Une Europe fédérale, diversifiée, constitutionnelle et démocratique

Une Europe fédérale, diversifiée, constitutionnelle et démocratique

L’alternative à l’«Appel aux Européens» de Macron

par Heinrich Wohlmeyer

Le 5 mars, le quotidien viennois «Die Presse» a publié sans commentaire l’«Appel aux Européens» d’Emmanuel Macron, quasiment sous forme de directive pour les élections européennes. Une seule lettre de lecteur a critiqué la proposition de la création d’une «Agence européenne de protection des démocraties».
Une réflexion critique plus large semble nécessaire.

Macron ne touche pas à l’ordre financier international

Primo: la lettre de Macron aux Européens ressemble à une demande intensive de soutien des gouvernements européens, car les problèmes internes le rattrapent (cf. Gilets jaunes).
Secondo: Macron ne touche dans aucune phrase à l’ordre financier internationale dont il est lui-même l’enfant. Mais cela, avec la politique commerciale actuelle, est l’une des causes centrales de l’appauvrissement croissant d’une grande partie de la population (perte d’emplois, de bons salaires et de pensions suffisantes). Bien qu’il apostrophe les «crises du capitalisme financier», il ne remet pas en cause le système auquel il doit son essor.

Pas un mot sur la démocratie directe

Passons maintenant aux arguments et aux propositions:
Son objectif central est de «réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation dans un monde qui se transforme.» Les points centraux sont «la liberté, la protection et le progrès». Ce faisant, il tente de répondre aux préoccupations et aux craintes des citoyens. Mais il ne dit pas un mot sur la démocratie directe pour donner une voix aux citoyens inquiets.
On pourrait demander cyniquement: «Progrès dans quelle direction?» (en marche …), protection envers qui? (La Russie, dont le budget militaire ne représente qu’un peu plus d’un cinquième de celui des Etats européens de l’OTAN et qui n’a aucune velléité agressive? Liberté par la mise en place d’une autorité de contrôle politique appelée «Agence européenne de protection des démocraties»? Cette dernière peut plutôt être assignée à la dictature d’opinion dans le costume du politiquement correct.

La France n’est pas une puissance de paix

La revendication d’un pouvoir international se fait avec vigueur («L’Europe n’est pas une puissance de second rang». – «L’Europe entière est une avant-garde»), et pour cela nous devons nous armer «en lien avec l’OTAN». Mais en même temps, le «projet inédit de paix» est invoqué. Dans ce contexte, ceux qui connaissent un peu l’histoire récente se demandent pourquoi la France utilise toujours et encore la Légion étrangère comme force d’intervention à l’étranger. Pourquoi l’utilise-elle encore pour les différents changements de régime en Afrique francophone? Pourquoi la France maintient-elle un coûteux programme d’armes nucléaires? Pourquoi garde-elle les territoires d’outre-mer de l’époque coloniale, dont la gestion est déficitaire? Pourquoi est-elle intervenue en Libye et en Syrie, interventions pour lesquelles nous payons tous le prix? N’est-ce pas une sorte de mégalomanie inappropriée?

Les perspectives pour l’Europe sont différentes

En tant qu’Européens, ne devrions-nous pas enfin reconnaître que toute l’UE ne représente que 6,3% de la population mondiale (4,5% dans la zone euro)?!
En réalité, nous pourrions jouer dans le monde un rôle similaire à celui des anciens Grecs dans l’Empire romain, et même en ayant perdu le pouvoir politique être un modèle apprécié dans les domaines de la pensée et de la culture (souvenez-vous que les Evangiles furent écrits en grec … et que la bibliothèque d’Hadrien se trouve à Athènes …).
L’objectif ne peut être une bouillie uniforme, mais la diversité et sa délicieuse beauté. Une «Europe des patries», comme l’appelait Charles de Gaulle, devrait être notre idéal.
Où demeure la vision inspirante d’une Europe enthousiasmant les jeunes, prenant appui sur ses racines judéo-chrétiennes, grecques et latines, fière de ses philosophes et de ses spécialistes du droit et de l’Etat, de sa musique polyphonique, de ses poètes, de ses scientifiques et de ses techniciens, et qui est un modèle pour le monde entier dans sa construction constitutionnelle et démocratique de la société? Où est la vision d’une Europe offrant patrie et identification fondée sur une culture commune définie par l’unité dans la diversité (in necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas – unité dans le besoin, liberté dans le doute, mais amour partout)?

Le carcan des traités économiques et l’euro

Selon le courant politique dominant, Macron veut imposer les trois libertés (personnes, marchandises, capital) à la diversité de l’Europe, mais la vie quotidienne légale des citoyens (jusqu’aux règles successorales et au registre foncier commun) n’est pas concerné. Au lieu de cela, on impose des systèmes juridiques supplémentaires dotés d’une compétence juridictionnelle sous la forme de contrats commerciaux internationaux «inclusifs».
En outre, il y a «l’Euro, qui est une force pour toute l’Union». La réalité, cependant, est que le corset de l’euro, au lieu de permettre une dévaluation extérieure (taux de change), force à la «dévaluation intérieure». Avec sa propre monnaie, les désavantages concurrentiels (y compris ceux fondés sur un «style de vie moins strict») pouvaient être largement compensés. Maintenant, les salaires et les traitements, les prestations sociales et les autres dépenses publiques doivent pâtir. Pensons à la Grèce et aux Gilets jaunes. A cela s’ajoutent l’avalanche d’argent de l’«assouplissement quantitatif» de la BCE (plus de 4 billions d’euros à ce jour) – dont on parle rarement – et les engagements pratiquement illimités au titre de l’EFSM et de l’EMS.
Le passage de «ces milliers de projets du quotidien ayant changé le paysage de nos territoires» est particulièrement piquant. Les régions périphériques abandonnées, d’où provient une bonne partie des Gilets jaunes, sont un avertissement (réduire le financement des infrastructures décentralisées, bien que l’avenir au niveau énergétique, écologique, social et économique doive se construire sur le fondement de la décentralisation et de la mise en réseau intelligente).
Comme chacun le sait, Macron voit un autre «renforcement» dans une union bancaire et un système européen d’assurance chômage, équivalant à demander de l’argent liquide aux pays disposant d’une bonne économie.

Le traité de l’UE bouleverse la tradition démocratique

La «Constitution» de l’UE (Traité sur l’Union européenne et Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) bouleverse la tradition juridique et démocratique européenne, car la juridiction se base sur l’exécutif réuni, le Parlement n’a que des droits d’intervention réduits et la Commission peut éliminer les résistances par le biais d’une Cour de justice sous influence politique. Macron en prend connaissance de manière bienveillante et se montre assez surpris lorsque les citoyens se dressent contre ce jeu des élites à leur frais. Puis il se permet de blâmer ces citoyens en parlant de «mensonge et d’irresponsabilité» parce qu’ils mettent en danger le «projet Europe».
Les revendications visant à rassurer les citoyens et citoyennes en faveur d’un système paneuropéen de sécurité sociale de base, de salaires égaux et d’un salaire minimum demandent une garantie commerciale et financière; mais cet aspect est évincé. Sans cela, ce sont des pilules sédatives.

Des alternatives sont à l’étude

J’ai donc voulu envoyer mon «manifeste de sortie» traduit en huit langues au Président Macron. Officiellement, la communication est contrôlée par sa femme. Cela peut également représenter une des raisons de la politique déconnectée de Macron.
L’un des derniers chapitres de mon livre «Empörung in Europa – Wege aus der Krise» [Indignation en Europe: une issue à la crise] (Ibera University Press, Vienne 2014) est intitulé: «S’engager pour une Europe comme ‹Lumière pour le monde› – fédérale, diversifiée, constitutionnelle et démocratique, tolérante, solidaire, instruite et surtout respectant la dignité de la personne et réalisant les droits de l’homme.»
La condition préalable n’est non seulement de se détacher des anciennes revendications du pouvoir, mais surtout de remodeler l’ordre financier et commercial actuel – même contre la résistance de l’hégémon étatsunien voué à la disparition – pour assurer la base économique de cette vision. Ce dernier point sera difficile pour Emmanuel Macron, car cela ira à l’encontre des intérêts de ses promoteurs (décideurs).     •

(Traduction Horizons et débats)

Heinrich Wohlmeyer est né en 1936 à Sankt Pölten en Basse-Autriche. Etudes à Vienne, à Londres et aux Etats-Unis. Il a été pendant 20 ans cadre dans l’industrie et la recherche autrichiennes et développeur régional. Il a participé à la création des concepts de développement durable et a fondé l’Union autrichienne pour la recherche scientifique agricole et les sciences de la vie et la Société autrichienne pour la biotechnologie. Heinrich Wohlmeyer a enseigné à l’Université technique et l’Université des ressources naturelles de Vienne. Il est à l’origine de la législation autrichienne sur les taxations de compensation et a rédigé de nombreux articles d’économie politique, entre autres sur les projets du CETA, du TiSA et du TTIP. Wohlmeyer exploite aujourd’hui une ferme de montagne à Lilienfeld (Autriche). Il est marié, a trois filles et cinq petits-enfants.

Livres: «The WTO, Agriculture and Sustainable Development» (2002); «Globales Schafe scheren – Gegen die Politik des Niedergangs» (2006); «Empörung in Europa – Wege aus der Krise» (2012)

Résolution du «Forum pour la démocratie directe» concernant le débat sur l’Accord-cadre Suisse – UE

Le «Forum pour la démocratie directe» salue le fait que, pour la première fois depuis bien des années, de nombreuses voix importantes de la gauche remettent en question de manière critique la politique européenne. Pendant trop longtemps, les critiques envers l’UE n’émanaient que de la droite politique, notamment à l’UDC.
Le «Forum pour la démocratie directe» soutient tous les efforts visant à établir des relations réglementées et à long terme avec l’UE. Les accords contractuels doivent toutefois s’inscrire dans le cadre du droit international. En tant que pays non membre de l’UE, la Suisse ne peut se soumettre au droit de l’Union. Le «Forum pour la démocratie directe» rejette donc toute obligation de reprise automatique, ou nouvellement «dynamique», du droit de l’UE. Chaque reprise du droit communautaire doit, comme actuellement, être décidée par les autorités suisses compétentes et être soumise à un éventuel référendum.
Un futur accord-cadre doit empêcher tout dumping salarial et écologique. A cet égard, le présent projet, pour autant qu’il soit connu, laisse de nombreuses questions sans réponse. Comment la protection des salaires est-elle contrôlée, quelles exigences écologiques sont encore autorisées pour l’attribution du travail et des contrats, par exemple, pour réduire le nombre des trajets de camions?
Une autre préoccupation très importante pour le «Forum pour la démocratie directe» est la non-implication de la Suisse dans la militarisation actuelle de l’UE. L’armée suisse ne doit en aucun cas être intégrée, même partiellement, dans d’une future armée ou force d’intervention européenne. Cela rendrait, à la fois, impossible la poursuite de l’actuelle politique de neutralité et d’une politique de paix plus active à l’avenir, à un moment où la course aux armements des grandes puissances s’intensifie.
Décidée à l’unanimité lors de l’Assemblée générale ordinaire du 2 mars 2019 à Berne
Forum pour la démocratie directe

Paul Ruppen     Luzius Theiler

Président    Membre du comité

Le «Forum pour la démocratie directe», fondé en 1992 pour lutter contre l’adhésion à l’EEE, regroupe en Suisse les voix critiques envers l’UE au niveau écologique, démocratique et social. La revue EUROPA-MAGAZIN du Forum publie deux fois par an des informations très complètes et très appréciées sur l’évolution de la situation dans l’UE, sur la diffusion mondiale de la démocratie directe et sur la situation des droits fondamentaux et des droits humains.
Contact : +41 79 647 36 69  / +41 31 731 29 14 – <link http: www.europamagazin.ch>www.europamagazin.ch

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