Il nous faut une Charte pour les droits des lanceurs d’alertes

Il nous faut une Charte pour les droits des lanceurs d’alertes

Entretien avec Alfred de Zayas*

Horizons et débats: Professeur de Zayas, vous avez à plusieurs reprises critiqué publiquement l’arrestation et la condamnation de Julian Assange. Quelles en sont les raisons?

Alfred de Zayas: Julian Assange est journaliste. Son travail est protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 19; cf encadré p. 2) et la Convention européenne des droits de l’homme. M. Assange a également droit à l’asile, puisque la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés doit être pleinement appliquée dans sa situation. Il faut le répéter: WikiLeaks apporte une contribution nécessaire et très précieuse à la démocratie, car nous avons un besoin urgent des informations que nos gouvernements nous cachent, en particulier des preuves de corruption, de manipulation, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
La politique de secret des Etats-Unis – mais aussi des Etats européens – est peut-être la plus grande menace pour la démocratie et la paix dans le monde. C’est pourquoi nous avons besoin de nouvelles lois et règles pour protéger les lanceurs d’alertes concernant des crimes. Ils sont les héros de notre temps – et les véritables défenseurs de nos droits de l’homme. Lorsque des personnes courageuses comme M. Assange et M. Snowden sont persécutées et placées derrière les barreaux ou forcées à l’exil, nous perdons notre droit à l’information et nous nous approchons d’une dystopie orwellienne.1

Comment évaluez-vous ce processus au niveau politique?

Il s’agit d’une chasse aux sorcières contre un militant des droits de l’homme et un journaliste. C’est la terreur d’Etat contre des journalistes indépendants. Nous en sommes tous les victimes, car l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule le droit à l’information, qui nous est désormais refusé. L’épisode en Suède est particulièrement embarrassant, car chaque Etat de droit est tenu de garantir l’indépendance de ses tribunaux. Lorsque les «affaires judiciaires» contre M. Assange ont été classées par la procureure responsable Eva Finné en 2010, Washington a exercé d’énormes pressions politiques pour qu’une nouvelle procureure, Marianne Ny, rélance l’«enquête pénale» sans qu’il y ait des raisons factuelles – uniquement une ingérence politique. En anglais, nous appelons ce genre d’abus de justice à des fins politiques «lawfare».

Et comment évaluez-vous ces événements du point de vue du droit international?

Il convient de noter qu’en décembre 2015, le groupe de travail des Nations Unies contre la détention arbitraire a dénoncé la situation anormale de M. Assange à l’ambassade d’Equateur à Londres, car elle est incompatible avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le groupe de travail a exhorté la Grande-Bretagne et la Suède à agir pour faire sortir M. Assange de l’ambassade et cesser les persécutions injustes à son égard. Philip Hammond, ministre anglais des Affaires étrangères de l’époque, a qualifié la décision du groupe de travail de «ridicule» et ne l’a évidemment pas mise en pratique. Ici, nous voyons les deux poids, deux mesures des gouvernements anglais et suédois. Le comportement du président de l’Equateur Lénine Moreno est encore pire, car M. Assange avait la citoyenneté équatorienne et bénéficiait de l’asile diplomatique. Ni l’un ni l’autre ne peut être levé du jour au lendemain sans procédure juridique. Chaque Etat de droit est tenu à respecter certaines procédures et le seuil légal pour l’annulation de la citoyenneté et de l’asile diplomatique est très élevé.
Le plus grand danger pour M. Assange est évidement l’extradition. Déjà en 1989, dans l’affaire Jens Soering contre la Grande-Bretagne, la Cour européenne des droits de l’homme a fixé la primauté de la protection des droits de l’homme sur tous les autres accords, y compris l’extradition et les accords d’extradition. Le précédent jurisprudentiel s’applique ici. En réalité, le cas de Julien Assange relève d’une exigence beaucoup plus élevée que celui de Jens Soering, car M. Assange n’est pas un double meurtrier comme M. Soering, mais un réfugié ayant fuit une persécution injuste.
Le principe du droit international de la non-extradation de réfugiés est absolu – ius cogens. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne sera pas extradé, étant donné que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis agissent souvent en violation du droit international – en toute impunité. En fait, c’est un scandale. Si Julien Assange est extradé, les gouvernements anglais et équatorien en sont responsables – et le monde devrait protester énergiquement et sans équivoque contre la violation de la norme du «non-refoulement». En effet, le Royaume-Uni, la Suède et l’Equateur doivent verser une indemnité à M. Assange, car il a souffert pendant de longues années suite aux infractions des Anglais et des Suédois. Et sa situation actuelle représente également une arrestation arbitraire, selon le dernier communiqué de presse du Groupe de travail des Nations Unies contre la détention arbitraire. Cela est notamment la faute de l’Equateur.

Quelles sont, à votre avis, les mesures nécessaires pour mieux protéger des personnes comme Julian Assange?

Dans mes rapports adressés au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale de l’ONU, j’ai plaidé à plusieurs reprises en faveur d’une Charte pour les droits des lanceurs d’alertes [«Charter on the Rights of Whistleblowbers»] (cf. Horizons et débats n° 11 du 15/5/17). Ils ont besoin d’une protection spéciale pour que le droit ne soit pas manipulé dans le but de réduire au silence les dissidents.

Professeur de Zayas, merci beaucoup pour cet entretien.    •

1    Dystopie: Un récit décrivant une distorsion négative de l’humanité future et souvent de l’Etat totalitaire et de ses moyens de pouvoir.

Un groupe de travail de l’ONU exprime sa préoccupation au sujet de l’affaire Assange

Genève (3 mai 2019) – Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire prend note de la condamnation de Julian Assange, prononcée le 1er mai 2019 par un tribunal britannique, et de sa peine de 50 semaines d’emprisonnement. Le 4 décembre 2015, le Groupe de travail sur la détention arbitraire avait adopté l’avis n° 54/2015,* dans lequel il était affirmé que M. Assange était détenu arbitrairement par les autorités suédoises et britanniques.
Le Groupe de travail a publié la déclaration suivante:
«Le Groupe de travail sur la détention arbitraire est profondément préoccupé par la situation, notamment par la peine disproportionnée qui a été infligée à M. Assange. Il considère que la violation des conditions de liberté sous caution constitue une infraction mineure qui, au Royaume-Uni, entraîne une peine maximale de 12 mois d’emprisonnement. Malgré le fait que la caution ait été retenue par le Gouvernement britannique, M. Assange est resté en détention après avoir enfreint les conditions de sa liberté sous caution, laquelle aurait en tout état de cause dû être annulée après la publication de l’avis. Le Groupe de travail regrette le fait que le Gouvernement ne se soit pas conformé à l’avis et ait poursuivi la détention arbitraire de M. Assange.
Il convient de rappeler que la détention de M. Assange au Royaume-Uni et la liberté sous caution qui lui a fait suite se rapportaient à l’enquête préliminaire initiée par une procureure suédoise en 2010. On notera également que la procureure n’a engagé aucune poursuite contre M. Assange et qu’en 2017, après l’avoir entendu dans l’ambassade de l’Equateur à Londres, elle avait mis fin à l’enquête et classé l’affaire sans suite.  
Le Groupe de travail est également préoccupé par la détention de M. Assange [depuis le 11 avril 2019] dans la prison de Belmarsh, un établissement de haute sécurité, comme s’il avait été condamné pour un crime grave. Ce traitement semble aller à l’encontre des principes de nécessité et de proportionnalité prévus par les normes relatives aux droits de l’homme.
Le Groupe de travail réitère sa recommandation au Gouvernement du Royaume-Uni, telle qu’elle est exprimée dans l’avis 54/2015 et dans sa déclaration du 21 décembre 2018, et qui veut que M. Assange recouvre son droit à la liberté individuelle».

Source: <link http: www.ohchr.org en newsevents pages external-link seite:>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24552&LangID=E

(Traduction Horizons et débats)

*    L’avis du Groupe de travail sur l’affaire Julian Assange (n° 54/2015)
Les Groupes de travail des Nations Unies font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Groupement le plus important d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations Unies, les procédures spéciales désignent tous les mécanismes d’enquête et de contrôle qui s’occupent de la situation spécifique d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales officient sur la base du volontariat et ne perçoivent aucun salaire. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et siègent à titre individuel.

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