Un Oui des électeurs suisses à l’Initiative pour l’autodétermination pourrait être un signal encourageant pour d’autres peuples afin d’opter pour une voie plus indépendante. Le fait que la contre-campagne soit si acerbe et financièrement puissante illustre une fois de plus qu’une telle insistance sur le maintien de la souveraineté du pays n’est pas appréciée par certains milieux dans notre pays et à l’étranger.
Aujourd’hui nous allons expliquer comment l’initiative n’est dirigée qu’indirectement contre «le droit et les juges étrangers». Elle place avant tout les Chambres fédérales et les juges suisses devant leur responsabilité. Il s’agit de respecter la Constitution fédérale dans la législation et la jurisprudence, au lieu de caresser les puissances étrangères dans le sens du poil. Nous allons donc analyser en détail les parties du texte de cette initiative fédérale populaire.
«L’autorité suprême de la Confédération est l’Assemblée fédérale, sous réserve des droits du peuple et des cantons; au moins conformément au droit constitutionnel actuel et à la conception traditionnelle de la démocratie. En réalité, cependant, le pouvoir suprême tend à se déplacer vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg – un amendement constitutionnel rampant, peu remarqué, en partie délibérément voilé, sans légitimation démocratique, étant donc exclu du débat critique.» (Martin Schubarth, ancien juge fédéral, «Neue Zürcher Zeitung» du 13/5/13)
Indépendamment de son origine politique, l’initiative pour l’autodétermination aborde des questions fondamentales sur la légitimité de l’action étatique. Elle touche donc à des questions de souveraineté, mais aussi de séparation des pouvoirs. En fait, il n’exige rien de fondamentalement nouveau ou d’inhabituel. Le principe selon lequel la Constitution d’un pays doit primer sur les accords internationaux a longtemps été incontesté et demeure toujours d’actualité dans de nombreux pays.
Texte de l’initiative: Art. 5 al. 1
Le droit est la base et la limite de l’activité de l’Etat. (actuel) La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse. (nouveau)
Ci-dessous nous vous proposons trois voix de provenance différente au sujet de ce principe:
«L’autorité suprême de la Confédération est l’Assemblée fédérale, sous réserve des droits du peuple et des cantons; au moins conformément au droit constitutionnel actuel et à la conception traditionnelle de la démocratie. En réalité, cependant, le pouvoir suprême tend à se déplacer vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg – un amendement constitutionnel rampant, peu remarqué, en partie délibérément voilé, sans légitimation démocratique, étant donc exclu du débat critique.» (Martin Schubarth, ancien juge fédéral, «Neue Zürcher Zeitung» du 13/5/13)
«Il s’agit [concernant l’initiative pour l’autodétermination, mw.] de la légitimité des processus politiques et de la souveraineté de l’action étatique: donc les problèmes centraux du droit constitutionnel. Les décisions politiques sont-elles réellement prises par les citoyens ou leurs représentants élus, peuvent-ils donc prétendre représenter la volonté du peuple? C’est actuellement de moins en moins le cas. Les tribunaux nationaux et internationaux créent une ‹droit judicaire› n’ayant jamais été approuvé par un parlement ou un vote […]. La légitimité démocratique a sans doute souffert ces dernières années – et pas seulement en Suisse.» (Eric Guyer, «Neue Zürcher Zeitung» du 13/10/18, mise en évidence mw.)
Dans un entretien avec Katharina Fontana, Hans Mathys, alors président de la chambre pénale du Tribunal fédéral – il a démissionné fin 2014 pour des raisons d’âge –, a également commenté la relation entre la Constitution fédérale et la CEDH: «Elles sont au même niveau et contiennent pratiquement le même contenu. En cas de contradictions, celles-ci seront résolues par voie d’interprétation. Cependant, ce n’est pas toujours possible, même l’interprétation a des limites. Dans ce cas, la disposition constitutionnelle doit néanmoins s’appliquer.» A la question: même si elle entre en collision avec la CEDH?, il répond: «La façon de procéder dans de tels cas doit être décidée par la politique. Ce n’est pas une question juridique devant être tranchée par le Tribunal fédéral.» («Neue Zürcher Zeitung» du 22/10/14).
Voilà, nous venons de lire en noir et blanc ce que toute personne aurait dû avoir appris pendant ses cours scolaires d’instruction civique. Un ancien juge fédéral du PS, le rédacteur en chef de la «Neue Zürcher Zeitung» (qui pourtant préfère l’Etat des juges) et un ancien juge pénal fédéral de l’UDC: tous les trois confirment que dans la structure de l’Etat suisse, le souverain (= le peuple et les cantons) est l’instance suprême décidant de ce qui est écrit dans la Constitution fédérale. Le Tribunal fédéral n’est pas un tribunal constitutionnel, pouvant s’opposer aux décisions du peuple ou du Parlement. Pourquoi cinq juges (ou trois contre deux) devraient-ils décider plus équitablement que 246 parlementaires ou plus de cinq millions d’électeurs? Pour nous Suisses fondamentalement démocrates, il est inacceptable que le Tribunal fédéral n’applique pas les dispositions constitutionnelles adoptées par le peuple souverain – uniquement parce qu’une chambre de la CEDH, dont les membres ne connaissent pas la culture juridique suisse, décide ou pourrait décider différemment. L’ancien juge fédéral Schubarth a qualifié ce processus de «modification constitutionnelle voilée sans légitimation démocratique».
Comme le montrent les déclarations suivantes, la Suisse ne serait nullement un «cas particulier» en tenant compte de la primauté de la Constitution fédérale sur le droit international non contraignant.
Texte de l’initiative: article 5 al. 4
La Confédération et les cantons respectent le droit international (actuel). La Constitution fédérale est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international (nouveau)
«L’initiative pour l’autodétermination vise à faire primer la Constitution fédérale sur le droit international non impératif. C’est ainsi réglé dans la plupart des pays.» (Dominik Feusi, «Basler Zeitung» du 10/10/18, mise en évidence mw.)
Dans un rapport, le Conseil fédéral a présenté une comparaison avec le droit d’autres Etats.1 Swissinfo du 30 mai 2018 résume les résultats du Conseil fédéral.2
«En ce qui concerne la question de la priorité, aucun des systèmes constitutionnels examinés n’admet que le droit international a une primauté pouvant être appliquée mécaniquement; sous une forme ou une autre, le processus d’appréciation joue toujours un rôle central [...]. Les valeurs et les principes centraux des systèmes constitutionnels nationaux, par exemple dans le domaine des droits fondamentaux, doivent être pris en compte dans ce processus.» (Feuille fédérale 2010, p. 2300) Nous ne pouvons qu’approuver cette analyse.
Nous donnerions carte blanche à l’UE pour l’abrogation du droit suisse dans de nombreux domaines juridiques. Le processus concernant la directive européenne sur les armes est un signe d’alarme: qui, parmi les électeurs ayant soutenu le traité de Schengen lors du vote populaire d’il y a 13 ans a pensé à de tels excès du «développement du droit de Schengen»? D’autres interventions majeures sont prévues dans les négociations sur l’accord-cadre, même si ces négociations sont actuellement suspendues: l’adoption de la directive relative au droit des citoyens de l’Union (immigration imprévisible et non contrôlable par la Suisse, avec accès aux prestations sociales et avec l’objectif à long terme d’octroyer les droits politiques aux étrangers), directive sur le détachement de travailleurs (au lieu de mesures d’accompagnement sur mesure de l’ALCP), interdiction des subventions étatiques (par exemple, soutien aux centrales hydrauliques, garantie de l’Etat pour les banques cantonales, assurance cantonale des bâtiments). Ce ne sont que les pointes de l’iceberg – le reste est encore caché sous le niveau de la mer. On ne fait pas d’achats à l’aveuglette!
Texte de l’initiative: art. 56a Obligations
de droit international
1 La Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution fédérale.
2 En cas de conflit d’obligations, ils veillent à ce que les obligations de droit international soient adaptées aux dispositions constitutionnelles, au besoin en dénonçant les traités internationaux concernés.
3 Les règles impératives du droit international sont réservées.
L’une des raisons pour l’initiative pour l’autodétermination était d’une part le refus des Chambres fédérales de mettre en œuvre l’initiative sur l’immigration de masse du 9 février 2014 (devenu art. 121a de la Constitution fédérale). D’autre part, les auteurs de l’initiative ont pris en considération le soudain changement de pratique du Tribunal fédéral après l’adoption de l’initiative sur le renvoi par le peuple et les cantons le 28/11/10 (actuellement art. 121 al. 3-6).
Il y a quelques années encore, le Tribunal fédéral suivait la pratique Schubert, comme il l’avait fait avec la Constitution de 1874: selon cette règle, une nouvelle loi fédérale s’applique même si elle contredit le droit international antérieur, si le Parlement le souhaite expressément. Le Tribunal fédéral a également suivi ce principe lorsqu’il a tenu compte de la CEDH dans sa jurisprudence. La primauté de la norme la plus récente établie consciemment devrait s’appliquer d’autant plus s’il s’agit d’une disposition constitutionnelle.
Toutefois, avec l’arrêt controversé sur l’initiative de renvoi (BGE 139 I 16) du 12/10/12, le Tribunal fédéral s’est écarté de cette pratique de longue date en postulant que la CEDH prime sur la Constitution fédérale. En bref, la IIe Chambre de droit public du Tribunal fédéral a protégé par 3 voix contre 2 (!) la plainte d’un étranger reconnu coupable de trafic de drogue qualifié qui avait été privé de son permis de séjour par le Tribunal administratif de Thurgovie. Justification invoquée par le Tribunal fédéral: «Les al. 3 à 6 de l’art. 121 de l’initiative de renvoi du 28 novembre 2010, incorporés dans la Constitution fédérale, ne sont pas directement applicables, mais doivent être appliqués par le législateur; ils ne priment pas sur les droits fondamentaux ou les garanties de la CEDH». [mise en évidence mw.]. Le nouvel article constitutionnel ne serait pris en compte que «dans la mesure, où il n’entraîne pas de contradiction [...] avec la marge de manœuvre que la CEDH accorde aux différents Etats de la Convention dans la mise en œuvre de leur politique migratoire et étrangère». Au lieu de s’appuyer sur la Constitution, le tribunal s’est fondé sur l’article 63 de la Loi sur les étrangers, selon lequel l’autorisation d’établissement peut être révoquée en cas d’infractions graves. Cette mesure doit cependant «être proportionnée – comme toute action gouvernementale».
En clair: le peuple suisse aurait pu s’épargner la peine de récolter les 100 000 signatures pour l’initiative de renvoi, puisque trois fossoyeurs de la démocratie directe du Tribunal fédéral sont d’avis qu’il n’est plus nécessaire de respecter la Constitution. Le principe de la proportionnalité n’est pas mentionné dans l’article sur le renvoi. Pour contourner ce fait, le Tribunal déclare l’expulsion d’un étranger criminel comme «disproportionnée» (terme caoutchouc), car l’entente avec la Cour de Strasbourg lui est plus importante que le respect de la volonté du peuple.
Le juge pénal fédéral Mathys a déclaré à ce sujet que le principe de la proportionnalité n’est pas une valeur fixe, elle doit être concrétisée dans chaque cas individuel. «Si le peuple accepte une initiative populaire, alors la réglementation qui y est faite est, de son point de vue, juste et proportionnée. J’ai du mal à accepter que lors de décisions politiques qui ne conviennent pas, on affirme qu’elles sont disproportionnées et doivent être corrigées.» («Neue Zürcher Zeitung» du 22/12/14)
La Suisse est bien un petit Etat, mais sa parole a du poids – si elle est exprimée. La Suisse peut également se montrer plus sûre d’elle envers l’UE. De nombreux Etats membres de l’UE seraient intéressés à la réorganisation de Schengen/Dublin et la libre circulation des personnes. Pour des raisons de droit constitutionnel, la Suisse ne doit en aucun cas conclure d’accord-cadre institutionnel avec Bruxelles. L’obligation d’adopter le droit communautaire actuel et futur, dont le contenu et la portée sont inconnus, est incompatible avec la structure de la démocratie directe de l’Etat suisse. Face aux représailles illégales de Bruxelles, telle la menace d’abolir l’équivalence boursière, le Parlement a, par exemple, les 1,3 milliards de fonds de cohésion en mains. Au lieu de se positionner en conséquence, Doris Leuthard souhaite – juste avant de quitter le gouvernement – soumettre à consultation une loi sur l’électricité totalement libéralisée afin de préparer le terrain pour un accord sur l’électricité avec l’UE. Avant la votation populaire sur la nouvelle stratégie énergétique, elle n’a pas voulu révélé cette étape prévue.
En acceptant l’initiative sur l’autodétermination, nous, en tant que citoyens, participons à remettre le Conseil fédéral, l’Assemblée fédérale et le Tribunal fédéral sur la bonne voie suisse. •
1 «Rapport entre le droit international et le droit interne». Rapport du Conseil fédéral du 5/3/10. Feuille fédérale 2010, p. 2290–2301.
2 «Le droit interne prime-t-il sur le droit international? D’autres pays le font depuis longtemps». SWI <link https: www.zeit-fragen.ch typo3 swissinfo.ch external-link seite:>swissinfo.ch du 30/5/18, par Sibilla Bondolfi
«Si la Suisse devait adopter les conditions de travail et les salaires de l’UE par le biais d’un accord-cadre, cela serait dangereux pour la protection de nos employés. Le droit suisse offre une meilleure protection que le droit européen. Je suis fermement opposée à ce que le droit européen régisse toutes les relations entre la Suisse et l’UE.»
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