«Une véritable aspiration à la paix et à la justice»

«Une véritable aspiration à la paix et à la justice»

Retour de mission au Venezuela et en Equateur d’un expert indépendant des Nations Unies

par Alfred-Maurice de Zayas*

En tant que premier Expert indépendant pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, j’ai eu l’occasion d’en définir le mandat et la méthodologie. J’ai produit six rapports pour le Conseil des droits de l’homme et six autres pour l’Assemblée générale, tous ces documents traitant de problèmes d’ordre international incluant les paradis fiscaux, le règlement des différends investisseurs-Etats, les accords bilatéraux d’investissement, les accords de libre-échange, les projets de la Banque mondiale, le Fond monétaire international et ses accords déterminant les conditions de prêt, le désarmement au service du développement, l’autodétermination des peuples et la réforme du Conseil de sécurité. L’objet et le but de mon mandat est défini dans la résolution 18/6 du Conseil des droits de l’homme et les paramètres de ma visite sont décrits dans un communiqué de presse publié le 27 novembre 2017.1

Fonctions et activités de l’expert indépendant

La fonction des rapporteurs et des experts indépendants est de poser des questions, d’écouter toutes les parties concernées (audiatur et altera pars), d’évaluer les documents et d’émettre des recommandations constructives aux Etats. Nous sommes là pour aider les peuples à mieux réaliser leurs droits humains. Pour atteindre cet objectif nous essayons de convaincre les gouvernements qu’il est de leur propre intérêt de coopérer avec les Nations Unies et nous leur offrons nos services consultatifs et notre assistance technique. Notre fonction ne saurait se résumer à la condamnation des gouvernements – comme, hélas, demandent quelques organisations non-gouvernementales et de nombreux journalistes irresponsables.
Des observateurs et des défenseurs de la société civile prennent à tort les rapporteurs pour des envoyés spéciaux ou des plénipotentiaires. Personnellement, on ne m’a chargé que d’un mandat limité et je ne dois pas être vu comme un super-rapporteur ou un commissaire. Je ne peux usurper les fonctions des rapporteurs en ce qui relève de la liberté d’expression, du droit à la liberté de réunion et d’associations pacifiques, de l’indépendance des juges et des législateurs, de la nourriture, de la santé ou de la détention arbitraire.
Donc, je ne peux répondre aux attentes de certains secteurs de la société civile bien que mes interlocuteurs aient l’assurance de ma transmission de leurs préoccupations aux rapporteurs compétents. Je me suis aussi efforcé d’incorporer certaines de ces préoccupations dans l’exposé de mes recommandations préliminaires aux Etats, dont une partie ont déjà été mises en œuvre. S’il y a lieu, je reflèterai leur avis dans le rapport que je vais soumettre au Conseil des droits de l’homme en 2018.

Pas de «stigmatisation publique», mais de l’écoute et des propositions constructives

Je considère les missions de pays comme des missions de bonne volonté. J’ai entendu des centaines de parties concernées et recueilli auprès d’elles une mine de renseignements que je dois encore étudier et assimiler avant de pouvoir donner leur forme finale aux rapports. Il y a une chose qu’il vous faut garder présente à l’esprit, c’est que mon approche ne réside pas dans «la dénonciation et la stigmatisation publique», mais dans l’écoute et l’offre de propositions constructives sur la manière de réformer la législation, les réglementations et les pratiques pouvant conduire à des violations des droits de l’homme.

Un regard neuf sur les réalités du Venezuela et de l’Equateur

Je me suis efforcé de jeter un regard neuf sur les réalités du Venezuela et de l’Equateur, conscient des problèmes de pauvreté, de la corruption, des abus des entreprises transnationales, du chantage, de l’échec dans l’obtention du consentement préalable, libre et éclairé dans les secteurs de l’extraction des ressources naturelles. En ce qui concerne le Venezuela, je me suis penché sur les problèmes d’une guerre économique et non-conventionnelle ayant généré des pénuries de certaines denrées alimentaires et de médicaments, de l’inflation, de l’inefficacité du système de distribution, de la répression contre l’opposition. Il y a de nombreux diagnostics des problèmes et beaucoup de causes. Mon intention est de recommander des solutions viables, dans les limites de mon mandat, et mon approche a toujours été axée en fonction de la réalité des faits.
Cette visite a inclus un très grand nombre de réunions avec des ministres des deux pays, des ambassadeurs, des diplomates, des ecclésiastiques, des universitaires, des économistes, des professeurs, des étudiants, des organisations de la société civile, des victimes individuelles, m’ayant raconté des histoires déchirantes, avec les parents de personnes détenues et m’ayant donné des pétitions pour les remettre aux organismes appropriés. J’ai fait l’effort d’équilibrer mes rencontres entre les différents groupes et je ne suis pas demeuré passif dans la récolte d’informations mais dynamique dans la recherche de la vérité et en exigeant des informations ciblées.

Evaluation des efforts communs pour promouvoir le progrès social

Cette mission s’est concentrée sur l’évaluation des efforts communs pour promouvoir le progrès social et de meilleurs standards de vie conformes aux dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Convention internationale sur les droits civiques et politiques et les agendas des Forums sociaux mondiaux depuis Porto Alegre.
Il convient de rappeler que le Sommet mondial des Nations Unies de 2005 a réaffirmé que «la démocratie est une valeur universelle basée sur la volonté librement exprimée du peuple de définir ses propres systèmes politique, économique, social et culturel et leur totale participation dans tous les aspects de leur existence». Le document final du Sommet mondial a aussi souligné que «la démocratie, le développement et le respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont interdépendants et se renforcent mutuellement» et a rappelé qu’«alors que les démocraties partagent des caractéristiques communes, il n’existe pas de modèle unique de la démocratie». Par conséquent les modèles vénézuélien et équatorien méritent toute notre attention.

Alphabétisation, gratuité de l’enseignement, réduction de la pauvreté… …

Les impacts sur l’ordre international des modèles sociaux prévalant dans les deux pays, tout comme en Bolivie, au Nicaragua et à Cuba, révèlent les possibilités de plus grande intégration régionale et de coopération avec des organisations internationales, particulièrement avec le système des Nations Unies pouvant offrir des services consultatifs et une aide technique aux Etats afin d’assurer un progrès social n’étant pas réalisé au détriment des libertés civiques. J’ai observé les progrès dans le domaine de l’alphabétisation, de la gratuité de l’enseignement de l’école primaire à l’université, des programmes destinés à réduire l’extrême pauvreté, à fournir des logements aux sans abris et aux personnes vulnérables, à éliminer progressivement les privilèges et la discrimination, à développer les soins médicaux pour tous, y compris les très jeunes et les personnes âgées.

… et mesures coercitives venues d’autres pays

Au nombre des obstacles à la jouissance des droits de l’homme, je me suis renseigné sur les mesures économiques défavorables, adoptées par divers pays et visant, directement et indirectement, à affecter le bon fonctionnement d’un autre pays en particulier, ou à limiter son espace réglementaire. Les Nations Unies ont condamné les mesures coercitives unilatérales depuis des décennies, notamment depuis l’étude de référence de la Sous-commission pour la Promotion et la Protection des Droits de l’homme en 2000. La spéculation monétaire reste un des mécanismes favoris destinés à déstabiliser une économie visée, de même que les activités des agences de notation, lesquelles, bien qu’elles n’aient aucune légitimité démocratique, pèsent lourdement sur la capacité financière des Etats à émettre des obligations ou à obtenir des financements.

Nombreux problèmes: de l’évasion des capitaux vers les paradis fiscaux au «terrorisme»

L’évasion de capitaux nationaux vers les paradis fiscaux a eu un impact négatif sur la capacité de certains pays à respecter leurs obligations financières et la coopération internationale est nécessaire pour assurer le rapatriement des fonds illicitement retirés des pays concernés. Il semble aussi que des groupes criminels internationaux soient responsables du détournement de ressources publiques, ainsi que de denrées alimentaires et de médicaments retrouvés dans des pays limitrophes, affectant ainsi la jouissance des droits de l’homme pour les populations auxquelles ces ressources étaient au départ destinées.
L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime peut assister les Etats dans leur approche de certains de ces problèmes. Il y a en outre au Venezuela un problème supplémentaire de sabotage de la propriété publique, d’incendies criminels à l’encontre de bâtiments publics, d’hôpitaux et d’autres institutions, de destruction de lignes électriques et téléphoniques, etc., souvent en relation avec les campagnes électorales. Je reste préoccupé par des rapports reçus au sujet de ces actes de sabotage pouvant être même classés dans la rubrique «terrorisme».

Collaboration spontanée des gouvernements vénézuélien et équatorien

Je voudrais exprimer mes remerciements aux gouvernements vénézuélien et équatorien qui n’ont ménagé aucun effort pour répondre à mes questions et me fournir documentations et statistiques, y compris des présentations PowerPoint, que je suis actuellement en train d’évaluer et de comparer avec d’autres sources d’informations.
Des organismes de la société civile m’ont également fourni une documentation très utile et j’ai rencontré des ONG, des personnes du pays, des interlocuteurs individuels et des familles de personnes en détention ainsi que des personnes dont certains parents sont morts à cause de la pénurie de médicaments. J’ai lu les analyses d’Ignacio Ramonet, qui écrit souvent dans le Monde diplomatique, et le livre indispensable de la professeur d’économie Pasqualina Curcio, «The Visible Hand of the Market, Economic Warfare in Venezuela».

Polémique à l’encontre de l’expert indépendant

Il semble hélas qu’une campagne médiatique ait été lancée contre moi déjà des semaines avant ma mission, même avant mon arrivée à Caracas et certains ont même traité cette mission d’«enquête bidon» («fake investigation»). Parallèlement, ma crédibilité personnelle a été remise en question dans les médias sociaux et j’ai été soumis à des attaques ad hominem, incluant des insultes et toutes sortes d’accusations, avant même d’avoir parlé à un seul journaliste ou donné une conférence de presse. Ceci reflète un niveau élevé de polarisation et de refus d’accepter qu’un expert indépendant soit réellement indépendant et qu’il vienne pour écouter et évaluer, et non pas pour épater la galerie ou condamner. Voilà la crise des Nations Unies dans la lutte pour les droits humains. Les rapporteurs étant réellement indépendants deviennent la cible de «mobbing». On ne tolère pas l’indépendance. On exige d’un rapporteur qu’il dise ce qui est politiquement correcte.
Il s’agit d’une inquiétante campagne médiatique dans le but d’amener les observateurs internationaux à des vues préconçues, comme par exemple le fait qu’il y ait une «crise humanitaire» au Venezuela. Nous devrions nous méfier de l’hyperbole et de l’exagération, en gardant à l’esprit que la «crise humanitaire» est un terminus technicus, un terme technique, qui pourrait être utilisé à mauvais escient comme prétexte à une intervention militaire et à un bouleversement de régime.

Pas de «crise humanitaire»

Bien sûr, les denrées alimentaires et les médicaments devraient pouvoir circuler librement au Venezuela afin de soulager l’actuelle pénurie de nourriture et de médicaments. Mais cette aide devrait rester sur le plan strictement humanitaire et ne pas avoir d’objectif politique ultérieur. Le Comité international de la Croix-Rouge, Caritas et d’autres organisations pourraient sûrement contribuer à la coordination des importations et des distributions d’aide humanitaire.
La situation au Venezuela n’a pas atteint le seuil de la crise humanitaire, bien qu’il y ait des pénuries dans certains secteurs, de la malnutrition, de l’insécurité, de l’angoisse. Quand j’étais au Venezuela, j’ai pu aussi voir que les mesures prises par le gouvernement abordaient ces problèmes et j’ai fait des recommandations sur la façon d’améliorer ces mesures. Il est inutile de répéter seulement qu’on a atteint un niveau inacceptable de souffrance dans certains domaines. Il est essentiel de formuler des propositions constructives. Pour formuler de telles propositions, il est important d’étudier les différentes causes de ces problèmes. Il est important de connaître l’impact des sabotages, de la rétention, des activités du marché noir, de l’inflation induite et de la contrebande de denrées alimentaires et de médicaments.

Oui à la solidarité internationale, non à l’isolation et au boycott

Il ne faut pas isoler ni boycotter ces pays. Il est essentiel de faire preuve d’un niveau de solidarité internationale par des mesures d’inclusion et par l’effort concerté d’aide d’organisations internationales comme le PNUD, l’UNICEF, la FAO, l’ONUSIDA, etc. J’ai expressément demandé au Venezuela de solliciter les services consultatifs et l’aide technique des Nations Unies et il semble que cet appel ait été entendu.2 J’ai également recommandé d’inviter sept autres rapporteurs.
Les missions de l’ONU ne considèrent pas seulement les aspects négatifs. Les rapporteurs peuvent aussi faire mention de bonnes initiatives et constater que certains enseignements ont porté. Dans le cas du Venezuela, je pense que le programme vénézuélien de construction de logements bon marché s’est révélé être une bonne chose et a sauvé des millions de personnes de la pauvreté et de la clochardisation. En Equateur, j’apprécie le Plan Nacional de Desarrollo 2017–2021 (Plan national de développement) et les démarches visant à adopter le projet de Traité des Nations Unies sur la responsabilité sociale de sociétés transnationales et la création d’un organisme fiscal des Nations Unies coordonnant les politiques fiscales en vue de l’élimination progressive de la surenchère fiscale, des paradis fiscaux et de la fraude fiscale. L’initiative pour un impôt sur les transactions financières est digne d’un soutien généralisé.
Je reconnais également que ces deux pays accomplissent un effort considérable pour atteindre les 17 objectifs de développement durable avant l’échéance de 2030 et qu’ils consacrent tous deux une part considérable de leur budget national aux services sociaux.

Le plus important est le maintien de la paix sociale

Le plus important est d’assurer le maintien de la paix sociale. De promouvoir le dialogue parmi tous les secteurs de la population, d’établir le dialogue avec le secteur privé et d’écouter ses propositions. Au Venezuela comme en Equateur, il y a une grande aspiration à la paix et à la justice, à ce que les Equatoriens appellent le buen vivir, le bien-vivre. Cela s’est traduit en 2014 par la Déclaration3 de Quito de l’Union Interparlementaire, à laquelle je souscris pleinement, tout comme j’appuie aussi totalement la résolution4 de 2014 de la Communauté d’Etats latino-américains et caraïbes (CELAC) déclarant l’Amérique latine et les Caraïbes «zone de paix». Voilà d’excellentes pratiques à suivre. Pax optima rerum.    •

* Alfred-Maurice de Zayas (USA/Suisse) a été désigné premier Expert indépendant pour la Promotion d’un ordre international démocratique et équitable par le Conseil des droits de l’homme, à partir de mai 2012. Il est actuellement professeur de Droit international à la Geneva School of Diplomacy. Les experts indépendants appartiennent au secteur des Special Procedures du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, le plus grand corps d’experts indépendants dans le département «Droits de l’homme» de l’ONU, est le nom du «mécanisme indépendant de surveillance et de reconnaissance» intervenant dans les situations localement spécifiques ou les questions thématiques dans le monde entier. Les experts du secteur des procédures spéciales travaillent sur la base du bénévolat; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ne perçoivent aucune rémunération pour leur travail. Ils ne dépendent ni d’un gouvernement, ni d’une organisation et remplissent leurs fonctions à titre personnel.

Source: <link https: amerika21.de dokument external-link seite:>amerika21.de/dokument/192396/un-experte-venezuela-ecuador

(Traduction Horizons et débats)

1    <link https: amerika21.de dokument external-link seite:>amerika21.de/dokument/192396/un-experte-venezuela-ecuador
2    <link https: amerika21.de dokument external-link seite:>amerika21.de/dokument/192396/un-experte-venezuela-ecuador
3    <link http: archive.ipu.org conf-e quito-comm.html>archive.ipu.org/conf-e/128/quito-comm.html
4    <link https: www.zeit-fragen.ch typo3 www.cubadebate.cu especiales declaracion-de-la-habana-pdf-y-fotos external-link website:>www.cubadebate.cu/especiales/2014/01/29/declaracion-de-la-habana-pdf-y-fotos/#.WkOQU_YiGb8

Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.

Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.

OK