Sascha ne parle pas aux enseignants

par Marita Brune

«Les relations dans la classe se développent en travaillant la matière, la cause commune à laquelle on œuvre. Le pédagogue ne doit pas commencer par s’occuper des faiblesses et des problèmes des élèves, il peut à travers le travail commun des matières scolaires avoir un effet positif sur la vie émotionnelle, même s’il ne connaît pas les détails de la genèse d’éventuels déficits. La condition préalable repose sur la conviction de l’enseignant au sujet de la volonté de tous les élèves de participer au travail commun et de leur soif d’apprendre, du succès dans l’apprentissage et de la certitude de faire partie de la communauté de classe, comme bases du renforcement de leur personnalité.»

Dans «Horizons et débats» no 14 du 24 juin, Ursula Felber nous a présenté Hilal, une élève qui ne parlait pas. Maintenant, nous voulons parler de Sascha. Les deux cas montrent de manière exemplaire qu’aux mêmes symptômes ne correspondent pas les mêmes causes et le même traitement.

Sascha ne parle pas. En tout cas ni avec moi ni avec d’autres adultes. Il parle uniquement avec ses parents et avec d’autres enfants. C’est pourquoi il a été placé dans ma classe d’école primaire spécialisée. Il s’avère vite qu’il est un garçon attentif et vif, il apprend bien, il fait ce qu’il faut faire à l’école et il fait ses devoirs. Pourtant, il n’exprime aucun mot avec moi. On m’informe que c’était déjà ainsi à l’école maternelle et à l’école précédente. Des examens par des psychologues scolaires n’ont rien révélé. Les parents ne peuvent non plus s’expliquer ce comportement. A la maison il parle normalement. Donc, je prends Sascha comme il est sans donner trop d’importance à son comportement un peu bizarre.
Il est évident qu’il suit bien les cours. Je cherche des voies pour connaître ce qu’il pense et pour lui ouvrir des possibilités de participer aux cours. Je dis alors à son voisin Timo: «Demande à Sascha ce qu’il en pense.» Timo transmet la question à Sascha en chuchotant (bien qu’il m’ait entendu), Sascha formule la réponse à l’oreille de Timo tout en faisant attention que je ne puisse l’entendre. Puis, Timo me donne la réponse de Sascha. Ainsi nous avons trouvé un voie bien qu’assez compliquée. Mais Sascha peut intervenir dans les cours et moi je peux lui donner un écho à ses pensées et ses contributions. Sacha me donne l’impression d’être soulagé par cette opportunité. La communication se déroule ainsi pendant un certain temps.
Mais bientôt les enfants me demandent: «Pourquoi Sascha ne parle-t-il pas avec vous?» «Je l’ignore», dis-je en vérité, «lui, il doit le savoir. Peut-être qu’un jour il va parler avec moi, quand il se décidera. Mais qu’il ne dise rien pour le moment n’est pas important puisqu’il apprend bien et participe au travail.»

Naturellement, Sascha entend ce dialogue et c’est aussi mon intention. Pour moi, il s’agit de ne pas problématiser le comportement de Sascha, je veux éviter qu’il devienne un «cas» spécial. Je veux qu’il soit un enfant le plus normal possible dans la communauté de la classe, étant donné que sa petite particularité ne dérange pas particulièrement et ne demande pas une grande attention. En outre, Sascha doit comprendre que je ne veux pas juger ses raisons de l’extérieur. Je lui laisse la liberté de s’expliquer et ainsi je lui montre mon respect de ses sentiments. En même temps, je lui transmets ma conviction qu’il décide lui-même de son comportement et qu’il peut ainsi décider du moment et de la manière de le changer. Je peux l’aider en cela en établissant avec lui une relation de confiance. Quand nous travaillons ensemble, je lui montre que je l’aime bien et que je me réjouis de ses progrès.
Bientôt la voie de communication entre nous se simplifie. Maintenant, je peux m’adresser directement à lui et il chuchote la réponse à Timo. Mais après un certain temps, je veux savoir si Sascha sait lire et avec quelle fluidité. Je le prie de lire un texte à la maison et de l’enregistrer sur une cassette que je lui remets. J’ai choisi intuitivement le moment de ce pas en avant. J’ai le sentiment qu’entretemps la confiance est assez développée et que le silence n’est plus vraiment nécessaire pour Sascha. Il se peut qu’il lui faille un déclic, un tremplin. Ce tremplin pourrait être le magnétophone – et Sascha est d’accord de l’utiliser. A la maison, il lit le texte à haute voix et me remet la cassette le lendemain. Je l’écoute aussitôt que je suis seule et le lendemain je lui donne un écho positif – pas sur le fait qu’il ait lu à haute voix mais sur ses compétences en lecture! Nous répétons ce procédé plusieurs fois, jusqu’au jour, où – avec son consentement – je fais fonctionner la cassette devant la classe pour que ses camarades de classe puissent aussi entendre comment Sascha sait bien lire. Pour la première fois, sa voix résonne dans la salle de classe et tout le monde l’entend. Dès ce moment, le chemin n’est plus très long, de manière toute naturelle Sascha commence à parler, avec moi et bientôt aussi avec les autres enseignants de l’école. Il a trouvé la voie pour un comportement normal avec autrui. Nous avons ainsi pu éviter le danger de la psychiatrisation, comme nous le connaissons dans de nombreux cas, souvent avec des conséquences stigmatisantes pour l’enfant. Sascha est maintenant un garçon tout à fait normal et vif avec un comportement parfois un peu ridicule ou alors espiègle.
Je n’ai jamais compris pourquoi Sascha ne parlait pas avec les adultes. J’ai senti qu’il y avait en lui une certaine réserve, j’ai essayé de créer un lien relationnel, de lui montrer une alternative à ses réserves, de développer la confiance mutuelle. Ce sont les possibilités, les «outils de travail» de l’enseignant-pédagogue. Il ne travaille pas seul avec un enfant dans un setting thérapeutique. Au centre ne se trouve pas la personnalité de l’élève ou un éventuel trouble de sa personnalité. Le pédagogue travaille dans la communauté de la classe, dont chaque enfant fait partie, où il peut se sentir à l’aise sans être trop exposé. Les relations dans la classe se développent en travaillant la matière, la cause commune à laquelle on œuvre. Le pédagogue ne doit pas commencer par s’occuper des faiblesses et des problèmes des élèves, il peut à travers le travail commun des matières scolaires avoir un effet positif sur la vie émotionnelle, même s’il ne connaît pas les détails de la genèse d’éventuels déficits. La condition préalable repose sur la conviction de l’enseignant au sujet de la volonté de tous les élèves de participer au travail commun et de leur soif d’apprendre, du succès dans l’apprentissage et de la certitude de faire partie de la communauté de classe, comme bases du renforcement de leur personnalité. Pour tout pédagogue, c’est un grand avantage, s’il a eu l’occasion d’apprendre comment les sentiments se développent et quel est leur rôle, quelles irritations peuvent se développer dans le domaine des sentiments, ce qu’est un style de vie, comment celui-ci se développe et quel en est le sens. De telles connaissances aident le pédagogue à appréhender chaque élève au niveau des sentiments. L’étude de ces bases psychologiques en théorie et en pratique aide l’enseignant d’améliorer ses «outils de travail», son empathie. L’intuition est ainsi le résultat de connaissances sur la nature humaine et le résultat de la capacité à percevoir les émotions d’autrui. Au mieux l’enseignant développe cet instrument, au mieux il peut aider ses élèves.     •

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