Liberté d’expression, sécurité et respect du droit

Liberté d’expression, sécurité et respect du droit

Interview du conseiller fédéral Didier Burkhalter (extraits)

Pietro Bugnon: La campagne pro-Erdogan en Europe vire à la crise diplomatique. Le ministre turc des Affaires étrangères n’a pas été autorisé à atterrir aux Pays-Bas. Les pays européens sont mal à l’aise face à l’offensive diplomatique du gouvernement turc. J’ai pu m’entretenir avec le conseiller fédéral Didier Burkhalter tout à l’heure. Il ne s’est jamais exprimé sur ce dossier. Je lui ai demandé, si cette escalade verbale l’inquiétait.

Didier Burkhalter: Oh, je crois quand on est dans des situations comme celles-ci, qui peuvent être considérées comme critiques, il faut fixer un cadre très clair de principes et d’actions. Nous, on l’a fixé depuis quelques jours déjà: c’est le cadre de la liberté d’expression, mais aussi celui de la sécurité et du respect du droit. Dans ce cadre-là, il y a plusieurs dossiers difficiles à régler, touchant aux intérêts suisses en lien avec la Turquie. La rencontre éventuelle sur sol suisse du ministre turc avec la communauté turque et les consuls turcs de la région, les problématiques liés à l’asile et celles liées à d’éventuelles activités de police et de renseignements sur le sol suisse. Et nous réglons tous ces dossiers en fonction de nos principes. Prenons maintenant la question de la visite éventuelle – parce qu’elle n’est encore pas claire et confirmée pour demain …

Vous n’avez pas de garantie à ce sujet?

Ce n’est pas une visite officielle, c’est une visite privée du ministre turc souhaitant rencontrer la communauté turque et les consuls turcs de Suisse et d’Autriche. Si c’était une visite officielle, on s’en occuperait d’une autre manière. Mais on s’en occupe uniquement pour des questions avant tout de sécurité. Et la question est encore ouverte, maintenant, de savoir si et où exactement cette visite aura lieu. Mais en ce qui nous concerne, le cadre-là, c’est tout d’abord la liberté d’expression. Nous estimons important que l’on maintienne les droits fondamentaux et la liberté d’expression. Egalement, pour pouvoir affirmer clairement à d’autres pays – y compris la Turquie – l’importance de développer ce genre de droits. […] Mais plus encore, nous soulignons la nécessité d’effectuer l’analyse de sécurité toutes les heures, et qu’à tout moment nous pouvons devoir prendre des mesures, lorsque nous estimons que les conditions de sécurité ne sont pas garanties. Cela sera le cas jusqu’à demain et jusqu’au dernier moment. […]

Pas d’interdiction en Suisse – mais en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, la Suisse se distingue en quelque sorte. Est-ce que vous ne vous sentez pas un peu seul?

Oh, mais alors pas du tout, parce que nous n’avons pas l’habitude de développer une politique forcément en fonction de celle des autres. La politique étrangère de la Suisse est très autonome, très spécifique. Nous avons d’ailleurs décidé au moment du putsch, l’été dernier, que nous voulions d’une part avoir une position très claire sur sa condamnation, mais aussi par la suite, parce que nous avons bien pensé que cela allait devenir très difficile, de faire en sorte que les relations entre la Suisse et la Turquie soient très intenses et basées sur un dialogue direct, franc, mais assez discret, sur les points les plus délicats, où on peut dire les choses directement les yeux dans les yeux, mais pas forcément par les médias interposés, comme cela se fait beaucoup en Europe.
Cela nous a permis, pratiquement tous les mois, d’avoir des contacts à plusieurs niveaux, et de pouvoir faire connaître nos positions. […]

Vous prônez la liberté d’expression, mais c’est aussi prendre le risque d’éventuels dérapages, demain, lors de la visite du ministre turc des Affaires étrangères. Si c’est le cas, que va-t-il se passer?

Ecoutez, s’il y a des risques de dérapages – je ne sais pas de quels dérapages vous parlez –, mais si vous parlez de sécurité, ça c’est un autre problème, donc la liberté d’expression, elle ne doit pas être limitée. Mais c’est évident, si tout à coup, on voit qu’il y a un risque pour la sécurité, on doit prendre des mesures, par exemple, on peut très bien dire que le ministre ne peut pas se déplacer, là où c’était prévu. Il ne peut pas faire ce qui était prévu, mais pour des raisons de sécurité, et non pour des raisons de réduction de la liberté d’expression.
En Suisse, on a laissé s’exprimer des leader kurdes l’année passée. Maintenant, si le leader turc souhaite également s’exprimer, quelque part c’est important aussi pour que les différentes composantes de la société turque puissent se faire leurs idées, et en l’occurrence, il s’agit aussi d’une votation très importante pour l’avenir de ce pays. Je pense que les Turcs sont assez grands pour se faire leurs idées eux-mêmes, en fonction des points de vue des uns et des autres.
La Suisse n’est pas un pays interdisant l’expression, en revanche c’est un pays qui peut prendre des mesures de sécurité. […] Demain, si la rencontre ou l’évènement organisé par les Turcs devait finalement avoir lieu – puisque encore une fois, cela n’est pas clair à cette heure, où je vous parle – et bien, ce n’est pas du tout impossible que, pour des raisons de sécurité, nous ne puissions pas laisser les choses se réaliser comme prévu.

Source: Radio Télévision Suisse RTS 1, Forum du 11 mars 2017. Interview: Pietro Bugnon.

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