Le syndrome d’adaptation conduit-il à l’obéissance selon le courant dominant?

Le syndrome d’adaptation conduit-il à l’obéissance selon le courant dominant?

par Marita Koch

Pourquoi beaucoup de gens hésitent-ils à donner leur opinion quand elle est contraire au courant dominant? Pourquoi gardons-nous le silence parmi nos amis et collègues lorsque nous ne sommes pas du même avis? Parmi de nombreuses autres suggestions, Alain Guggenbühl propose, dans son livre intitulé «Pour mon enfant seulement le meilleur», des réflexions intéressantes également sur cette question. Il transfère le terme du syndrome d’adaptation de la recherche sur le stress à l’actuelle réalité éducative pour expliquer certains aspects de l’éducation à la libre expression d’opinion.

Le «syndrome d’adaptation»

Guggenbühl traite le «syndrome d’adaptation» depuis ses formes naturelles et nécessaires jusqu’à ses aspects problématiques, y compris chez les adultes. L’adaptation, dit-il, est en principe vitale. L’empathie est la capacité de comprendre l’autre intuitivement. L’enfant apprend à comprendre les personnes qui s’occupent de lui, à reconnaître ce que les parents attendent de lui. Au début, il n’agit pas sur la base de considérations objectives et d’une réflexion rationnelle, mais s’adapte aux attentes des parents parce qu’il les aime, parce qu’il apprend d’eux comment vivre, parce qu’il veut être en harmonie avec eux. Il devient ainsi un membre constructif de la famille, de la communauté.
L’auteur explique que les enfants développent parfois aussi des stratégies pour influencer les parents, pour atteindre certains objectifs telles l’attention ou la reconnaissance. Ils savent ce que leurs parents aiment entendre, alors «ils les caressent dans le sens du poil».1 «L’autre face de l’empathie est la tromperie», explique Guggenbühl. «Les enfants malins savent intuitivement quels mots utiliser, quel comportement montrer pour s’affirmer face aux adultes.»2
De nombreux parents, écrit Guggenbühl, ne remarquent pas les duperies de leurs enfants, ils éliminent tous les obstacles se trouvant sur leur chemin. Selon l’auteur, il y a pourtant un correctif dans les familles: la dispute. Alors beaucoup de non-dits apparaissent sur la table, «les masques tombent».3 Dans la famille, de telles disputes ne sont pas dangereuses. Etant donné que les parents et les enfants sont étroitement liés, on se retrouve à nouveau.
Cela est plus problématique à l’école. Ici, on risque d’être confronté à des avertissements, des remarques dans le bulletin, une exclusion temporelle ou un diagnostic accompagné d’invitation à faire une thérapie. Dans ce contexte, Guggenbühl n’aborde pas la manière dont l’école traite de tels problèmes, mais décrit brièvement les mesures habituelles.

«Si quelqu’un se trouve dans le syndrome d’adaptation, son horizon et sa manière de penser sont limités. Des réflexions autonomes et des conclusions inhabituelles ne sont plus possibles.»

Aspects problématiques du syndrome d’adaptation

Il va de soi que nous avons également besoin d’empathie en tant qu’adultes pour façonner des communautés de manière harmonieuse. Mais cela devient problématique lorsque nous ne parvenons pas à sortir du syndrome d’adaptation même quand nous sommes appelés, en tant qu’acteur, à résoudre des problèmes factuels, que ce soit sur le lieu de travail, dans la commune, dans une association, ou au sein de l’Etat; lorsque nous ne sommes pas capables de participer de manière autonome et courageuse, selon des considérations rationnelles, dans les multiples domaines de notre vie quotidienne; lorsque nous parlons pour le bien de l’harmonie ou pour ne pas heurter autrui, pour ne pas provoquer une querelle, seulement pour plaire aux autres ou pour rester silencieux. Guggenbühl décrit très clairement la situation sur de nombreux lieux de travail: «On fait semblant d’être tous égaux, un ton jovial est cultivé et les hiérarchies sont maintenues au niveau horizontal, le patron tutoie tous les collaborateurs, porte un toast lors de l’apéritif sur les jours fériés et parle jovialement de choses apparemment privées, des enfants, des vacances et des passe-temps. Cependant, personne ne sait comment il prend ses décisions et comment il évalue ses propres performances. Quand on ne sait pas clairement où est le pouvoir et qui le détient, l’adaptation forcée peut en être le résultat. On se soumet à la culture de l’entreprise par crainte de faire une erreur et de mettre en danger sa propre position. On passe soigneusement en revue les sujets en vogue et la façon dont il faut se comporter face à des décideurs potentiels. Souvent, les titulaires de postes supérieurs ne se rendent pas compte que leurs subordonnés ont un masque et qu’ils vivent eux-mêmes dans une bulle. Les employés rient chaleureusement de leurs blagues, font l’éloge de leurs idées et sont très cool. En réalité, ils sont sur leurs gardes. Ce qu’ils pensent réellement du travail, de l’entreprise ou de leurs patrons, ils n’osent pas le dire.»4
Qui n’a pas plusieurs situations de ce genre en tête? Un exemple: la situation dans de nombreuses salles des professeurs avant le vote sur le Plan d’études 21 était intraitable: on avait vite réalisé que toute critique était malvenue ou même expressément interdite. Se mettre en contradiction dans une telle situation exige un courage héroïque et n’était peut-être pas toujours très sensé. Le résultat: sans discussion et sans critique, on est forcé de se soumettre à une série interminable de «séances d’information» et de cours de formation continue. Lorsque le syndrome d’adaptation prévaut, «l’hypocrisie est coutume et la prudence est de mise».5
Outre le fait que de tels processus sont indignes d’une communauté de professionnels adultes et affaiblissent toutes les personnes impliquées, la discussion nécessaire et urgente sur le sujet ne peut avoir lieu. «La direction scolaire ne saura pas que les collaborateurs sont critiques envers les réformes.»6
Bien sûr, de tels processus ne sont pas seulement le résultat d’un «syndrome d’adaptation» anxieux des employés, mais souvent des supérieurs hiérarchiques ou «l’opinion dominante» exigent la soumission. «Plus l’établissement a de renommée, plus les opinions politiquement correctes sont les seules admises: Quiconque met en doute l’honnêteté du mouvement #MeToo, s’interroge sur les causes du changement climatique, parle de clochards, utilise le mot étudiants au lieu d’étudiant.e.s se rend suspect.»7

«Plus l’établissement a de renommée, plus les opinions politiquement correctes sont les seules admises: Quiconque met en doute l’honnêteté du mouvement #MeToo, s’interroge sur les causes du changement climatique, parle de clochards, utilise le mot étudiants au lieu d’étudiant.e.s se rend suspect.»

Attention: flatteries piégeuses!

Les flatteries constituent une expression de ce syndrome d’adaptation parfois difficile à déceler et encore plus difficile à casser. «Si le syndrome d’adaptation domine dans un groupe, alors la discussion de bien-être risque de devenir la norme. Lors de séances, de pauses ou même pendant le travail, le contenu de la communication se réduit à des compliments et des approbations réciproques sur le travail bien fait et la gentillesse. Dans le cas extrême, une culture de flatterie apparaît, rapidement insupportable pour autrui. Les compliments font partie de la stratégie pour éviter toute controverse. […] Les compliments sont des fumigènes pour empêcher d’éventuelles contradictions. Un enthousiasme artificiel et un feedback positif neutralisent les conflits. […] Tous prennent bien soin, de ne pas quitter le courant dominant.»8 J’aimerais aussi ajouter ici l’admiration. Parfois une ou plusieurs personnes d’un corps enseignant, d’une entreprise, d’une association, d’un groupe quelconque font l’objet d’une admiration démesurée. Cela mène à ce que l’on attend tout de ces personnes admirées, chaque mot est correct, chaque jugement ou estimation est sacro-sainte. Un tel syndrome d’adaptation signifie la mort de toute discussion factuelle et d’un développement de nouvelles idées, il empêche que d’importants aspects critiques soient pris en compte et discutés. «Si quelqu’un se trouve dans le syndrome d’adaptation, son horizon et sa manière de penser sont limités. Des réflexions autonomes et des conclusions inhabituelles ne sont plus possibles.»9
Nous ne pouvons pas suffisamment estimer les conséquences problématiques, voire dangereuses, du syndrome d’adaptation. Des réformes scolaires et universitaires acceptées sans aucune discussion10 conduisant à une catastrophe de l’éducation dont il n’est guère possible de prévoir la dimension. Des communes s’endettent souvent suite à des constructions prestigieuses, de préférence des salles de sport double ou triple, car là aussi, on n’ose pas remettre en question les projets. En économie, le syndrome d’adaptation mène à des erreurs de gestion comme celles qui ont occasionné la faillite de Swissair ou celles qui ont conduit à 300 millions de francs de dommages à la suite de la mauvaise gestion de Pierin Vincenz à la banque Raiffeisen. De nombreux responsables ont soutenu dans une obéissance trop précipitée, tout ce qu’il voulait.11 Si l’on poursuit notre réflexion, nous voyons que ce syndrome d’adaptation contribue également aux guerres. C’est pourquoi, il faut se poser d’urgence les questions suivantes: comment peut-on s’en sortir? Et quelles alternatives existe-t-il? Est-ce la dispute, comme Guggenbühl le propose en tant que solution pour les familles? Comment pourrait se présenter une discussion constructive dans une société civile, dans laquelle on peut se retrouver? La Suisse a en fait développé de bonnes approches.

«J’ai parlé»

Dans une Assemblée communale, tout un chacun a droit au chapitre. Il s’exprime sur des faits à débattre, sans cibler une personne et sans être lui-même diffamé par d’autres. On parle de telle manière qu’après les débats et la votation, on peut encore se regarder dans les yeux et on respecte l’adversaire même si l’on a une tout autre opinion que lui. Ne pourrions-nous pas renouer avec ce principe et redévelopper une nouvelle conscience civile à tous les niveaux? Dans ce contexte, les Gilets jaunes m’impressionnent, comme Diana Johnstone les décrit à la page 3 de cette édition: ils ne se laissent pas attraper avec des appâts de pacotille, ne tombent pas dans le piège d’«offres de communication» douteuses, ils tiennent à leur référendum d’initiative citoyenne. Ils n’ont apparemment pas de leader, qui leur dicte ce qu’il faut penser et pas d’évangile qu’ils suivent sans réfléchir. Leur modération est impressionnante: Selon Mme Johnstone, ils ne se comportent pas de manière violente, ils restent persévérants dans leurs revendications et leur présence. Ils réclament, ce qui revient à tout citoyen du XXIe siècle: pouvoir déterminer lui-même de manière démocratique de sa vie et de ce qui se passe dans son pays.
Au niveau pédagogique, il faut aussi réfléchir: comment des enfants et des adolescents peuvent-ils devenir «citoyens», sans persister dans un syndrome d’adaptation problématique? Un aspect primordial consiste très certainement à les prendre au sérieux et à discuter avec eux consciencieusement des questions du vivre-ensemble. Il faut les empêcher de s’habituer aux stratégies de communication manipulatrices. Guggenbühl précise entre autre: «Le danger menace paradoxalement lors de Settings qui délèguent la responsabilité du processus de l’apprentissage aux enfants et adolescents. […] Du point de vue de l’enfant, il s’agit ici d’un coup machiavélique. Ils [les enfants et adolescents] savent exactement que le fait de commander appartient aux adultes, qui décident du vrai et du faux et qui évaluent leurs performances. […] C’est pourquoi, de nombreux enfants et adolescents se branchent sur le syndrome d’adaptation et renoncent à exprimer des critiques. […] On achève ses tâches sans s’approfondir dans le contenu, on se limite à remplir les attentes espérées.»12
Cela est quasi-identique lorsqu’on dit aux adultes: «Votre opinion nous est primordiale.»13 Alors qu’en vérité chacun sait qu’il est dangereux d’exprimer des avis contraires.
La tâche n’est pas résolue: Que veut dire au prendre sérieux les enfants et adolescents?    •

1    Guggenbühl, Alain. Für mein Kind nur das Beste. 2018, p. 89
2    idem. p. 89
3    idem. p 91
4    idem. p 93s.
5    idem. p 94
6    idem. p 94
7    idem. p. 96
8    idem. p. 99s.
9    idem. p. 100
10    Naturellement, il y a eu et il y a toujours des citoyens clairvoyants et droit dans leur bottes insistant sur leur droit à exprimer leur points de vue et souvent actifs par exemple dans des comités d’initiatives.
11    Charlotte Jaquemart, chroniqueuse économique à la Radio suisse alémanique SRF, donne dans une étude la conclusion suivante: le rapport Gehrig est également dévastateur pour l’ancien Président du conseil d’administration Johannes Rüegg-Stürm: sans que le nom de ce professeur saint-gallois et spécialiste de la Corporate Governance soit mentionné, il est clair que le Conseil d’administration sous sa direction n’a jamais surveillé Pierin Vincenz. Le Conseil d’administration a également manqué de solidifier la banque au moyen de mesures organisationnelles et de directives correspondantes pour tous les achats complémentaires. Tous les approbateurs de la direction sont également coupables de la débâcle onéreuse de Raiffeisen – y compris l’ancien directeur exécutif Patrik Gisel – qui n’ont tous pas réussi à s’opposer à Pierin Vincenz. Dans leur obéissance aveugle, les collaborateurs savaient qu’ils devaient accomplir l’unique volonté de M. Vincenz. In: Raiffeisen-Untersuchung. Ein vernichtendes Fazit. 22.1.2019
12    idem. p 97
13    Guggenbühl, Allan. In: Einspruch 2, 2019, p. 47

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