Qui souhaite instaurer l’esprit de division en Allemagne? – 
 et rôle des citoyens pour le contrecarrer

par Karl Müller

Parfois les éléments caractérisant un pays peuvent être observés très clairement. Deux «événements» survenus entre le 1er et le 5 juillet ainsi que le compte rendu qui a suivi sont révélateurs des tensions internes présentes en Allemagne, et des causes de ces tensions. Mais le pays pourrait aussi prendre une autre direction, si l’on s’efforçait de dissoudre les fronts en encourageant le dialogue entre les parties concernées.

Comme tous les lundis depuis quelques années, une manifestation du groupe Pegida avait lieu à Dresde le 1er juillet dernier. Pegida est l’acronyme allemand de «patriotes d’Europe contre l’islamisation de l’Occident». Selon toutes les informations ayant pu être recueillies, ces rassemblements réunissent essentiellement des personnes de Dresde et des alentours rejetant, parfois vigoureusement, la politique allemande actuelle et le personnel politique en Allemagne. Les manifestants sont aussi très préoccupés par le fait que le nombre inhabituellement élevé de migrants de culture islamique depuis l’été 2015 ait causé des problèmes insurmontables. Ils connaissent des cas très concrets ou des Allemands de longue date ont été prétérités, et craignent de voir s’anéantir la culture allemande. Aussi ont-ils perdu confiance en de nombreux médias. Il est bien probable que certaines de ces personnes aient des intentions malhonnêtes, mais ce n’est pas le cas de la majorité. Il ne faut donc pas conclure à un mouvement antidémocratique en raison uniquement de la rudesse de certains propos.

 «Kontraste» et Pegida

Une équipe de l’émission politique «Kontraste» de la chaîne de télévision allemande ARD s’était rendue à la manifestation du 1er juillet pour poser à des participants la question suivante: «Regrettez-vous la mort de Lübcke?» Le politicien CDU et président du gouvernement du district de Kassel Walter Lübcke avait été assassiné quelques semaines auparavant. L’assassin présumé est un jeune homme semblant avoir des contacts avec des milieux d’extrême droite.
Compte tenu du meurtre perpétré, les réponses des personnes interrogées par la journaliste de télévision étaient inappropriées. Mais ces interlocuteurs n’étaient pas des skinheads en rangers et n’avaient même aucune ressemblance avec eux. Il s’agissait de citoyens ordinaires, presque tous âgés d’au moins 50 ans, des femmes autant que des hommes.
Comme l’a démontré l’émission diffusée ensuite le 5 juillet, «Kontraste» comptait bien obtenir ces réponses inappropriées. Comme le révèle l’entrée en matière de l’émission, les participants à la manifestation étaient catalogués dès le départ: «Tous les lundis à Dresde, les rassemblements de racistes, de populistes de droite, de théoriciens du complot et de frustrés n’ont pas cessé.» Et pour qu’il ne subsiste aucun doute sur l’identité de ces «pyromanes en puissance», les modérateurs ont déclaré d’emblée que «la haine à son [Walter Lübcke] encontre a aussi continuellement été attisée au sein de Pegida à Dresde.» – De la «haine» donc? En êtes-vous bien sûrs? Fort probablement, la population concernée n’apportait pas son soutien aux positions du politicien assassiné. En octobre 2015, face au mécontentement massif exprimé contre la construction dans son district d’un centre d’hébergement pour migrants primoarrivants, Walter Lübcke avait déclaré lors d’un événement public que la politique migratoire allemande était l’expression de valeurs morales élevées puis, réagissant directement à la grogne ambiante, avait ajouté: «Et quiconque ne défend pas ces valeurs peut à tout moment quitter ce pays, s’il n’est pas d’accord. Chaque Allemand est libre de faire ce choix.»

Pas de questions véritables

Sans doute, l’émission politique n’avait jamais eu d’autre objectif que de stigmatiser les participants à la manifestation de Pegida comme extrémistes de droite, au-delà du seuil de tolérance d’une société libre. D’ailleurs, les journalistes n’ont pas montré le moindre intérêt pour les préoccupations réelles des citoyens. Ils n’ont pas voulu, non plus, comprendre la difficulté de ces derniers à se faire interviewer avec insistance par une équipe de télévision venant dès le départ avec un a priori négatif à leur encontre et cherchant uniquement de la «matière» pour les cataloguer comme nous l’avons cité plus haut.

S’opposer à «la droite» est très bien compréhensible

Pour beaucoup de monde, «la droite» est synonyme de «nouveaux nazis» et de politique violente, assassine et totalitaire méprisant les êtres humains. Prendre fermement position contre une telle politique devrait être une évidence pour chaque citoyen. De nombreuses personnes participant aujourd’hui à des actions contre «la droite» sont très probablement motivées par ce schéma de pensée.
Il en va de même pour le concert du 4 juillet à Chemnitz, avec notamment Herbert Grönemeyer. Pour ses organisateurs, cette manifestation appelée «Kosmos Chemnitz» s’inscrivait dans la continuité de l’événement de l’année dernière et son hashtag #wirsindmehr [nous sommes plus nombreux, ndt]. Pour marquer cette continuité, les organisateurs avaient donc choisi l’hashtag #wirbleibenmehr [nous restons plus nombreux, ndt]. Et Zeit-Online de commenter le lendemain: «Un deuxième festival contre la droite – une bonne idée», avant de faire l’éloge de certaines prises de positions, telles que cet appel envoyé par les jeunes d’un groupe de musique: «Si vous êtes témoins d’actes de racisme ou de sexisme, ouvrez la gueule!»

Que dit la protection de la Constitution du Land de Saxe à propos de #wirsindmehr?

Mais voilà: une vision des choses plus nuancée n’est pas bienvenue. Dans son rapport sur l’année 2018, publié en mai 2019, la protection de la Constitution du Land de Saxe évoque par exemple la manifestation en question en ajoutant: «Beaucoup d’événements musicaux organisés dans des lieux publics ou en plein air sous la forme de festivals impliquent la participation active d’extrémistes de gauche, autant parmi les organisateurs que parmi les artistes à l’affiche. Ces événements publics, n’ayant en soi rien d’extrémiste, offrent aux groupes musicaux d’extrême gauche un espace d’expression leur permettant de faire entendre leurs idées politiques, d’acquérir une certaine acceptabilité sociale, et d’agir finalement avec leur idéologie extrémiste sur un public qui ne l’est pas.»
Suite aux violentes critiques essuyées par la protection de la Constitution du Land de Saxe, auxquelles se joignait même le ministre-président du Land (membre CDU), un nouveau communiqué de presse a dû être publié le 15 mai, affirmant que dans le rapport en question, les participants à l’événement de l’été 2018 n’avaient absolument pas été tous taxés d’extrémistes de gauche. Concrètement, il n’aurait été question que de deux groupes musicaux, «Feine Sahne Fischfilet» et K.I.Z. Le second avait présenté en 2018 à Chemnitz une chanson déclarant «j’enfonce la lame de couteau dans la gueule du journaliste» et avait expressément remercié le «Black Block» devant le public.
Bref: comme chez Pegida à Dresde, certaines forces en présence à Chemnitz poursuivaient des objectifs politiques bien à eux.

Pourquoi ne pas nuancer, au lieu de polariser?

Pourquoi la plupart des médias et des responsables politiques nuancent-ils si peu? Pourquoi contribuent-ils à polariser? D’autres questions se pressent à l’esprit. Existe-t-il des intérêts concrets à voir la société allemande se scinder en transformant des divergences d’opinions en fronts opposés? Faudrait-il même voir dans ces perturbations de la paix interne une préparation à la guerre vers l’extérieur? La nomination de la ministre allemande de la Guerre Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne ne présage à nouveau rien de bon. L’érosion de la liberté, de l’Etat de droit et de la démocratie doit-elle s’intensifier jusqu’à nous mener à une nouvelle forme de dictature?
Les citoyens peuvent discuter ensemble, ils ne doivent pas nécessairement s’affronter
Entre temps, il ne faut plus s’attendre à des discussions pondérées entre les participants aux événements de Chemnitz contre «la droite» et les manifestants de Pegida à Dresde. Les lignes de front se creusent de jour en jour. Mais quels sont les avantages pour les citoyens, s’ils cessent de dialoguer ensemble, s’ils cessent de s’engager ensemble pour la liberté, l’Etat de droit et la démocratie, s’ils cessent de s’engager … pour la paix?    •

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