Luttes ciblées en vue d’acquérir toujours plus de pouvoir dans le monde

Le capitalisme financier de Hong Kong s’obstine à préserver son blanc-seing pour les crimes financiers

par Kevin Zeese et Margaret Flowers*

Hong Kong est un des exemples les plus extrêmes de capitalisme financier néolibéral. Il s’en suit que de nombreux habitants de Hong Kong souffrent d’une grande insécurité économique dans cette ville qui compte 93 milliardaires et qui de ce fait arrive deuxième au classement mondial.
Hong Kong souffre d’avoir été une colonie britannique durant les 150 ans ayant suivi les guerres de l’opium (1839–1860). Les Britanniques avaient mis en place un système économique capitaliste dans une ville n’ayant jamais été autonome. En partant, la Grande-Bretagne a négocié un accord avec la Chine empêchant cette dernière de modifier les systèmes politique et économique durant les 50 ans à venir, transformant Hong Kong en une «Région administrative spéciale» (RAS).

La Chine ne peut pas répondre aux problèmes des souffrances du peuple de Hong Kong. La notion «un pays deux systèmes» signifie que le capitalisme extrême de Hong Kong coexiste indépendamment du système socialisé chinois. Hong Kong a un système politique inhabituel. Par exemple, la moitié des sièges de son Parlement sont réservés aux représentants des intérêts commerciaux, et de ce fait les multinationales votent les lois.
Hong Kong est un centre de la haute finance, ainsi qu’un centre de crimes financiers. Entre 2013 et 2017, le nombre de trans­actions suspectes signalées aux forces de l’ordre a passé de 32 907 à 92 115. Il y a eu très peu de poursuites, elles sont passées d’un maximum de 167 en 2014 à 103 en 2017. Les condamnations ont chuté jusqu’à ne voir condamnée qu’une seule personne à plus de six ans de prison en 2017.
Le problème ne vient ni du projet de loi sur les extraditions ayant servi à déclencher les protestations ni de la Chine, le problème de Hong Kong vient de son économie et de sa gouvernance.

Le projet de loi sur les extraditions

La cause déclarée des récentes manifestations constitue le projet de loi sur les extraditions. Ce dernier a été élaboré par le gouvernement de Hong Kong parce que jusqu’à présent, il n’existe aucun moyen juridique pour empêcher des criminels de se soustraire aux poursuites lorsqu’ils se réfugient à Hong Kong. Le projet de loi avait été proposé en février 2019, de manière à instaurer un mécanisme de transfert des fugitifs depuis Hong Kong vers Taiwan, Macao ou la Chine continentale.
Les lois sur les extraditions sont conformes à la norme juridique entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci (par exemple entre Etats fédérés). Etant donné que Hong Kong fait partie de la Chine, il s’agit d’une question basique. En 1998, Martin Lee, un député pro-démocratie, avait proposé une loi similaire à celle à laquelle il s’oppose actuellement, pour assurer qu’une personne soit poursuivie et jugée sur le lieu du délit.
La demande d’un tel projet de loi a été faite en 2018, lorsque Chan Tong-kai, un résident de Hong Kong aurait tué sa petite amie enceinte Poon Hiu-wing à Taiwan, pour ensuite retourner à Hong Kong. Chan a avoué à la police de Hong Kong avoir tué Poon Hiu-wing, mais la police n’a pas pu l’inculper de meurtre ni l’extrader à Taiwan, car il n’existait aucun accord.
Le projet de loi prévoyait 46 types de crimes reconnus comme infractions sérieuses dans le monde entier. En faisaient partie le meurtre, le viol et les infractions sexuelles, les voies de fait, les enlèvements, les infractions contre les règles sur l’immigration, ainsi que les infractions en matière de drogue, les infractions contre les biens telles que le vol qualifié, le cambriolage et l’incendie criminel et d’autres infractions pénales traditionnelles. Il comprenait également les crimes commerciaux et financiers.
Des mois avant le début des manifestations, le milieu des affaires avait exprimé son opposition à ce projet de loi. Les deux partis le représentant avaient exhorté le gouvernement d’éliminer les crimes en col blanc de la liste des infractions visées par tout accord d’extradition futur. Une pression grandissante des poids lourds du milieu des affaires de la ville s’est fait sentir. La Chambre de commerce étasunienne, AmCham, une organisation vieille de 50 ans et représentant plus de 1200 entreprises américaines exerçant leurs activités à Hong Kong s’est opposée au projet de loi.
AmCham avait annoncé que cela porterait préjudice à la réputation de la ville: «Toute modification des accords d’extradition qui élargirait considérablement les possibilités d’arrestation et d’extradition [...] de dirigeants d’entreprises internationales résidant ou transitant par Hong Kong, résultant d’allégations de crime économique formulées par le gouvernement de la partie continentale, saperait la perception de Hong Kong comme un refuge sûr et sécurisé pour les opérations commerciales internationales.»
Kurt Tong, le plus haut diplomate américain à Hong Kong, a déclaré en mars que cette proposition pourrait compliquer les relations entre Washington et Hong Kong. En effet, le Centre pour l’entrepreneuriat privé international, une branche de la NED (National Endowment for Democracy [Fondation nationale pour la démocratie] – filiale de la CIA), a déclaré que ce projet de loi saperait la liberté économique, provoquerait une fuite des capitaux et menacerait le statut de Hong Kong en tant que plaque tournante du commerce global. Une lettre bipartisane signée par huit membres du Congrès américain, dont les sénateurs Marco Rubio, Tom Cotton et Steve Daines et des membres de la Chambre des représentants Jim McGovern, Ben McAdams, Chris Smith, Tom Suozzi et Brian Mast, s’opposant à ce projet de loi a été rédigée à cette intention.
Les promoteurs du projet de loi ont réagi en exemptant neuf des crimes économiques et en ne prévoyant l’extradition que pour des crimes punissables par au moins sept ans d’emprisonnement. Ces changements n’ont pas satisfait les défenseurs du «Big Business».

Les manifestations de masse et le rôle des Etats-Unis

Depuis ces litiges au sujet de la loi, l’opposition a grandi, formant une coalition pour l’organisation de manifestations. Comme le rapporte Alexander Rubinstein, «la coalition citée par les médias de Hong Kong, notamment le ‹South China Morning Post› et le ‹Hong Kong Free Press›, comme organisatrice des manifestations anti-extradition, s’appelle ‹Civil Human Rights Front›. Son site Internet liste comme membres de la coalition: le HKHRM [Hongkong Human Rights Monitor] financé par la NED, la Fédération des syndicats de Hong Kong, l’Association des journalistes de Hong Kong, le Parti civique, le Parti travailliste et le Parti démocratique.» Entre 1995 et 2013, le HKHRM à lui seul avait obtenu plus de 1,9 millions de dollars de la NED. Les principales manifestations ont commencé en juin.
Depuis 1996, la mise en place du mouvement antichinois à Hong Kong est un projet à long terme de la NED. En 2012, la NED a investi 460 000 dollars par l’intermédiaire du National Democratic Institute pour développer le mouvement antichinois (aussi appelé Mouvement pro-démocratie), notamment parmi des étudiants d’université. Deux ans plus tard, les manifestations de masse d’«Occupy Central» ont eu lieu. Dans une lettre ouverte adressée à Kurt Tong en 2016, ces subventions de la NED et d’autres ont été dévoilées et on lui a demandé si les Etats-Unis finançaient un mouvement indépendantiste à Hong Kong.
Lors des manifestations actuelles, les organisateurs ont été photographiés lors d’une rencontre avec Julie Eadeh, cheffe du service politique du consulat général des Etats-Unis, dans un hôtel de Hong Kong. Ils ont également rencontré les «faucons» antichinois à Washington, notamment le vice-président Pence, le secrétaire d’Etat Pompeo, le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, le sénateur Marco Rubio et le représentant Eliot Engel, président du Comité des affaires étrangères de la Chambre des Représentants. Larry Diamond, coéditeur des publications de la NED et co-président de la recherche, a ouvertement encouragé les manifestants. Il a livré un message vidéo de soutien lors de leur rassemblement du weekend du 17/18 août 2019.
Les protestations comprenaient de nombreux éléments propres aux révolutions de couleur inspirés par les Etats-Unis avec notamment la tactique de recourir à la violence – attaques contre des passants, des représentants des médias, de la police et du personnel de secours. Des tactiques similaires avaient été utilisées en Ukraine, au Nicaragua et au Venezuela, par exemple des barricades de rue liées à l’usage de la force. Les fonctionnaires américains et les médias occidentaux ont critiqué la réaction du gouvernement lors de ces manifestations violentes, bien qu’ils se soient tus lors de l’extrême violence policière utilisée contre les Gilets jaunes en France. Les manifestants ont également recours à des techniques d’essaimage et à l’envoi de messages sophistiqués sur les réseaux sociaux à des personnes spécifiques aux Etats-Unis.
Les manifestations de masse ont continué. Le 9 juillet, la Chef du gouvernement Carrie Lam a déclaré l’abrogation du projet de loi. Les manifestants exigent maintenant que le projet de loi soit entièrement retiré, que Lam démissionne et que la police fasse l’objet d’une enquête.

Quel est le motif du mécontentement à Hong Kong?

La source des troubles à Hong Kong est l’insécurité économique découlant du capitalisme. En 1997, la Grande-Bretagne et la Chine avaient convenu de laisser «l’ancien système capitaliste» en place pour 50 ans.
Hong Kong se trouve en tête du classement de l’économie la plus libérale du monde de l’Heritage’s Index of Economic Freedom [indice de liberté de l’économie de la fondation Heritage] – depuis son lancement en 1995. En 1990, Milton Friedman avait décrit Hong Kong comme le meilleur exemple d’économie de libre marché. Son classement est basé sur des impôts bas, une réglementation légère, des droits de propriété solides, la liberté des entreprises et une ouverture au commerce global.
Graeme Maxton a écrit dans le «South China Morning Post»: «Le seul moyen de rétablir l’ordre est de modifier radicalement la politique économique de Hong Kong. Après des décennies à n’avoir pratiquement rien fait et laissé régner le marché libre, il est temps que le gouvernement de Hong Kong fasse son devoir: gouverner dans l’intérêt de la majorité.»
Le projet de loi sur l’extradition, Carrie Lam ou la Chine ne sont pas les problèmes. Ce à quoi nous assistons est une économie néolibérale illimitée, décrite comme marché libre sous stéroïdes. L’économie de Hong Kong par rapport au PIB chinois est passée de sa valeur maximale de 27% en 1993, à moins de 3% en 2017. Pendant ce temps, la Chine a connu une formidable croissance avec son économie de marché, y compris dans la ville de Shenzhen, alors qu’on n’en observe pas à Hong Kong.
Sara Flounders a déclaré: «Depuis 10 ans, les salaires stagnent à Hong Kong, alors que les loyers ont augmenté de 300%, c’est la ville la plus chère au monde. A Shenzhen, les salaires ont augmenté de 8% par année et plus d’un million de nouveaux logements verts et à faible coût sont en voie d’achèvement.» Hong Kong a les loyers les plus élevés au monde, avec un fossé grandissant entre les riches et les pauvres et un taux de pauvreté de 20%. En Chine, cependant, le taux de pauvreté a baissé de 88% en 1981 à 0,7% en 2015, selon la Banque mondiale.

Hong Kong dans le contexte chinois

Dans «Neoliberalism Has Met Its Match in China» [Le néolibéralisme a trouvé son pareil en Chine], Ellen Brown a écrit que le gouvernement chinois possède 80% des banques qui accordent des prêts avantageux aux entreprises et subventionnent le coût de la main-d’œuvre. Les Etats-Unis considèrent les subventions de l’économie chinoise comme un avantage commercial injuste, alors que la Chine considère que la croissance planifiée à long terme est plus intelligente que les profits à court terme des actionnaires.
Le modèle chinois de capitalisme contrôlé par l’Etat (certains l’appellent une forme de socialisme) a permis à 800 millions de personnes de sortir de la pauvreté et de constituer une classe moyenne de plus de 420 millions d’individus, passant de 4% en 2002 à 31%. Les douze plus grandes entreprises chinoises sont, selon le magazine Fortune 500, toutes détenues et subventionnées par l’Etat, on y compte notamment le pétrole, l’énergie solaire, les télécommunications, l’ingénierie, les entreprises de construction, les banques et l’industrie automobile. Selon la CIA, le FMI et la Banque mondiale, la Chine a le deuxième plus grand PIB et la plus grande économie basée sur le PIB, à parité de pouvoir d’achat.
La Chine a des problèmes importants. Il y a chaque année des milliers de manifestations, de grèves et d’actions syndicales réelles, de sérieux défis environnementaux, des inégalités et un contrôle social suite à l’utilisation des technologies de surveillance. La manière dont la Chine répondra à ces défis est un test de sa gouvernance.
La Chine se décrit comme ayant une démocratie hors partis. Les huit autres «partis
démocratiques» autorisés à participer au système politique, coopèrent avec le Parti communiste, sans le concurrencer. Il y a aussi des élections locales pour des candidats s’occupant de problèmes fondamentaux. La Chine considère la démocratie et l’économie occidentales comme erronées et n’essaie pas de les imiter, elle préfère créer son propre système.
La Chine est dirigée par des ingénieurs et des scientifiques, et non par des avocats et des hommes d’affaires. Elle aborde les décisions politiques par la recherche et l’expérimentation. Chaque ville et chaque district est impliqué dans une sorte d’expérimentation comprenant des zones de libre-échange, de réduction de la pauvreté et de réforme de la formation. «Il y a des écoles pilotes, des villes pilotes, des hôpitaux pilotes, des marchés pilotes, des pilotes pour tout ce qui se passe sous le soleil, la Chine toute entière est en réalité un vaste Portfolio d’expérimentations, avec des maires et des gouverneurs de province comme chercheurs principaux.» Dans ce système, Hong Kong pourrait être considéré comme une expérimentation pour le capitalisme néolibéral.
Le Parti communiste sait que pour conserver son pouvoir, il doit lutter contre les inégalités et orienter l’économie vers un modèle plus efficace et plus écologique. Pékin s’est donné jusqu’à l’année 2050 pour devenir
une «société socialiste» et, pour y arriver, on tente d’apporter des améliorations notamment dans les domaines du social, du travail et de l’environnement.
Où se situe Hong Kong dans ces projets à long terme? L’année 2047 étant la fin de l’accord, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et les autres puissances occidentales s’emploient à préserver leur dystopie capitaliste à Hong Kong et à dégager un consensus en vue d’un conflit à long terme avec la Chine. Les manifestations anti-Hong Kong inspirées et attisées par la NED font partie de ce processus à long terme.
La manière dont ce conflit des systèmes économiques et politiques évoluera dépend de la capacité de la Chine à affronter ses contradictions, de la capacité des habitants de Hong Kong à traiter leurs problèmes à la source et de la capacité de l’empire américain à maintenir sa dominance monétaire, politique et militaire. Les conflits actuels à Hong Kong ont leurs racines dans toutes ces réalités.     •

* Kevin Zeese est une personne politiquement engagée aux Etats-Unis et dans divers mouvements pour la paix. Il a milité pour assurer la traçabilité des bulletins de vote par les électeurs. Dr Margaret Flowers est pédiatre dans le Maryland et candidate des Verts pour le Sénat américain. Elle est co-directrice de PopularResistance.org et conseillère du comité directeur de l’association «Médecins pour un Programme national de santé public», ainsi que membre du comité directeur de l’association «La Santé publique du Maryland est une campagne pour les droits humains».

Source: https://www.nationofchange.org/2019/08/19/hong-kong-in-the-crosshairs-of-global-power-and-ideological-struggles/ du 19/8/19

(Traduction Alexandre Moumbaris pour le Saker Francophone, révision par Horizons et débats)

hd. Le 15 octobre, la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté un projet de loi autorisant les Etats-Unis à examiner la «situation des droits de l’homme» à Hong Kong et, si nécessaire, à imposer des sanctions contre la Chine («Hong Kong Human Rights and Democracy Act»). Ce projet, que le Sénat doit encore approuver, interfère avec le statut spécial délicat de Hong Kong et mettrait le président Donald Trump en difficulté lors de ses prochaines négociations douanières avec la Chine. Le gouvernement chinois s’est une fois de plus plaint de l’ingérence américaine dans les affaires intérieures du pays. «Le Figaro» du 16 octobre est l’un des rares journaux européens ayant publié un article à ce sujet.

 

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