Syrie – «Il y a énormément à faire»

Les sanctions de l’Occident en violation du droit international empêchent la reconstruction

Interview de Karin Leukefeld, Damas et Bonn

ef. La journaliste indépendante Karin Leukefeld est née en 1954 à Stuttgart, Elle a fait des études d’ethnologie, d’islamologie et de politologie. Depuis 2000, elle est correspondante pour divers quotidiens et hebdomadaires pour la région du Proche- et du Moyen-Orient ainsi que pour la Radio ARD. Depuis 2010, elle est accréditée en Syrie et informe sur le conflit syrien. Depuis le début de la guerre en 2011, elle fait la navette entre Damas, Beyrouth et d’autres lieux du monde arabe et son domicile à Bonn. Elle a publié de nombreux livres en allemand, entre autre: «La Syrie entre l’ombre et la lumière – histoire et récits de 1916 à 2016. Des personnes parlent de leur pays déchiré» (2016, Editions Rotpunkt Zurich); «Embrasement en Syrie et en Irak, le Monde arabe et l’Etat islamique» (2015, 3e édition complétée 2017, Editions PapyRossa Cologne). Prochainement paraîtra son nouveau livre «Au centre de l’ouragan: La Syrie, le Proche-Orient et la création d’un nouvel ordre mondial» (2020, Editions PapyRossa Cologne).

Horizons et débats: Madame Leukefeld, vous êtes rentrée de Syrie, il y a quelques semaines. Comment les gens vivent-ils au quotidien dans ce pays?

Karin Leukefeld: Le quotidien est très difficile et cela concerne tout le pays: que ce soit dans les territoires sous contrôle du gouvernement, actuellement 70 %, à Idlib, où il y a encore des combats, ou au nord-est du pays se trouvant sous contrôle des Kurdes et de l’alliance conduite par les Etats-Unis. Partout la situation est difficile. Cependant, il est vrai que les habitants des territoires sous contrôle du gouvernement avaient espéré qu’après l’apaisement des nombreux conflits – il y avait parfois jusqu’à 60 lignes de front distinctes dans le pays alors qu’actuellement les combats se limitent à Idlib et l’Est du pays – la situation se stabiliserait et qu’on ne serait plus exposé à des interventions militaires directes. Mais on doit naturellement encore faire d’énormes efforts pour rétablir l’approvisionnement en électricité et en eau potable, réparer les routes et les ponts. De très nombreuses régions sont fortement endommagées, avant de reconstruire, il faut déplacer les gravats.

Toutes les familles sont touchées par la guerre

Vous avez dit à d’autres occasions qu’il n’existe pratiquement pas de famille n’ayant pas perdu au moins un de ses membres dans cette guerre.

C’est l’aspect social. L’Etat peut s’occuper de la reconstruction. Mais soigner les blessures, les traumatismes – où il y a un manque énorme de personnel spécialisé –, c’est un énorme problème, concernant avant tout les enfants. Il y a de très nombreuses veuves, des femmes ayant perdu leur mari ou des familles ayant perdu leur gagne-pain, que cela soit le fils aîné, le frère ou l’époux. Les hommes sont tombés au combat – peu importe de quel côté –, beaucoup combattent encore ou sont en prison, d’autres ont quitté le pays. Notamment les jeunes hommes ont quitté la Syrie en grand nombre, un énorme poids pèse sur les femmes. Elles tente de trouver du travail – on rencontre beaucoup plus de femmes dans le monde du travail qu’auparavant. Il y a des techniciennes ou des ingénieures aidant par exemple à rétablir l’électricité, ou des femmes, créant des petites coopératives, pour produire et vendre quelques produits.
Mais la situation est très difficile, car tout est extrêmement cher suite à la guerre et aux sanctions. Actuellement, la vie est presque dix fois plus chère qu’avant la guerre, la livre syrienne a perdu de sa valeur, et les entreprises qui doivent être reconstruites, par exemple les entreprises dans le domaine médical fabriquant les médicaments, exportaient avant la guerre une partie de leur production dans les pays voisins. Maintenant, ces entreprises et leurs installations sont détruites, tout doit être reconstruit ou réparé et il faut les matières premières pour la fabrication de médicaments. Celles-ci sont cependant soumises aux sanctions. L’Union européenne a infligé des sanctions, les Etats-Unis aussi, cela forme un tout.

Pourquoi les pays européens développent-ils tant les sanctions?

La raison officielle est que les membres du gouvernement et les entrepreneurs coopérant avec le gouvernement syrien, avec les autorités gouvernementales, par exemple dans le secteur pétrolier ou dans l’industrie, toute entreprise ou personne se trouvant en contact avec le gouvernement est sanctionnée – parce qu’elles soutiennent un gouvernement qui assassine son propre peuple. Voilà la justification.
Mais il y a encore des raisons plus raffinées, par exemple, en insinuant qu’un entrepreneur quelconque, s’étant procuré des matières premières pour la fabrication de médicaments, participe au programme d’armes chimiques de la Syrie. La Syrie a adhéré à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, a remis à l’ONU tous les stocks – qui étaient en réalité totalement obsolètes et destinés à la dissuasion contre Israël. Les stocks d’armes chimiques ont été détruits, mais on affirme sans arrêt que la Syrie produit des gaz toxiques et les utilise. C’est la raison essentielle pour laquelle les sanctions sont infligées. Du moins, c’est ainsi qu’on les justifie.

Les sanctions de l’Occident font partie intégrante de sa politique étrangère

D’un point de vue politique – ce n’est peut-être pas très connu, je peux cependant l’affirmer pour le gouvernement fédéral de Berlin –, les sanctions des Etats membres de l’OTAN et du monde occidental font entretemps partie intégrante de leur politique étrangère. Car la population – c’est du moins le cas en Allemagne – n’accepte pas d’emblée, que des soldats allemands aillent à l’étranger pour y être stationnés ou pour participer à des interventions militaires comme en Afghanistan par exemple. Chaque soldat tué pèse lourd sur la politique étrangère du gouvernement fédéral. On a constaté lors d’analyses que les sanctions pouvaient avoir, dans un pays qu’on veut soumettre ou discipliner, les mêmes conséquences économiques dévastatrices qu’une intervention militaire. On peut cependant mieux les défendre envers sa propre population.

«Mesures pénales infligées unilatéralement»

Elles font donc partie intégrante de la politique étrangère. Mais il faut préciser ici que les sanctions ne sont légales que si le Conseil de sécurité de l’ONU les impose. Les sanctions contre la Syrie, contre l’Iran et contre d’autres pays sont des mesures pénales infligées de manière unilatérale, ou plus concrètement, des mesures coercitives. Cela signifie que les Etats concernés, dans ce cas les pays membres de l’Union européenne, utilisent leur droit national comme fondement pour infliger de telles mesures de guerre, pas de guerre militaire directe, mais des mesures de guerre économique contre un autre pays en les justifiant de cette façon. C’est-à-dire que ces mesures sont fondées sur le droit national ou le droit européen. Au niveau du droit international, cela est pourtant vu tout autrement aux Nations Unies. Idris Jazairy, Rapporteur spécial de l’ONU sur l’impact négatif des sanctions, a déclaré que la majorité des Etats membres de l’ONU était contre ces mesures pénales infligées unilatéralement. Cependant, comme ces sanctions sont imposées par des pays occidentaux économiquement et politiquement forts, on ne pouvait pas les en empêcher.

Les forces politiques en Syrie

Quelles sont les forces politiques en Syrie?

A Idlib, le contrôle est essentiellement exercé par les djihadistes, par les guerriers d’Allah, par les islamistes. Pour eux, c’est un dernier territoire de refuge et ils sont en partie en conflit avec d’autres groupes d’opposition islamistes. Il y a beaucoup de luttes internes, et elles augmentent de plus en plus à mesure que le territoire se réduit. Le gouvernement syrien, avec le soutien des forces aériennes russes, tente de faire reculer ces groupes.
Là, il y a un «gouvernement de la rédemption» probablement lié à l’opposition syrienne de l’étranger, la Coalition nationale des forces révolutionnaires et oppositionnelles. Ces forces ont élaboré des plans pour un propre Etat d’Idlib indépendant. Suite aux informations obtenues, je ne pense pas que leur influence sur les djihadistes armés soit si grande. Le front al-Nosra, ayant changé de nom à plusieurs reprises et proche d’Al-Qaïda, est à l’heure actuelle l’organisation la plus forte, les structures de l’opposition politique sont faibles et doivent souvent se subordonner aux unités de combat. A Idlib, les structures d’opposition sont également soutenues par des pays européens, notamment par l’Allemagne mais également par la Grande-Bretagne et la France, cependant moins qu’auparavant. Une grande partie des fonds humanitaires, que l’on appelle d’ailleurs aide pour la stabilisation, arrive bien à Idlib, mais sert en réalité aux djihadistes.

Des fonds publics pour le Front al-Nosra

Vraiment, des fonds gouvernementaux officiels?

Il y a deux ans, la BBC a publié un rapport intéressant. Il y avait ce projet d’une police syrienne libre à Idlib, soutenue par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne avec des fonds publics, des formateurs et des équipements et tout ce qui va avec. L’équipe de la BBC a tenté de documenter le travail de cette police syrienne libre et d’informer à ce sujet. Les journalistes ont bien trouvé certaines des bases mentionnées dans le rapport de gestion. Etant bénéficiaires de l’aide, cette organisation était forcée de montrer ce qu’elle avait fait de cet argent. Les responsables ont donc déclaré qu’il y avait une base ici et une autre là-bas, mais la BBC n’a rien trouvé d’autres que des bâtiments vides, et suite à des recherches supplémentaires, elle a découvert qu’une partie de l’argent, officiellement dédié aux candidats pour la police syrienne libre, a atterri chez Al-Qaïda, chez le front al-Nosra.
Suite à cela, le gouvernement britannique fut contraint de suspendre les paiements et, par conséquent, l’Allemagne a également cessé les paiements en faveur de ce groupe. Ceci fut admis à Berlin à la demande des députés du Bundestag allemand. Même les Etats-Unis ont arrêté leurs livraisons d’aide humanitaire à Idlib parce qu’il s’est avéré que les livraisons d’aide étaient également détournées vers ces unités de combat par le biais d’US-Aid, l’Agence des Etats-Unis pour le développement économique et l’assistance humanitaire dans le monde. Il y a une procédure judiciaire contre certaines personnes accusées d’avoir permis cela. Cela signifie que l’aide a énormément diminué, mais elle existe toujours, par exemple pour des écoles ou des hôpitaux. Il est cependant très difficile de vérifier si l’argent y arrive vraiment, car il s’agit en fait d’une zone de guerre.

Désaccord entre les Kurdes

Dans le nord-est de la Syrie, nous avons les Forces démocratiques syriennes, c’est une association de structures locales arabes dominées et dirigées par les Kurdes syriens, par le Parti de l’union démocratique. Il y a douze organisations kurdes distinctes en Syrie, et toutes ne sont pas de l’avis du Parti de l’union démocratique, toutes ne soutiennent pas son projet de l’autonomie, également appelé «Rojava». Cela signifie «Kurdistan occidental». Certaines de ces organisations kurdes coopèrent avec le Parti de l’union démocratique d’Irak du Nord dirigé par la famille Barsani. D’autres coopèrent en fait avec la Turquie et avec l’opposition islamiste soutenue par la Turquie. D’autres, par contre, sont entièrement orientés vers Damas et se considèrent comme des Syriens d’origine kurde. Par conséquent, les Kurdes ne sont pas non plus d’accord entre eux. Le projet d’autonomie dans le nord de la Syrie est soutenu par l’alliance anti-EI dirigée par les Etats-Unis. Cet engagement n’a pas de mandat de droit international.
Officiellement, 70 Etats font partie de cette alliance, y compris les grands Etats européens, surtout les Etats membres de l’OTAN, dont l’Allemagne. Ils soutiennent les Kurdes syriens et les forces démocratiques syriennes en tant que partenaires au sol. Ce sont pratiquement leurs alliés combattant au sol, tandis qu’eux les soutiennent par des bombardements aériens ou pour la logistique en arrière-plan. Une grande partie de la région échappe au contrôle du gouvernement syrien. L’invasion de la Turquie et le retrait partiel des Américains ont entraîné des déplacements importants et des confrontations militaires.

La Russie a fait une avancée dans la région avec l’armée syrienne, coopérant partiellement avec les Kurdes syriens contre la Turquie et contre ces unités de combat islamistes soutenues par la Turquie. C’est donc une situation très confuse. Les Kurdes syriens, voulant l’autonomie et le fédéralisme, oscillent entre la coopération avec le gouvernement syrien et la coopération avec les Américains. Et on ne sait pas encore, où l’on va.

Des forces d’opposition laïques et religieuses à l’intérieur de la Syrie

Dans le reste du pays, nous avons plusieurs partis d’opposition, ayant cependant beaucoup moins d’influence et d’écoute qu’avant la guerre. A l’époque, il y avait des discussions intensives concernant une nouvelle Constitution, il y avait des groupes de discussion dans diverses villes. Les gens se réunissaient régulièrement pour discuter des réformes politiques, et pendant l’été 2011, il y eut un très grand congrès de l’opposition syrienne à Damas. Mais l’opposition de l’étranger s’est, pour ainsi dire, arrogée le droit de s’exprimer au nom de l’opposition syrienne. Elle a dénigré l’opposition intérieure au pays en tant que marionnettes du régime, et divers pays européens et les Etats-Unis n’ont écouté que l’opposition extérieure et l’ont soutenue financièrement et politiquement.
Mais cette opposition à l’intérieur du pays existe véritablement, certains partis sont également représentés au Parlement. Il y a plusieurs groupes parlementaires communistes, socialistes, puis nasséristes – donc des nationalistes arabes –, et il y a le Parti social nationaliste syrien, le SSNP. Ce parti a été fondé en 1932 et est, à ma connaissance, le plus grand parti d’opposition laïque en Syrie, longtemps interdit, mais à nouveau actif depuis 2003, ayant obtenu beaucoup de soutien pendant la guerre. Elle plaide pour la cohésion du pays, c’est pourquoi ils ont également participé à la direction du Ministère de la réconciliation nationale. Maintenant, c’est une commission, et ils ont attiré un grand nombre de jeunes, car ils ont réellement aidé les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les personnes menacées. Ils ont une approche très pratique, et ce parti est également représenté au Parlement.
Il y a naturellement aussi une opposition religieuse, il y a la Société des Frères musulmans, officiellement interdite en Syrie, jouant néanmoins un rôle important dans le soulèvement armé, en relation avec la Turquie et avec le soutien du Qatar et parfois de l’Arabie saoudite, qui a soutenu le soulèvement plutôt au niveau stratégique que de manière politique ou religieuse. L’Arabie saoudite était intéressée à un affrontement avec l’Iran, et non pas au renforcement des Frères musulmans. Ceux-ci étaient également soutenus par le Hamas palestinien, mais entretemps il a mis un terme à son soutien. Les Frères musulmans sont donc interdits, mais il y a aussi de la sympathie pour cette organisation dans certains milieux sunnites musulmans travaillant dans les secteurs économique et universitaire.
Il y a un ministère des affaires religieuses, où l’on retrouve une forte sympathie pour un islam conservateur et politique. Bien que la confrérie soit interdite, l’islam conservateur a tendance à jouer à nouveau un rôle plus important dans la société. Ce sont des discussions internes difficiles au Parlement, mais aussi au sein de la population, car ce conflit entre une orientation laïque et une orientation religieuse est très ancien en Syrie, tout comme en Irak, en Jordanie, et en Egypte. En fait, cela a toujours été, depuis l’indépendance, un conflit au cours du dernier siècle. La question est la suivante: sommes-nous un pays laïc, ou sommes-nous, parce que la majorité est musulmane, un pays devant être soumis à la charia, où la charia détermine la Constitution? C’est une discussion à nouveau à l’ordre du jour.

La contribution de la Russie au règlement du conflit syrien …

Quel rôle la Russie joue-t-elle dans l’ensemble du conflit?

Depuis la guerre froide, c’est-à-dire depuis les années 1950, la Russie a apporté un soutien économique et militaire à la Syrie, à l’Irak, à la Libye et à l’Egypte et, en tant que partenaire politique, Moscou a également soutenu ces Etats dans le Mouvement des non-alignés. Après la fin de l’Union soviétique, la Syrie n’attira plus autant l’attention, d’autant plus que la Russie devait elle-même se restructurer et se réorienter politiquement. La Syrie elle-même n’a pas non plus tenu compte des changements politiques survenus dans le pays au cours de cette période. Soudainement, l’Union soviétique en tant que puissance protectrice n’existait plus et de nombreuses nouvelles influences et exigences occidentales submergent la Syrie. Le jeune président a libéralisé le système économique, ce qui a, entre autres aspects, entraîné d’énormes bouleversements politiques dans le pays.

… Respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale

Entre-temps, la Russie s’est à nouveau bien stabilisée à l’interne et depuis le début du conflit actuel en Syrie, la Russie a toujours soutenu diplomatiquement le pays au Conseil de sécurité de l’ONU – si nécessaire par son veto. Pour la Russie, la maxime du droit international est toujours valable: l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale du pays doivent être respectées. Les deux sont garanties par le président élu. Si l’on veut un changement dans le pays, cela doit se faire dans un climat de paix et non pas par la guerre ou l’ingérence de l’extérieur.
En 2015, alors que la situation était militairement très, très difficile pour le gouvernement, le président syrien a demandé une aide militaire à la Russie. L’armée russe est donc intervenue dès septembre 2015 et la situation a changé brusquement. L’alliance dirigée par les Etats-Unis est intervenue en septembre 2014, un an plus tôt, mais cela n’a de loin pas eu l’effet qu’a eut l’intervention russe. La coalition anti-EI donnait plutôt l’impression de vouloir empêcher l’armée syrienne de reprendre le contrôle de la vallée de l’Euphrate, à l’est du pays, près de la frontière irakienne. La coalition anti-EI ne possède, comme cela a déjà été dit, ni de mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, ni d’invitation du gouvernement syrien.
Les Américains ont installé dans le pays des bases militaires sans aucun fondement juridique. Les Russes, par contre, ont tout réglé très précisément dans des accords avec Damas. Ils ont coopéré militairement avec l’Iran, l’Irak et la Syrie et ont créé un centre consultatif militaire permanent à Bagdad, ce qui les a rendus très efficaces sur le plan militaire. La Russie a ensuite conclu des accords avec la Syrie concernant deux bases militaires, une base aérienne à Lattaquié et une base navale à Tartous pour une durée de 49 ans. Cela signifie que la présence des Russes en Syrie est durablement établie.

La Russie en tant que nouvelle force de l’ordre …

Dans toute la région, la Russie joue de plus en plus le rôle d’une nouvelle force de maintien de l’ordre. Dès le début, les Russes sont en contact avec toutes les parties. Ils ont toujours parlé avec l’opposition ainsi qu’avec tous les acteurs étatiques et non étatiques. En Syrie, ils ont créé un centre russe de réconciliation entre les parties ennemies, et ce centre fonctionne sans couverture médiatique. Ils publient régulièrement un bulletin dans lequel ils décrivent ce qu’ils ont fait. Leur tâche principale – et ils ont réussi – était de persuader les troupes de combat de négocier avec eux et de déposer leurs armes. Pour cela, il était par exemple nécessaire de séparer les troupes de combat locales des troupes de combat islamistes étrangères, car elles poursuivaient des intérêts différents. Au cours d’un processus très laborieux et persistant, ils ont réussi à limiter ou à terminer les combats.

… et le Processus de paix d’Astana

Le Processus de paix d’Astana est également issu de cet engagement. Les efforts déployés par la Russie pour mettre fin aux combats ont constitué une sorte de travail préliminaire et ont également fourni des données importantes. Les contacts établis sur le terrain ont été transférés à un niveau supérieur dans le cadre des négociations d’Astana.
Il va de soi que la Russie a également des intérêts économiques. Les Russes envisagent de faire de la Syrie une sorte de point de transbordement pour le blé qu’ils exportent vers les pays arabes. Il est prévu de créer un tel centre de transbordement en Syrie, dont le pays pourrait également bénéficier. L’aéroport de Damas doit être développé en un grand aéroport régional servant de plaque tournante et d’aéroport de distribution entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Il existe des accords selon lesquels la Russie reconstruirait les installations pétrolières et la production de gaz naturel de la Syrie. Beaucoup de choses ont été détruites – par les Etats-Unis, par l’alliance anti-EI, et également par d’autres combattants. Dans l’est du pays, de vastes zones sont contaminées par le pétrole. Il y a donc beaucoup à faire en Syrie et la Russie doit fournir un savoir-faire technique. Puis, il existe d’importants gisements de gaz au large de la côte syrienne, dans la Méditerranée orientale. Leur exploration et l’extraction seront probablement également soutenues par la Russie. Ce sont des choses en vue, mais pas encore mises en œuvre.

La paix est possible si l’Occident apprend de son histoire

Quel espoir y a-t-il pour la Syrie?

Une guerre prend fin quand un acteur ou une alliance capitule. Cela serait possible en Syrie, si les Syriens étaient seuls impliqués dans le conflit. Il serait alors possible – à l’aide d’une médiation – de négocier avec les islamistes et les Kurdes syriens qui désirent davantage de droits. Les prisonniers pourraient être amnistiés et libérés. On pourrait s’approcher à nouveau les uns des autres au sein de la société, se réconcilier, les réfugiés pourraient rentrer et participer à la reconstruction du pays.
Mais la situation ne se présente pas ainsi. Il y a un tel nombre d’acteurs régionaux et internationaux dans cette guerre, n’ayant tous pas encore atteint tous leurs objectifs. Prenons les trois puissances européennes que sont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Elles se concurrencent pour savoir qui peut exercer son influence spécifique dans la région et, avec les sanctions économiques unilatérales contre la Syrie, elles forcent l’ensemble de l’UE à se soumettre à leurs ambitions politiques de pouvoir. L’UE ne voit en la Syrie qu’un pas vers la grande confrontation au Moyen-Orient, contre l’Iran. La question du rôle que la Turquie jouera à l’avenir, en cas d’une guerre entre Israël et ses voisins arabes et l’Iran, reste ouverte.
La Syrie et l’Irak sont historiquement le «Croissant fertile» de la région. Il y a de l’eau, la diversité ethnique et religieuse des populations a créé une culture particulière de tolérance existant depuis des siècles – même lors de conflits. Les deux pays forment le pont entre la Méditerranée orientale et le golfe Persique, ils font partie intégrale de la route de la soie historique et également de la nouvelle route de la soie prévue par la Chine. Tout cela offre de grandes possibilités de coopération politique, culturelle et économique dans la région. Ces pays pourraient s’épanouir grâce à leurs ressources naturelles encore riches, à leur expérience historique et à leur savoir-faire artisanal.
Cependant, ni la politique en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne, ni aux Etats-Unis ne vont dans ce sens. Les anciens réflexes coloniaux sont encore vivants, ils veulent diviser et contrôler la région et la Syrie. L’alliance militaire occidentale, l’OTAN, vient de définir la Russie et la Chine – luttant pour un ordre mondial multipolaire en coopération avec les pays du Moyen-Orient – comme adversaires. L’Occident ne promeut pas la coopération avec et dans la région du Moyen-Orient, mais la confrontation. Il y a un peu plus de 100 ans, cela a conduit à la Première Guerre mondiale, coûtant la vie à des millions de personnes en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie de l’Est et dévastant leurs pays. Il semble que l’Occident n’ait rien appris de son histoire.    •

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