«Defender 2020» est une «manœuvre de la honte»

par Willy Wimmer

ex-secrétaire d’Etat au Ministère allemand de la défense

Depuis la guerre de l’OTAN sur territoire européen contre la République fédérale de Yougoslavie, qui était contraire au droit international, l’OTAN n’a cessé de contribuer à l’érosion du droit international. Est-ce la loi de la jungle qui doit déterminer les relations internationales? Le point de vue américain domine et nous assistons à une transformation systématique de nos Etats en des avant-postes désignés par Washington, au plus grand mépris de notre ordre juridique. Oui, nous sommes bel et bien amenés à tirer une nouvelle fois les conséquences de deux guerres mondiales.

Force est de constater que depuis la guerre en Yougoslavie, l’«Occident des valeurs» est une notion du passé. Depuis 1945, la guerre a été contenue par la Charte des Nations Unies, plus concrètement par le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies. La guerre ne devait être possible qu’en cas de légitime défense et uniquement selon les règles des Nations Unies. Même l’OTAN n’était concevable que comme une organisation purement défensive et liée par cette même Charte des Nations Unies. 

 L’Allemagne a contribué à briser la seule protection de l’humanité contre de nouvelles destructions, car depuis la guerre contre la Yougoslavie en 1999, elle sape délibérément par des opérations militaires contraires à la Charte des Nations Unies l’engagement de l’Allemagne en faveur des règles applicables du droit international.

Il ne s’agit pas de questions historiques. Quiconque est aujourd’hui assez attentif remarquera l’énorme augmentation du trafic aérien militaire, ainsi que le mouvement des chars à travers l’Allemagne vers le front russe. Cette politique a été menée à l’égard de la Russie depuis 1992, au lendemain de la guerre froide, contre tous les accords internationaux signés à l’occasion de la réunification allemande et contre les engagements pris également envers l’Union soviétique d’alors, en novembre 1990 dans la Charte de Paris. Un esprit de bon voisinage devait déterminer la vie en Europe. Où sont les interdictions du gouvernement fédéral afin d’empêcher l’armée américaine de marcher contre la Russie qui, en ce moment même et lors de cette manœuvre de l’OTAN, commémore ses immenses pertes humaines lors de la Seconde Guerre mondiale? Où était et où est le président fédéral allemand qui, durant son mandat, nous rappelait jadis l’importance de la Charte des Nations Unies pour la prévention de la guerre, et qui aujourd’hui obéit aveuglement à un gouvernement fédéral complaisant, laissant une fois de plus les troupes allemandes partir en guerre sans mandat des Nations Unies? 

La chancelière allemande Angela Merkel brise un tabou en faisant participer des soldats allemands à la plus grande manœuvre de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide contre la Russie, un tabou qui risque d’empêcher l’accomplissement du long processus vers une paix durable et une possibilité de réconciliation, rendu possible grâce à des gestes admirables et à une action clairvoyante envers la Fédération de Russie et le peuple russe.

Rappelons que ce même peuple russe rencontre le peuple allemand avec une ouverture d’esprit qui peut paraître impensable après les ravages de la Seconde Guerre mondiale et l’attaque de l’Union soviétique par le Reich allemand. Et pourtant, vous pouvez vous trouver où vous voulez dans les rues et sur les places de ce pays formidable: vous êtes le bienvenu en tant qu’Allemand. Lors de ma visite de la célèbre Division Taman près de Moscou en 1987 en tant que premier représentant d’un ministère de la défense occidental, même le musée de la Division était exempt de tout dénigrement des soldats de la Wehrmacht, l’ennemi d’alors. Le colonel politique de la division déclarait, en citant sa mère, que pour chaque jeune soldat allemand tué à l’époque, il y avait aussi une mère en deuil.

En 1985, le président allemand Richard von Weizsäcker a dénoncé au Bundestag un comportement que l’on pourrait qualifier d’«oubli de l’histoire». Cette expression est applicable au comportement de l’ensemble des dirigeants allemands aujourd’hui, qui ont voté pour que cette manœuvre soit effectuée avec des soldats allemands. Ils ont tracé une trajectoire et laissent les généraux de la Bundeswehr parler de la manœuvre tel qu’ils le font. Ils ne contestent pas le fait que des soldats allemands se soient terrés «aux portes de Leningrad/Saint-Pétersbourg».  

 

«Defender 2020» ou le défilé militaire à la frontière russe

km. De février à mai 2020, la manœuvre de l’OTAN dite «Defender 2020» aura lieu. Elle est évidemment dirigée contre la Russie. Plus de 20 000 soldats américains seront expédiés avec leurs systèmes d’armes en Europe pour cette manœuvre et traverseront le continent en passant par la Pologne et les Pays baltes. Ils seront accompagnés des contingents d’autres Etats-membres de l’OTAN. Il s’agit du plus grand transfert de troupes américaines de ces 25 dernières années. Henning Otte,porte-parole CDU/CSU sur les questions de défense au Bundestag, a tenu le 13 février 2020 un discours en tout point conforme à la langue de bois otanienne et du gouvernement allemand: «La sécurité du continent est en péril, en partie à cause de la politique étrangère aggressive de la Russie. Il suffit de penser à l’annexion de la Crimée en violation du droit international et au rôle de ce pays dans le conflit au Donbass, aux vols d’entraînement russes au-dessus de la mer Baltique, aux manœuvres militaires aggressives dans l’Arctique, au soutien au régime d’Assad en Syrie ou à la violation du traité FNI. Nos pays voisins sont également inquiets. Nous devons en faire encore davantage en matière de politique de sécurité, et cela inclut une sécurisation fiable du flanc est de l’OTAN.» (https://www.cducsu.de/presse/texte-und-interviews/otte-defender-2020-ist-logistisches-grossprojekt(Traduction Horizons et Débats)

 Saint-Pétersbourg est aujourd’hui un joyau de la culture européenne commune. Le 28 janvier 2020, lors de la commémoration de la libération d’Auschwitz, le président russe Poutine a inauguré un mémorial en souvenir du blocus de Leningrad par le Reich allemand pendant la Seconde Guerre mondiale à Jérusalem. La chancelière allemande était présente et est responsable du fait que la Russie d’aujourd’hui est devenue la cible de l’inique esprit de «Versailles», qui risque de placer la Russie dans le rôle de son propre pays pendant la Première Guerre mondiale et Versailles. 

Il n’est donc pasétonnant qu’en mai 2019, le gouvernement fédéral allemand n’ait pas commémoré «Versailles» il y a cent ans, et que le président allemand ne l’ait pas fait non plus lors d’une cérémonie de commémoration placée sous sa responsabilité. Versailles est synonyme de «démon de la vengeance», mais aussi de l’incapacité délibérée de lutter pour la paix. Car les principaux dirigeants à Versailles savaient que le Traité qu’ils rédigeaient en 1919 serait la feuille de route pour la prochaine guerre. Wolfgang Effenberger a d’ailleurs souligné que le maréchal français Foch, sur la tombe duquel se trouvait le président américain Trump en 2017, avait déjà parlé d’une prochaine guerre dans une vingtaine d’années. Il ne devait pas se tromper. Cette pensée s’exprime à nouveau avec la grande manœuvre de l’OTAN, délibérément planifiée le jour de la fin de la guerre, le 9 mai 1945, comme s’il fallait une preuve supplémentaire. L’Occident qui obéit à l’OTAN ne sait pas faire la paix, il ne sait que faire la guerre, qu’elle soit froide ou sanglante.

La conférence américaine d’avril 2000 à Bratislava, en République slovaque, a clairement défini l’objectif américain pour l’Europe: rideau de fer entre la mer Baltique et la mer Noire, la Russie peut rester où elle veut, et se diviser ou être découpée en Etats plus petits. La manœuvre de l’OTAN appelée «Defender 2020» est une «manœuvre de la honte», qui ne sert qu’aux va-t-en-guerre.  

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