De notre responsabilité de nous positionner en faveur de la vie

Il est grand temps de tirer les leçons d’un quart de siècle de pratique de la «nouvelle euthanasie»

par Moritz Nestor

hd. La contribution suivante reprend le texte de la conférence tenue par l’auteur lors du 20e anniversaire de la fondation de la «Société Hippocratique Suisse». Les questions soulevées sont axées sur les bases anthropologiques fondamentales. Elles sont d’actualité et revêtent une grande importance. Il s’agit de notre attitude face à la vie, envers nos semblables, dans nos relations intergénérationnelles mais aussi de notre effort d’évaluer l’envergure du problème dans son contexte sociopolitique. Elles n’encouragent pas seulement à la réflexion dans le contexte des débats sur l’euthanasie et le suicide assisté, souvent enflammés, elles sont également d’une grande actualité face aux discussions sur une «évaluation d’intérêts», soi-disant nécessaire, entre la santé et l’économie dans le cadre de la Covid-19.

Madame, Monsieur,

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous relater une situation personnelle. Mon père était officier dans la «Grossdeutsche Wehrmacht» (l’Armée de la Grande-Allemagne), échappant de justesse à la mort, lors de la bataille d’encerclement de Tchertkovo de 1943. Au cours des combats d’arrière-garde il sortit avec une balle dans la tête et les pieds gelés. J’ai grandi dans le bouleversement profond face à la guerre et l’euthanasie pratiquée par le régime nazi. Mon père qui, après ses six ans de guerre et durant ses 35 ans de survie, fut sous l’emprise de cauchemars nocturnes réguliers lui imposant toujours de continuer de tuer. Ce fait fut pour moi un exemple révélateur de la perte de la paix et de l’impossibilité de la retrouver parce qu’on avait contribué de façon active ou passive à l’acte de tuer. Enfant, j’ai été hanté par la question irréfutable de savoir si mon père bien aimé aurait tué avec les mêmes mains qui vous caressaient – moment profondément bouleversant.

Lorsque j’ai lu, dans la «Neue Zürcher Zeitung» des 29 et 30 mai 1993, l’article «Unerforschte Wege der Euthanasie in Holland»,1 je n’en revenais pas.2 Quelles pouvaient bien être ces «voies inexplorées de l’euthanasie» dans la Suisse démocratique de 1993? L’article de la NZZ a bel et bien marqué le début de la campagne pour la légalisation de l’«assistance au décès» en Suisse.3 Nous avons alors appris que l’exemple choquant de l’article de la NZZ était le résultat d’une libéralisation progressive de la mise à mort des patients aux Pays-Bas depuis les années 1970, une tendance à laquelle la Suisse se voyait de plus en plus exposée. Dans les rapports gouvernementaux des Pays-Bas, nous avons trouvé les chiffres de l’«euthanasie» pour 1990 et 1995. 1990: 19 803 (sur un total de 128 824 décès) et 1995: 26 593 (sur un total de 135 675 décès).4 (v. encadré p. 7)

Discuter d’homicide publiquement comme s’il s’agissait d’«amour» et ses effets

Le fondement du serment d’Hippocrate repose sur l’interdiction de tuer. Ce serment est le plus ancien code déontologique de l’humanité que nous connaissons. Son ancienneté (plus de 2500 ans) et son application pendant toutes ces années par les médecins sans besoin d’une loi pénale reflète ce que Viktor von Weizsäcker, l’un des fondateurs de la médecine psychosomatique et de l’anthropologie médicale moderne, écrivit en 1923 dans son essai «Hippocrate et Paracelse»: la profession de médecin, dit-il, serait

«perpétuelle, peut-être éternelle. Et parce que c’est un destin éternel que nous tombions malades et que nous ayons besoin d’aide, l’action médicale a donc une histoire [...] Mais la médecine ne fluctue pas comme un peuple, une culture; elle perdure davantage, son art est perpétuel [...], c’est pourquoi elle participe à tout ce qui est plus long qu’une histoire, comme la philosophie: à l’éternel, à l’infini – de l’esprit. [...] Son origine n’est pourtant pas dans l’esprit, mais dans la vie, dans toute cellule de l’existence terrestre avec ses douleurs et souffrances [...] Le «philosophos»[est] un amoureux de la santé ou de la plénitude – donc au fond un médecin. Car un médecin doué sera [...] celui qui a le sens de l’harmonie, le sens de la beauté, de l’ensemble et de la perfection; plus il ressentira sensiblement ce qui est nécessaire, ce qui manque, plus son désir de beauté et de plénitude sera fort, et plus son amour pour le malade le sera également, nourri par son amour pour le bien-portant.»5 

Ne sommes-nous pas devenus médecins et psychothérapeutes parce que nous avions été touchés quelque part par cet «amour pour le malade», et cet «amour pour le bien-portant» dont parle Weizsäcker, amour qui a fait, comme il le dit, que nous «ressentions ce qui est nécessaire, ce qui manque»? A la question «Comment devient-on médecin?», Viktor von Weizsäcker répond par une image touchante:

«Quand la petite sœur voit le petit frère dans la douleur, elle trouve un moyen précédant toute connaissance: guidée par la bienveillance, sa main caressante voudra le toucher à l’endroit où il souffre. Ainsi, la petite sœur devient le premier médecin, mue par l’intuition profonde d’une capacité innée. Cette intuition guide sa main et la conduit au toucher qui agit. C’est précisément cet effet qui agit immédiatement sur le petit frère qui ressent aussitôt que cette main a un effet apaisant. Entre lui et sa douleur apparaît la sensation d’être touché par une main sororale, et la douleur cède devant cette nouvelle sensation. C’est ainsi que se manifeste la première présence d’un médecin, la première technique thérapeutique. A vrai dire, toute la réalité d’être médecin réside ici, dans la petite main, et toute la réalité du malade est dans le membre douloureux, et cela restera toujours ainsi; même lorsque la main deviendra plus grande à l’aide d’instruments ou en donnant au malade des substances qui guérissent, ou associant la parole pour compléter ses gestes, elle restera toujours, cette main qui demeure aussi appropriée à saisir, à réconforter, à rafraîchir, en véritable instrument intemporel du geste médical.6

«Avec la question: quel manque éprouves- tu? […] la réalité originelle de la médecine est introduite dans la réalité. Cette réalité quotidienne [de la rencontre du malade avec son médecin, MN] mérite d’être abordée avec sérieux, voire avec solennité.»7 Son «point de départ [n’est] pas la connaissance mais le questionnement».8

Or, c’est donc en 1993 que la nouvelle campagne sur l’«euthanasie» a commencé également en Suisse. En automne 1993, un membre de la «Société néerlandaise pour l’euthanasie volontaire», Piet Admiraal,est apparu pour la première fois dans le grand auditoire de l’hôpital universitaire de Zurich. La conférence d’opposition fut donnée par un médecin néerlandais à l’euthanasie, le professeur W. C. M. W. Klijn, enseignant l’éthique à l’université d’Utrecht et membre de la «Commission d’Etat sur l’euthanasie» aux Pays-Bas, qui nous a mis en garde avec insistance: «Vous avez l’article 115 [CP]. Il servira de porte d’entrée.»

Depuis, le pays a été submergé de propagande en faveur de l’euthanasie. Au cours des dix dernières années, elle a été plus agressive que jamais et à un rythme effréné. Ce sont des personnalités telles le philosophe Robert Spaemann, le psychiatre Klaus Dörner et, notamment, les groupes allemands représentant les institutions pour personnes handicapées et personnes âgées, qui ont constaté très tôt que le simple fait de parler d’homicide en public cause de graves dommages sociaux. M. Spaemann aimait citer Aristote face à ceux qui prônaient que le «droit» de parler d’«assistance au décès» était une question de tolérance: «Quiconque prétend que l’on serait autorisé à tuer sa mère aussi ne mérite pas d’entendre des arguments, mais d’être réprimandé».9 A l’époque, nous ne comprenions que progressivement son message. Ce que je peux vous en dire aujourd’hui est l’apprentissage de 30 ans d’histoire personnelle.

La personne gravement malade dépend toujours de manière vitale de l’aide médicale appropriée et des soins humains de ses proches, de ses bons amis, des médecins et de personnes de soin, qui non seulement «prennent soin» d’elle, mais la soutiennent aussi moralement en lui insufflant inlassablement du courage, de la confiance et de l’espoir. Si l’environnement social, en particulier les médecins et les soignants, témoignent d’un ancrage ferme dans l’éthique afin que tout ce qui est humainement possible sera fait pour soulager la souffrance du patient et de le guérir, que tout sera mis en œuvre pour que même dans les heures les plus difficiles, lorsque l’on touche aux limites des compétences médicales, le malade ne soit pas abandonné, que tous seront fermes face à ce qu’il y aura de plus difficile aussi, alors un tel soutien compatissant est décisif pour le déroulement de la maladie, dans une mesure à ne pas sous-estimer. En plus du meilleur traitement médical possible, la volonté de vivre et l’espoir d’une amélioration jouent un rôle important dans l’évolution de la maladie et les chances de guérison. Cette force intérieure doit être insufflée au patient découragé par les personnes qui l’entourent. L’interdépendance entre mortalité et degré de connectivité sociale est bien documenté par la science. Dans son ouvrage de référence «Psychosomatik», Thure von Uexküll résume ainsi les résultats de son enquête sur le sujet: Les personnes ayant 

«les liens sociaux et les relations humaines les plus faibles avaient un taux de mortalité 2,3 fois (pour les hommes) et 2,8 fois (pour les femmes) plus élevé que le groupe ayant des liens sociaux et humains forts. [...] [et cela, MN] sans tenir compte de l’état de santé au début de l’enquête et de l’année du décès, ni du statut socio-économique ou encore de comportements malsains [...], d’activité physique ou de recours à des services de santé préventifs.»10 

Certes, par le passé, lorsque le drame du suicide était diabolisé comme un péché, on ne le considérait pas comme ce qu’il est vraiment. Mais aujourd’hui, en le glorifiant comme «autodétermination», compassion désintéressée ou même comme un acte d’amour, il n’est pas non plus considéré tel qu’il est vraiment. Toutefois, depuis 1993, cette attitude se divulgue partout.

Le pionnier en recherches sur le suicide Erwin Ringel, disciple d’Alfred Adler, avait déjà lancé un sérieux avertissement lorsqu’il affirma que le suicide ne relevait ni du péché ni de l’autodétermination.11 Le motif du suicide était plutôt provoqué, dit Ringel, dans une profonde détresse psychique susceptible d’être reconnue dans toutes ses dimensions. Selon M. Ringel, le médecin ainsi que toutes les personnes concernées dans l’entourage du souffrant devaient s’efforcer de comprendre le drame psychique qui aura généré le désir du suicide ainsi que les prémices ayant entrainé la mort comme seule issue pour un être humain.12 

Ce « rétrécissement psychique» («psychische Verengung») dont parle M. Ringel est davantage susceptible d’apparaître chez les personnes ayant du mal à faire face à leur dépendance aux soins. Le fait de devoir accepter de l’aide peut déclencher des sentiments de rejet de soi si forts que ces personnes se sentent inutiles et constituant un fardeau pour leurs semblables, jusqu’à ce que des pensées suicidaires supplantent tout rapport positif avec la vie, si leur entourage humain ne parvient pas à rattraper cette chute.

Le discours public sur l’homicide donne, artificiellement, davantage de poids à ce processus et le renforce comme un choix présumé, comme une décision «autonome», comme un «service d’amour». Le climat social qui en résulte est une importante intensification du sentiment de n’être plus que des fardeaux pour la famille et la société chez de nombreuses personnes âgées et malades. A un moment donné, la progressive érosion intérieure de leur estime de soi est avancée au point qu’elles commencent à se sentir moralement obligées de parler à leur conjoint, à leurs proches ou au médecin d’«assistance au décès», et même du «souhait» de mourir.

La vie humaine est en général fragile et largement tributaire du soutien et de l’aide, et cela tout particulièrement durant sa première et dernière phase. Les personnes vaillantes qui, tout au long de leur vie, ont basé leur valeur et importance dans leur entourage sur leur vigueur, leur indépendance et leur serviabilité en prennent rarement conscience tant qu’elles jouissent d’une bonne santé. La prise de conscience qui n’intervient que lorsque les forces habituelles diminuent soudain en raison du vieillissement ou de la maladie, souvent liée au constat que tout ne peut plus être maîtrisé, comme d’habitude, avec énergie et rapidité, ébranle leur confiance en elles. Elles ont surtout du mal à accepter de l’aide lorsque la nature fixe des limites, jusqu’alors inconnues, à leur mode de vie efficace ayant été si longtemps une bénédiction pour leurs familles et leurs proches, limites qu’aucun acte purement volontaire ne peut surmonter. Alors, des pans entiers de leurs activités de vie s’effondrent continuellement.

Le style de vie axé précisément sur l’efficacité contribue très largement à faire oublier aux personnes âgées malades leur riche expérience de vie, les empêchant de garder une vision sereine du sens d’une vie vécue pleinement. En effet cette riche perception leur est propre et constitue un véritable trésor d’expériences dont ne dispose pas la jeunesse. Toute personne âgée appartient au groupe des témoins vivants du passé susceptibles de contribuer à garantir la continuité du développement culturel. Leur vue d’ensemble fait naître la sagesse de l’âge, particulièrement adaptée à épauler cette jeune génération qui peut en tirer profit, face à leurs petits et grands soucis, de la vision plus sereine et nourrie d’expériences vécues de la personne âgée. 

C’est une grande tâche humaine que de donner aux personnes plongées dans cette situation assez de courage et de réalisme pour se réconcilier avec leur faiblesse, pour planifier leur vie avec plus de persévérance, de calme et de réalisme, et pour conquérir éventuellement des domaines de la vie jusqu’alors méconnus, à savoir précisément le sens de leur présence pour la jeune génération, comme nous venons de l’évoquer, elle qui, souvent hésitante, est encore au début de sa vie. Cette conquête, fusse-t-elle tardive, fait partie de la liberté humaine elle aussi.

Les personnes malades et dans le besoin peuvent se décourager, douter du sens de la vie et ne plus avoir la force de continuer de vivre, surtout si elles souffrent de douleurs physiques. Si un médecin, des proches ou des produits médiatiques interprètent ce manque de force et de courage comme l’expression d’une «libre décision» de se suicider, alors le patient est coupé de l’aide qui lui permettrait, portée par son entourage, de maîtriser sa situation difficile. Il se sent abandonné, ce qui nourrit encore les pensées suicidaires.

Nous tous, en tant qu’êtres humains, devons notre vie à la génération de nos parents et grands-parents, qui nous l’ont donnée. Leur aide et leurs soins nous ont permis de devenir humains. Avec gratitude, chacun d’entre nous ressent donc la profonde obligation de leur donner aujourd’hui ce qu’ils nous ont offert autrefois, avec amour, sans que nous l’ayons demandé. Ce contrat invisible crée un lien naturel entre les générations. C’est le cœur de notre nature sociale.13 Les mêmes soins affectueux dont nous avons profité jadis quand nous étions enfants sont dus, aujourd’hui, à l’anciennegénération, le même engagement total, rendu, cettefois-ci par des plus jeunes. C’est là le droit naturel de la génération des parents vieillissants, un autre contrat intergénérationnel, tout aussi irrévocable que le premier.14 Nous pouvons le dénigrer, mais «l’opinion erronée d’une personne sur elle-même et sur les devoirs de l’existence se heurtera tôt ou tard à la cuirasse de la réalité, qui exige des solutions répondant aux besoins de la communauté»,15 étant donné que sans aide mutuelle, la coexistence humaine devient impossible. «Ce qui se produit lors de ce heurt est comparable au choc d’une collision», remarque Adler: le refus du droit à l’aide se traduit par un dégât humain dont il est l’expression accusatrice.

Le souci de réussir sa vie et de la protéger nous accompagne tout au long de notre existence, en particulier en cas de maladie et de dépendance liée avec l’âge avancé, et cela malgré les automatisations de l’ère numérique et notre aisance matérielle, qui brouillent notre vision des choses. Ceux qui aident les autres s’acquièrent l’assurance qu’on les aidera à leur tour quand ils seront en difficulté, source de sécurité et de confiance susceptibles d’atténuer nos angoisses auxquelles nous, les humains, sommes si souvent accessibles, nous rendant la vie plus facile. C’est là que réside la meilleure façon possible de protéger la vie.16

Les personnes capables d’accepter de l’aide, ayant ainsi courageusement surmonté une maladie grave ou une période de grande vulnérabilité, sont souvent particulièrement aptes à transmettre aux autres l’espoir et le courage qu’elles obtiendront à leur tour de l’aide dans des moments difficiles. Cependant, au travers du discours public sur l’«assistance au décès», ce sont souvent précisément les personnes malades et en détresse, ayant donc particulièrement besoin d’aide, qui se trouvent concernées par l’idée que leurs semblables, dont elles dépendent et qui pourraient éventuellement les aider, pourraient, eux aussi, considérer leur décès comme une solution. La personne malade se trouvera alors abandonnée à ses angoisses. Cela l’affaiblit, et affaiblit également, d’un point de vue moral, toutes les autres personnes impliquées. La compassion naturelle et l’élan spontané et inné d’aider, que l’enfant exprime déjà dans sa première année de vie, sans que l’on doive le lui apprendre, étant un élément constitutif de sa nature, cet élan s’affaiblit, s’étiole. A un moment donné, la société de l’euthanasie reproche au médecin, qui persiste dans sa volonté d’aider, de vouloir empêcher la personne malade et désespérée de mourir. Dans une société où fléchit l’impulsion naturelle de vouloir aider, s’amenuisent aussi de toutes parts la force et l’espoir de surmonter des tâches difficiles et d’en sortir mûris.

Ainsi, à eux seuls les discours et la couverture médiatique perpétuels de l’homicide selon leur compréhension rongent les conditions de base de la vie humaine. L’attachement psychique et la compassion naturelle se transforment en «compassion mortifère». Les forces sociales naturelles de l’homme, telles que nous les connaissons grâce aux riches découvertes de l’anthropologie, de la psychologie individuelle et de la psychologie du développement, les sentiments de solidarité et de communauté propres à l’être humain sont atrophiés par cette opération socio-psychologique, tout aussi bien au sein de l’individu que de la société. 

Comme toute personne tombe un jour malade, le discours public sur l’«homicide bienveillant» touche avant tout la sphère protectrice de la famille ainsi que la relation de confiance du patient avec son médecin, le gardien de la vie. Lorsqu’il est dit publiquement que le médecin est également responsable de la «bonne mort» et qu’il peut, «de façon intéressée», «délivrer par amour», alors le médecin devient un danger. La confiance qui me permet de me tourner vers le médecin sans crainte parce que tout ce qu’il entreprend est destiné à mon bien et parce que je peux être sûr qu’il est et reste le garant de ma volonté de vivre, cette confiance est détruite.

De nombreux rapports écrits honnêtement sur les procédures d’«assistance au décès», telles qu’elles se déroulent en réalité, nous parviennent de divers pays, documents qui ne sont pas communiqués au public par les médias qui alimentent le débat sur l’euthanasie en parlant de la «bonne mort». On y lit les témoignages de membres de famille qui, après l’acte, se rendent compte qu’ils sont devenus complices, coupables de la mort d’un parent bien-aimé, comment ils sont devenus dépressifs et qui se demandent, honteusement, comment ils peuvent continuer de vivre.17 On connaît aussi les images de médecins euthanasistes qui, après avoir tué un patient, réagissent de façon pétrifiée et mécanique, laissant percevoir la raison pour laquelle ils ont dû se retirer pendant un week-end après une «assistance au décès».18 

Le fait même de parler publiquement d’homicide est déjà une procuration sur la vie d’un être humain. En effet, c’est la porte ouverte, le moment venu, à des actes dirigés contre la vie en détruisant ses fondements moraux. Si l’on défend publiquement que donner du poison à des personnes dont on considère que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue serait un «acte d’amour», alors ce jugement est une ingérence extérieure s’arrogeant le droit de disposer de la vie de la personne malade. Dans un climat social imprégné d’une telle vision des choses, n’importe qui peut devenir complice par simple acceptation passive, car le silence a valeur de consentement.

Par la nature même de leurs professions, le médecin et le psychologue sont des défenseurs de la vie. Ils savent comment le fait de parler de l’homicide en public agit sur le psychisme du patient, et savent surtout ce qui se passe dans le psychisme des personnes qui participent activement ou «passivement» à l’homicide de patients ou de membres de leur famille. Quiconque donne du poison à une personne fatiguée de vivre a pris au préalable une décision de valeur. Il estime que la vie de cette personne ne vaut plus la peine d’être vécue. En réalité, la personne suicidaire meurt sous le contrôle d’une instance extérieure. 

Les médecins et les psychologues sont capables de mesurer les conséquences à long terme de ces processus pour la société, lorsque des tiers décident de la valeur de la vie des autres. Ils sont donc porteurs d’une responsabilité particulière envers la société consistant à informer le public de ce que le flot continu de films, de talk-shows et d’autres formes de propagande de masse sur l’«assistance au décès» provoque au sein de nos sociétés dans leur ensemble: à savoir l’affaiblissement progressif, dans tous les domaines, des liens sociaux et de la solidarité entre les individus ainsi que des forces interpersonnelles dont ils disposent, créant la cohérence sociale. L’éthicien médical Giovanni Maio décrit ce «Lentiprozess» (processus à lenteur) agissant sur la société dans son ensemble qui, subrepticement, modifie dangereusement l’attitude fondamentale des individus face à la vie: 

«Une société qui ne considère pas le suicide avec consternation mais le considère comme un acte compréhensible, risque d’envoyer aussi mourir d’autres personnes, car cela indique que notre société est capable d’accepter «la logique» du suicide, et de le considérer comme raisonnable. Une société qui considère qu’il est raisonnable de s’en prendre à soi-même en cas de maladie est une société dangereuse. Elle pousse en effet au désespoir de nombreuses personnes qui sont en conflit avec elles-mêmes et se demandent si leur vie a encore de la valeur ou si elle n’est pas simplement un fardeau.»19 

Lorsque la campagne sur l’euthanasie a débuté en 1993, elle s’inscrivait dans le cadre d’une restructuration de l’Etat suisse dans le sens du concept américain de New Public Management:«repenser l’Etat» signifiait gérer l’Etat comme un bureau, avec des méthodes issues du management. Au moment de la campagne sur l’euthanasie, il s’agissait notamment de convertir les hôpitaux publics en entreprises rentables. La «nouvelle médecine» qui vient d’être introduite se caractérise, dans le «Careum working paper no 2/2009», dans les termes suivants:

«Le but de la pérennité exige le changement fondamental dans la relation thérapeutique. La relation individuelle avec le médecin ou le thérapeute doit se normaliser dans le sens qu’elle [...] suivra fondamentalement les lois du monde des marchandises et de la consommation. […]. La nouvelle médecine est [...] un marché de masse coûteux, répondant à une forte demande ainsi qu’à la spécialisation et à la division du travail, croissantes. Dans la perception du consommateur, la comparaison des services est importante face à la concurrence entre les fournisseurs. La transparence sera donc une condition préalable indispensable, notamment pour la protection des patients. Dans les soins hautement standardisés, il ne s’agit pas de savoir-faire ou d’art du métier, mais de descriptions compréhensibles des services fournis. Par conséquent, une relation thérapeutique basée sur une conception individualiste et le purisme clinique est obsolète».20 

Immédiatement après la chute du rideau de fer et l’effondrement du bloc de l’Est fut lancée la campagne de légalisation de la consommation de drogue, à l’origine du Platzspitz, du Letten (endroits du marché de drogues, ci-inclus l’héroïne, à Zurich, ndt.) et de toutes leurs répercussions. A la même époque, le système éducatif était en cours de restructuration, et à peine plus tard commença la «réforme» de la formation des infirmières, basée sur les mêmes concepts. Ce furent les mêmes concepts, acteurs et fondations qui étaient à l’œuvre dans tous ces domaines. Ernst Buschor, (conseiller directeur du canton de Zurich de l’époque, ndt.) par exemple, allait rejoindre le département de l’éducation (rebaptisée «de formation»), après avoir participé à la restructuration du système hospitalier zurichois selon les concepts mentionnés. 

Au cours des premières années, la résistance contre la campagne sur l’euthanasie a été l’axe principal de nos activités. De 1993/94 à 2000, nous avons résisté à la campagne de «libéralisation» de l’article 114 du code pénal suisse qui sanctionne le meurtre sur demande. Le Parlement s’est ensuite opposé à une écrasante majorité contre l’initiative législative du leader du groupe parlementaire social-démocrate, Franco Cavalli, visant à introduire l’«euthanasie active», à l’instar des Pays-Bas. Nous sommes aujourd’hui encore très fiers de ce succès, auquel la Société hippocratique a contribué de manière très active et significative. A cette époque, nous avons pu constater que le front du mouvement anti «euthanasie» traversait tous les camps politiques et tout clivage Gauche/Droite. Par-delà toutes les différences idéologiques et religieuses, nous avons trouvé des alliés et des soutiens fidèles auprès de personnes qui savaient où se dirige, à long terme, une société dont l’Etat n’offre plus le cadre protecteur de l’égalité juridique.21

L’égalité juridique

L’Etat de droit repose sur l’idée fondamentale de la Grèce antique: la paix doit être une paix juste et sûre. L’homme doit se servir de sa raison et, guidé par le sentiment humain, mesurer la justice régnant dans l’Etat selon une norme pré-étatique, selon la nature de l’homme, et adapter la justice à cette nature. C’est ainsi que l’action politique se rapproche de la justice. Ce fondement philosophique a permis l’émergence de 2500 ans d’histoire de l’évolution de l’Etat constitutionnel démocratique, basé sur la séparation des pouvoirs. Il est intéressant de noter que cette histoire s’est développée parallèlement au serment d’Hippocrate. Dans son apparition moderne, avec son monopole du recours à la force, cette forme d’Etat démocratique et de droit a été et est restée l’alternative historique à la lutte de tous contre tous, au despotisme, à l’anarchie, à la loi de la jungle et à la loi du plus fort, à toute politique de domination. La «modalité citoyenne» est l’égalité des droits, capable de surmonter autant la scission des classes des XIXe et XXe siècles que les divisions religieuses et l’ordre féodal des siècles précédents. 

En état de guerre de tous contre tous, l’expérience fondamentale de l’homme est la peur d’être tué. Le moyen de surmonter la peur de mort réciproque des citoyens a été de monopoliser tout le pouvoir entre les mains de l’Etat, qui est lié par la séparation des pouvoirs, l’ordre juridique et les droits de l’homme, et «dont le pouvoir est supérieur à tout autre pouvoir et qui est donc capable, à l’aide de l’horreur suprême qui lui est réservé, de maîtriser la violence que les particuliers appliquent les uns contre les autres, et de dompter les horreurs qu’ils s’infligent mutuellement.»22 Les ennemis de la guerre de tous contre tous «acceptent de remettre leurs armes à l’Etat afin de supprimer la menace réciproque, de l’utiliser comme garantie de leur sécurité réciproque et de s’y soumettre. [...] [les] citoyens [ne peuvent et ne veulent] plusrégler leurs conflits par la confrontation physique. Ce sont lerenoncement à la violence et l’obéissance [à la loi] qui font le citoyen».23 

Ainsi nous assistons, dans l’Europe du début de l’époque moderne, à «la naissance de l’Etat moderne à partir des souffrances des guerres civiles des 16e et 17e siècles.» Il représente «le dépassement institutionnel de la guerre civile. Il établit la paix civile en instaurant un monopole de la violence physique légitime, privant les citoyens du droit et du pouvoir d’être à la foi ceux qui jugent et ceux qui exécutent les jugements pour leur propre cause».24 Toutefois, on retrouve ce cumul dans l’essence de l’euthanasie, quand l’«ange de la mort» s’arroge le droit d’être «juge et exécuteur de jugement pour sa propre cause».

La structure de l’Etat a pour finalité la Paix et la mort représente son plus grand mal. Son but est de protéger la vie, l’intégrité physique et la liberté.25 Au sein de l’Etat protecteur, toutes les corporations professionnelles sont sommées à contribuer au but de l’Etat, à savoir la protection de la vie. Cependant, cet Etat peut à son tour devenir, à nouveau, l’objet de la peur des citoyens s’il s’écarte de son but. C’est précisément là que se trouve le sens des droits de l’homme. Ils sont destinés à protéger le citoyen contre la puissance incontrôlée de l’Etat.

Ce modèle d’Etat est une structure fragile nécessitant d’être vécue avec clairvoyance et qui, de plus, n’est qu’imparfaitement développée dans les Etats actuels. «Et pourtant, la pensée politique n’a encore trouvé, à ce jour, aucun modèle capable de s’y substituer sans sombrer dans le chaos.»26 

Ces considérations, juridico-philosophiques d’un côté et socio-psychologiques de l’autre, sont les deux faces d’une même médaille. Revenons donc un instant en arrière: quiconque décide de donner du poison à une autre personne a d’abord porté un jugement de valeur: cette vie devant moi est sans la moindre valeur. Sans ce «raisonnement», il ne donne pas le poison, soulage plutôt, aide et accompagne son prochain, même dans les moments les plus difficiles. Voilà donc l’autodétermination, la vraie, portée par le sentiment de la compassion humaine dont l’être humain a besoin «jusqu’à son dernier souffle» et que le bon sens nous ordonne de la vivre. Contrairement à cela, l’«assistant au suicide» veut, quant à lui, cette «autodétermination» déformée, «celle qui engendre le dernier souffle».27 

Comment se fait-il que dans la seule démocratie directe au monde, l’homicide de malades et de personnes âgées soit en discussion et que l’égalité des droits ait été abandonnée, ayant fait disparaître la peur de l’être humain face à ses semblables, et en particulier face au médecin?Pourquoi le débat suisse sur l’«euthanasie» a-t-il commencé en même temps que l’introduction de la Nouvelle gestion publique? Est-ce une pure coïncidence que, lors du Forum économique mondial (FEM) en 2000, à Davos (Suisse), les dirigeants des nations industrielles occidentales et de la haute finance, les représentants de la Banque mondiale, du FMI et d’investisseurs mondiaux aient discuté, avec le philosophe de l’«euthanasie», Peter Singer, des sommes à consacrer à la santé, à l’avenir? Et cela à l’heure où le monde se réarmait et où l’on préparait les prochaines guerres! La tentative d’introduire l’«euthanasie» est la mise en œuvre de la planification en marche lors de ces rencontres. Je voulais seulement faire une brève allusion à ces éléments. Il s’agit là d’une question à traiter à part.

Après plus de vingt-cinq ans, les défenses morales de la société sont endommagées à bien des égards. La tâche est devenue plus ardue, mais elle n’a pas changé: mettre en lumière, comme garant de la vie de la personne malade et comme garant de la finalité de l’Etat démocratique de droit, des processus en marche au sein de cet Etat même qui menacent la protection de la vie de ces citoyens. Ces dernières années, nous assistons à un retour à la Conditio humana: d’une part avec la notion d’«autonomie humaine comme autonomie qui est toujours en relation à autrui»(«l’autodétermination a besoin de l’autre personne»28). D’autre part, le «suicide bilan» (Bilanzsuizid), inventé par le psychiatre Alfred Hoche en 1918 comme un acte délibéré du libre arbitre de personnes en bonne santé29 et repris depuis les années 1970 par le nouveau mouvement de l’euthanasie, reste très controversé parmi les psychiatres,30 les gérontologues et gérontopsychiatres mettant à nouveau en garde, avec insistance, contre ce phénomène.31 Les nouvelles «contre-propositions pour une [...] nouvelle culture de l’accompagnement [...] devraient être discutées d’urgence».32 Enfin, l’espoir douteux que les suicides cruels soient «transformés» en suicides assistés par la libération de l’euthanasie est vigoureusement contredit par la réalité.33 Nous connaissons la «contagion sociale» par des comportements suicidaires réels et fictifs (le fameux «effet Werther»).34 Contre de pareils actes d’imitation nous disposons de remèdes.35 Les témoignages peuvent «prévenir les suicides, s’ils portent sur des personnes suicidaires qui ont trouvé des moyens de sortir de leur situation critique et ont pu surmonter leurs tendances suicidaires».36 

Tout cela nous incite à demeurer dans cette dynamique définie et désignée par Ernst Bloch, par les termes de «docta spes», l’«espoir savant». 

Je vous remercie de votre attention.•



La Société médicale néerlandaise et les documents gouvernementaux aux Pays-Bas utilisent officiellement le terme «euthanasie», également utilisé par les nationaux-socialistes: «Euthanasia is defined as the active termination of life at a patient’s voluntary and well-informed request.» [KNMG. Euthanasia in the Netherlands. 16/08/17. https://www.knmg.nl/actualiteit-opinie/nieuws/nieuwsbericht/euthanasia-in-the-netherlands.htm (consulté le 3 mars 2019)]. Notons que dans les textes officiels néerlandais, l’«assistance au suicide» est appelée «euthanasie», et selon la définition ci-dessus, il s’agit d’une «active termination of life», un «achèvement actif de la vie», donc d’un homicide!
Cf. aussi Freispruch für ärztliche Hilfe zur Selbst-tötung. In: Neue Züricher Zeitung du 01/10/93
Le terme «assistance au décès» suscite de sérieuses réserves historiques, parce que la loi sur l’«euthanasie» des nationaux-socialistes, qui n’est finalement pas entrée en vigueur, comprenait le terme dans son titre: «Loi sur l’assistance au décès des malades en phase terminale». Ds.: Nestor, Karen et al. Hilfe beim Sterben, Hilfe zum Sterben oder Hilfe zum Leben? In: Swiss Medical Forum – Forum Médical Suisse 2017;17(35), p. 738-743, p. 738. Le texte de la loi nazie prévue en 1940 se trouve dans: Roth, Karl Heinz (éd.). Erfassung zur Vernichtung. Berlin 1984. p. 177, cf. aussi p. 121, 130s., 143
Cf. van der Maas, P. J.; van der Delden, J. J. M.; Pijnenborg, L. Medische beslissingen rond het levenseinde. Het oderzoek voor de Commissie Oderzoek Medische Braktijk inzake Euthanasie. Sdu Uitgrverij Plantijnstraat, ´s-Gravenhage 1991. ISBN 90 39 901244 [= «Rapport Remmelink». traduction anglaise: Euthanasia and other Medical Decisions Concerning the End of Life. Amsterdam 1992]
Cf. aussi van der Wal, G. & van der Maas, P. J. Euthanasie en andere medische beslissingen rond het levenseinde. Den Haag: SDU 1996 ; Gunning, Karel F. Human rights and Euthanasia in the Netherlands. [manuscit en possession de l’auteur: comparaison des chiffres officiels sur l’euthanasie aux Pays-Bas en 1990 et 1995] ; Fenigsen, Richard. The Report of the Dutch Government Committee on Euthanasia, Norfolk 1991
Weizsäcker, Viktor von. Arzt und Kranker I. 3eéditionaugmentée. Stuttgart 1949, p. 7 ss.
ibid., p. 89
ibid, p. 86
ibid.
Spaemann, Robert In: Stettberger, Herbert (éd.). Berlin 2017, p. 197-208, p. 202
10 Cf. von Uexküll, Thure. Psychosomatik. Cité d’après Eser, Albin (éd.). Lexikon Medizin, Ethik, Recht. Freiburg/Br. 1992; Holt-Lunstad, Julianne. Testimony before the US Senate Aging Committee. 27 avril 2017. https://www.aging.senate.gov/imo/media/doc/SCA_Holt_04_27_17.pdf (consulté le 16 mai 2019)]; Holt-Lunstad, Julianne et al.Social Relationships and Mortality Risk: A Meta-analytic Review. In: PLoS Med 7(7) 2010: e1000316 https://journals.plos.org/plosmedicine/article/file?id=10.1371/journal.pmed.1000316&type=printable (consulté le 16 mai 2019)] Maio Giovanni. Die heilende Kraft der Zuwendung in der Medizin. Ds.: Ehm, Simone; Giebel, Astrid; Lilie, Ulrich; Prönneke, Rainer (éd.). Geistesgegenwärtig behandeln. Existentielle Kommunikation, Spiritualität und Selbstsorge in der ärztlichen Praxis. Neukirchen 2016, p. 57–70; ibid. Die heilende Kraft der Begegnung. In: Zeitschrift für Komplementärmedizin 2013, 5; 5, p. 58–62; ibid. Therapie als Hilfe zur Annahme seiner selbst: Über die heilsame Kraft der Begegnung. In: Balint-Journal 2013. 14; 2, p. 33–39
11 Cf. Ringel, Erwin. Der Selbstmord. Abschluss einer krankhaften Entwicklung. Vienne/ Düsseldorf 1953
12 Cf. Ringel Erwin. Das präsuizidale Syndrom – medizinische, soziale und psychohygienische Konsequenzen. In: Hexagon «Roche».1985;  (1), p. 8–14
13 Cf. Dührssen, Annemarie. Die biographische Anamnese unter tiefenpsychologischem Aspekt. Göttingen 1981. Cf. aussi Nestor, Moritz & Vögeli, Erika. Zum Dreigenerationenmodell. 1998. https://naturrecht.ch/wp-content/uploads/1998-MZE-Erika-Moritz-Dreigenerationenmodell.pdf (consulté le 7 mars 2019) Cf. aussi Nestor, Moritz. 13 Thesen: Anthropologische Grundlagen der Familie. 1999. https://naturrecht.ch/13-thesen-anthropologische-grundlagen-der-familie/ (consulté le 10 mars 2019), Cf. aussi Nestor, Moritz. Worin besteht der Sinn des Alters? 1997. https://naturrecht.ch/worin-besteht-der-sinn-des-alters/ (consulté le 10 mars 2019) Guardini, Romano. Die Lebensalter. Ihre ethische und pädagogische Bedeutung.Würzburg 1953
14 Cf. aussi Nestor, Moritz. Développer une perspective humaine en ces temps difficiles. Apports de l’expérience historique, du droit naturel, de l’anthropologie et de la psychologie. In: Horizons et débats No12 du 29/05/17
15 Cf. chapitre «Notre opinion sur nous-même et sur le monde». In: Adler, Alfred. Le sense de la vie. 1er édition en Allemand,Leipzig 1933
16 Cf. chapitre «Der anthropologische Aspekt: Gemeinschaftsgefühl als ursprüngliche Gegebenheit». In: Kaiser, Annemarie. Das Gemeinschaftsgefühl bei Alfred Adler. Ein Vergleich mit Befunden aus Entwicklungspsychologie, Psychopathologie und Neopsychoanalyse. Dissertation pour l’obtention du doctorat de la faculté de philosophie I de l’Université de Zurich 1977, p. 12ss
17 Cf. Marker, Rita. Deadly Compassion: The Death of Ann Humphry and the Truth about Euthanasia. Morrow/Harper/Collins/Kirkus 1993. Cf. aussi Müller-Frank, Stefanie. Sterbehilfe. Die Fragen der Angehörigen. In: Deutschlandfunk Kultur du 13/02/17. https://www.deutschlandfunkkultur.de/sterbehilfe-die-fragen-der-angehoerigen.976.de.html?dram:article_id=378852 (consulté le 3 mars 2019)
18 Cf. IKON. Tod auf Verlangen. Fernsehfilm. Niederlande 1994. Cf. aussi Goddar, Jeannette. «Tod auf Verlangen». In: TAZdu 12/12/94. http://www.taz.de/!1529588/ (consulté le 3 mars 2019)]
19 Maio, Giovanni. Medizin ohne Mass? Stuttgart 2014, p. 175
20 Panfil, Eva Maria & Sottas, Beat. Careum working paper 2. Woher kommen die Besten? Globaler Wettbewerb in der Ausbildung – wer bildet zukunftsfähige Health Professionals aus? Careum 2009, p. 8
21 Bastian, Till (éd.) Denken, schreiben, töten. Zur neuen Euthanasie- Diskussion und zur Philosophie Peter Singers. Stuttgart 2000. Fenigsen, Richard. The Report of the Dutch Government Committee on Euthanasia, Norfolk 1991. Dörner, Klaus. Tödliches Mitleid. Freiburg/Basel/Wien 1993. Ibid. Leben und sterben, wo ich hingehöre. 5eédition, Neumünster 2007. Spaemann, Robert; Hohendorf, Gerrit; Oduncu, Fuat S.  Freiburg/Basel/Wien 2015. Ibid. & Fuchs, Thomas. Töten oder sterben lassen? Freiburg/Br. 1997. Hoffmann, Thomas & Knaup, Marcus (éd.). Was heisst in Würde sterben. Wider die Normalisierung des Tötens. Wiesbaden 2015. Krause Landt, Andreas. Wir sollen sterben wollen. Warum die Mitwirkung am Suizid verboten werden muss. Bauer, Axel W. Todes Helfer. Warum der Staat mit dem neuen Paragraphen 217 StGB die Mitwirkung am Suizid fördern will. Schneider, Reinhold. Über den Selbstmord (1947). Drei Texte. Waltrop/Leipzig 2013. Kruse, Andreas; Maio, Giovanni; Althammer, Jörg. Humanität einer alternden Gesellschaft. Paderborn 2014. Kruse, Andreas. Lebensphase hohes Alter. Verletzlichkeit und Reife. Springer Deutschland 2017. Maio, Giovanni. Den kranken Menschen verstehen. Freiburg/Br. 2015. Bollig, Georg; Heller, Andreas; Völkel, Manuela. Letzte Hilfe. Umsorgen von schwer erkrankten und sterbenden Menschen am Lebensende. 2eédition, Esslingen 2018. Christoph, Franz. Tödlicher Zeitgeist. Köln 1980. Hillgruber, Christian. Die Bedeutung der staatlichen Schutzpflicht für das menschliche Leben und der Garantie der Menschenwürde für eine gesetzliche Regelung der Suizidhilfe. In: Hoffmann, Thomas; Knaup, Marcus (éd.). Was heisst in Würde sterben.Wider die Normalisierung des Tötens. Wiesbaden 2015, p. 102–115. Bauer, Axel W. Notausgang assistierter Suizid? Die Thanatopolitik in Deutschland vor dem Hintergrund des demographischen Wandels. In: Hoffmann, Thomas; Knaup, Marcus (éd.). Was heisst in Würde sterben. Wider die Normalisierung des Tötens. Wiesbaden 2015, p. 48–78. Beckmann, Rainer; Kaminski, Claudia; Löhr Mechthild (éd.) Es gibt kein gutes Töten. Waltrop/Leipzig 2015. Woelki, Rainer Maria Kardinal; Hillgruber, Christian; Maio, Giovanni; von Ritter, Christoph; Spieker, Manfred. Wie wollen wir sterben? Paderborn 2016. Bruns, Theo; Penselin, Ulla, Sierck, Udo (éd.). Tödliche Ethik. Hamburg 1990. Bloodworth M., Bloodworth N., Wesley E. A template for non-religious-based discussions against euthanasia. In: The Linacre Q. 2015;82(1), p. 49–54. Sulmasy, D. P.; Travaline, J. M.; Mitchell, L. A.; Ely, E. W. Non-faith-based arguments against physician-assisted suicide and euthanasia. In: Linacre Q. 2016;83(3), p. 246–257
22 Isensee, J. Das Grundrecht auf Sicherheit, Berlin 1983, p. 3
23 ibid.
24 ibid. p. 4
25 ibid. p. 5
26 ibid. p. 5
27 Cf. Mieth, Dietmar. «Sterbehilfe ist nicht zulässig». Rp-online.de, interview du 30 juillet 2008. https://rp-online.de/leben/gesundheit/news/sterbehilfe-ist-nicht-zulaessig_aid-11621643 (consulté le 3 mars 2019)
28 Cf. flyer Cycle de conférences sur l’autonomie en médecine. www.nek-cne.ch/fileadmin/nek-cne-dateien/Themen/Symposium_NEK-ZEK/NEK-ZEK_2016_Flyer_D.pdf (consulté le 3 décembre 2016)
29 Cf: Hoche, Alfred. Die Freiheit des Willens vom Standpunkte der Psychopathologie. Wiesbaden 1902 [= Loewenfeld, L. & Kurella, H. (éd.). Grenzfragen des Nerven- und Seelenlebens. Einzeldarstellungen für Gebildete aller Stände. Band XIV.] Cf. aussi: Bilanzsuizid. Ds.: https://de.wikipedia.org/wiki/Bilanzsuizid#cite_note-1 (consulté le 5.3.2019) Cf. aussi: Eser, Albin. Erscheinungsformen von Suizid und Euthanasie – Ein Typisierungsversuch. In: Eser, Albin (éd.). Suizid und Euthanasie als human- und sozialwissenschaftliches Problem. Stuttgart 1976, p. 4–11. En 1920, le psychiatre Alfred Erich Hoche et l’avocat Karl Binding publient la brochure «Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens» (l’autorisation de la destruction de vies ne valant pas la peine d’être vécues ndt). Ils y glorifient le suicide comme une mort «autodéterminée», préconisent l’«assistance au décès» pour les «malades en phase terminale» et l’homicide des malades et des handicapés, qui ne seraient plus que des «coquilles humaines» et n’auraient aucune valeur pour la société. La brochure a servi à l’«euthanasie» nationale-socialiste.
30 Bochnik, H.J. Suizid und Sterbehilfe. Zur Frage der freien Willensbestimmung in Verzweiflung. Psycho. 1992;8, p. 736–43. Ernst, Cecil. Exposé zu neueren epidemiologischen Studien zum Suizid. 1999, p. 5. Klesse, Raimund. Der Todeswunsch aus psychiatrischer Sicht. In: Imago Hominis. 2003;10(1), p. 37–44. Onkay Ho, A. Suicide: Rationality and Responsibility for Life. Can J Psychiatry. 2014;59(3), p. 141–7. Leeman, C. P. Distinguishing among irrational suicide and other forms of hastened death: implications for clinical practice. In: Psychosomatics. 2009;50(3), p. 185–97
31 Suicide assisté pour les personnes âgées. Prise de position de la SGG SFGG SGAP. Berne 2014. www.sgg-ssg.ch/cms/media/Positionspapiere/Suizidbeihilfe_Positionspapier_SSGG_SFGG_SGAP_Stand_24-11-2014_def.pdf (consulté le 3 décembre 2016). Stoppe, G.; Kohn. J.; Schmugge, B.; Suter, E.; Wiesli, U. Prise de position «Suizidprävention am Alter». www.public-health.ch/logicio/client/publichealth/file/mental/Positionspapier_Suizidpravention_im_Alter__D_def.pdf (consulté le 3 décembre 2016). Ruckenbauer, G.; Yazdani, F.; Ravaglia, G. Suicide in old age: illness or autonomous decision of the will. Ds.: Arch Geront Geriatr Suppl. 2007;1, p. 355–358
32 Nestor, Karen et al. Hilfe beim Sterben, Hilfe zum Sterben oder Hilfe zum Leben? In: Swiss Medical Forum – Forum Médical Suisse 2017;17(35), p. 738–743, p. 741. Cf. Bauer, Axel W. Notausgang assistierter Suizid? Die Thanatopolitik in Deutschland vor dem Hintergrund des demographischen Wandels. In: Hoffmann TS, Knaup M. Was heisst: In Würde sterben? Wider die Normalisierung des Tötens. Springer. 2015, p. 49–79; Maio, Giovanni. Gutes Sterben erfordert mehr als die Respektierung der Autonomie. In: Deutsche Zeitschrift für Onkologie 2011; 41, p. 129–132; Ibid. Eine neue Kultur der Sorge am Lebensende. In: pflegen: palliative 22/2014, p. 8–11; Ibid. Grundelemente einer Care-Ethik. Jahrbuch für Recht und Ethik 2016, 24, p. 241–251; Ibid. Der Krebs als Brennglas des Lebens. Für eine Ethik der Zuwendung in der Onkologie. In: Deutsche Zeitschrift für Onkologie 2016, 48; 2, p. 72–75; Ricoeur, Paul. Vivant jusqu’à la mort. Suivi de fragments. Le Seuil, Paris 2007
33 Jones, D. A. & Paton, D. How Does Legalization of Physician-Assisted Suicide Affect Rates of Suicide? Southern Medical Journal. 2015;108(10), p. 590–604. Sterbehilfe und Suizid in der Schweiz 2014. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante.assetdetail.1023144.html (consulté le 3 décembre 2016)
34 Ziegler, W. & Hegerl, U. Der Werther-Effekt. Ds.: Nervenarzt. 2002; 73, p. 41–49
35 Ziegler W. & Hegerl U. Der Werther-Effekt. Ds.: Nervenarzt. 2002;73, p. 41–49. Scherr, S. & Steinleitner, A. Zwischen dem Werther- und Papageno-Effekt. Ds.: Nervenarzt. 2015;86, p. 557–565. WHO. Preventing suicide. A ressource for medial professionals. www.who.int/mental_health/prevention/suicide/resource_media.pdf (consulté le 3 décembre 2016)
36 Nestor, Karen et al. Hilfe beim Sterben, Hilfe zum Sterben oder Hilfe zum Leben? Swiss Medical Forum – Forum Médical Suisse 2017;17(35), p. 738–743, S. 742. Cf. Niederkrotenthaler, T.; Voracek, M.; Herberth, A.; Till, B.; Strauss, M.; Etzersdorfer, E. et al. Role of media reports in completed and prevented suicide: Werther v. Papageno effects. Ds.: BJ Psych. 2010;197, p. 234–243. Cf. aussi: Niederkrotenthaler, T.; Voracek, M.; Herberth, A.; Till, B.; Strauss, M.; Etzersdorfer, E. et al. Papageno v Werther effect. In: BMJ. 2010;341

Ouvrages scientifiques

Pays-Bas

  • van der Maas, P. J.; van der Delden, J. J. M.; Pijnenborg, L. Medische beslissingen rond het levenseinde. Het oderzoek voor de Commissie Oderzoek Medische Braktijk inzake Euthanasie. Sdu Uitgrverij Plantijnstraat, ´s-Gravenhage 1991. ISBN 90 39 901244 [= «Remmelink Report». Englische Übersetzung: Euthanasia and other Medical Decisions Concerning the End of Life. Amsterdam 1992]
  • van der Wal, G. & van der Maas, P. J. Euthanasie en andere medische beslissingen rond het levenseinde. Den Haag: SDU 1996
  • Hendin, Herbert et al. Physician-Assisted Suicide and Euthanasia in the Netherlands. Ds: Jama, June 4, 1997-Vol 277, no21
  • Gunning, Karel F. Euthanasia. Ds: The Lancet, 19. Oktober 1991
  • Gunning, Karel F. Remmelink and after. London 1992
  • Gunning, Karel F. Human rights and Euthanasia in the Netherlands. [Manuskript im Besitz des Verfassers: Vergleich der offiziellen niederländischen Euthanasiezahlen von 1990 und 1995]
  • Fenigsen, Richard. The Report of the Dutch Government Committee on Euthanasia, Norfolk 1991
  • van Raemdonck, D. Euthanasia patients should be accepted as organ donors in states with existing legislation. In: Ann Thorac Surg. 2016; 102, p. 1782–1789
  • Lerner B. H.; Caplan, A. L. Euthanasia in Belgium and the Netherlands: On a Slippery Slope? In: JAMA Intern Med. 2015;175(10), p. 1640–1641

Belgique

  • Onwuteaka-Philipsen, B. D.; Brinkman-Stoppelenburg, A.; Penning, C.; de Jong-Krul G. J. F.; van Delden J. J. M.; van der Heide, A.; Trends in end-of-life practices before and after the enactment of the euthanasia law in the Netherlands from 1990 to 2010: a repeated cross-sectional survey. Ds.: Lancet 2012; 380, p. 908–915
  • Dierickx, S.; Deliens; L.; Cohen, J.; Chambaere, K.; Euthanasia in Belgium: trends in reported cases between 2003 and 2013. In: CMAJ. 2016; 188(16), p. 407–414
  • Siegel, A. M.; Sisti, D. A.; Caplan, A. L. Pediatric Euthanasia in Belgium – Disturbing Developments. Ds: JAMA. 2014; 311(19), p. 1963–1964
  • Erstmals Sterbehilfe für todkrankes Kind. In: Neue Zürcher Zeitung du 17.9.2016 [https://www.nzz.ch/international/aktuelle-themen/belgien-erster-fall-von-sterbehilfe-fuer-minderjaehrige-ld.117321 (consulté le 3 mars 2019)]
  • Ysebaert, D.; van Beeumen, G., de Greef, K.; Squifflet, J. P.; Detry O.; de Roover, A. et al. Organ procurement after euthanasia: Belgian experience. Ds.: Transplant Proc. 2009;41(2), p. 585–586

Europe

  • van der Heide, A.; Deliens, L.; Faisst, K.; Nilstun, T.; Norup, M.; Paci, E. et al. End-of-life decision-making in six European countries: descriptive study. Ds.: Lancet. 2003;361, p. 345–350

Suisse

  • Bosshard, G.; Zellweger, U.; Bopp, M.; Schmid, M.; Hurst, S. A.; Puhan, M. A. et al. Medical End-of-Life Practices in Switzerland: A Comparison of 2001 and 2013. In: JAMA Intern Med. 2016; 176(4), p. 555–556
  • Marti, M. Sterbehilfe in der Schweiz. In: SAEZ. 2002; 83, p. 570–573
  • Tag, Brigitte. Strafrecht am Ende des Lebens – Sterbehilfe und Hilfe zum Suizid in der Schweiz. In: ZSTW. 2016;128(1), p. 73–88

 

A. et lic. phil. Moritz Nestor: études de philologie allemande et de philosophie (Fribourg/Br.); de psychologie et de pédagogie (Zurich); formation postuniversitaire en psychothérapie et études complémentaires en psychopathologie des adultes; longue pratique de l’enseignement de l’allemand comme langue étrangère, psychologue pratiquant en cabinet privé; rédacteur du «Forum Naturrecht und Humanismus» (www.naturrecht.ch); rédacteur de la revue «Personale Psychologie und Pädagogik»; membre fondateur et membre du conseil de la «Société hippocratique suisse»; membre fondateur et membre du conseil de l’«Institut für Personale Humanwissenschaften und Gesellschaftsfragen IPHG»; nombreuses conférences et publications.Le texte publié correspond à la conférence tenue devant l’assemblée commémorative de la Société hippocratique suisse du 9 mars 2019, à l’occasion du 20e anniversaire de sa fondation.

 

 

Préserver la dignité humaine – jusqu’au dernier souffle

par Erika Vögeli

L’Eglise protestante cantonale de Thurgovie a le grand mérite d’avoir présenté, avec un projet et une publication, une alternative positive à la discussion très médiatisée sur le suicide assisté et aux dangereux changements d’attitude face à la vie humaine, pour la plupart inexprimés, qui accompagnent cette discussion. Cette alternative place dans leur contexte social la dignité, l’autodétermination, l’autonomie et la compassion pour les personnes souffrantes, donnant ainsi à ces concepts leur véritable signification. Même si nous la considérons comme inaliénable et inviolable, l’expérience de notre dignité comporte toujours un aspect social, dépend toujours de la façon dont nous nous percevons dans la rencontre avec nos semblables. Cette dignité n’est pas menacée par la perte d’autonomie mais, comme le note le texte de couverture, par la «tendance sociale consistant à mettre en question la dignité inaliénable de nos vies vulnérables».

Parler de la fin de vie et de la mort est difficile pour la plupart des gens et demeure associé à diverses émotions. Les craintes, les sentiments d’insécurité, les ambiguïtés dues aux discussions actuelles sur l’autodétermination et la dignité préoccupent beaucoup de monde. En tant que malades souffrants et parents, nous sommes confrontés, parfois de manière prévisible mais souvent sans préparation, à des questions complexes qui nous accablent parce qu’elles touchent à l’essence même de notre être. Combien de temps des mesures de prolongement de la vie doivent-elles être maintenues? Dans quelles circonstances est-il sensé de renoncer à une thérapie, et qu’est-ce que cela signifie? Que signifient la dignité et l’autodétermination dans ce contexte? Un être cher dit qu’il ou elle veut mourir; qu’est-ce que cela signifie?

L’Eglise protestante du canton de Thurgovie a consacré un livre à ces questions: «Den Weg zu Ende gehen. In der Begegnung mit dem Sterben Lebendigkeit erfahren» (Jusqu’au bout du chemin. Eprouver la vitalité dans la rencontre avec la mort). Ce document magnifiquement conçu propose aux personnes concernées et à toute personne intéressée les expériences et les réflexions de parents et d’experts de diverses disciplines (théologie, médecine, droit, gérontologie), fournissant de précieuses suggestions.

Les rédacteurs adoptent une attitude «qui ne veut pas condamner ceux qui envisagent l’idée d’un suicide, mais qui est clairement dirigée contre une tendance sociale consistant à mettre en question la dignité inaliénable de nos vies vulnérables». (texte de couverture) Et dans leur propos introductifs, ils mettent également en garde contre les lourdes conséquences, autant pour l’individu que pour la société dans son ensemble si, «en l’absence de situation d’urgence absolue, le suicide devenait une option normale de fin de vie». Il s’agirait d’un «changement de paradigme de portée historique en matière de rapport à la vie», avec «de profondes conséquences pour de nombreux aspects de l’existence». (p. 15 s.)

Les considérations présentées dans le livre n’ont pas un fondement uniquement religieux; leur nature fondamentale, leurs fondements éthiques et anthropologiques les rendent tout aussi pertinentes pour les personnes à orientation laïque. Le fait qu’«au-dessus de l’homme, il y ait un Dieu», comme l’écrivent les rédacteurs en se référant à Dietrich Bonhoeffer,signifie également qu’en tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas disposer de la vie, même si ces fantasmes de toute-puissance et de faisabilité circulent bel et bien. Il en va de même pour le constat que la vie et la mort ont toujours aussi quelque chose à voir avec nos semblables: «Dès la naissance, nous ne sommes pas simplement des personnes vivant pour nous seules et responsables uniquement envers nous-mêmes, vivant selon le principe que ni la majorité civique, ni même la mort n’y changent quelque chose.» (p. 15) Cette logique s’applique également au constat qu’«un aspect essentiel de la vie et de l’affirmation de soi des chrétiens est que nous prenons soin les uns des autres».

Dans ce contexte s’inscrivent également d’importantes considérations juridiques concernant l’autodétermination du patient et sa responsabilité dans la prise de décision. «Bien sûr, un médecin ne devrait pas être autorisé à décider à la place du patient.» (p. 21) Mais donner la responsabilité des traitements médicaux en fin de vie au patient ou à son conjoint, lui-même âgé, peut représenter un très lourd fardeau. «Trop insister sur l’autonomie du patient risque de se retourner contre lui en ne lui faisant porter qu’une responsabilité unilatérale, au lieu de lui donner les soins et l’accompagnement dont il a besoin». (p. 24) 

Toutes les contributions soulignent l’importance des relations humaines et le fait qu’une autonomie absolue n’existe pas. Nous avons tous besoin d’un réseau social, non seulement les malades et les mourants. Mais tout naturellement, ces derniers en ont davantage besoin. C’est également l’idée de base des soins palliatifs et de l’assistance. La publication s’applique donc aussi à mettre en évidence leurs possibilités et leur importance et à en ancrer la connaissance le plus largement possible dans la population. Cela ressort dans toutes les contributions. Il est également question de la nécessité de réfléchir au fait que la dignité ne doit pas seulement être liée à la performance et à l’efficacité, mais qu’elle appartient également à l’être humain lorsque ses forces diminuent, que ses besoins d’être aidé augmentent. Comme l’écrit l’un des auteurs, «La dignité d’un être humain doit être vécue», au travers de relations sociales pleines de confiance et de vie. (p. 54) 

Ainsi, le livre soulève également le problème du déploiement de l’autonomie et de l’autodétermination dans un contexte social, et le fait que la question du suicide assisté inclut toujours l’interlocuteur de la personne dans le besoin. Il s’agit là d’une personne déterminante, qui doit décider si elle veut «redonner de la valeur à la personne dans le besoin, lui montrer de nouvelles perspectives pour faire face à une situation difficile, ou supporter la situation difficile avec elle», ou si elle partage l’évaluation d’une vie ne valant plus la peine d’être vécue. Ainsi, l’attitude de cette autre personne, qu’elle le veuille ou non, «influencera toujours le désir de suicide dans un sens ou dans un autre. L’autodétermination ne libère aucun être humain, et certainement pas un médecin, de sa responsabilité». (p. 82) Le fait de tuer, ou d’être témoin d›un suicide assisté, entraînerait des blessures psychiques, notamment sous la forme de stress post-traumatique et de dépressions. A l’inverse, être le témoin de «la façon dont les gens surmontent des situations de crise avec l’aide de leurs semblables et peuvent évoluer» donne à chacun courage et espoir. (p. 84)

A cet égard, le témoignage d’un médecin de famille est aussi touchant que révélateur: ses expériences montrent de manière impressionnante que même chez les personnes qui accordent une grande valeur à l’autodétermination et à l’indépendance, la volonté de suicide assisté s’éteint lorsqu’elles se sentent soutenues dans une relation humaine. Il s’agit notamment de parler des possibilités de soins palliatifs et de soutien en phase terminale dans l’entourage personnel. Cela n’a rien à voir avec la prolongation inutile tant discutée, à l’aide de machines monstrueuses (une idée fausse et dépassée de toute façon). Il s’agit ici d’une procédure totalement adaptée au patient et développée avec lui, qui lui permet de trouver la paix avec le moins de douleur possible, de se laisser aller intérieurement et de s’endormir paisiblement.

Des témoignages tout aussi touchants de personnes ayant accompagné un proche dans la phase finale démontrent qu’il s’agit, pour les proches aussi, d’une expérience très différente d’un éventuel suicide assisté. Un vécu qui «renferme une expérience profonde et riche», comme le dit le texte de couverture. Ces témoignages évoquent des moments difficiles avec des hauts et des bas, mais ils sont aussi empreints de gratitude pour le temps passé ensemble, les nouvelles expériences vécues et les réconciliations, les liens familiaux renforcés et la certitude encourageante d’avoir aussi surmonté ensemble cette phase-là de la vie. 

La publication invite à la réflexion et nous encourage, dans le débat sur l’autodétermination et la dignité en fin de vie, à ne pas perdre de vue le fait que la vulnérabilité de toute vie humaine fait partie de notre existence. Si nous la rejetons, nous faisons, du même coup, atteinte à l’humanité qui est en nous. Mais cette lecture a surtout l’avantage de nous confronter au sujet de façon encourageante, en créant des liens entre êtres humains. Puissent de nombreux lecteurs s’adonner à la découverte de cet ouvrage! 

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