Ça bouge dans les relations entre l’Allemagne et la Russie. Même l’ancien secrétaire d’Etat allemand Willy Wimmer, ayant commenté ces dernières années la politique allemande envers la Russie avec une lucidité impressionnante, parle, dans une interview accordée au site Internet «World Economy»,1 d’un «signal de nature spécifique».
km. Willy Wimmer a réagi ainsi à la visite à Moscou du ministre-président bavarois et président de la CSU Horst Seehofer et à ses rencontres avec le président russe Vladimir Poutine. Wimmer: «Il s’agit là de la forme de collaboration la plus estimée en Allemagne par le plus grand nombre de personnes. Il faut démontrer que nous nous projetons non pas dans un rôle réductible à celui de prisonniers de l’OTAN, mais nous nous efforçons plutôt d’entretenir de bonnes relations avec nos voisins, grands ou petits. Cette image de visites communes – d’un côté, celle de Mme Merkel à Washington, de l’autre, celle de M. Seehofer à Moscou – a démontré que quelque chose bouge en Allemagne, et cela dans un sens tenu pour juste pour les citoyens allemands.
Cette double visite est, peut-être, le premier signe de l’incertitude régnante à Washington concernant l’évolution des Etats-Unis, et d’en profiter ici à Berlin pour donner de nouveaux signes en vue d’en finir avec la situation européenne et donner des indications factuelles sur la façon dont nous envisageons notre avenir. C’est un signe d’un genre particulier, qui mérite qu’on lui accorde une attention spéciale.»
Il est à noter que Willy Wimmer a accordé cette interview justement le même jour où l’ancien ministre-président bavarois Edmund Stoiber tenait le discours d’ouverture2 d’une cérémonie du Forum germano-russe à Berlin et plaidait pour un rapprochement entre l’Allemagne et la Russie. Stoiber a commencé par une citation de 1974 de l’ancien ministre-président bavarois et président de la CSU Franz Josef Strauss: «Lorsque l’Allemagne et la Russie avaient de bonnes relations, cela a toujours été une bonne période pour l’Europe, alors que lorsque ce n’était pas le cas, c’étaient des temps difficiles.» Par cette formule, il faisait allusion aux événements de la Seconde Guerre mondiale. Après cette guerre, les deux peuples, Russes et Allemands, se sont donnés «la réponse historique du ‹plus jamais ça›». Puis, il ajouta: «Cela compte encore aujourd’hui comme une leçon de l’histoire qui ne doit pas être oubliée!»
Dans ces réflexions sur la situation actuelle, Edmund Stoiber a introduit d’autres accents que ceux dont la politique allemande est coutumière ces derniers temps. Pour lui, la Russie est «sans aucun doute une puissance mondiale», et dans pratiquement tous les enjeux internationaux, la Russie «est également un élément de la solution»: «Sans la Russie, il n’y aurait pas […] de cessez-le-feu en Syrie.» La Russie joue même «un rôle central dans les pourparlers pour la fin des hostilités en Syrie, au contraire des Etats-Unis et de l’UE». «L’accord avec l’Iran n’aurait également pas été conclu sans la Russie.»
Stoiber a critiqué la position de l’ancien président américain Obama. La déclaration selon laquelle la Russie ne serait qu’un pouvoir régional, a beaucoup contribué «à l’éloignement grandissant entre les puissances nucléaires USA et Russie. Cela a été une des déclarations les moins sensibles et les plus fausses d’un président américain.»
Pour l’ancien ministre-président bavarois, c’est un fait, «que les sanctions contre la Russie nuisent aux deux parties». En cela, il s’exprime implicitement contre les sanctions et complète: «Il n’y a pas de plus grand garant de la paix que les intérêts mutuels et les relations économiques renforcées.»
C’est là l’élément-clé de son discours. Suit une formulation remarquable correspondant à l’analyse de Willy Wimmer: «Face à l’arrière-plan du nouveau protectionnisme d’Outre-Atlantique, nous ne devrions nous imposer aucun tabou artificiel de la pensée. Une étude de l’ifo-Institut a démontré les avantages évidents de croissance par un accord de libre-échange globale entre l’UE et la Russie.»
Il faut aussi noter qu’Edmund Stoiber est intervenu lors de la célébration honorant Fritz Pleitgen, l’ancien rédacteur en chef de la Radio WDR, ce que la personne honorée a commenté avec beaucoup d’humour: «Qui aurait pensé qu’un jour nous serions aussi proches! Lui, le chef de la Bavière «noire», et moi, de la «radio rouge» WDR. On voit que la Russie est pour quelque chose dans ce rapprochement. C’est elle qui s’est occupée de l’entente.»3
Fritz Pleitgen a critiqué le déplacement des troupes allemandes à proximité de la frontière russe: «Serions-nous contents de voir les troupes russes se rapprocher tout près de nos villes?» Et d’ajouter: «Je ne crois pas qu’Helmut Kohl avait en vue d’arborer la croix noire de la Bundeswehr sur les véhicules blindés de l’OTAN à la frontière russe, quand il négocia l’unité allemande avec Gorbatchev et l’adhésion de la République fédérale à l’OTAN. Si nous commençons à opérer des mouvements de troupes afin de vouloir renforcer notre politique, alors nous allons arriver rapidement au dernier pas.»
A propos de la politique de sanctions, il a déclaré: «Depuis trois ans, l’Union européenne pratique une politique de sanctions. Il est grand temps d’en faire la révision. Qu’ont-elles apporté ces sanctions? Rien, à part la défiance, ce qui devrait l’orienter dans une direction plus adaptée. Quand quelque chose ne fonctionne pas, alors on doit l’abandonner.»
Les deux déclarations, celle d’Edmund Stoiber et celle de Fritz Pleitgen, ont rendu optimiste le président du Forum germano-russe, l’ancien président du SPD et ministre-président de Brandebourg Matthias Platzeck. Dans une interview avec l’édition en langue allemande de l’émetteur russe Spoutnik du 21 mars 2017,4 il a déclaré qu’il compte dès cette année sur une amélioration des relations germano-russes. Aux signes précédents, s’ajoute la visite qu’effectuera en mai prochain la chancelière allemande à Moscou ainsi qu’au fait que le nouveau président fédéral «a distinctement fait savoir qu’il mettra probablement fin à ce long intervalle sans visite d’un président fédéral allemand à Moscou».
En se basant sur l’expérience de la politique d’ouverture avec l’Est d’Egon Bahr et de Willy Brandt, Matthias Platzeck plaide pour une mise en pratique de l’art du traitement des problèmes qui actuellement ne trouvent pas de solution, de les mettre «simplement de côté et de se consacrer aux défis pour lesquels on peut travailler en commun, développer la coopération et élaborer un travail commun.»
Matthias Platzeck soutient les réflexions stratégiques formulées par Willy Wimmer et Edmund Stoiber: «Il y a aussi des défis géopolitiques, et l’Europe doit prendre garde pour ne pas un jour se retrouver isolée. On observe des tendances isolationnistes aux Etats-Unis, il y a un centre du pouvoir en Extrême-Orient avec la Chine. Et soudainement, nous nous retrouvons seuls. Le rapprochement de la Russie à notre égard est de notre intérêt. Il ne faut pas que dans une ou deux décennies, nous perdions la Russie à la Chine.
A la fin de l’interview, Matthias Platzeck a souligné que l’Europe et le monde se trouvaient devant d’énormes tâches: «Sans la Russie ou contre la Russie, nous ne serons jamais capable de résoudre tous ces problèmes.» Les défis devant lesquels nous nous trouvons ne souffrent aucun délai. Et d’ajouter avec beaucoup de sérieux: «Nous ne devrions pas embellir le monde: l’aliénation entre l’Allemagne et la Russie se renforce, les connaissances mutuelles diminuent. Cela est lié à un potentiel de danger élevé, car toutes sortes de fausses nouvelles peuvent prendre de l’ampleur très rapidement, ce qui présente des dangers d’effervescence majeurs. C’est pourquoi je suis d’avis qu’il n’y a pas de temps à perdre.»
Cela correspond aux déclarations faites par le spécialiste allemand de la Russie Alexander Rahr dans un entretien avec la chaîne Spoutnik le même jour.5 M. Rahr a travaillé pendant de nombreuses années en tant qu’expert de la Russie pour l’influente Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), connue aussi sous le nom de German Council on Foreign Relations.
Rahr pense que «les relations entre l’Allemagne et la Russie n’ont, depuis plusieurs décennies, jamais été aussi mauvaises qu’actuellement», même «plus mauvaises que pendant la guerre froide». Et cela, bien que l’Europe n’ait pas d’autre choix «que de créer une Europe commune avec la Russie». Le problème dans les relations germano-russes «n’est pas Mme Merkel» et certainement pas non plus la grande majorité de la population allemande – celle-ci n’étant ni antirusse ni russophobe –, «mais une grande partie des élites allemandes qui se sont totalement éloignées de la Russie.» Toujours plus de représentants des élites d’une partie des pays européens, «avant tout occidentaux et d’Europe centrale orientale [veulent] une Europe sans Russie». Rahr met en cause une telle voie, car personne ne sait si une nouvelle guerre froide «se terminera de manière aussi pacifique que la première».
Il est d’autant plus important et urgent que le mouvement qui regroupe Willy Wimmer, Matthias Platzeck, Edmund Stoiber, Fritz Pleitgen, Alessandro Rahr et tant d’autres obtienne davantage de soutien. •
1 <link http: www.world-economy.eu pro-contra details article k-frage-keine-winterstiefel-oder-zu-leise-stimme>www.world-economy.eu/pro-contra/details/article/k-frage-keine-winterstiefel-oder-zu-leise-stimme vom 20.3.2017
2 <link http: www.zeit-fragen.ch typo3 www.deutsch-russisches-forum.de portal wp-content uploads rede_dr.-edmund-stoiber_festveranstaltung-deutsch-russisches-forum-e.v.pdf external-link website:>www.deutsch-russisches-forum.de/portal/wp-content/uploads/2017/03/Rede_Dr.-Edmund-Stoiber_Festveranstaltung-Deutsch-Russisches-Forum-e.V.pdf
3 <link www.zeit-fragen.ch typo3 www.deutsch-russisches-forum.de portal wp-content uploads external-link website:> www.deutsch-russisches-forum.de/portal/wp-content/uploads/2017/03/Dankesrede_Fritz_Pleitgen_Dr.-Friedrich-Joseph-Haass-Preis_2017.pdf
4 <link https: de.sputniknews.com politik>de.sputniknews.com/politik/20170321314978814-russland-platzeck-tauwetter/
5 <link https: de.sputniknews.com politik>de.sputniknews.com/politik/20170321314974213-ostpolitik-tot-rahr-europa-russland/
Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.
Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.