien devant revenir à la famille, dont la signification est si importante pour notre vivre-ensemble? Comment parvenir à éduquer et former nos enfants et nos adolescents de manière à en faire des individus courageux, apte à la vie, pratiques et heureux de vivre? Comme susciter davantage de solidarité entre les individus? Comme pourrions-nous retrouver un fondement éthique sécurisé imprégnant aussi nos activités quotidiennes? Et ainsi de suite.
Dans un commentaire de 1983 de la Constitution allemande sur la dignité humaine, on peut lire le passage suivant: «La dignité de la personne réside en ce que l’individu est vu comme une entité spirituelle et morale, capable de se déterminer en toute liberté et conscience et d’influer sur l’environnement. […] Pour garantir sa dignité, il faut assurer à l’individu un développement étendu de sa personnalité. Dans le domaine politico-social, cela signifie que l’individu doit pouvoir participer autant que possible aux décisions de la communauté.» C’est la raison pour laquelle l’engagement en faveur de la démocratie est aussi vital. •
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