L’Antifa: modèle de combat valable pour un monde plus paisible?

par Peter Küpfer

Dans le cadre des événements de Minneapolis (Etats-Unis), Bob Barr, juriste et ancien député de la Chambre des représentants, arrive à calmer quelque peu le débat émotionnel, en consultant les bases constitutionnelles d’un état démocratique de droit (v. Barr, Bob: «Quand la fin justifie les moyens. Excès de violence contre le racisme? A qui sert l’Antifa aux Etats-Unis?»(voir Horizons et débats, no13 du 21/06/20). L’auteur analyse pourquoi, selon le droit américain, le mouvement se nommant lui-même «Antifa» est susceptible d’être une organisation «terroriste». En agissant ainsi, Barr évoque en droit, les origines européennes du mouvement Antifa et la manière peu claire dont il a traversé l’Atlantique. L’auteur insiste également sur le caractère équivoque de la notion d’«Antifa». Le texte ci-dessous porte sur les deux aspects.

Le fascisme n’est pas identique au national-socialisme ni au racisme. Les notions de fascisme et national-socialisme définissent des faits historiques identifiables. Est désigné comme «fascisme», au sens strict, le régime de l’Italie sous la dictature de Benito Mussolini. Au cours des évolutions du 20esiècle, on a transféré cette notion à des régimes similaires, par exemple à l’Espagne sous le général Francisco Franco. Ce régime (1925 à 1943) était un état à parti unique, dirigé par un dictateur et pratiquant une politique extérieure agressive. A l’instar d’autres états comparables, il glorifia la grandeur et la puissance nationales du passé, notamment de l’Empire romain. Quant au national-socialisme hitlérien, on peut en effet y constater de nombreux parallèles par rapport à l’Italie fasciste. Mais l’idéologie du parti national-socialiste était associée à une idéologie désignée sous le terme «völkisch» fondée sur la théorie scientifiquement insoutenable de la prétendue supériorité de la race «aryenne», aux conséquences criminelles. Mais le racisme n’est pas un régime étatique, il est essentiellement une idéologie produisant des attitudes et des comportements propageant la supériorité d’un groupe social envers d’autres qu’il méprise. 

Les clichés dangereux 

Face au fondement des données historiques des faits, l’amalgame linguistique actuel pratiqué excessivement par de nombreux militants «Antifa», engendre confusions et dégâts. Ces derniers temps, cette abréviation diffuse a ouvert la voie à un langage agressif décriant déjà une attitude préservatrice come d’«extrème droit» et des positions raisonnables au-delà du mainstreamrose-vert-libéral comme «fasciste». Cela est entièrement faux, dans la forme aussi bien que dans le fond. Toute attitude déviant de l’esprit du temps tenant le haut du pavé actuellement n’est pas «de droite». Tout individu défendant des valeurs traditionnelles dans nos sociétés occidentales n’est pas forcement conservateur comme chaque conservateur n’a pas obligatoirement une inclination vers la mouvance de l’extrême-droite. Et, finalement, celui que l’on étiquète actuellement «être de droite», justifié ou non, n’est pas «automatiquement» un raciste. 

Les militants Antifa s’érigent en héritiers de l’Antifascisme historique 

Les notions d’«Antifascisme» ou «mouvement Antifasciste» dont est dérivée l’abréviation désinvolte «Antifa» appartiennent au vocabulaire bolchéviste. L’Antifascisme communiste fut érigé, du temps de l’existence d’Etats fascistes réels, de l’Internationale communiste sous la direction de Staline au premier rang de la stratégie révolutionnaire mondiale. Sous la bannière de l’Antifascisme, des combattants volontaires, de majorité anarchiste ou communiste du monde entier, se formèrent en «brigades internationales» pour lutter du côté des républicains espagnols contre l’armée du général putschiste Franco installant en Espagne, après sa victoire, une dictature de fer survivant jusque dans les années 70 du 20esiècle. 

Après la Deuxième guerre mondiale, du temps d’un capitalisme ayant repris de la force («haute-conjoncture»), des cercles d’étudiants politisés créèrent, dans les démocraties occidentales le mouvement desjeunes 68ards, tout cela sous l’influence des thèses néo-marxistes répandues des sociologues de la «Frankfurter Schule», «l’Ecole de Francfort» (Theodor Adorno, Max Horkheimer, Herbert Marcuse). Elle enthousiasma, à l’instar de l’Antifa actuel, de jeunes idéalistes dans le monde entier. Pièce centrale de l’idéologie 68 fut, notamment en Allemagne, un «Antifascisme renouvelé», affiché partout. Leurs «maîtres philosophes» et activistes, Rudi Dutschke, Günter Amendt, Oskar Negt et autres reprochaient, de manière générale, à la génération de leurs parents d’avoir maintenu, dans leur for intérieur, l’idéologie national-socialiste qui les avait imprégnés après 1933. Cette génération, ayant survécu aux années de la guerre, se vit reprocher une attitude «autoritaire» tandis que la jeune génération 68 affichait, dans leurs théorieset leurs styles de vie un antiautoritarisme provocant. Ces deux éléments radicalisaient le mouvement dès ses débuts. Or le mouvement 68 se définissait comme une révolution culturelle antiautoritaire aux tendances destructives et agressives. Ceux qui s’opposaient à son idéologie de «la réalisation de soi» sevoyaient aussitôt traités de «fascistes». Dans les phases brûlantes du mouvement universitaire, empêcher un professeur de tenir sa conférence en scandant des paroles ennemies ou par des «sit-in» devenait habituel. Le mélange entre le politique et le personnel, souvent affiché de manière provocante par leur style de vie libertaire, renforçait la dimension destructive du mouvement. Les slogans politiques scandés lors des fréquentes manifestations dans la rue enflammaient surtout les émotions. Souvent, leurs contenus étaient marqués de courts circuits logiques, comme par exemple «Le capitalisme mène au fascisme, – que le capitalisme périsse!» En réalité, ce ne sont pas les systèmes économiques (capitalisme, socialisme de l’état) qui engendrent «automatiquement» les idéologies antidémocratiques et inhumaines, mais les valeurs et attitudes qui les animent. Sous l’influence de la révolution culturelle des années 68 et du nouveau style de vie qu’elle propageait, les slogans scandés dans la rue se simplifiaient, devenant ainsi plus dangereuses encore, par exemple celle-ci: «Détruisez ce qui vous détruit!» La «théorie» qui l’animait était conforme aux idées d’une grande partie desadhérents du mouvement d’alors: ce qui nous assomme, c’est le travail et le stress exercés par les contraintes de la vie professionnelle, les exigences quotidiennes de nos sociétés moderne. Ainsi, les «marginalisés» de la vie moderne, notamment les cercles grandissants de consommateurs de stupéfiants, se transformèrent en «résistants». Casser les vitrines d’un magasin, agresser les représentant de l’ordre étatique, même le vol se légitimaient ainsi: c’était «le système» qui était visé. D’où provenait donc la haine, nécessaire à de tels actes agressifs? 

Destructions stratégiques et conséquences 

A l’époque déjà, la confrontation avec les agents représentant l’ordre (police, gendarmerie) était recherchée. Il s’agissait de les provoquer, en usant dans leur stratégie, de leurs matraques, ensuite de canons à eau et de gaz lacrymogène. Cette «recette» était susceptible de rendre évident à chaque manifestant, de manière forte, le formalisme des démocraties occidentales dépourvues de toute réalité et leurs systèmes répressifs matraquant chacun en les niant sur le fond. On écartait ainsi toute réflexion allant dans le sens de ceux qui, parmi les manifestants se montraient décidés à violer consciemment les normes de droit et contraignaient eux-mêmes la police d’intervenir. Ce fut alors que le mouvement 68 allemand introduisit le terme allemand, hautement péjoratif, de «Bulle» (mâle bouvin) pour les agents de police ou de gendarmerie, les transformant ainsi en bêtes féroces agissant sur les ordres «du système». En résultèrent des actes de destructions planifiés, d’abord contre les ambassades d’états autoritaires (tels la Perse sous le shah, et autres), ensuite contre des banques, finalement, sous la régie de la «RAF» (FAR, «Fraction Armée rouge»avec Ulrike Meinhof et Andreas Baader), de plus en plus agressifs et causant des victimes se trouvant sur place aussi accidentellement. La voie empruntée menait à travers les cocktails Molotov jetés contre les files d’agents de police en service, l’incendie contre un grand-magasin berlinois incluant, dans sa phase finale, des attentats planifiés contre des stations de police et des casernes militaires. En fin de compte, la FAR exerça des meurtres lâches de plusieurs «représentants» du «système». L’hebdomadaire allemand Der Spiegel très influent ouvrit ses colonnes pour que Ulrike Meinhof y légitime, aussi amplement que confusément, l’affirmation qu’il ne s’agirait que du droit de résistance légitime si la FAR assassine des représentants du capitalisme occidental. Agissant ainsi, elle emploie entre autres les termes suivants, on ne peut plus cyniques: 

«Nous le disons, naturellement, les sales flics sont des cochons, nous disons que le type en uniforme est un cochon. Ce n’est pas un être humain et c’est ainsi que nous avons à nous confronter avec lui. Cela veut dire que nous n’avons pas à lui parler, c’est faux d’adresser la parole à de tels gens et, naturellement, il est permis de tirer.» (Ulrike Meinhof dans: Der Spiegel, no25, du 15/06/1970, p. 74s.) 

La scission n’est pas une solution 

On peut donc répondre, au moins partiellement, à la question posée par Bob Barr d’où vient le mouvement Antifa aux Etats-Unis. L’Antifascisme revitalisé en tant qu’élément de base dans divers mouvements actuels est né en Europe occidental, sorte de mouvement héritier de celui des années 60. Le mouvement de 68 fut particulièrement violent en Allemagne, issu de l’Europe, il s’achemina vers les Etats-Unis. Là, le mouvement choisit ses propres variantes, notamment en forme du mouvement se dressant contre la guerre du Viet Nam. Il fut profondément marqué par Herbert Marcuse vivant en californie. Néo-marxiste, Marcuse était profondément influencé par la doctrine communiste concernant la lutte des classes. Ce concept part de la nécessité, historiquement incontournable, de la «neutralisation» de la classe ennemie (puisque selon eux, les capitalistes sont incorrigibles) et inclut, par conséquent, l’emploi de la violence. 

En ce sens, le nouvel Antifa est le fidèle simulacre de son précurseur idéologique, la destruction culturelle débutant vers 68. Nombreux adhérents de l’Antifa actuel veulent, semble-t-il, transformer nos sociétés occidentales modernes en direction d’une société formée d’individus renonçant à mépriser et maltraiter autrui. Est-ce réalisable avec la haine et les destructions accompagnant ses actions? S’il y en a parmi eux qui veulent en effet contribuer à améliorer nos sociétés modernes, c’est à dire à les humaniser – eh bien, qu’ils se concentrent sur la tâche primordiale qui se pose à chaque individu, notamment s’il est encore jeune et énergique. Elle consiste depuis toujours – comme Alfred Adler, fondateur viennois de la psychologie individuelle, l’a analysé dans son œuvre – de s’associer, avec sa contribution personnelle et originale au grand œuvre restant à accomplir: réaliser la dignité humaine. Les sociétés démocratiques modernes le rendent possibles, même si ce n’est pas toujours facile. Œuvrer en faveur d’un ensemble cohérent même si cette contribution est modeste, reste selon Alfred Adler la tâche inévitable de chaque individu susceptible de réaliser sa vie personnelle de manière satisfaisante. Si l’individu esquive cette loi sociale qui le lie aux autres, par exemple par manque de courage face aux défis imposés par la vie moderne, c’est lui-même qui réduit ses potentialités – et non pas «le système». L’Antifa moderne pratique, dans son prétendu combat contre les tendances fascistes, une stratégie inhérente à tout mouvement doctrinaire et intolérant: la propagande haineuse contre un ou plusieurs «ennemis», souvent diabolisés. Agissant ainsi, elle imite ce qu’elle prétend combattre.  

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