Quels politiciens voulons-nous envoyer à Berne?

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Il est bien connu que les Parlements nationaux des Etats membres de l’UE n’ont pratiquement plus rien à réglementer, car les bureaucrates de Bruxelles déterminent d’en haut ce qui doit s’appliquer dans les 28 Etats pour presque tous les domaines de la vie. Quiconque écoute les débats dans nos deux Chambres fédérales peut parfois penser que la Suisse est également membre de l’UE – ou du moins qu’elle a accepté l’accord-cadre imposé par Bruxelles. Ce fut le cas lors de la discussion au Conseil national sur l’initiative de limitation et lors des débats sur la révision totale de la loi sur la protection des données. Il ne s’agit pas ici de présenter le contenu complexe et étendu du projet de loi. Cela doit être fait à une date ultérieure. A la veille des élections, cet exemple vise à montrer que les majorités déterminantes de la Berne fédérale observent souvent l’UE comme une proie hypnotisée, oubliant ainsi leur propre peuple.
Nous présentons également à nos lecteurs certaines des visions assez étranges de l’«Operation Libero» pour l’avenir de la Suisse – bien sûr, elle a le droit de les défendre, en vertu de la liberté d’opinion. Si, cependant, certains candidats au Conseil national s’engagent en faveur des objectifs politiques de cette organisation pour qu’elle parraine leur campagne électorale, alors ce n’est plus acceptable.
Le 20 octobre, nous, les citoyens, aurons l’occasion d’élire les candidats qui s’engagent sérieusement – pas seulement par de belles paroles – pour le bien-être de la population.

Initiative de limitation: tous contre un

L’initiative a été présentée dans Horizons et débats du 16 septembre.1 Comment on pouvait s’y attendre, le Conseil national a recommandé le rejet de l’initiative par 123 voix contre 63 voix de l’UDC et 3 abstentions. Plus de 70 orateurs ont profité du débat pour s’exprimer avant les élections au sujet de la libre circulation des personnes, le plus souvent sans révéler leur position concernant l’accord-cadre avec l’UE qui est beaucoup plus important pour notre pays.

Loi sur la protection des données: satisfaire l’UE avec de nombreuses contorsions

Depuis deux ans, le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale sont aux prises avec une révision totale de la Loi sur la protection des données. Quel en est le but?

Septembre 2017: Le Conseil fédéral veut adapter la protection des données au droit communautaire

Dans son message au Parlement du 15 septembre 2017, le Conseil fédéral a déclaré que la révision proposée «permettrait de mieux protéger les données des citoyens». Ce qui est au moins aussi important pour lui: «En adaptant la législation au droit européen, le Conseil fédéral crée les conditions pour que la transmission transfrontalière de données entre la Suisse et les Etats de l’UE reste possible sans obstacles supplémentaires». Et d’ajouter: «Le Conseil fédéral répond ainsi à une préoccupation de l’économie suisse».2

Juin/septembre 2018: le Conseil national et le Conseil des Etats approuvent l’adoption au droit Schengen

Etant donné qu’il n’avait pas été possible d’éliminer la contradiction entre les exigences des citoyens en matière de protection efficace de leurs données personnelles et l’exigence d’un transfert de données non bureaucratique et illimité par les entreprises mondiales, le Conseil national a reporté le problème en divisant le projet en deux parties. Premièrement, on a voulu mettre en œuvre la directive de l’UE 2016/680, faisant partie de Schengen, relative à la protection des données à caractère personnel en droit pénal. Ce premier projet de loi incontesté a été approuvé par le Conseil national le 12 juin par 174 voix contre 5 et 2 abstentions. Le Conseil des Etats l’a également accepté le 11 septembre sans opposition.3

Après la première étape: l’amélioration de la protection des données toujours en attente

La partie de la révision beaucoup plus importante pour la population, à savoir la meilleure protection des données personnelles à l’époque d’Internet, promise par le Conseil fédéral, n’est toujours et encore pas traitée.

Septembre 2019: Le Conseil national approuve le projet, avec de nombreuses abstentions de la part de la gauche

Au cours de la session d’automne qui s’est achevée, la Commission des institutions politiques du Conseil national a présenté à son Conseil le projet d’une nouvelle loi sur la protection des données. Malgré de grandes différences de contenu entre la gauche du Conseil et les fractions bourgeoises – par exemple sur le traitement des données de l’aide sociale ou les conditions d’utilisation du «profilage»4 – le Conseil national a achevé en deux jours le vaste paquet législatif. Le 25 septembre, il a voté en partie à contrecœur avec 98 voix pour, 68 contre et 27 abstentions.5 Selon le protocole du vote, l’opposition est venue de l’UDC, les abstentions de quelques Verts et avant tout du PS (14 oui/24 abstentions). Seuls deux sociaux-démocrates ont eu le courage de voter Non: Prisca Birrer-Heimo, Lucerne, présidente de la Fondation pour la protection des consommateurs, et Corrado Pardini, Berne, membre de la direction du Syndicat Unia.

Adaptation au droit communautaire ou meilleure protection des données pour la population?

La raison de la hâte de la grande Chambre est que l’UE a une fois de plus publié de nouveaux règlements, à savoir le Règlement de base de l’UE (EU-DSGVO), qui est en vigueur depuis le 25 mai 2018. Selon le procès-verbal de la séance du Conseil national, «[l’UE] examinera d’ici mai 2020 si la protection des données en Suisse est toujours équivalente à la sienne». La conseillère fédérale Keller-Sutter a confirmé lors des débats au Conseil national: «Si la Suisse ne modifie pas sa règlementation, les entreprises locales seront confrontées à d’importants désavantages concurrentiels […]. Il serait difficile pour les entreprises d’échanger des données avec des entreprises de l’UE.» Une lyre bien connue, dont la répétition constante a pour but de soumettre les Suisses qui ne veulent pas y adhérer. Gregor Rutz, conseiller national UDC, commente: «Nous nous lassons de plus en plus de reprendre toutes les absurdités de l’UE. Les règles de l’UE ne doivent être adoptées que lorsque c’est ­inévitable.» Sinon, nous serons soumis à un «raz-de-marée bureaucratique».6

Le dilemme des sociaux-démocrates

Et pourquoi de nombreux conseillers nationaux du PS se soumettent-ils? Afin de faire avancer le projet selon les lignes directrices de Bruxelles, le PLR a conclu, après la première journée de négociations (24 septembre), des affaires douteuses avec le PS concernant la protection des données de l’assistance sociale afin d’éviter une «alliance impie» entre le PS et l’UDC contre la loi. La plupart des membres du PS n’étaient pas vraiment convaincus. En effet, les sociaux-démocrates suisses sont confrontés à un dilemme constant: d’une part, leur programme de parti inclut toujours l’objectif de l’adhésion à l’UE,7 d’autre part, l’engagement en faveur de bonnes conditions sociales est au cœur de leur ligne directrice du parti. Le PS et les Verts eux-mêmes ont exprimé ce dilemme dans le procès-verbal de la réunion: «La gauche du Conseil a trouvé de nombreuses raisons à ce mécontentement. Sur presque tous les points, le Conseil national a rejeté les demandes de renforcement de la protection des données. Les informations sur les activités syndicales, par exemple, ne devraient plus être considérées comme ‹particulièrement dignes de protection›». (Communiqué ATS du 25 septembre) Oui, le PS a même déclaré qu’il ne «voulait pas ‹descendre inutilement au-dessous› du niveau de protection actuellement en vigueur». (Communiqué ATS du 25 septembre, soulignement mw) Il n’est donc plus question de la promesse faite par le Conseil fédéral il y a deux ans: «Avec la révision de la Loi sur la protection des données (LPD), les données des citoyens seront mieux protégées». Il est presque inconcevable que les politiciens de gauche acceptent une détérioration de la protection des données de la population juste pour sauver la compatibilité de la loi avec l’UE. Certains espèrent que le Conseil des Etats apportera les «corrections nécessaires», et Balthasar Glättli (Les Verts ZH) déclare que lors du vote final (c’est-à-dire après l’ajustement des divergences avec le Conseil des Etats) le groupe rose-vert n’hésitera pas un instant à s’opposer à la loi, si elle reste aussi inutile qu’elle l’est maintenant». (Communiqué ATS du 25 septembre)
La citoyenne engagée se demande alors: pourquoi ne dites-vous pas Non maintenant déjà? La réponse est que la gauche place toujours et encore ses espoirs dans une UE sociale sous direction sociale-démocrate: «L’UE représente beaucoup plus qu’un marché intérieur: elle représente une fédération d’Etats qui aménage socialement et écologiquement ce marché intérieur, et cela dans une mesure supérieure au niveau d’intervention habituellement pratiqué en Suisse. […] Pour le socialisme, il ne peut pas y avoir, en Europe, de retour en arrière à des Etats nationaux indépendants les uns des autres, voire hostiles les uns envers les aux autres. Il ne peut y avoir, au contraire, qu’un progrès vers une intégration allant bien au-delà du seul marché intérieur.»8 Est-ce vraiment possible que le PS soit à un tel point aveugle sur la situation internationale!

Avec le vote favorable du Conseil national, la protection des données se dirige «vers une mise en œuvre conforme à l’UE».

L’association professionnelle SwissHoldings, qui prône «des conditions cadres favorables pour les entreprises multinationales» avec siège en Suisse et qui regroupe actuellement 58 multinationales (https://swissholdings.ch), estime que «la révision totale de la loi sur la protection des données est en bonne voie». Pour ceux qui ne l’ont pas encore remarqué, il indique clairement à qui la nouvelle loi doit s’adresser en priorité, à savoir les multinationales suisses marchant à la cadence de Bruxelles. Le oui du Conseil national doit «être considéré comme un succès […]. Dans la consultation détaillée, il a suivi les recommandations de l’économie dans les lignes essentielles. SwissHoldings se réjouit également du fait que la protection des données se dirige vers une mise en œuvre conforme à l’UE.» (Souligné mw)9
Avec cette voix des entreprises internationales, il est (une fois de plus!) confirmé que l’UE n’a jamais été un projet social, mais une construction néo-libérale, du début à aujourd’hui. Il faut espérer que les syndicats (Confédération des syndicats et Travail Suisse) le rappelleront clairement aux politiciens de gauche avant qu’ils ne cèdent également à l’accord-cadre et acceptent la directive de l’UE sur le détachement de travailleurs comme un faible substitut aux mesures d’accompagnement fortes visant à protéger les emplois suisses.     •

1    «Volonté de contourner de gré ou de force la reprise obligatoire du droit de l’UE». Horizons et débats no 20 du 16/9/19
2    «Une meilleure protection des données et un renforcement de l’économie suisse». Communiqué du Conseil fédéral du 15/9/17
3    «Le Conseil national veut réviser la loi sur la protection des données en deux étapes». Communiqué ATS. Débat au Conseil national du 12/6/18; Nouvelles ATS. Débat au Conseil des Etats du 11/9/18
4    Le «profilage» fait référence à l’évaluation automatisée de données personnelles qui peuvent être utilisées pour créer des profils de personnalité, analyser des schémas comportementaux ou les prédire. (Mäder, Lukas. «Die Zeit für eine Eingung beim Datenschutzgesetzt drängt». [Le temps presse pur un accord sur la loi sur la protection des données] «Neue Zürcher Zeitung» du 20/9/19). Le profilage est utilisé, par exemple, pour vérifier l’aptitude des candidats à un emploi ou la solvabilité.
5    «Le Conseil national dit partiellement à contrecœur oui à la loi sur la protection des données». Nouvelles ATS. Débat au Conseil national du 25/9/19
6    «Le Conseil national prend les premières décisions concernant la nouvelle loi sur la protection des données». Nouvelles ATS. Débat au Conseil national du 24/9/19
7    «La construction européenne à la croisée des chemins». Programme du parti PS 2010, pp. 6–8
8    Programme du parti PS 2010, p. 7
9    «La révision totale de la loi sur la protection des données est sur la bonne voie». Communiqué de presse SwissHoldings du 25/9/19

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