«Les questions sont une étape préalable à l’acquisition du savoir»

«Les questions sont une étape préalable à l’acquisition du savoir»

par Carl Bossard

Les questions sont une étape préalable à l’acquisition du savoir. Mais aujourd’hui, les élèves n’ont plus guère le droit d’en poser à leurs enseignants. Ainsi le définit un nouveau paradigme. Voici mon intervention.
En m’entretenant avec des pédiatres,1 des psychologues scolaires ou des éducateurs, on apprend des choses inattendues: dans leur cabinet, ils traitent de plus en plus d’enfants avec des problèmes psychosomatiques tels des douleurs abdominales ou des maux de tête chroniques. Les élèves souffrent davantage de phobie scolaire, certains présentent un comportement inhabituel. Les jeunes patients souffrent de symptômes pour lesquels il n’existe pas d’explications somatiques.2

Les enfants se retranchent dans un parcours solitaire

Les spécialistes diagnostiquent trois causes principales: les pressions sociétales et sociales, les situations d’urgences dans les familles, les raisons scolaires. Voici un exemple: une femme médecin explique: «J’ai été témoin d’enfants en 3e classe primaire devant élaborer eux-mêmes de manière autonome les savoir-faire en maths. Le lundi, l’enseignante donne une brève introduction au nouveau sujet de mathématique; le reste de la semaine, les enfants ont dû travailler leurs dossiers individuellement pendant les leçons de maths et pour faire leurs devoirs.»
En tant qu’«accompagnatrice», l’enseignante distribue des contenus d’apprentissage individuels; idem pour l’allemand et les sciences. Des plans hebdomadaires et des feuilles de travail doivent régler l’affaire.

Faire la queue jusqu’à vingt minutes pour poser ses questions

Tout doit être accompli de manière autonome – et en solitaire. Apprendre n’est plus un processus commun mais une activité individuelle. Plus guère de possibilité de créer une communauté de classe. Notamment les élèves moyens et plutôt faibles sont dépassés. Ils sont ainsi soumis à des pressions psychologiques et ne peuvent satisfaire aux attentes.
Un aspect supplémentaire s’y ajoute: lorsque des questions surgissent au cours du travail, les élèves sont tenus de consulter, d’abord leurs camarades, les «experts», comme on les nomme. C’est avec eux que l’enfant doit discuter ses questions. Lorsqu’il désire obtenir le conseil de son enseignante, il doit faire la queue – si cela est possible. Selon la doctoresse, cela peut durer parfois jusqu’à vingt minutes. Rien d’étonnant donc, si l’élève s’exclame: «Alors je demanderai à mes parents à la maison!»

Remettre en question les prétendues «idées magiques»

A l’heure actuelle, les enfants doivent apprendre de façon autonome; ils sont les propres gestionnaires de leur apprentissage. L’apprentissage autonome et auto-organisé est la devise de la réforme. Derrière cela se cache l’objectif éducatif de l’autorégulation. Ce terme a un haut niveau d’acceptation éducative et demeure actuellement la forme dominante d’enseignement dans de nombreux endroits. L’apprentissage auto-organisé est devenu une sorte de formule méthodique de rédemption; une véritable croyance en la puissance de cette pratique s’est développée. Parlerons-nous un jour d’une faute professionnelle en matière d’éducation? Ce ne serait pas la première fois qu’une nouvelle idée magique en pédagogie se retrouve plus tard massivement remise en question.
Car jusqu’à aujourd’hui, il n’existe aucune preuve empirique que cette méthode permettrait d’améliorer la qualité de l’enseignement. Bien au contraire. Sans une forte activité des élèves par le biais d’une présence active de l’enseignant, de contrôles réguliers des connaissances et d’un feed-back correspondant, on ne peut s’attendre à un apprentissage efficace et élevé. Tous les chercheurs en éducation de renom sont d’accord sur ce point.

L’autonomie est un objectif et non une condition préalable

L’apprentissage ne fonctionne qu’avec l’intérêt; il faut être disposé à apprendre pour le faire avec succès. Les scientifiques sont également d’accord sur ce principe. Mais au début, cette volonté n’est pas toujours présente. L’autonomie n’est pas une condition préalable à l’enseignement et à l’éducation; l’autonomie est le but.3 Pourquoi? Chez les jeunes, le contrôle des émotions et donc l’autodiscipline ne sont pas encore pleinement développés, comme le neuropsychologue zurichois Lutz Jäncke le souligne souvent.
«Le cortex frontal est encore en train de mûrir4 – et avec lui la capacité de se concentrer. Il y a des conséquences. Les enfants et les adolescents sont facilement distraits. C’est pourquoi, explique Jäncke, l’euphorie de l’auto-apprentissage est problématique.

L’enseignant doit être une référence vitale et humaine

L’enseignement et l’apprentissage sont des processus intersubjectifs. C’est un processus entre personnes. Et ce qui se passe entre les personnes ne se passe pas d’abord d’un cerveau à l’autre, mais d’œil à œil, d’oreille à oreille, des sens aux sens. Physiquement et mentalement. Les enfants et les adolescents ont besoin d’être stimulés; ils doivent être touchés émotionnellement. Puis la fameuse étincelle illumine l’esprit, ils se laissent alors enflammer par les contenus.
Les enseignants ont la responsabilité de créer le contact personnel et de le diriger dans la bonne direction. Comme une directrice de chorale, comme un chef d’orchestre. «Pédagogue» vient du grec paid-agogein, «diriger les enfants». Diriger, non pas uniquement superviser et accompagner – il faut leur donner l’exemple. Et le professeur universitaire Lutz Jäncke met également l’accent sur le modèle pédagogique que sont les adultes pour les plus jeunes.

Créer des conditions agréables

Et Jäncke d’ajouter: «Les enfants doivent pouvoir s’adresser à l’enseignant avec leurs questions et problèmes.» C’est aussi ce qu’exige une séquence dans le manuel d’allemand de la série «Die Sprachstarken»: «Frage, bis du alles verstanden hast»! «Pose tes questions jusqu’à ce que tu aies tout compris.» La compréhension se fait dans le dialogue. L’objectif de l’école est de conduire les enfants aux connaissances, aux compétences et comportements leur permettant de comprendre et de développer leur savoir.
L’enseignement est donc un événement interactif – avec pour but l’autonomie de l’homme, la maturité de l’individu, la souveraineté de la personne. Cette autonomie n’existe pas d’emblée; elle se développe progressivement. Devenir indépendant est un processus exigeant. L’autonomie forme et reste l’objectif d’un bon enseignement – dans une «atmosphère de confiance, de sécurité, de soins et de bonne volonté», tel que John Hattie le considère comme essentiel pour tout apprentissage efficace.
Pour cette raison, les enseignants doivent créer, comme l’affirme le sociologue allemand Jürgen Habermas, dans leurs classes des «conditions d’accueil» pour tous les enfants. Et cela inclut les questions adressées à l’enseignant. Elles soulagent et clarifient et sont une étape préalable à l’acquisition du savoir.    •

Source: www.journal21.ch/dann-frage-ich-halt-die-eltern du 2/7/18

(Traduction Horizons et débats)

1    Cf. Vortragsreihe «Schule & Pädiatrie» des Vereins Ostschweizer Kinderärzte, www.kispisg.ch
2    Burri, Anja. Kranke Kinderseelen, in: NZZ am Sonntag du 29/10/17, p. 20s.
3    Reichenbach, Roland. Philosophie der Bildung und Erziehung. Stuttgart 2007, Verlag W. Kohlhammer, p. 107
4    Jäncke, Lutz. «Vom Hirn zum Lernen». Vortrag an der Universität Zürich im Rahmen «50 Jahre Klett und Balmer Verlag» le 8/11/17; cf. même auteur. Ist das Hirn vernünftig? Erkenntnisse eines Neuropsychologen. Berne 2015, Verlag Hans Huber, p. 239

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