L’autre face de la médaille

L’autre face de la médaille

Votation populaire fédérale du 10 février 2019

Avenant à l’initiative contre le mitage

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

L’initiative a été lancée parce que, selon l’avis des auteurs, l’actuel aménagement du territoire suisse n’est pas suffisamment efficace (cf. Horizons et débats no 2 du 21/1/19). Cependant, quiconque enquête sur la question tombe sur une politique d’habitation centralisée durant depuis de longues années transformant le pays de telle sorte que les citoyens sont enclins à dire: ça suffit! Stop! Peut-être vous vous souvenez des «espaces métropolitains» introduits par la Berne fédérale au tournant du millénaire selon le modèle de l’UE. Sur cette base, la Confédération poursuit sa coûteuse politique territoriale favorisant les agglomérations, donc la concentration régionale des commerces et de l’industrie dans les «zones urbaines» – pour ainsi dire en contrepartie aux «parcs naturels» implantés par le haut dans les «zones rurales». Tous les deux ont en commun de briser la souveraineté cantonale par la création de «régions» correspondant mieux aux temps modernes que la coopération entre les cantons indépendamment de la Confédération. Tous les deux influencent négativement la politique territoriale par l’appât de subventions de plusieurs millions de francs, ne servant pas seulement au désir de l’utilisation à bon escient des terrains à bâtir, mais à l’affaiblissement de l’aménagement territorial indépendant des cantons autrefois souverains et des communes autonomes. Il est conseillé de réfléchir à cet autre revers de la médaille avant de décider des prochaines étapes pour l’aménagement du territoire.

Une des principales raisons de la réussite économique de la Suisse – outre le droit des citoyens à prendre des décisions dans un système de démocratie directe – est la structure décentralisée de notre économie et la flexibilité qui en découle. Contrairement à beaucoup d’autres pays, l’industrie et le commerce n’ont jamais été concentrés exclusivement dans les villes. A partir du XIXe siècle, des fabriques de textile et plus tard des entreprises de construction mécanique et électrique se sont également installées dans de nombreux villages suisses. C’est d’autant plus vrai pour le commerce et le secteur des services: 99% des entreprises suisses sont encore des Petites et moyennes entreprises (PME) ancrées et opérant principalement à proximité immédiate de leur commune. Non seulement elles paient leurs impôts (outre les taxes pour la Confédération et le canton) dans les caisses communales, mais les cadres et les employés sont souvent actifs dans la vie associative et politique de la Commune. Par conséquent, la performance économique par habitant dans les zones urbaines et rurales est relativement équilibrée et la population des villes et de la campagne se rencontrent généralement sur un pied d’égalité.

Politique d’agglomération: concentration de l’économie dans «l’espace urbain»

L’exemple actuel de «Wil» [ville de 25 000 habitants au canton de Saint-Gall, ndt.] montre clairement que ce sont de moins en moins les cantons et les communes qui façonnent aujourd’hui la politique de la construction et la politique économique, mais plutôt les organisations suprarégionales nouvellement créées qui définissent leurs projets prioritairement de manière à obtenir des fonds fédéraux généreusement versés. Dans la «Régio Wil», par exemple, il y a des représentants de 22 communes des cantons de Thurgovie et de Saint-Gall ainsi que du monde des affaires, et la directrice de l’agence est également directrice du projet «Wil Ouest».
Entre 2023 et 2038 (!), ce gigantesque espace de 158 000 mètres carrés, où se trouvent actuellement des prés et des champs, sera recouvert de constructions à usages commerciaux, industriels et de services et créera jusqu’à 3000 emplois. Les travaux d’avant-projet s’élèvent à eux seuls à 1,45 millions de francs, un nouvel accès à l’autoroute sera construit pour 16,3 millions. Le coût total des infrastructures est estimé à 132 millions de francs (<link www.wilwest.ch projekt daten-fakten>www.wilwest.ch/projekt/daten-fakten/). L’attrait principal: la Confédération contribuera à hauteur de 37 millions de francs au programme d’agglomération de Wil.

Restrictions à l’autonomie communale et désavantages pour les entreprises locales

«Avec la réalisation de Wil Ouest, les deux cantons de Thurgovie et de Saint-Gall envoient un signal décisif pour le renforcement et le positionnement économique à long terme de toute la région. En même temps, la concentration de nouvelles implantations et de l’expansion des entreprises locales existantes dans une zone centrale contrecarreront le mitage du paysage dans les communes.» (<link www.wilwest.ch wil-west vorhaben>www.wilwest.ch/wil-west/vorhaben/)
Ça a l’air bien. En y regardant de plus près, cependant, les principaux inconvénients d’un projet d’une telle envergure deviennent évidents. Tout d’abord, seuls 103 000 des 158 000 mètres carrés du site sont situés dans la zone à bâtir. Il faudra donc agrandir la zone à bâtir – ce qui n’est pas dans le sens d’un aménagement du territoire durable. Etant donné que le nombre de places souhaité par les entreprises de la région et les nouvelles implantations reste inconnu, on pourrait en fait se limiter à la zone à bâtir déjà définie.
Deuxièmement, les communes de la région indirectement concernées seront désavantagées suite à la création de ces nouveaux terrains à bâtir commerciaux créés à Wil Ouest: pour une entreprise ancrée dans le village, le canton ne lui offrira, le cas échéant, pas de nouveau terrain à bâtir, étant donné que Wil Ouest aura obtenu toutes les surfaces restantes. C’est ce qui s’est passé à Oberuzwil, où une petite entreprise de huit employés a été licenciée par le propriétaire du bâtiment et a donc cherché un autre endroit pour construire un nouveau hall de fabrication. Bien que le propriétaire de l’entreprise désire rester dans le village à la grande joie du conseil municipal, il y a peu d’espoir. Il n’y a plus de réserves de terrains à bâtir dans la commune et la direction de Regio Wil n’est guère intéressée d’accepter une nouvelle zone à bâtir en dehors du site de Wil Ouest («Wiler Zeitung» du 22/1/19). La commune risque donc de perdre un contribuable et huit emplois.
Troisièmement, une planification centraliste ne correspond tout simplement pas à l’économie organisée de manière décentralisée de la Suisse. On ne peut pas recommander à cette entreprise d’Oberuzwil d’aller s’installer à Wil Ouest, car il a ses clients habituels dans son village et dans ceux des alentours. Ailleurs, il devrait tout recommencer à zéro. D’un point de vue écologique, il est plus judicieux pour les clients de vivre à proximité d’une entreprise – les trajets sont courts.

D’où la Confédération prend-elle ces 37 millions?

Pour les projets d’agglomération et les parcs naturels, la Confédération puise dans l’ancien Fonds d’aide à l’investissement. De 1974 à 2008, la Confédération et les cantons ont versé des contributions régulières dans cette caisse, de sorte qu’un capital d’environ 1,5 milliards de francs était disponible.
Le fonds a soutenu les communes de montagne financièrement faibles dans leurs tâches d’infrastructures coûteuses (par exemple des routes de montagne, des paravalanches), mais pas à fonds perdu, comme c’est l’usage aujourd’hui. Au contraire, les communes recevaient des prêts à long terme (30 ans) remboursables sans intérêt. Presque tous les prêts ont été remboursés par les communes permettant de faire des prêts à d’autres communes (en tout 1222!). «C’était un exemple du principe fédéraliste de subsidiarité et de solidarité», précise Wikipédia concernant la Loi fédérale sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM) du 21/3/1997.
Avec l’entrée en vigueur de la Nouvelle politique régionale (NRP) – dans le style de la politique régionale de l’UE – la LIM fut supprimée le 1er janvier 2008. Le montant de 1,5 milliards de francs ne servira plus qu’à des projets régionaux sélectionnés par l’administration fédérale, tels que des parcs naturels et des programmes d’agglomération. Les communes de montagne doivent depuis lors se débrouiller elles-mêmes. Beaucoup remboursent actuellement encore leurs prêts précédents et remplissent ainsi la caisse. Au Tessin, en Valais, dans le canton de Glaris et dans les Grisons, des vallées entières ont fusionné pour former des communes uniques moins bien ancrées dans la population, mais prétendument «plus efficace», c’est-à-dire avec une gestion meilleur marché. Comme cela s’est avéré depuis longtemps, ce n’est pas la réalité: les petites communes sont toujours plus économiques. Il est décevant que l’argent destiné à l’origine aux régions de montagne avec les charges financières les plus pesantes soit attribué, aujourd’hui, aux parcs naturels et aux grandes zones commerciales.    •

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