La métamorphose du socialisme d’état

La politique culturelle de la République de Bulgarie, 1956–1989

par Peter Bachmaier*

A l’occasion du 30ème anniversaire de la dissolution du «Bloc de l’Est», de nombreux articles ont été publiés dans les médias, soulignant pour la plupart la «transition de la dictature à la démocratie». Rappelant les principes fondamentaux de l’Union européenne, le Parlement européen a adopté, le 19 septembre 2019, une résolution appelant tous les Etats membres à célébrer le 23 août, jour de la signature du pacte de non-agression entre le Reich allemand et l’Union soviétique, en tant que la Journée européenne du souvenir des victimes des régimes totalitaires. La résolution fait particulièrement référence aux Etats postsocialistes à l’Est de l’UE, où les «symboles des régimes totalitaires» sont encore exposés publiquement tout comme avant et où des «monuments et des mémoriaux, glorifiant» ces régimes sont encore à l’honneur. 

Il faudrait cependant éviter de considérer la période du socialisme d’état dans la seule perspective occidentale de la Guerre froide. L’article qui va suivre sur le socialisme d’état en Bulgarie – une synthèse d’un travail de plusieurs années s’appuyant sur les archives bulgares et russes – a pour objectif de démontrer que la République populaire de Bulgarie (RBV) ne peut être décrite de façon adéquate par le terme «totalitarisme». 

 


Peter Bachmaier, historien et politologue, 1972-2005, membre du personnel et du conseil d’administration de l’Institut autrichien pour l’Europe de l’Est et L’Europe orientale à Vienne; professeur à l’Université de Vienne; vice-président de l’Institut de recherche bulgare en Autriche (1999); Dr. h. c. de l’Université de Sofia (2008).

Publication: Bachmaier, Peter. Die Metamorphose des Staatssozialismus. Die Kulturpolitik der Volksrepublik Bulgarien 1956-1989 (La métamorphose du socialisme d’Etat. La politique culturelle de la République populaire de Bulgarie 1956-1989), éd. Lit, 311 p., Vienne 2019 (série Miscellanea Bulgarica, Association «Freunde des Hauses Wittgenstein», volume 25)

Le Plénum d’avril 1956 et 
le retour à la culture traditionnelle

En Bulgarie, la première période qui a suivi la fin de la Seconde guerre mondiale a débuté avec la prise du pouvoir par le Parti communiste (BKP) et l’installation d’un régime répressif calqué sur le modèle soviétique. Il y a eu des exécutions, des procès-spectacles, la création de camps de travail forcé. On a mis en place un organisme de censure, on a nationalisé toutes les institutions culturelles et institué le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’état. Toutefois, durant la période 1956-1989 on a assisté à une certaine normalisation de la vie quotidienne dans le cadre même des structures socialistes. 

Après le Plénum d’avril 1956 et surtout, après le 8ème Congrès du BKP, en 1962, lorsque Vălko Červenkov et ses partisans ont été écartés des instances dirigeantes, s’est produit une sorte de métamorphose, une transformation intérieure du système. On a laissé en place les structures du système autoritaire incluant le monopole politique du BKP mais il s’est produit une restauration de l’éthique traditionnelle ainsi qu’une approche d’un «état moral».

L’idéalisme allemand qui, au 19ème siècle, avait déjà exercé une forte influence sur la renaissance nationale et le mouvement de libération, a joué là un rôle majeur. Les intellectuels, dont beaucoup avaient étudié à Vienne, Munich et Leipzig connaissaient Herder, Schiller, Kant, Hegel, Humboldt et tant d’autres, tous déjà célèbres et traduits. En mai 1955, on commémora le 150ème anniversaire de la mort de Friedrich Schiller lors d’une cérémonie au Théâtre national de Sofia et d’une représentation de «Don Carlos», organisée par le ministère de la Culture et l’Union des écrivains. Lors de la cérémonie, à laquelle ont assisté le Premier ministre Anton Yugovet des membres du Politburo, le poète Valeri Petrov déclara dans son discours: «Schiller a toujours été avec nous ... Il était le porte-drapeau de la foi en l’humanité et de la dignité humaine». Le 10 novembre 1959, le bicentenaire de la naissance de Friedrich Schiller a été commémoré par des conférences et des articles dans la revue «Literaturen front».

La philosophie hégélienne a également exercé une grande influence sur la vie intellectuelle ainsi que sur le marxisme. Ses principaux ouvrages ont été traduits dans les années soixante par Genčo Dončev, qui a écrit dans son épilogue à la «Phénoménologie de l’esprit»: «La philosophie de Hegel est la philosophie de l’homme libre» (1969). Glavlit, l’office national de censure a été supprimé en 1956, les descendants de l’ancienne «bourgeoisie» ont été réadmis à l’université en 1958 et les professeurs et scientifiques «bourgeois» ont été réhabilités. Todor Živkov, le premier secrétaire du CC du BKP, a réussi à réaliser une «symbiose» avec les travailleurs culturels dans les années 1960 et à les intégrer au pouvoir de l’Etat. Depuis lors, il n’y a plus eu ni dissidents, ni samizdat ni «poètes silencieux» en Bulgarie. Le camp de travail forcé de Loveča été fermé en 1962, et il n’y a eu ni soulèvement populaire, ni aucune invasion de troupes étrangères jusqu’à la fin du socialisme d’Etat. L’objectif de la «révolution culturelle» était l’élimination de l’analphabétisme (24 % de la population) selon des méthodes autoritaires et dans les plus brefs délais, l’augmentation du niveau d’éducation du peuple et la modernisation de la société, ce qui était nécessaire à l’industrialisation. La culture devint extrêmement valorisée et 20 ans plus tard, on comptait déjà 2400 maisons de la culture (čitališta), 42 théâtres et opéras, des centaines d’écoles de musique, des chanteurs de renommée mondiale comme Nikolaï Ghiaurov et Boris Christov, ainsi que des galeries d’art d’état dans chaque quartier. Dans les années 60 et 70 l’essor culturel de la Bulgarie et l’orientation idéologique de la politique culturelle furent, de la part des dirigeants bulgares, l’objet d’une initiative indépendante qui n’était pas pilotée par l’Union soviétique. La famille, et cela incluait les grands-parents, était considérée comme le noyau de la société. Mais l’état moral incluait également les droits de la nation. Dans un discours important prononcé en avril 1963, Todor Živkov condamna le «nihilisme» de la culture occidentale et du «mode de vie occidental» en tant qu’idéal de la jeunesse. Il s’agissait de préserver la culture nationale en invoquant le classicisme littéraire et philosophique comme fondement de la moralité. 

L’influence de l’idéalisme allemand

Nikolaj Iribadžakov, philosophe bulgare, a ainsi commenté l’éthique qui régnait au sein du VRB: «L’idéologie était matérialiste, mais l’éthique était idéaliste. Le Komsomol a organisé des brigades de travail, des missions de volontariat, a mis l’accent sur la communauté, la solidarité et la famille!» (Iribadžakov. Razvitoto Socialističesko obštestvo [La société socialiste développée], Sofia 1972) 

Les principes de base du vivre ensemble des êtres humains devaient déboucher sur le bien commun.

Le système scolaire s’est rapidement développé. On a éduqué les étudiants dans la discipline et le patriotisme. On a perpétué les traditions du peuple bulgare et des grands écrivains. Dans les années soixante, on a créé des lycées bilingues pour l’allemand, le français et l’anglais. En 1977, on a fondé à Sofia un lycée classique, où l’on enseignait le latin, le grec et le vieux bulgare.

C’est ainsi qu’en 1968 le Code du Komsomol définissait les qualités de base des jeunes: «Je préserve la langue, les traditions et les coutumes de mon peuple. J’aime la Bulgarie socialiste, ma plus grande richesse. Je m’éduquerai à l’humilité, à l’honnêteté et à la justice.» (Statuts de l’Organisation de jeunesse Dimitrov, 12 janvier 1968)

En mai 1980, lors du premier Congrès de l’éducation fut adoptée une «Charte de l’enseignant bulgare» qui déclarait: «En tant que personnalité intellectuellement riche, enthousiaste et déterminée, l’enseignant se distingue par son dévouement au réveil national, son travail, son amour apostolique pour les générations montantes de la patrie. L’enseignant bulgare montre son enthousiasme envers les pierres angulaires de la séculaire école bulgare que sont la moralité et la démocratie.»

Dans les premières années, l’Eglise orthodoxe subit des persécutions, mais dans les années 60, elle fut déclarée «autonome». Le thème directeur de l’Eglise orthodoxe devint alors le «service patriotique» et les historiens reconnurent son rôle dans l’histoire nationale. La répression du clergé cessa dans les années 70 et les églises et les monastères furent restaurés.

Alexeï, le Patriarche de Moscou qui s’était rendu en Bulgarie fin mai 1962, déclara à l’occasion de la fête bulgare de la culture slave: «A l’aube de l’existence du peuple russe, Dieu nous a envoyé les deux frères, Saint Cyrille et Saint Méthode, et ils sont devenus nos pères en esprit. L’unité de l’esprit et de la langue a été préservée par le fait que la langue slave est devenue la langue de notre foi et de notre Eglise. La Bulgarie orthodoxe a aidé la Russie à se libérer des ténèbres du paganisme et après tant de siècles les fils de la Russie, sans épargner leur vie, ont libéré la Bulgarie de l’esclavage de l’oppresseur à la foi étrangère.

Pendant cinq siècles, la lumière venue du Nord n’a jamais cessé de briller pour le peuple bulgare; malgré de nombreux obstacles les relations entre nos peuples n’ont pas été rompues. Le peuple bulgare a été spirituellement, religieusement et moralement soutenu par le peuple russe, par son église et par ses tsars.»

La Bulgarie «vitrine du socialisme»

En 1966, le IXe congrès du BKP adopta un «nouveau système de gestion de l’économie nationale» qui incluait l’«autonomie» des entreprises. Lors du premier Congrès de la culture bulgare en mai 1967, le «principe de l’Etat social» fut introduit dans la culture, c’est-à-dire que des dirigeants élus furent mis à la tête des associations culturelles. Même la direction de la toute nouvelle Commission de la culture, qui était de facto un ministère, fut aussi l’objet d’élections.

Du 20 au 22 mai 1968 eut lieu le 1er Congrès des écrivains bulgares, qui se voulait une opposition au 4ème Congrès des écrivains tchécoslovaques de juin 1967. Lors du Congrès, le président de l’Union des écrivains, Georgi Džagarov, prêta serment de fidélité au BKP. Mais l’écrivain tchèque Petr Půjman put prononcer, au nom des écrivains tchécoslovaques, un discours critique lors du congrès, ce qui fut considéré comme «hérétique».

Le 9ème Festival mondial de la jeunesse de Sofia, qui se déroula en juillet et août 1968 dans la capitale bulgare, devait présenter la Bulgarie comme une «vitrine du socialisme». Sur les 20 000 jeunes qui y participèrent, 8000 étaient originaires de l’Ouest, dont de nombreux groupes issus du mouvement de 1968 qui critiquèrent le socialisme d’Etat, notamment au travers d’actions spectaculaires. Ils purent présenter leurs idées à la «Tribune libre» de l’Université de Sofia, ce qui suscita un énorme débat. 

Le Département idéologique du Comité Central du BKP suivit de près l'évolution des théories occidentales du développement social. L’Occident fut accusé d’occulter l’essence même du capitalisme, en qualifiant la société moderne de «type intégral de société», de «société industrielle unifiée» ou de «société ouverte». Les mêmes accusations furent portées contre les «révisionnistes» qui prétendaient que la société moderne ne connaissait plus de contradictions antagonistes. La critique était particulièrement dirigée contre l’«Ecole de Francfort», accusée de «jouer un rôle de décomposition dans les mouvements étudiants de l’Ouest». Les écrits de Marcuse étaient caractérisés néo-positivistes, antidialectiques et antihistoriques.

Le rationalisme critique de Karl Popper et de son œuvre majeure «Die offene Gesellschaft und ihre Feinde» (La société ouverte et ses ennemis) (1945), décrivant le modèle social de Platon et de Marx comme «totalitaire» fut également mis en accusation. «L’Université d’été internationale de philosophie» de Varna, fondée en 1969 par les Instituts de philosophie des pays socialistes, tenta, lors de ses conférences, de réfuter la philosophie occidentale contemporaine.

L’idéologie du BKP était «national-communiste» et luttait également contre le «modernisme» de la culture occidentale vue au travers de l’art abstrait, de la littérature expérimentale, de la musique atonale et du cosmopolitisme. Dans les années 80 cependant, l’influence croissante de l’Occident et de la perestroïka renforcèrent l’aspiration des jeunes vers le consumérisme.

L’«âge d’or» des années 70

Dans les années 70, le concept de réalisme socialiste fut élargi sous l’appellation de «réalisme engagé»; la littérature, l’art et la musique ne devaient pas être des arts au service de la propagande, mais devaient, en référence à la philosophie de Hegel,être fondés sur la beauté. La politique culturelle de la Présidente de la commission de la culture, Lioudmilla Živkova, n’était plus une variante de la culture soviétique, mais se développait en une tendance indépendante. Les années 70 virent éclore l’organisation d’importants événements internationaux, tels le Congrès mondial de philosophie en 1973, la «Triennale de l’art réaliste engagé» à partir de 1974, et à partir de 1977 des congrès internationaux d’écrivains incluant la participation d’écrivains occidentaux reconnus. En 1975, Lioudmilla Živkova invita en Bulgarie le célèbre théâtre d’avant-garde moscovite de la «Taganka» avec Vladimir Vissotsky, le poète «maudit soviétique».

En 1976 fut créé à Vienne dans le Palais Wittgenstein le seul institut culturel bulgare existant à l’Ouest, lequel ne voulait faire ni propagande politique ni représenter l’art officiel. Ce fut également une période très fructueuse de coopération culturelle entre l’Autriche et la Bulgarie.

Lioudmilla Živkova portait un grand intérêt à la métaphysique, elle n’était pas athée. Dans le discours d’ouverture de l’assemblée «Bannière de la Paix» en 1979, elle appela la jeunesse à s’élever au-dessus des valeurs purement matérielles. En décembre 1980, lors d’une conférence, elle prononça un discours sur l’éducation esthétique dans lequel elle ne fit pas référence à l’enseignement de Lénine sur les deux cultures mais évoqua des critères humains universels tels «l’unité, la créativité et la beauté». Cette culture était une culture nationale ouverte sur la culture mondiale, comme le montra notamment la commémoration des «1300 ans de la Bulgarie», célébrée de 1978 à 1981. On désigna cette période sous l’appellation du nouvel «âge d’or », à l’instar de celui qui prévalut sous le tsar Siméon au 10ème siècle.

Le modèle ethnique bulgare 
et l’«unité du peuple»

En 1971 le 10ème Congrès du BKP adopta une nouvelle constitution dans le but de poser les bases d’une «nation socialiste unifiée» mais dans la réalité la «société parallèle» incluant le groupe ethnique turc continua d’exister. Le gouvernement bulgare modifia donc sa politique envers la population turque, surtout après l’occupation par la Turquie du nord de l’île de Chypre en 1974. 

Fin 1984, il fut décidé de «bulgariser» les noms de l’ensemble des Turcs et des musulmans et d’abolir l’enseignement de la langue turque dans les écoles, ainsi que les journaux et les émissions de radio turcophones. Les activités des mosquées et des organisations musulmanes furent sévèrement restreintes. La décision en revint à Todor Živkov lui-même, qui en assuma la responsabilité au nom de l’Etat. Le décret considérait désormais les musulmans turcs comme des Bulgares qui avaient été islamisés pendant la période de domination turque. On désigna donc cette politique sous le nom de «processus de renaissance nationale». En août 1987, le Premier ministre turc Turgut Özal proféra à l’encontre de la Bulgarie des menaces au sujet de la question des musulmans bulgares, laissant présager une solution basée sur le modèle chypriote. La «Voix de la Turquie» installa un nouvel émetteur à la frontière avec la Bulgarie. Les organisations de l’opposition bulgare s’opposèrent au «processus de renaissance» dès sa mise en place en 1988 et surtout lors des manifestations des Turcs bulgares en mai 1989. 

Au printemps 1989, la situation politique dans le monde changea. L’ensemble du système socialiste, Union soviétique en tête, sombra dans une crise grave. Le problème des musulmans turcs en Bulgarie fut accueilli avec satisfaction par les pays occidentaux et la Turquie. Finalement furent organisées en mai 1989 des émeutes de grande ampleur des musulmans se dressant contre le «processus de renaissance». Les autorités bulgares autorisèrent les musulmans à partir pour la Turquie, et en mai et juin 1989, quelque 360 000 Turcs et musulmans bulgares quittèrent le pays. Dans les mois suivants, cependant, la moitié des émigrants revinrent en Bulgarie. Au plus fort de la «Grande Excursion», du mouvement migratoire des Turcs bulgares et de la Conférence à Paris des experts sur la dimension humaine de la CSCE, laquelle exerça des pressions sur la Bulgarie, Todor Živkov prononça un discours télévisé le 29 mai 1989, dans lequel il déclara:

«C’est un fait historique que c’est la victoire même de la révolution socialiste et de notre Etat socialiste qui a libéré la population musulmane de l’ignorance, de la misère et de l’anarchie auxquelles l’Empire ottoman l’avait condamnée [...]. L’analphabétisme a été éliminé dans cette région. Chaque année, ce sont environ 500 jeunes de cette région qui vont à l’université. Le nombre d’enseignants y est aujourd’hui plus important que celui des étudiants avant la révolution.»

Le rôle de l’Union Soviétique en Bulgarie

L’Union soviétique a joué un rôle essentiel en Bulgarie par le biais des conférences conjointes des partis communistes, du Pacte de Varsovie et du Conseil d’assistance économique mutuelle, mais il n’y avait pas de conseillers soviétiques au sein du Comité de la culture du VRB. Pour la Bulgarie, la politique culturelle était une chose à part.

Dans la seconde moitié des années 1980, la Bulgarie a joué un rôle de premier plan dans la vie intellectuelle soviétique, malgré les relations tendues entre Todor Živkov et Mikhaïl Gorbatchev. En février 1988 fut créé à Moscou un Centre culturel bulgare, le premier provenant d’un Etat étranger en Union soviétique. L’objectif du Centre culturel était de mettre en œuvre des activités culturelles bulgares permanentes dans la RSFSR, en Ukraine et en Biélorussie.

Le 24 mai 1988, à l’occasion de la fête des Saints Cyrille et Méthode, qui coïncidait en 1988 avec le jubilé «1000 ans depuis le baptême de la Russie», une célébration de la littérature slave dans toute l’Union en l’honneur des apôtres slaves fut organisée à Moscou. Le 24 mai 1989, la même célébration fut organisée à Kiev ainsi qu’à Minsk, capitale du Belarus, en 1990. Une importante délégation bulgare participa aux deux célébrations.

Pendant la Perestroïka, le VRB connut quelques difficultés en raison de l’abolition, par Gorbatchev, des privilèges soviétiques accordés à l’économie bulgare et parce qu’il désirait aussi finalement éliminer le monopole politique du BKP. Todor Živkov était d’accord avec la privatisation, la décentralisation et l’autonomie, par exemple celle accordée aux associations culturelles, mais il voulait pérenniser le pouvoir du BKP, à l’instar de ce qui avait été réalisé avec le parti en Chine, où il avait rencontré Deng Tsiao Ping en 1988.

La période de la Perestroïka (1986-1989) a englobé la dernière crise du régime, qui n’était pas la moindre des crises spirituelles. Lors de la conférence du parti en 1986, le secrétaire de l’Organisation de la Jeunesse critiqua le consumérisme des jeunes, l’influence occidentale dans la mode et l’art, et l’accroissement des groupes de jeunes «informels». En dernier lieu, à la fin 1988 et en 1989, les associations culturelles et l’Université de Sofia se rangèrent aux côtés de l’opposition. Todor Živkov ne fut pas renversé par un soulèvement populaire, mais par une révolution de palais en raison du retrait du soutien par Gorbatchev. La première manifestation importante de l’opposition eut lieu le 17 novembre 1989, une semaine après le renversement de Todor Živkov, et elle fut organisée par le nouveau gouvernement. La République de Bulgarie est aujourd’hui considérée comme le résultat d’une rupture radicale avec le passé communiste.

Le tournant de 1989: de l’Est à l’Ouest

Le programme de réformes économiques présenté par les économistes américains Richard Rahn et Ronald Utt en octobre 1990 au nom du nouveau gouvernement bulgare d’Andrei Loukañov devint la base du projet néolibéral qui fut mis en œuvre en Bulgarie. Le programme de réformes économiques présenté par les économistes américains Richard Rahn et Ronald Utt en octobre 1990 au nom du nouveau gouvernement bulgare d’Andrei Loukañov devint la base du projet néolibéral mis en œuvre en Bulgarie.

A partir de 1991, la culture a également été désidéologisée, décentralisée et subordonnée à l’économie. On a aboli le monopole de l’Etat en matière d’éducation et éliminé l’idéologie étatique dans ce domaine.

Le Conseil de l’Europe a critiqué, dans un rapport sur la Bulgarie, la «perspective culturelle à sens unique» au sein de laquelle les mouvements artistiques modernes ne pouvaient pas trouver d’espace, ainsi que l’orientation culturelle en direction de la Russie. L’activité artistique devrait aussi être jugée à l’aune de son résultat économique. Cela a également nécessité de nouvelles formes de parrainage et de marketing. La loi sur la culture de 1991 a été la condition posée par l’Union européenne à l’insertion de la Bulgarie dans ses programmes culturels. 

En 1992, la télévision nationale bulgare (BNT) a été convertie en organisme indépendant. La chaîne de télévision privée BTV a été fondée en 2000, pour être ensuite reprise par le groupe médiatique News Corporation de Rupert Murdoch. Après 1989, les journaux et les magazines ont été pour la plupart confiés à des propriétaires étrangers, en particulier au groupe allemand WAZ.

En 1998, le gouvernement Kostov a également adopté une nouvelle loi sur l’éducation populaire qui, avec le soutien du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale était axée sur le marché. A côté des écoles publiques est apparu et s’est développé un secteur incluant des écoles privées imposant des frais de scolarité ou des droits d’inscription, ce qui facilite également la hausse du salaire des enseignants, ainsi que des écoles étrangères soutenues par des organisations occidentales.

La fondation «Open Society» du milliardaire américain d’origine hongroise George Soros a joué un rôle de premier plan dans l’évolution des valeurs au sein du peuple bulgare. Le 5 avril 19990 a eu lieu la création de la fondation nationale «Open Society Foundation Sofia», avec l’approbation explicite du nouveau gouvernement bulgare.

Depuis son adhésion à l’UE en janvier 2007, la Bulgarie a remodelé sa politique culturelle selon le modèle européen et a participé activement à tous les programmes communautaires pertinents. La législation bulgare sur les médias audiovisuels et la propriété intellectuelle a été mise en totale conformité avec celle de l’UE et sa directive de «Télévision sans frontières» (1989). Le traité de l’UE avec la Bulgarie de 2007 définit le domaine de «l’éducation et de la formation professionnelle», principalement par le développement de la dimension européenne dans l’enseignement supérieur, conformément à la Déclaration de Bologne de 1999 et au développement d’un système d’éducation et de formation continues, orienté vers les objectifs de la stratégie de Lisbonne de l’année 2000.

Les réformes qui ont suivi 1989 et surtout celles d’après 1997 ont laissé des traces profondes dans la culture bulgare. L’Etat s’est largement dégagé de ses responsabilités en matière de culture, sans pour autant créer de sources alternatives de financement. La politique culturelle a connu des coupes et des licenciements drastiques. Dans un laps de temps très court, des opéras, des orchestres philharmoniques et d’autres institutions musicales ont dû fusionner ou ont été fermés. Le système des écoles nationales d’art et des anciens lycées de musique a également été restreint.

Les institutions culturelles restées versent des salaires peu élevés mais sans être capables de réaliser de nouveaux projets et productions. Dans le budget pour 2020, 417 millions de leva seront affectés à l’éducation et à la science. Pour la culture, un budget total de 126 millions de leva a été prévu, dont 13,6 millions de leva pour le patrimoine culturel et 108 millions de leva pour l’«art contemporain». La part de la culture dans le PIB est passée de 1,1 % en 1990 à 0,6 % en 2019.

Cependant, la culture continue à jouer un rôle primordial. On a vu se développer un intérêt considérable pour le passé national. Enfin, malgré une situation économique difficile, les institutions culturelles de l’Etat – théâtres, opéras, salles de concert, galeries d’art et studios de cinéma – ont pu continuer à créer d’importantes réalisations artistiques qui leur ont rapporté la reconnaissance internationale.

La Bulgarie a aujourd’hui besoin d’une nouvelle orientation culturelle et d’un rétablissement du rôle de l’Etat. Parmi les concepts directeurs des derniers gouvernements, les principes les plus importants à être cités ont déjà été les suivants: la transformation de la culture en une priorité nationale afin de préserver l’unité de la nation, la préservation des valeurs traditionnelles et le renforcement du rôle de la culture bulgare dans le contexte européen. Il faut espérer qu’à l’avenir ce concept déterminera la ligne de conduite de la politique culturelle bulgare.

 

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