Le rôle de l’Occident dans la crise ukrainienne

Le rôle de l’Occident dans la crise ukrainienne

par Dario Rivolta*

Le 31 janvier venaient à échéance les sanctions européennes contre la Russie, initiées en son temps en raison de l’attitude russe, jugée hostile, sur la question de l’Ukraine. Ces sanctions ont été prolongées, à l’avance, pour une durée de six mois. La raison d’anticiper cette décision était certainement due à la crainte d’interruption par le nouveau président américain Donald Trump, pouvant inciter les autres pays d’Europe à l’imiter. Récemment, le Président américain a déclaré que, pour le moment, rien ne serait fait dans ce sens, mais tout le monde connaît sa volonté de rétablir de bonnes relations avec Moscou.
Comme l’OTAN et l’Europe sont alignés sur l’actuel gouvernement de Kiev et accusent la Russie d’être la seule responsable de la crise actuelle, il est nécessaire, au nom de la vérité, de rappeler comment tout cela a commencé.

Crise ukrainienne – comment tout à commencé

«Depuis la déclaration d’indépendance en 1991, les Etats-Unis ont aidé les Ukrainiens dans le développement des institutions démocratiques, dans la promotion de la société civile et pour une bonne forme de gouvernement; cela a été nécessaire pour atteindre l’objectif d’une Ukraine européenne. Nous avons investi 5 milliards de dollars pour obtenir cela et d’autres buts.» Ce sont les mots prononcés par Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat américain chargé de l’Europe et des Affaires asiatiques, le 13 décembre 2013 à la Conférence des affaires internationales avec l’Ukraine à Washington, auprès du National Press Club. «Je reviens de Kiev (la troisième fois en cinq semaines)» a-t-elle ajouté. Pour renforcer encore l’intention américaine d’aller jusqu’au bout, elle a aussi confirmé le refus des Etats-Unis d’accepter qu’un travail de cinq ans prenne fin d’un coup!1 Quelques jours plus tôt, le 24 novembre, exactement lors de l’un de ses précédents voyages, 100 000 manifestants avaient occupé les rues de Kiev pour protester contre la décision prise par le Président Ianoukovitch de ne pas participer à la réunion organisée par l’Union européenne à Vilnius pour la signature du Traité d’association.

Traité d’association contestable avec l’UE

En fait, il y aurait eu une grande surprise si, à ce moment-là, le gouvernement ukrainien avait fait le contraire. Il suffit de considérer l’envergure des relations économiques avec la Russie et celles avec l’Europe. Moscou avait déjà laissé entendre qu’une Union économique avec l’Europe aurait rendu nécessaire la réintroduction des contrôles douaniers avec la Russie et le Belarus, afin de protéger leurs marchés des produits européens dans le cadre d’un commerce triangulaire. Il aurait également fallu prendre en compte les dettes de Kiev et la fourniture de gaz à l’Ukraine avant d’envisager de couper les liens avec le plus grand partenaire économique de l’époque. Jusque-là, Kiev aurait pu également rester neutre entre l’OTAN et l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), cette dernière sous l’hégémonie de l’antagoniste russe.
Certains gouvernements occidentaux s’opposent à la décision de Ianoukovitch
La décision de Ianoukovitch lui a causé l’inimitié de certains gouvernements occidentaux, en particulier des Etats-Unis et de la Pologne, et déçu les Ukrainiens espérant que l’Accord d’association avec l’UE aurait pu faire disparaître, comme par magie, la corruption généralisée et introduire dans leurs maisons la richesse des ménages européens.
Quel était l’intérêt européen pour cet Accord d’Association, nous en parlerons plus avant. Pour le moment, il suffit d’écouter ce qu’en pensait Mme Nuland. A son ambassadeur à Kiev, lui parlant par téléphone, d’une réticence européenne sur la question, sa réponse a été littéralement: «L’Europe allez …». (L’original de la conversation a été enregistré par certains services non officiellement identifiés et on peut l’écouter sur Internet).
L’implication sérieuse des Etats-Unis est prouvée par les programmes de l’USAID, ainsi que celle d’autres organisations américaines plus ou moins officiellement présentes en Ukraine depuis 2003. Voici quelques programmes tirés du site officiel de USAID [US-Agency for International Developement]:

Influence américaine en Ukraine depuis 2003

  • Mai 2103/décembre 2016: programme pour la lutte contre la corruption. Il s’agit formellement des tests pour l’admission universitaire des étudiants et des enseignants.
  • Juillet 2004/janvier 2018: programme contre la traite des êtres humains. Officiellement centré sur la formation des organismes publics et les ONG pour lutter contre le passage par l’Ukraine des migrants forcés.
  • Octobre 2008/septembre 2016: programme pour le renforcement de la société civile. Sur la participation des citoyens au processus d’intégration à l’Union européenne, la surveillance des processus électoraux et la participation des jeunes dans la lutte pour les droits civiques et les droits de l’homme.
  • Juillet 2013/septembre 2017: programme en liaison avec le Corps de la Paix ukrainien. Fournitures supplémentaires et spécifiques des financements aux ONG s’engageant dans le soutien de la démocratie et le suivi des décisions des dirigeants.
  • Octobre 2009/décembre 2016: programme de renforcement du processus politique en Ukraine.
  • Septembre 2011/février 2017: plan d’urgence pour le renforcement des capacités de gestion financière dans les collectivités locales.
  • Octobre 2011/septembre 2016: programme dans le secteur de la justice. Primauté du droit et des droits de l’homme.
  • Octobre 2011/septembre 2016: programme de promotion au développement des médias pour mieux diffuser les nouvelles et l’information (à qui?).
  • Avril 2013/avril 2018: programme de promotion d’une vision stratégique d’une Ukraine stable, démocratique, prospère et intégrée à l’Europe.
  • Novembre 2013/novembre 2018: programme pour un Parlement responsable, démocratique et efficace. Soutien du travail des parlementaires.

Contenus trompeurs

On pourrait continuer indéfiniment, parce que les programmes de l’USAID en Ukraine ont été et demeurent vraiment nombreux. En lisant les contenus officiels des programmes, on pourrait penser qu’il s’agit d’une simple aide encourageant la société civile et les progrès du pays. Mais, en regardant le type et le timing des interventions, il est facile d’imaginer qu’il s’agit plutôt d’une manière sournoise de faire des convertis et d’infiltrer, peu à peu, tous les secteurs de la société susceptibles d’être utiles au moment opportun. Dans le même temps, il s’agissait d’obtenir un minimum de consensus avec la distribution de salaires et de promesses.

Des voix critiques s’expriment aussi aux Etats-Unis

Parmi les observateurs critiques, ne se trouvent pas que des ennemis des Etats-Unis, si l’on considère les propos formulés en mars 2014 (après l’aboutissement du coup d’Etat contre M. Ianoukovitch) d’un parlementaire de longue date et candidat aux élections primaires du Parti démocrate pour les Présidentielles. Répondant à la question sur ce qu’il ferait face à l’Ukraine, s’il était élu président, Dennis Kucinich, interrogé par Fox News, a déclaré: «Ce que je ferais serait de ne pas utiliser l’argent des citoyens américains pour chercher à renverser un gouvernement régulièrement élu en Ukraine, ce qu’ils ont fait à travers l’USAID et le National Endowment for Democracy. Je n’aurais pas forcé les Ukrainiens à faire un pacte avec l’OTAN contre leurs intérêts ou à signer un accord avec l’Union européenne, qui est également contraire à leurs intérêts». Kucinich a ajouté que la CIA a participé activement à des actions du gouvernement américain ayant pour but de «créer des problèmes en Ukraine …».

Avancée de l’OTAN vers l’Est dans l’intérêt du complexe militaro-industriel

Il est également intéressant d’entendre aujourd’hui les propos de Lawrence Wilkerson dans une interview avec le réseau TV MSNBC. Wilkerson était bien informé après avoir été professeur d’université et chef de Cabinet de Colin Powell. Dans l’interview en question, il a rappelé qu’à la fin de la guerre froide, Bush senior et James Baker avaient rassuré Chevardnadze et Gorbatchev sur le fait que l’OTAN ne favoriserait pas une avancée vers l’Est. C’est à l’instigation de Lockheed Martin et d’autres groupes impliqués dans les ventes d’armes aux pays d’Europe centrale et orientale que la Géorgie et l’Ukraine auraient déjà dû être membres de l’OTAN. (N’oublions pas que ce n’est que grâce à l’opposition de certains pays européens que Bush fils n’a pas pu accomplir son plan d’officialiser l’adhésion de ces deux pays dans l’Organisation atlantique, lors de la réunion de l’OTAN à Bucarest en avril 2008).

La réaction russe était prévisible

Au cours de l’interview, Wilkerson a ajouté: «Quiconque connaît l’histoire de la Russie et l’histoire de l’Empire, quiconque comprend les questions politiques et le pouvoir, aurait pu deviner que le président Poutine agirait en Ukraine une fois que nous aurions installé un groupe de personnes pour mener un coup d’Etat, ce que nous avons fait.» Puis, avec une honnêteté intellectuelle admirable, il a conclu: «Si j’étais à la place de Poutine, j’aurais fait exactement la même chose et si quelqu’un affirme que cela n’était pas prévisible, c’est un fou ou un menteur.»

Les Etats-Unis aussi contre l’UE

Au cours de sa conversation avec Geoffrey Pyatt, l’ambassadeur américain à Kiev, Mme Nuland a même mentionné les noms de ceux qui auraient dû être membres du nouveau gouvernement ukrainien et qui il fallait choisir parmi la «canaille» (Ce sont ses mots!). En ce qui concerne l’attitude des pays européens, elle l’a jugée comme étant une «ingérence incompétente» et de là ses termes offensants. Probablement, il y avait, de son point de vue, quelques raisons puisque l’Allemagne et la France, au lieu d’imposer l’expulsion de M. Ianoukovitch, cherchaient une solution de compromis, une sorte de «solution» électorale, hypothèse contre laquelle les Américains étaient intervenus.
En fait, les pays européens et la Grande-Bretagne, voulaient un changement de gouvernement radical, mais imaginaient un processus lent plus respectueux des apparences.

Influences allemandes à l’encontre des pratiques diplomatiques

Il faut noter que l’Allemagne dispose d’un système de financement des partis passant par des Fondations et tous les partis allemands ont au moins une structure de référence de ce type. Les sociaux-démocrates comptent sur la Friedrich Ebert Stiftung et les chrétiens-démocrates sur la Konrad Adenauer Stiftung. Cette dernière a été la plus active en Ukraine depuis 2011, après qu’a été officialisé un accord (avec les financements annexes) avec Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme (UDAR), parti d’opposition dirigé par l’ancien boxeur Vitali Klitschko. Il avait été identifié par les Allemands comme le futur dirigeant du pays. Mais les Américains avaient d’autres plans. Il est ainsi devenu «uniquement» maire de Kiev pour la deuxième fois et président du bloc politique de référence de Porochenko. L’intervention de la Fondation Konrad Adenauer dans les affaires de l’Ukraine a été clairement hostile au gouvernement au point d’inviter Klitchko au Congrès de la CDU en décembre 2012 en tant qu’hôte privilégié et de lui organiser de nombreuses rencontres et autres entretiens avec des journalistes et des dirigeants politiques. A cette occasion, il a rencontré le Ministre allemand des Affaires étrangères d’alors Guido Westerwelle et le conseiller en politique étrangère de Mme Merkel, Christoph Heusgen. Ces rencontres ont ensuite eu lieu à plusieurs reprises jusqu’à ce que Wester­welle vienne à Kiev pour le rencontrer, alors que les émeutes avaient déjà débuté. Durant cette période, le ministre allemand, à l’instar de Mme Nuland, a violé toutes les procédures diplomatiques; avant de rencontrer les représentants légitimes du gouvernement en place, il s’est rendu sur la place Maïdan pour soutenir les manifestants.

Les tireurs d’élite du Maïdan – formés en Pologne

Les Allemands n’étaient pas les seuls à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Ukraine, délibérément et sans y être invités. Même le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a officiellement invité le boxeur à Paris mais, en raison de l’aggravation des émeutes, la réunion n’a jamais eu lieu et a été remplacée par une conversation téléphonique. Pour leur part, les Polonais sont allés encore beaucoup plus loin. Non seulement ils ont soutenu les manifestants (le ministre des Affaires étrangères Sikorski allant jusqu’à comparer Klitchko à Walesa), mais il semble qu’ils ont fourni des agents provocateurs qui allaient se mélanger avec des gens ordinaires sur les places. Cette situation a été dénoncée par l’une des candidates aux dernières élections polonaises à la Présidence, Janusz Korwin-Mikke: «Le Maïdan était également notre opération. Des tireurs d’élite ont été formés en Pologne et leur but était de causer d’autres troubles». Il faisait allusion aux tirs sur des policiers et sur la foule par des individus n’ayant jamais été officiellement identifiés, ayant tué plusieurs personnes et déclenchant la précipitation des événements.

Des manifestations «spontanées» si bien organisées

Un journaliste américain présent à Kiev pour des raisons professionnelles pendant les soulèvements a eu l’occasion, par la suite, de me dire qu’il n’avait jamais assisté a des manifestations «spontanées» si bien organisées. Il faudrait se demander qui a payé et comment, les nombreuses tentes et la nourriture, soigneusement et régulièrement distribuée aux manifestants.
Le fait que ces événements n’étaient en rien spontanés est désormais établi. Le renversement de M. Ianoukovitch, planifié de longue date par les Etats-Unis, est maintenant tout aussi clair. Demeure à présent la question suivante: pourquoi a-t-on, également en Europe, participé à des événements nous ayant fait courir le risque de créer des conditions conflictuelles transcendant les limites géographiques locales? Toute personne connaissant la politique sait que l’Ukraine ne représente aucune importance stratégique pour les pays européens, car, dans le meilleur des cas, c’est en Russie qu’on discerne les racines historiques de son existence en tant qu’Etat et, dans le pire des cas, c’est un «Etat tampon» indispensable pour la sécurité des Européens.

Pourquoi l’Ukraine doit-elle absolument devenir membre de l’UE?

Bien que la plupart des Européens éprouvent des sentiments favorables à l’égard des Ukrainiens, personne ne peut imaginer la raison pour laquelle ils devraient devenir membres de l’Union européenne. Il s’agit d’un pays de presque 50 millions d’habitants à très faible revenu, avec une économie principalement orientée vers le marché russe, disposant de produits locaux peu compétitifs et facilement pulvérisés dans un marché commun avec les pays européens. Etant donné les graves problèmes économiques et financiers du sud de l’Europe, pourquoi diable devrait-on trimballer une énorme dette publique et un tissu industriel faiblement compatible avec le nôtre? Pourquoi nous créer des problèmes avec la Russie qui est, au contraire, très prometteuse en termes de débouchés pour nos produits et notre savoir-faire?

L’Europe soumise au chantage

La Pologne et les pays Baltes veulent à tout prix «se protéger» de la proximité avec la Russie, craignant de potentielles ambitions agressives. Sous les encouragements américains, ils ont soumis le reste de l’Europe à un chantage favorisant le «partenariat», dont le renoncement a provoqué les protestations populaires. Toutefois, il est évident pour tout observateur honnête et de bon sens que non seulement les Russes n’ont aucun intérêt, mais surtout ne peuvent se permettre un acte d’agression contre un pays déjà membre de l’Union européenne.

Les Allemands jouent sur deux tableaux

A propos de l’Ukraine, les Allemands et d’autres ont toujours joué sur deux tableaux: d’une part, ils veulent exercer leur hégémonie économique et politique sur l’Europe orientale et, par conséquent, ils demeurent dans ce domaine en concurrence avec Moscou. D’autre part, la Russie est un partenaire économique très important; ils cherchent à ménager la chèvre et le chou. Dans toutes les réunions internationales la chancelière Merkel répète la nécessité absolue de maintenir les sanctions en place, tandis que son adjoint Sigmar Gabriel et l’actuel ministre des Affaires étrangères Frank Walter Steinmeier assistent à chaque réunion se déroulant en Russie en réaffirmant l’inévitable et nécessaire coopération entre les deux pays.
Pris entre le jeu des Allemands et l’hystérie de la Baltique-polonaise les autre pays européens, orphelins d’un grand homme d’Etat, sont soumis à la volonté et aux intérêts d’autrui. Et en attendant, les économies souffrent et les marchands d’armes se frottent les mains, spéculant sur les affaires futures.    •

* Dario Rivolta est chroniqueur pour les informations politiques internationales et conseiller en commerce extérieur. Il est spécialiste des sciences politiques, spécialisé dans le domaine de la psychologie sociale. De 2001 à 2008, il a été député au Parlement italien et vice-président de la Commission des Affaires étrangères. Il a représenté le Parlement italien au Conseil de l’Europe ainsi qu’à l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale. Il a également été responsable des relations inter­nationales de son parti.

1    (<link http: www.informationclearinghouse.info article37599.htm>www.informationclearinghouse.info/article37599.htm) «Victoria Nuland admet: les Etats-Unis ont investi 5 milliards de dollars dans le développement des institutions démocratiques ukrainiennes». 13/12/2013

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