Le syndicat de la finance veut assécher les caisses d’épargne

par Eberhard Hamer, professeur ès sciences économiques

Il existe dans le monde des modèles d’organisation de notre système financier se distinguant radicalement les uns des autres:
L’argent respectif est mis en circulation par les banques centrales, qui doivent contrôler et sécuriser la monnaie. Dans la zone anglo-saxonne (Etats-Unis et Royaume-Uni entre autres), les banques centrales sont des banques privées, de sorte que leurs propriétaires contrôlent en fin de compte la monnaie et la masse monétaire via la banque centrale. En d’autres termes, ils peuvent augmenter (imprimer) ou diminuer (crash) l’argent à volonté pour leur propre usage. Dans la City de Londres, par exemple, le syndicat anglo-saxon de la finance a créé un petit Etat souverain qui est certes subordonné à la reine, mais non au gouvernement britannique, ni au système fiscal anglais. Au Royaume-Uni, 90% des dépôts bancaires sont détenus par cinq grandes banques seulement, qui représentent donc à elles seules la quasi-totalité du système bancaire. Aux Etats-Unis, une douzaine de grandes banques dominent également le paysage bancaire. Elles tirent leurs bénéfices principalement d’opérations spéculatives et d’investissement (dérivés, participations, entrées en bourse, transactions financières, prêts spéculatifs), mais aussi de prêts immobiliers et d’obligations de sociétés et d’Etats. Les grandes banques sont simultanément propriétaires de la banque centrale mais appartiennent à un syndicat de la finance composé d’une poignée de familles.
Les systèmes bancaires allemand, autrichien et suisse, en revanche, sont dominés par de petites banques locales – en Allemagne, 1050 banques populaires et 450 caisses d’épargne représentent 70% de toutes les banques – qui ne prêtent pas de l’argent nouvellement créé par leur syndicat, mais rassemblent l’argent de leurs clients et le prêtent à la classe moyenne et aux ménages moyennant un taux d’intérêt. Contrairement aux profits spéculatifs sur lesquels se basent les grandes banques, nos petites banques locales vivent donc de la différence de taux d’intérêt entre les dépôts et les prêts.
Cela se reflète dans le risque des deux systèmes bancaires. Alors que le risque des banques spéculatives réside dans leurs transactions à risque, dans les risques importants de leurs obligations d’entreprises ou dans la solvabilité de leurs pays débiteurs, le risque des banques locales est non seulement largement réparti, mais aussi limité aux risques individuels de leurs divers emprunteurs. Alors que les grandes banques sont donc les «banques de la grande économie» ou de la spéculation internationale et des prêts au secteur public, les petites banques locales restent limitées à leurs clients régionaux de taille moyenne [par exemple les PME, ndt.].
Les grandes banques ne s’intéressent pas aux entreprises de taille moyenne; elles veulent accorder des prêts importants à l’échelle mondiale et effectuer des transactions financières importantes. Les coopératives bancaires et les caisses d’épargne, quant à elles, sont régionales, petites et s’intéressent donc aussi aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux clients privés de leur région. Elles doivent vivre de cette classe moyenne, dont elles sont le partenaire originel.
Il y a environ 100 ans, un paysage florissant de petites banques de crédit régionales existait aussi aux Etats-Unis. La plupart d’entre elles ont aujourd’hui disparu sous la pression en faveur de la concentration et en raison de la manipulation monétaire des grandes banques. La condensation du syndicat de la finance a mené à l’expansion de sa domination financière sur l’ensemble du pays.
Lors de la création de l’UE, le syndicat anglo-saxon de la finance a joué le rôle de parrain, notamment en occupant les postes centraux (de Goldman Sachs: Macron, Draghi, Lagarde; ainsi que tous les présidents de l’UE et la plupart des dirigeants des banques centrales). L’auteur de cet article avait prévenu presque chaque année que le syndicat de la finance veut aussi laminer les petites banques en Europe et obtenir une concentration en faveur des grandes banques comme cela a lieu aux Etats-Unis. Au-delà de la volonté d’abolir les Etats-nations en vertu du Traité de Lisbonne et de la volonté de l’ancienne et de la nouvelle Commission européenne, s’inscrit le dessein de concentrer la monnaie et les finances dans le cadre d’une union en matière de responsabilité, de dette et de finance au sein de l’UE. A cette fin, le syndicat veut détruire les petites banques locales (Draghi: «Surcapacités du secteur bancaire dans la zone euro», «le nombre des banques doit être réduit» [21/7/16]).
Cette politique de destruction des petites et moyennes banques est poursuivie au moyen de trois mesures:

  1. En supprimant les intérêts, afin que les caisses d’épargne et les banques populaires, vivant du différentiel de taux d’intérêt, ne puissent plus accorder d’intérêts à leurs clients et puissent à peine percevoir des intérêts sur leurs crédits. Cette mesure vise à détruire l’activité de prêt à intérêt, base vitale des petites et moyennes banques.
  2. Mais parallèlement, les transactions spéculatives effectuées par les grandes banques détenues par le syndicat sont garanties en cas de pertes par les banques de l’UE et les mécanismes de sauvetage des pays membres, donc garanties aux frais des citoyens.
  3. Une certaine «union bancaire» souhaiterait forcer toutes les banques à fusionner, de sorte qu’il ne reste plus que quelques grandes banques par pays. Les petites banques en bonne santé seraient particulièrement sollicitées en devant garantir avec leurs fonds communs existants les pertes spéculatives des grandes banques.
  4. A cette fin, la BCE et la Commission européenne ont à tel point renforcé les exigences en matière de surveillance des banques que les petites et moyennes banques en souffrent particulièrement, parce qu’elles doivent satisfaire aux mêmes exigences et remplir les mêmes formulaires que les grandes banques internationales.

En outre, la «réglementation Bâle III/IV» a renforcé de manière décisive l’octroi de crédits par les caisses d’épargne, de sorte qu’elles ne doivent plus déposer seulement 8,1% mais 10,5% de fonds propres pour un crédit PME, ce qui exclut économiquement la plupart de ces crédits. A cela s’ajoute que les exigences en matière de prêts sont formulées d’une manière hostile aux PME: la base d’un crédit n’étant que la valeur réelle, c’est-à-dire le capital réel sous-jacent. La base du succès des moyennes entreprises personnelles réside toutefois dans la personne de l’entrepreneur, et leur crédit est donc celui de leur personnel. Cet aspect de la réussite, qui est décisif pour les petites et moyennes entreprises, ne peut aujourd’hui presque plus être pris en compte par les petites et moyennes banques.
Ainsi, des conditions, réglementations et obstacles hostiles au PME ont torpillé les solides activités de prêt à intérêt de nos banques populaires et caisses d’épargne, en place depuis 200 ans, et ces banques se retrouvent maintenant toutes dos au mur, et certaines sont menacées de disparition.
Le gouvernement fédéral allemand ne semble pas s’intéresser à cela. Il a accepté toutes les chicanes contre les petites et moyennes banques ou est tellement sous l’influence du syndicat de la finance qu’il n’a pas osé le contredire. On ne pouvait pas s’attendre à une protestation de la part d’autres pays de l’UE parce qu’ils n’ont pas la culture typiquement allemande des coopératives bancaires et des caisses d’épargne (à l’exception de l’Autriche).
Quiconque traite avec les banques populaires connaît l’urgence qui y prévaut aujourd’hui. Ajoutons que le Mittelstandsinstitut Niedersachsen, qui analyse la situation des PME, souligne qu’un déclin, voire la disparition des banques à succursales et des banques locales aurait un effet plus désastreux sur l’économie allemande que sur celle de tous les autres pays, car 94% de nos entreprises sont des PME, dont la survie dépend à leur tour du financement de leurs banques locales (coopératives bancaires, caisses d’épargne). Chaque recul de ces importantes banques affecte également le financement de la classe moyenne, sape son existence, parce que, contrairement à Ludwig Erhard, la politique empêche par une imposition maximale l’autofinancement des entreprises au moyen de leurs bénéfices, et que les entreprises dépendent par conséquent du crédit extérieur. Toutefois, si même l’obtention de crédits extérieurs devient maintenant impossible, cela n’engendrera pas seulement la disparition des banques locales mais aussi de la classe moyenne en Allemagne. Et si celle-ci diminue, le pilier central de notre économie se brise, soutenant actuellement la moitié de notre produit national, les deux tiers de nos impôts et charges sociales et les trois quarts des emplois dans notre économie.
Si au sein de l’union bancaire, le syndicat international de la finance obtient le contrôle de toutes les banques en Europe, il imposera aussi chez nous sa structure bancaire internationale tout à fait différente et ne se contentera pas de tromper les épargnants allemands sur 360 milliards d’intérêts, comme il le fait actuellement, mais il utilisera également le taux d’intérêt zéro pour torpiller les moyens de subsistance de nos petites et moyennes banques, et par conséquent les moyens de financement de notre classe moyenne. Car sans écart de taux d’intérêt entre les recettes et les dépenses, il devient impossible d’accorder des prêts à ses clients de la classe moyenne. Et si les coopératives bancaires locales et les caisses d’épargne ne sont plus en mesure d’accorder des prêts personnels, les PME ne peuvent plus croître, ne peuvent plus se financer, ne peuvent plus créer d’emplois et, dans de nombreux cas, ne peuvent plus survivre.
Dans le grand jeu de l’argent, du crédit, de l’endettement et de la spéculation, les jongleurs financiers du syndicat anglo-saxon de la finance détruisent délibérément les petites et moyennes banques au profit des grandes banques, dont les risques et les dettes sont même pris en charge en cas de faillite.
Ce n’est pas pour rien que le syndicat de la finance a empêché Weidmann, le solide président allemand de la Bundesbank, de prendre la tête de la BCE, lui préférant Lagarde, servante de Goldman Sachs, ayant promis un financement public illimité, un taux d’intérêt à zéro et des mesures de centralisation.
Nous autres scientifiques et chercheurs dans le domaine de la finance ne pouvons qu’émettre des appels. Malheureusement, les politiciens ne sont pas personnellement responsables des erreurs. Mais comme il y a un danger imminent pour la majorité de nos entreprises, pour l’emploi et pour le bien-être de notre Etat, notre appel devrait aussi pouvoir s’adresser à la majorité de notre population. C’est une question de journalisme: que les gens comprennent, voient et protestent contre le danger. Le danger pourrait être écarté si la politique se voyait imposer un correctif amené par les électeurs!    •
(Traduction Horizons et débats)

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