Dans son communiqué de presse du 4 juillet 2018, le Conseil fédéral tente une fois de plus à se dépêtrer de sa situation: très peu d’information concernant le dossier de négociation, de nombreuses allusions nébuleuses, brasser de l’air: il a «pris note des progrès techniques dans les négociations institutionnelles avec l’Union européenne (UE)», et la délégation de négociation «poursuit les discussions avec l’UE en vue de parvenir à un accord sur les questions institutionnelles». Bien qu’aucun membre des Commissions de politiques extérieures des deux Chambres fédérales n’ait eu connaissance du projet de ce fâcheux accord, la presse quotidienne s’occupe ces derniers temps uniquement de la question des mesures d’accompagnement à l’accord sur la libre circulation des personnes, défini comme étant soit disant le dernier obstacle. Et, l’association «economiesuisse» en rajoute avec son enquête auprès des directions des grandes entreprises: là, l’accord serait déjà majoritaire – indépendamment du contenu?
La confusion créée entre la politique, les médias et les diverses associations économiques semble viser à instaurer le chaos dans la tête des citoyens. La classe politique, favorable à l’UE, espère, par le biais d’une irrigation continue avec des annonces non prouvés et des débats animés sur les «lignes rouges», de fatiguer et meurtrir le peuple jusqu’à la date inconnue de la votation populaire (si jamais le dossier arrive aussi loin).
Afin de dénouer les nœuds dans les têtes des citoyens, voici quelques rectifications:
Dans son communiqué de presse du 4 juillet,1 le Conseil fédéral confirme «les lignes rouges en vigueur» envers Bruxelles concernant les mesures d’accompagnement de l’Accord sur la libre circulation des personnes (contrôle des contrats de travail et des salaires; période d’enregistrement de huit jours pour les entreprises étrangères).
Peu à peu, les «lignes rouges» s’estompent déjà vers le rose. Le chef du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis (PLR) qui, avant son élection au Conseil fédéral, avait promis d’appuyer sur le «bouton Reset», donc de relancer l’accord-cadre en favorisant les intérêts de la Suisse, se laisse à tout moment dissuadé de maintenir un point de vue clair. Est-ce sous pression de Bruxelles? Et/ou sous pression des spécialistes des Affaires étrangères de son propre parti? Pour Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse (USS) et conseiller national du PS, les mesures d’accompagnement actuelles «ne sont pas négociables». La question de savoir si lui est ses camarades iraient jusqu’à laisser échouer l’accord-cadre, on peut douter, car l’adhésion à l’UE fait partie du programme du PS depuis des décennies.
Parmi les dirigeants de l’UE, ce bruit provoque au mieux un haussement d’épaules: quelle idée absurde de la part des Suisses, que l’UE pourrait être prête à inclure le droit suisse dans un accord-cadre!
Dans son communiqué de presse le plus récent, le Conseil fédéral ne divulgue toujours pas les bases d’un accord-cadre institutionnel avec l’UE. Car, il ne s’agit pas de parvenir à un accord avec Bruxelles concernant quelques questions individuelles d’actualité, telles que la date limite d’enregistrement pour les prestataires de services étrangers, de nouvelles règles sur la détention d’armes ou le versement d’allocations de chômage aux travailleurs frontaliers.
Le contenu principal d’un accord-cadre serait plutôt le devoir fondamental de la Suisse d’adopter outre le droit actuel de l’UE, automatiquement aussi le droit futur, dont nous n’avons aujourd’hui aucune idée. Le peuple n’aurait alors plus rien à dire dans de nombreux domaines de la législation. Les exemples actuels nous donnent une idée de l’ampleur de la destitution du peuple souverain.
Voici un exemple de l’adoption du droit de l’UE dans la pratique: début juin déjà, la Commission européenne a déclaré que les mesures d’accompagnement et les lignes rouges de la Suisse n’avaient pas leur place dans le système: «Là, l’UE désire que la Suisse abandonne de telles idées pour s’orienter vers les mesures de protection européennes récemment développées.»2
Un autre élément important du droit de l’UE devant être imposé à la Suisse concerne les aides étatiques récemment discutées dans Horizons et débats.3 Contrairement à la formulation à peine compréhensible du communiqué de presse du Conseil fédéral, la Commission européenne, ne manque pas de clarté, selon SRF online du 7 juin: elle veut «ancrer dans l’accord-cadre également le principe que les toutes aides étatiques – certaines subventions – soient interdites».4
Compris? Dorénavant, Bruxelles décide du droit à appliquer en Suisse. Voilà ce qui est le véritable contenu principal d’un accord-cadre!
Certains politiciens suisses ont déjà accepté ce point de vue sans le dire explicitement. A l’instar du conseiller fédéral Ignazio Cassis, qui tente de trouver «d’autres voies» pour se protéger contre le dumping salarial, ou de manière encore plus accentuée la conseillère nationale (PDC) Elisabeth Schneider-Schneiter, présidente de la Commission de politique extérieure avec sa déclaration remarquable concernant les mesures d’accompagnement: «Peut-être y a-t-il une possibilité d’atteindre, de commun accord avec l’UE, de meilleurs objectifs pour nous tous».5
Comment appeler une telle chose? Dans le passé, les Suisses ont uni leurs forces envers les puissances étrangères en montrant leurs muscles. Alors, arrêtons les escarmouches politiques internes! Nous, citoyennes et citoyens, exigeons de chacun de nos politiciens et de nos dirigeants d’associations une position claire et transparente pour ou contre l’intégration de la Suisse dans le système antidémocratique de l’UE. Et n’oublions pas: ce seront nous, les citoyens, qui prendront finalement la barre.
Le Conseil fédéral s’efforce, par contre, de laisser le peuple de côté aussi longtemps que possible. Alors qu’il parlait d’abord d’une consultation après la pause estivale – ce qui consisterait à consulter, publier et intégrer les commentaires des 26 cantons, des partis politiques, des associations et des citoyens intéressés –, il prévoit maintenant de ne «prendre contact» qu’avec les «cantons» (donc la présidence de la «Conférence des gouvernement cantonaux», CdC) et les «partenaires sociaux» (responsables des syndicats et des associations patronales) pour «solliciter leur avis» et il «procédera après l’été à un nouvel état des lieux sur la base des résultats des diverses consultations». Communiqué de presse du Conseil fédéral du 4 juillet).
Le peuple semble devoir attendre que la Classe politique ait trouvé un moyen d’amener la majorité à dire oui. Ces messieurs-dames risquent cependant fort de se tromper et de faire fausse route.
Arbitrage au lieu de la
Position du Conseil fédéral: «Un consensus se dégage quant au règlement des différends par la voie d’une solution arbitrale». (Communiqué de presse du Conseil fédérale du 4 juillet)
Position de la Commission européenne: Juncker «a mis en jeu un tribunal d’arbitrage indépendant. Toutes les questions n’ont pas encore été clarifiées et la Cour de justice européenne jouera également un rôle influent dans cette solution». (SRF du 7 juin; souligné par mw.)
Le 18 avril, Robert Balzaretti, secrétaire d’Etat chargé des négociations avec Bruxelles, a donné une conférence à l’Association suisse de politique étrangère ASPE, (cf. encadré p. 6) sur le thème «Suisse – UE: et maintenant?». Selon la presse, il y a décrit le tribunal arbitral, qu’on tente d’imposer à la Suisse dans l’accord-cadre, dans les couleurs les plus fleuries: «L’UE est prête à limiter étroitement le rôle de la Cour de justice européenne dans le règlement bilatéral des différends, comme nous l’a déclaré Balzaretti. Ce ne seront pas les juges luxembourgeois qui rendront justice, mais un tribunal arbitral indépendant. Balzaretti: ‹En principe, le tribunal arbitral devrait être en mesure de résoudre les différends par lui-même›».6
Certains points de cette présentation ne sont pas cohérents.
Koen Lenaerts, président de la Cour de justice européenne à propos de du tribunal d’arbitrage: «En tant que juge, je ne peux pas dire quel serait le sort d’un tel mécanisme.» Mais, une chose est certaine: «Il est impossible qu’un tribunal arbitral prenne une décision concernant le droit de l’UE».5
Conclusion: toute l’histoire autour du tribunal arbitral ne sert qu’à détourner les Suisses de l’adoption obligatoire du droit de l’UE actuel et futur – dont le contenu et la portée ne peuvent pas être connus à l’heure actuelle – et de la compétence juridictionnelle, inévitablement associée, de la Cour de justice européenne.
Avec les résultats d’un sondage mené auprès des plus grandes entreprises suisses, l’association économique economiesuisse a entamé la campagne de votation lors de sa conférence de presse du 2 juillet, avant même que l’accord soit disponible. Sur près de 1000 personnes questionnées exerçant des responsabilités de cadre de direction, 80% se déclarent «en faveur d’un accord-cadre» – sans l’avoir jamais consulté. Cependant, le nombre de partisans diminue à 60%, si un tel accord ne peut être obtenu qu’au prix d’un tribunal central. Aussitôt que les questions seront encore plus spécifiques, l’approbation pourrait rapidement être inférieure à 50%.
Lors de la conférence de presse, la directrice Monika Rühl a déclaré clairement pourquoi l’économie suisse se porte actuellement si bien: «Nos entreprises sont présent sur les marchés mondiaux depuis de nombreuses années et se défendent avec succès face à une forte concurrence internationale.» Les raisons pour ce succès sont, selon Mme Rühl, les conditions-cadre stables du point de vue politique, juridique et macroéconomique ainsi que les bonnes relations commerciales avec les marchés étrangers, alors que le plus important marché pour les produits suisses est évidemment le marché intérieur de l’UE.
Intéressant à entendre – depuis 1973, la Suisse a conclu un accord de libre-échange sur mesure avec l’UE, toujours valable aujourd’hui. Mais, c’est un secret de polichinelle que la Suisse se porte si bien, parce que la liberté et la souveraineté du pays figure au premier plan tant pour la population que pour les entreprises.
Pourquoi alors un accord-cadre avec lequel notre pays performant et prospère se soumettrait au droit et à la juridiction de l’UE? Et Monika Rühl de préciser: «L’importance des accords bilatéraux pour les entreprises consiste avant tout dans un accès non discriminatoire au marché intérieur européen. Trois entreprises sur quatre soulignent que la sécurité juridique à l’égard de l’UE est absolument essentielle pour l’économie.» [Souligné par mw]
Concernant l’illusion d’obtenir davantage de sécurité juridique grâce à une intégration plus étroite dans la superpuissance centralisée, voir Horizons et débats du 25 juin.7 Pour ne citer que ceci: la sécurité juridique pour l’économie et pour les individus ne peut être garantie que par des relations juridiques d’égal à égal. On pourrait penser que nous avons entre-temps suffisamment d’expériences avec l’UE: lorsque certaines choses ne conviennent pas à ces messieurs-dames de Bruxelles, ils ne se gênent pas pour prendre des mesures arbitraires en violation des accords. •
1 Politique européenne: état d’avancement des négociations sur les questions institutionnelles et prochaines étapes. Communiqué de presse
du Conseil fédéral du 4/7/18
2 Streit um Rahmenabkommen. Einigung möglich – doch Schweiz muss sich bewegen. srf.ch du 7/6/18, auteur, Oliver Washington
3 Cf. «Que signifie ‹la reprise du droit de l’UE›? Exemples concrets» Horizons et débats» no 14 du 25/6/18
4 Streit um Rahmenabkommen. Einigung möglich – doch Schweiz muss sich bewegen. sfr.ch du 7/6/18, auteur: Oliver Washington
5 «Flankierende Massnahmen – Cassis erhält Unterstützung von unerwarteter Seite.» srf.ch du 15/6/18, auteur: Priscilla Imboden
6 «Fortschritte beim Schiedsgericht». In: St. Galler Tagblatt du 24/4/18
7 «Accord-cadre institutionnel Suisse–UE: stratégie ou confusion?» Horizons et débats no 14 du 25/6/18
mw. Dans leur commentaire sur le «Livre blanc Suisse» du think tank avenir suisse,2 Konrad Hummler et Tito Tettamanti ont remis les choses à leur place. Le Livre blanc appelle à une «discussion impartiale» sur le passage de la Suisse d’un «statu quo en matière de réforme» à une «intégration dans le marché européen et mondial». En outre, il faut «lever le tabou» entourant l’adhésion à l’UE en tant que solution privilégiée. (quatrième de couverture)
Et Hummler/Tettamanti de préciser: «En bref: selon avenir suisse, plus nous serions intégrés (dans l’UE), plus nous irions bien». Les deux auteurs contredisent cette affirmation en raison de leur ferme conviction dans le caractère du développement historique de la Suisse:
«La liberté, la primauté du droit, la démocratie directe et le fédéralisme sont des qualités indispensables de notre pays et imposent une souveraineté suffisante, également dans un monde complexe et interconnecté. Il ne s’agit pas d’un pur exercice intellectuel, tout au contraire: elle existe, la spécificité suisse, et elle est si différente de la spécificité historiquement peu éprouvée de l’UE que la poursuite de l’intégration signifierait inévitablement l’abandon de tout ce qui est typiquement suisse. «Nous sommes un pays développé de bas en haut, le reste de l’Europe est bâti plus ou moins sur l’allégeance à une autorité.»
Il s’agit d’une «forme d’organisation unique et subsidiairement voulue, dans laquelle de nombreuses tâches de politique sociale, sociétale et économique peuvent manifestement être bien résolues. La Suisse a toujours fait preuve de proximité avec ses citoyens, d’efficacité des coûts et de diversité culturelle».
«S’attendre à un excellent développement de l’UE n’est pas sérieux. Il faut plutôt se demander dans quel type d’UE nous devrions nous intégrer. Est-ce vraiment si insensé de maintenir une distance suffisamment grande avec Bruxelles? Nous devrions, pour rester réaliste, renoncer à l’illusion de pouvoir influencer les développements de quelque manière que ce soit. L’affirmation de pouvoir compenser la perte de souveraineté par les possibilités de participation semble assez naïve, compte tenu de la répartition actuelle des poids à l’intérieur de l’UE.»
Hummler et Tettamanti recommandent, «également en vue des résultats des négociations attendus prochainement, d’entreprendre toute réflexion visant à peser soigneusement les avantages et les inconvénients objectivement vérifiables et d’y inclure les considérations d’éventuels développements défavorables de l’UE.»
Konrad Hummler est un ancien président du Conseil d’administration de la «Neue Zürcher Zeitung», aujourd’hui partenaire de la M1AG, un think tank pour les questions stratégiques de notre époque; Tito Tettamanti est un ancien membre du gouvernement du canton du Tessin, actuellement avocat et entrepreneur.
1 Hummler, Konrad; Tettamanti, Tito. «Die Schweiz und die EU: Substanz statt Performance.» Commentaire invité in «Neue Zürcher Zeitung» du 3/7/18
2 «Livre blanc Suisse. Six esquisses d’avenir». Avenir suisse 30/5/18. Editeurs: Peter Grünenfelder et Patrik Schellenbauer.
mw. Qui est cette «Association suisse de politique étrangère» (SGA-ASPE), où le secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti a fait campagne pour un accord-cadre en avril 2018 en faisant l’éloge au-delà de toute réalité du Tribunal arbitral offert par Juncker?
En juin 2018, la SGA-ASPE a fêté son 50e anniversaire avec un discours sur le thème «Conviction européenne, malgré un vent contraire» de Christoph Wehrli (pendant de nombreuses années et jusqu’en 2014 à la tête de la rédaction nationale de la «Neue Zürcher Zeitung»). A l’occasion de la célébration, Gret Haller (ancienne conseillère nationale PS et ardente partisane de l’adhésion à l’UE) a remis la présidence à Christa Markwalder (conseillère nationale PLR et présidente de longue date du «Nouveau mouvement européen suisse», dont l’objectif est l’adhésion de la Suisse à l’UE). C’est également l’objectif de l’ASPE (cf. l’éditorial inaugural de Christa Markwalder de juillet 2018).1 Deux mois après le secrétaire d’Etat Balzaretti, nommé par le conseiller fédéral Ignazio Cassis, celui-ci était l’invité à la célébration de ce club de pro-UE et lui a adressé un message de salutations.
A ma connaissance, aucun conseiller fédéral n’a jamais félicité une association critique envers l’UE. Et cette équipe-là défend les intérêts de notre pays à Bruxelles?
1 Editorial. «Relations Suisse – UE: unde venis et quo vadis?» [D’où viens-tu et où vas-tu?] Par Christa Markwalder, présidente de l’ASPE, juillet 2018
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