La révolte des moutons contre l’arrêt de mort émanant des toutes- puissantes politiques de l’économie et du commerce s’impose!

La révolte des moutons contre l’arrêt de mort émanant des toutes-puissantes politiques de l’économie et du commerce s’impose!

La sécurité alimentaire doit être élevée au rang des droits de l’homme

par Heinrich Wohlmeyer

Pourquoi est-ce que je lance cet appel, alors que je suis un vieil homme (82 ans)?
Parce que je suis encerclé par l’aveuglement, voire la criminalité, face à l’avenir des décideurs et par le «silence des agneaux».1 Celui qui n’est pas éleveur de moutons a de la peine à comprendre la métaphore biblique.2 A la différence de toutes les autres espèces d’animaux de rente, les moutons se rendent sans protester (sans bêler désespérément) à l’abattoir.
Les petits agriculteurs aux activités diversifiées sont actuellement sacrifiés sans aucun égard à des marchés mondiaux sous l’emprise du grand capital, maximalisant à court terme leurs bénéfices et investissant leurs actifs financiers en expansion dans le foncier. On parle là d’un «marché mondial» intangible, immuable et facteur de prospérité, comme si cela était la forme prédéfinie et naturelle des échanges économiques.

Prévoyance régionale ou compétition mortifère

La plus récente de ces actions criminelles envers l’avenir, est la ratification de la convention CETA avec le Canada par la Commission de l’Union européenne et sa gestion édulcorée par le Parlement européen ainsi que par les gouvernements nationaux et les parlements. Pour ces derniers, c’est à dessein que je n’utilise pas le mot de «représentation populaire» parce qu’il est clair que c’est contre la volonté populaire que l’on tient compte des intérêts majeurs qui sont en jeu.
Actuellement en Autriche, chaque jour voit six petits exploitants agricoles abandonner. On nous présente cela comme une «assainissement structurel» naturel. En réalité, on brade la sécurité alimentaire de nos enfants et de nos petits-enfants.
Et pourquoi j’ose dire cela: toutes les grandes civilisations issues de territoires restreints ont développé des modèles de productions horticoles variées et nous aussi avons de cette manière assuré l’approvisionnement dans des situations critiques. Encore enfant, j’ai été confronté à la Seconde Guerre mondiale et à l’état d’urgence qui lui a succédé et je les ai toutes deux éprouvés dans ma chair et dans mon sang. Nos paysans, avec leur production autarcique et diversifiée ont pu assurer l’approvisionnement de première nécessité. Nous pouvions alors encore envoyer les enfants «se refaire une santé à la campagne» et les «stockeurs de denrées» pouvaient venir quémander un peu de pain, quelques œufs et de la viande et des légumes.
Les petits agriculteurs pouvaient intensifier leur maraîchage. Les «petits champs familiaux» de ma famille d’accueil étaient de grands jardins exigeant un travail considérable et dotés d’une productivité très élevée. A présent, les exploitants agricoles «rationnalisés» sont eux-mêmes nécessiteux en cas de crise.3

Une maximalisation à courte vue de la productivité au lieu d’une sécurité de production à long terme

Si nous nous risquons à utiliser comme méthode de recherche un «regard en arrière depuis le futur», nous trouvons dans la stratégie globale et dans la politique agricole intégrée tous les signes annonciateurs d’une tempête. D’ici peu, nous ne disposerons sur terre plus que d’environ 2000 m² de terre cultivable par habitant, les carburants fossiles et les réserves de phosphate qui permettent les actuelles stimulations des systèmes de production «modernes» touchent à leur fin, et les techniques d’exploitation agricole artisanale en terrain difficile et sur des sols pauvres se perdent par suite de l’«élimination» suite à la «rationalisation» des petits exploitants. La perte de la diversité écologique (biodiversité) – étant la condition requise pour la stabilité du système, l’exploitation adaptée aux conditions locales et l’intensification en cas d’urgence – va de paire avec les affaires économiques internationales qu’on nous impose. Actuellement, environ 75% de l’alimentation proviennent de 12 espèces végétales et de 5 espèces animales. On n’utilise qu’environ 200 des 10 000 espèces végétales comestibles.
On justifie tout cela par l’obligation de maximaliser la productivité du travail et le surplus des consommateurs. Le fait que cette idée à courte vue se fasse aux dépens de la future sécurité alimentaire est évincé. La question centrale au niveau économique-écologique (Comment réaliser de manière durable une récolte nette optimale d’énergie solaire sous une forme utilisable pour l’être humain?) n’est pas posée.

Quand une génération gâtée par la consommation fait de la politique …

A l’actuelle situation politico-financière, il faut encore ajouter que les budgets nationaux et supranationaux (de l’UE) sont en difficulté si bien que les prestations économiques des paysans et leurs moyens de subsistance ne peuvent plus être financés par une allocation de base compensatoire.4
Là-dessus se greffe une politique commerciale traitant l’agriculture telle «une industrie comme tout autre» (like any other industry) – un procédé inadmissible, qu’avait déjà dénoncé F. Graham en 1923.5 «En outre, l’accumulation du capital dans les mains d’un petit nombre de personnes se rendant compte que la fin du jeu sur les marchés financiers approche, provoque des placements sur des valeurs réelles». L’achat massif, au niveau local et international, de biens fonciers agricoles par des détenteurs de capitaux privés et des fonds souverains (notamment la Chine; accaparement des terres) bat son plein. La conséquence est un management agricole à distance, sans contact avec la terre, les plantes et les animaux, mû par les seuls objectifs de maximalisation des bénéfices à court terme.
Le changement d’appellation du «ministère de l’Agriculture», rebaptisé en «ministère fédérale pour le développement durable et le tourisme» montre bien à quel point la politique actuelle est devenue étrangère à tout discernement. Pour le jeune Chancelier fédéral et la jeune ministre, la souveraineté alimentaire n’est plus une question essentielle. La jeune génération considère le débordant afflux de produits alimentaires comme une évidence. Elle ne peut plus s’imaginer la possibilité d’un «approvisionnement perturbé». On pourrait dire la même chose d’un possible effondrement des systèmes informatiques.
Les systèmes d’approvisionnement actuels sont cependant très vulnérables. Cela peut se produire suite à des catastrophes naturelles, des sabotages, des actes terroristes ou des guerres. Toute agression «moderne» commence parallèlement à l’attaque armée par l’élimination des systèmes informatiques, d’énergie et de transport. Cela signifie que nous serons réduit à l’alimentation de secours régionale. Ainsi, la souveraineté alimentaire régionale devait être un objectif majeur de la politique en général et de la politique agricole. Quelles sont donc les nécessités?

Accès non imposable – oui, mais seulement à prestation égale

1) La sécurité alimentaire locale doit être élevée au niveau d’un droit de l’homme incontournable. Il surpasserait tous les autres intérêts – notamment la politique commerciale.
Le principe du «National Treatment», inclus dans toutes les conventions de l’OMC (GATT, GATS, TRIPS), témoigne qu’on ne peut pas traiter un étranger «plus mal» qu’un citoyen du pays. A l’inverse, on ne doit pas traiter un étranger «mieux» qu’un citoyen du pays. Donc, l’accès non imposable ne devait être accordé que si la prestation (la marchandise ou le service) a été produite selon des normes écologiques et sociales comparables, à celles en vigueur et mises en pratique dans le pays de destination (principe du pays de destination).
Ce n’est que sous l’égide de cette protection fondamentale que sera assuré le succès des mesures de détail avec lesquelles la politique agricole opère actuellement. Sans la protection nécessaire de la politique économique, les diverses subventions ne sont rien d’autre que des «euthanasies» retardées.

Assainissement budgétaire dans la politique financière

2) Dans la politique financière, l’assainissement du budget à l’aide des recettes est une condition pour les contre-mesures aussi longtemps que la politique commerciale n’est pas accompagnée en conséquence, et de même une condition pour l’indemnisation des prestations non-économiques de l’agriculture (notamment l’entretien des paysages cultivés créant le bien-être, la protection de l’eau, la conservation de la biodiversité écologique). J’ai indiqué dans mon manifeste – déjà traduit en huit langues (disponible sur Internet sur le site «Wiener Wende») – les voies à suivre pour y parvenir (en particulier l’impôt sur les mouvements de capitaux et la taxe sur l’Internet).

Etre attentif à ce qu’apporte la nature

3) La politique globale doit s’orienter sur les principes du système de la biosphère définis par la nature. C’est-à-dire:
–    Orientation de l’approvisionnement énergétique vers le solaire (il n’y aura ainsi plus d’excédents agricoles inutilisables)
–    Orientation de la circulation des flux (l’agriculture devient économie circulaire)
–    Utilisation en cascade de l’énergie et des matériaux (éviter une entropie inutile)
–    Diversité écologique optimale (biodiversité; systèmes d’approvisionnement capables de mémoire – circuits-tampon et adaptation)
–    Décentralisation et interconnexion intelligente comme stratégies de base permettant la création d’emplois et d’espaces vitaux sensés.

Une alliance au profit de l’avenir

4) Les paysans en tant que minorité doivent former des alliances crédibles et fiables avec tous les autres groupes sociétaux – notamment avec les employés, les consommateurs en général et les associations de protection de la nature et de l’écologie.
Si nous ne réussissons pas à susciter une «révolte des moutons» à grande échelle en faveur de ce changement de cap, alors la mort lente des petits exploitants agricoles locaux est scellée, sacrifiant ainsi sur l’autel de la «rationalisation» tant la sécurité alimentaire en cas de crise que celle de nos enfants.
J’appelle ce dernier point un crime envers l’avenir.
Une dernière remarque au sujet de la protection de l’exploitation des régions à rendement marginal, dont nous aurons besoin pour la future sécurité alimentaire locale. On peut y parvenir par des aides compensatoires qui seraient attribuées de manière inversement proportionnelle à la qualité du sol et proportionnelle aux difficultés du climat et du relief local. Ce handicap aurait un double avantage pour les désavantagés:
a) Lors de périodes de pénurie (et elles viendront, malheureusement), le prix du marché ne serait pas établi selon les coûts plus élevés des territoires à rendement marginal, ce qui sera un avantage en termes de coût sur le long terme pour les consommateurs.
b) Les propriétaires fonciers dans les régions favorisées ne bénéficieraient d’aucune rente différentielle socialement indésirable – donc davantage de justice sociale pour un développement pacifique.    •

(Traduction Horizons et débats)

1    En 2006, j’ai écrit le best-seller «Globales Schafe scheren» pour appeler à la résistance, mais les «moutons» continuent à souffrir passivement et à se laisser mener à l’abattoir par l’«establishment».
2    Isaïe 53,7: «On le maltraita, et il s’inclina; il n’ouvrit pas la bouche, comme l’agneau qu’on mène à l’abattoir, et semblable à un mouton qui se tait devant celui qui le tond, il n’ouvrit pas la bouche.»
3    A ce sujet, Josef Heringer a prononcé cette phrase: «Le monde deviendra soit un jardin soit un champ de bataille.»
4    Cf. à ce sujet R. Keller et N. Backhaus, Zentrale Landschaftsleistungen erkennen und in Politik und Praxis stärken – Erkenntnisse eines transdisziplinären Forschungsprojekts in der Schweiz. In: Naturschutz und Landschaftsplanung 50 (3), 2018, 084–089, ISSN 0940-680
5    Cf. à ce sujet mon livre «The WTO, Agriculture and sustainable development», Greenleaf Publishing 2002

Heinrich Wohlmeyer est né en 1936 à Sankt Pölten en Basse-Autriche. Etudes à Vienne, à Londres et aux Etats-Unis. Il a été pendant 20 ans cadre dans l’industrie et la recherche autrichiennes et développeur régional. Il a participé à la création des concepts de développement durable et a fondé l’Union autrichienne pour la recherche scientifique agricole et les sciences de la vie et la Société autrichienne pour la biotechnologie. Heinrich Wohlmeyer a enseigné à l’Université technique et l’Université des ressources naturelles de Vienne. Il est à l’origine de la législation autrichienne sur les taxations de compensation et a rédigé de nombreux articles d’économie politique, entre autres sur les projets du CETA, du TiSA et du TTIP. Wohlmeyer exploite aujourd’hui une ferme de montagne à Lilienfeld (Autriche). Il est marié, a trois filles et cinq petits-enfants.
Livres: «The WTO, Agriculture and Sustainable Development» (2002); «Globales Schafe scheren – Gegen die Politik des Niedergangs» (2006); «Empörung in Europa – Wege aus der Krise» (2012)

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