Eloge de la passion pédagogique et de ses incidences

Eloge de la passion pédagogique et de ses incidences

par Carl Bossard*

Quiconque feuillette des biographies et s’adonne à la lecture des textes d’écrivains, retrouve souvent la passion pédagogique. Rendons-nous donc sur les traces d’un terme oublié.
Dans ses «Schul­meistereien», Peter Bichsel raconte pourquoi il est instantanément tombé amoureux de sa première enseignante. Le petit bonhomme aimait cette personne passionnée. De longues années plus tard, il pouvait encore décrire les détails de sa robe.1 Et Bichsel de préciser que c’était pour lui la seule explication au fait qu’il ne soit pas devenu un cancre! Cela fût de même pour beaucoup d’autres écrivains comme par exemple, le grand philosophe Sir Karl R. Popper. C’est pour cette raison que son autobiographie fût dédiée à son institutrice Emma Goldberger: c’est à elle et à sa passion pédagogique qu’il devait toute sa pensée et en fait, tout ce qu’il était devenu.

Des valeurs constantes

Il y a une chose qu’on ressent tout de suite chez les deux enseignantes: l’éthique pédagogique passionnée pour leur métier et les jeunes gens ou – formulé de manière un peu plus pathétique – l’amour du devoir. Les deux histoires racontent un élan intérieur, qui motive les activités de ces femmes pédagogues.
Ce sont des termes démodés, rangés au fond des placards pédagogiques. Le langage actuel du domaine de la formation ne les connaît guère; on ne les trouve pas dans le débat relatif aux compétences professionnelles des enseignants. Pourtant, ce sont des valeurs sans date de péremption – certes anciennes, il faut le dire, mais nullement désuètes en dépit de leur âge. Tout au contraire. De nouvelles études issues de la recherche sur les effets et de la neurobiologie les rétablissent.

L’influence sous-estimée des enseignants

John Hattie, chercheur néo-zélandais dans le domaine de la formation, a analysé environ 800 méta-analyses pendant de nombreuses années. Toutes tournaient autour de la question cardinale de savoir quels sont les critères principaux pour un bon enseignement. Ce professeur d’université attribue des valeurs d’effets aux divers facteurs. Son analyse «Visible Learning» obtient sa force explosive d’une part grâce à son étendue scientifique unique: Plus de 80 000 études individuelles sont à la base de son travail de recherche. Ses résultats reflètent les expériences de plus de 250 millions d’élèves. C’est pourquoi il peut prouver empiriquement, ce qu’il exige normativement.2
D’autre part, l’étude mammouth de Hattie étale au grand jour des résultats d’une clarté presque déconcertante. On doit remettre en question l’euphorie autour du travail auto-responsable ou autour de l’apprentissage sans enseignant. Selon John Hattie, ce qui compte, c’est la personne individuelle se trouvant face à l’élève, la présence vitale et digne de confiance de la pédagogue ou du pédagogue et de leur enseignement. Comment préparent-ils les matières? Touchent-ils les enfants et savent-ils les encourager? L’enseignante sait-elle guider de manière convaincante les leçons et comment donne-t-elle son feedback aux enfants? L’enseignant est-il lui-même convaincu et enthousiaste de ce qu’il enseigne?

Le test de la pratique

Quiconque trouve cela trop théorique, n’a qu’à se référer aux poètes. Chez eux-aussi, ce mot magique surgit à tout moment: s’enthousiasmer, s’enflammer. L’écrivain zougois Thomas Hürlimann écrit, en parlant de son professeur de physique de l’école du cloître d’Einsiedeln, le Père Kassian Etter, qu’il savait «contaminer [et] enthousiasmer», qu’il était «amoureux [et] obstiné dans sa matière». C’est pourquoi, il arrivait à «m’enthousiasmer même moi pour les processus physiques et les formules. Il était un excellent professeur, parce qu’il nous contaminait avec sa passion.»3 Et Hürlimann d’ajouter: Père Kassian nous guidait, en tant qu’adolescents, «de la caverne de Platon vers le haut, vers les étoiles, vers les dieux.»
Le secret de ce succès se laisse probablement aussi expliquer à l’aide de la neurologie – avec les neurones miroir. Le médecin Joachim Bauer, spécialiste du domaine cérébral, décrit que les systèmes de motivation du cerveau humain sont activés en première ligne par «la considération, l’intérêt, l’attention et la sympathie de ses semblables. La plus forte drogue de motivation pour l’être humain ce sont ses semblables.»4

Au sujet de la passion pour le monde

La passion pour la mission pédagogique résulte de la passion pour le monde et de l’intérêt vivant pour sa tâche et les jeunes gens. Hannah Arendt, l’intelligente philosophe politique et journaliste, en était profondément convaincue. C’est ce que le professeur de physique Père Kassian vivait et incarnait.
Dans cette passion se révèle la vieille idée de la pédagogie: l’institutrice en tant que constructrice de ponts vers le monde, l’enseignant en tant que guide d’expédition ou chauffeur vers la vie. Car une des curiosités des médias modernes est le fait que les grandes quantités d’informations à disposition ne facilitent pas forcément la compréhension. Tout au contraire! Il faut des personnes qui font «comprendre» les choses et qui nous permettent de mieux connaître le monde.

L’éthique pédagogique comme stimulateur

Emma Goldberger comme le Père Kassian expliqueraient leur enseignement efficace et adaptés aux enfants sans aucune super­structure de neurones miroir. A part cela, ils diraient à peu près la même chose que le scientifique Joachim Bauer: ce qui est décisif dans leur travail, ce sont l’exigence professionnelle et une autorité charmante, l’énergie et l’empathie, la passion et l’amour, donc: la passion ressentie pour leur métier et un réel respect envers les élèves.

Les enseignants passionnés de Bichsel et Camus

Le prix Nobel de littérature Albert Camus décrit un tel portrait de son professeur dans son œuvre autobiographique «Le premier homme». Camus dit de Monsieur Bernard qu’il avait été, «du simple fait d’aimer passionnément son métier, continuellement intéressant». Dans sa classe, les enfants ressentaient «pour la première fois, qu’ils existaient et étaient l’objet d’une haute considération: on les tenait pour digne de découvrir le monde.» La méthode de Monsieur Bernard consistait, «à ne rien laisser passer dans le comportement et à rendre ses cours vivants et amusants».5 Cet enseignement était ferme et détendu, blotti dans un climat d’apprentissage positif, caractérisé par un enseignement centré sur l’enseignant tout en étant orienté sur l’élève.
Albert Camus vénérait son enseignant; Peter Bichsel était amoureux de son institutrice et Thomas Hürlimann était fasciné par son professeur de physique. L’enseignant de Camus, l’institutrice de Bichsel et le Père de Hürlimann eurent un grand effet sur leurs élèves. Et comment! Eux-mêmes et leur enseignement étaient de grande importance. Ces trois portraits illustrent à quel point leur passion pour le monde et les jeunes gens était efficace. Toute direction scolaire engagerait de tels enseignants et John Hattie leur donnerait à tous trois les valeurs maximales. Sans parler des enfants et des adolescents.
La passion – un terme désuet, mais intemporel et par conséquent très actuel.    •

Source: <link http: www.journal21.ch>www.journal21.ch  du 5/3/17

1     Bichsel, Peter. Schulmeistereien. Darmstadt 1985, p. 15
2    Hattie, John A. C. Lernen sichtbar machen. Überarbeitete und erweiterte deutschsprachige Ausgabe von «Visible Learning», besorgt von Wolfgang Beywl und Klaus Zierer. 2014
3    «Die pädagogische Provinz», in: Hürlimann, Thomas. Der Sprung in den Papierkorb. Geschichten, Gedanken und Notizen am Rand. Zürich 2008, p. 109s.
4    Kowal-Summek, Ludger. Neurowissenschaften und Musikpädagogik. Klärungsversuche und Praxisbezüge. Cologne: Springer, 2016, p. 141
5     Camus, Albert. Der erste Mensch. Reinbek b. Hamburg, 1997, p. 125 et 128

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