Analyse suite aux élections en Bavière

Analyse suite aux élections en Bavière

par Karl Müller

Le résultat des élections parlementaires en Bavière du 14 octobre et la manière dont il est traité illustrent bien l’état des affaires politiques en Allemagne. On tente de faire de la politique par l’interprétation des résultats de l’élection.

La CSU [Union chrétienne-sociale], après avoir gouverné la Bavière pendant cinq ans avec une majorité absolue, a enregistré une perte de 10,5% de son électorat en com­paraison au score de l’année 2013 et n’a totalisé que 37,5% des voix; Cependant il demeure de loin le parti le plus fort dans le landtag. L’Alliance ’90/les Verts a avancé de 8,9% pour arriver en deuxième place avec 17,5% des voix avec moins de la moitié du score du CSU. L’AfD [Alternative pour l’Allemagne] a gagné le plus de voix, et sera représentée dans le landtag pour la première fois avec 10,2%. Les Electeurs libres ont gagné 2,6% et atteignent maintenant 11,6%. Le FDP a augmenté son score de 1,8% pour atteindre 5,1%. Le taux de participation au scrutin de 72% est le plus élevé depuis 1982, témoignant d’un haut niveau de mobilisation.

Horst Seehofer ciblé

De nombreuses analyses et commentaires ont suivi le résultat électoral. La stratégie prépondérante fut la critique envers le président de la CSU et le ministre fédéral des Affaires intérieures Horst Seehofer. Déjà plusieurs semaines avant les élections parlementaires, on créa un climat hostile envers Horst Seehofer et on évoqua la future démission de ses fonctions au sein du parti et du gouvernement. La chaîne de télévision ARD a suivi cette ligne: à partir des premières estimations jusqu’à l’émission du soir «Anne Will», la mission était de focaliser sur Seehofer la question de la responsabilité pour les pertes électorales de la CSU. Il semble véritablement exister une volonté de faire tomber Horst Seehofer. Ses diverses prises de position n’ont pas été appréciées par le «courant dominant» allemand, notamment son avis sur la politique migratoire allemande depuis l’été 2015 («Etat de non-droit»), sur le contrôle des frontières (contrôle aux frontières du pays tant qu’il n’y pas de contrôle fiable aux frontières extérieures de l’UE), sur les événements de Chemnitz de fin août 2018 et la prise de position du président de l’Office fédéral pour la sécurité intérieure (qui a déclaré – à l’encontre de la grande majorité des médias et de la Chancelière – qu’il n’existaient pas de preuves pour les présumées «chasses à l’homme» contre des étrangers. Personne ne s’est préoccupé de savoir si ces prises de positions étaient justifiées ou non.

Appel pour une nouvelle politique?

Les contenus politiques n’ont guère été discutés après les élections. Il est remarquable que selon une enquête d’infratest dimap faite le jour des élections, 89% des personnes sondées considèrent la situation économique comme bonne, ce qui est le pourcentage le plus élevé depuis 20 ans. Environ 75% pensent que la CSU a fait du bien au land de Bavière pendant des décennies. Pourquoi alors les grandes pertes de ce parti et les grands gains de l’Alliance ’90/les Verts? Les représentants de ces derniers ont affirmé que leur résultat exprimait un désir répandu d’un changement de politique. Spiegel online a donné le la: «La CSU sera obligée de se transformer, car ses positions politiques ont pris un grand retard sur l’évolution sociale dans leur région de prédilection. Les Bavarois sont entretemps plus progressistes dans presque tous les domaines politiques que le programme du parti. Nul n’incarne mieux cet écart que le président de la CSU Horst Seehofer.» Il convient de remettre en question cet avis. Si l’on additionne les voix des partis bourgeois, donc de la CSU, des Electeurs libres, de l’AfD et du FDP, on arrive à presque deux tiers, soit 64,1% des voix. C’est 4% de plus qu’il y a cinq ans. L’Alliance ’90/les Verts, le SPD et la gauche n’atteignent ensemble que 30,4% des voix. Il est vrai qu’environ 180’000 anciens électeurs du CSU ont voté pour l’Alliance ’90/les Verts. Mais d’autres 180 000 anciens électeurs du CSU ont voté pour l’AfD et encore 170 000 pour les Electeurs libres. Quelle est donc l’analyse correcte?

«Je crains qu’en Allemagne nous perdions notre culture au fur et à mesure»

Il faut également prendre en considération que 52% des personnes interrogées ont affirmé: «Je crains qu’en Allemagne nous perdions notre culture au fur et à mesure». 100% des électeurs de l’AfD se sont exprimés ainsi. Chez les Electeurs libres, ils étaient 68% et chez les électeurs de la CSU le taux était 61%. Mais chez les électeurs de Alliance ’90/les Verts, ils n’étaient que 20% de cet avis – nettement moins que chez les électeurs du SPD. Ces chiffres montrent les valeurs diamétralement opposées des électeurs des différents partis.

Que sait vraiment la bourgeoisie cultivée?

Il est intéressant qu’environ la moitié des personnes se disait contente de la politique de l’ancien gouvernement du land, mais que la confiance des électeurs envers les politiciens de pointe de la CSU est moindre. Par exemple, comment peut-on expliquer que 65% déclarent que Horst Seehofer ne soit pas intéressé à la cause mais poursuit uniquement ses intérêts personnels? D’où les interviewés croient-ils le savoir? La grande majorité des électeurs n’ont guère de contact avec les politiciens de pointe. Mais les médias jouent un très grand rôle pour formater l’image que les citoyens ont des politiciens. Et cela particulièrement dans la dite bourgeoisie cultivée plus attachée aux médias du courant dominant que des gens qui mettent l’accent sur leurs propres expériences. Effectivement, l’Alliance ’90/les Verts a réussi à augmenter le taux des votes venant de la dite bourgeoisie cultivée: il s’élève presque au même taux que la CSU (28% contre 29% pour la CSU). Il est également remarquable que le pourcentage de votes de Alliance ’90/les Verts est le plus élevé dans les villes avec plus de 100 000 habitants, pour se situer, avec 27% même légèrement au-dessus de celui de la CSU. Alliance ’90/les Verts est devenu le «parti des grandes villes». Cela serait une raison d’analyser plus en détail le mode de penser et de vivre des habitants des grandes villes, comparé à celui des habitants de la campagne.

Comment continuer en Bavière?

Tous les partis représentés au Landtag feraient bien de ne pas considérer leur score uniquement comme un consentement avec leur programme. Plus d’un tiers des personnes (34%) indiquaient qu’ils n’ont pas donné leur vote à un parti par conviction, mais par déception à l’égard d’autres partis.
En Bavière des négociations de coalition entre la CSU et les Electeurs libres ont débuté. Selon la Constitution bavaroise le nouveau ministre président doit être élu dans un délai de quatre semaines. On souhaite aux Bavarois que le land soit doté d’un bon gouvernement pour les cinq années à venir. En outre, on leur souhaite que l’avenir politique du land ne dépende pas uniquement des personnes élues et de celles formant le gouvernement. La Bavière est un land avec une longue tradition de démocratie directe. Mais les obstacles pour un vote du peuple sont aussi en Bavière encore très grands, et restent de rares exceptions. Il serait bon pour la Bavière que le nouveau gouvernement et le nouveau Parlement donnent davantage d’influence et de droits politiques au peuple souverain. Cela permettrait aux citoyens de décider plus souvent directement de problèmes factuels. Les partis et les politiciens partisans perdraient en importance. Plus d’autodétermination est lié à davantage de responsabilité personnelle. C’est exigeant, mais c’est aussi un plaisir!    •

Un ancien juge constitutionnel allemand met en garde contre l’absence d’Etat de droit

km. Hans-Jürgen Papier, ancien président de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, a mis en garde contre l’érosion de l’Etat de droit dans une interview accordée le 13 octobre 2018 au groupe de médias Funke (<link https: www.nrz.de politik papier-warnt-vor-einer-willkuerherrschaft-in-deutschland-id215552971.html external-link seite:>www.nrz.de/politik/papier-warnt-vor-einer-willkuerherrschaft-in-deutschland-id215552971.html).
En comparaison internationale, l’Allemagne se porte encore relativement bien, mais les signes d’érosion ne doivent pas être sous-estimés, explique M. Papier. La division de la société s’est accentuée. Le débat entre les différents courants politiques est de plus en plus agressif: «L’opposant politique est traité comme s’il était un ennemi de la Constitution. Nous avons un gouvernement qui est peut-être une grande coalition en termes mathématiques, mais incapable de réaliser de grandes choses. De plus en plus de personnes perdent confiance dans le fonctionnement des institutions de cet Etat constitutionnel.»
Ce sont là les symptômes d’un règne et de l’application de la loi qui s’érodent. Mais la primauté du droit est indispensable à la démocratie: «Nous avons une société pluraliste qui n’est plus essentiellement maintenue ensemble par une culture, une religion ou une tradition communes. Notre société est avant tout unie par la soumission sans restriction à la primauté du droit. Et malheureusement, ce n’est plus garanti en permanence.»
Depuis des années, il existe un décalage entre ce qui est exigé ou interdit par la loi actuelle et ce qui est réellement pratiqué en Allemagne et en Europe. Dans les domaines de l’immigration et de l’asile, cela est le plus visible: «L’immigration clandestine vers l’Allemagne se poursuit, quoique dans une moindre mesure qu’en 2015. Dans de nombreux cas, les obligations légales de quitter le territoire des personnes sans statut de séjour ne sont toujours pas respectées.»
Selon M. Papier, personne ne devrait «s’éclipser de l’application de la loi sans sanctions. Sinon, les réglementations et les interdictions ne concernent plus que les stupides, les braves et les faibles».
Comme contre-mesure, Hans-Jürgen Papier précise que «la sensibilisation des politiciens et du public concernant l’importance de l’Etat de droit doit être renforcée. Sans l’Etat de droit, la démocratie ne vaut pas grand-chose. Elle peut alors se transformer en tyrannie de la majorité sur la minorité.»
Il peut aussi arriver que des groupes sociaux forment leur propre droit en fonction de leurs idées morales et éthiques – «et fassent la distinction entre une bonne violation de la loi et une mauvaise violation de la loi». Il y a donc un danger «que le droit existant soit remplacé par des concepts moraux individuels». Il est certainement bienvenu «qu’une société aide selon des considérations morales et éthiques d’alléger le sort d’autres personnes». Mais l’humanité et la miséricorde doivent rester sur la voie de la justice. Toute morale qui s’oppose au droit, conduit à l’arbitraire». M. Papier s’est donc félicité de la proposition du ministre de l’Intérieur M. Seehofer de revenir au respect de la loi aux frontières allemandes: «Il ne s’agissait pas d’un conflit qui a éclaté pour des raisons personnelles. C’était une question de principe.»

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