La Syrie et les gaz toxiques: le rapport final de l’OIAC manipulé

par Karin Leukefeld (résidant à Bonn et Damas)

Hd. Les jugements sur la responsabilité de la catastrophe humaine à la suite des violents conflits en Syrie, durant depuis près de neuf ans, ne pourraient guère être plus différents. Alors que les Etats de l’OTAN mettent le gouvernement syrien avec son président Assad et son allié, la Russie, sur le banc des accusés, la Syrie et son allié soulignent l’ingérence violente des Etats de l’OTAN et d’autres Etats arabes. Il y aussi les groupes terroristes islamistes Al-Qaïda ou IS (massivement soutenus pendant longtemps, par les états de l’OTAN). Les tentatives de contenir la violence et de fournir une aide humanitaire aux personnes dans le besoin – y compris l’accord du 5 mars 2020 entre les présidents russe et turc – sont contrées par le manque de volonté des Etats de l’OTAN et des soi-disant rebelles en vue de parvenir à une paix réelle en Syrie. L’article suivant, rédigé par la journaliste allemande Karin Leukefeld, qui est accréditée en Syrie, montre jusqu’où ces forces étaient et sont toujours prêtes à agir.

 

Les politiciens et les médias en Europe et aux Etats-Unis dissimulent au public que le rapport final de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) au sujet d’une attaque présumée au gaz toxique sur la place Douma, en Syrie, en avril 2018, ne correspond pas aux résultats de l’enquête initiale. Le rapport a été «retravaillé» pour fournir le résultat souhaité par un organe influent – les Etats-Unis.

L’équipe d’enquête initiale de l’OIAC travaillant à Douma avait exprimé de «sérieux doutes» quant à «l’existence même d’une attaque réalisée par des armes chimiques». L’équipe fut aussitôt mise à l’écart et remplacée par une nouvelle équipe. Cette dernière est arrivée à la conclusion inverse trouvant «une justification suffisante» prouvant «l’utilisation d’une substance chimique toxique employée comme arme». Il s’agissait probablement de «chlore moléculaire».

L’étonnante transformation du rapport d’enquête original de Douma soulève de sérieuses questions, car l’identité de l’équipe de remplacement reste obscure. Elle n’a pas rendu accessibles ses enquêtes et ses résultats. Avait-elle respecté la chaîne de contrôle prescrite? Etait-elle sur place à Douma? Comment en était-elle arrivée à sa conclusion?

Avis dissidents supprimés

L’opinion dissidente exprimée intérieurement par les premiers inspecteurs à Douma fut ignorée par les auteurs du rapport intérimaire et final. Les résultats de l’enquête par rapport à la technique, analysée par exemple de Ian Henderson, un expert de longue date, sont supprimés dans les deux rapports. Henderson était arrivé à la conclusion que les deux cylindres, susceptibles d’avoir été largués par les forces aériennes syriennes pendant l’attaque, ne sont probablement pas tombés d’une grande hauteur, mais plutôt placés manuellement. Après que le rapport Henderson ait été rendu public, Henderson fut accusé d’avoir répandu des secrets et ensuite escorté hors du bâtiment de l’OIAC. Henderson insiste sur le fait qu’il n’a pas rendu public le rapport.

Entre-temps, d’autres documents ont été publiés sur WikiLeaks.

Les Ètats-Unis, le Royaume-Uni et la France, les trois puissances occidentales disposant du droit de veto au conseil de sécurité des Nations unies et puissances nucléaires, ainsi que le gouvernement fédéral allemand qualifient de «désinformation» et de tentative de nuire à l’OIAC les rapports et les questions concernant les documents de l’équipe d’enquête de Douma initiale, y compris la correspondance et les témoignages liés à tout ce matériel ayant fait l’objet d’une fuite.

Diffamation des scientifiques
hautement qualifiés

Aussi le directeur général de l’OIAC a-t-il engagé une procédure pour violation de secrets contre deux inspecteurs de l’équipe d’enquête initiale de Douma. Selon la déclaration de l’OIAC publiée début février, il s’agirait de «personnes incapables d’accepter que leurs avis n’étaient pas étayées par les preuves». Lorsqu’ils s’en étaient rendus compte, ils auraient «pris l’affaire en main en violant leurs obligations envers l’organisation leur imposant d’en garder le secret». Selon cette même source leurs conclusions seraient «trompeuses, mal informées et erronées».

L’inculpation et la diffamation de scientifiques sérieux et hautement qualifiés et d’inspecteurs de l’OIAC à longue expérience jette une lumière crue sur l’organisation qui se targue de respecter les normes les plus strictes. L’OIAC se base sur la Convention sur les armes chimiques, signée par 192 Etats membres des Nations unies, la tâche de l’OIAC devant contribuer à assurer la sécurité d’un monde plus sûr. Cependant, la manière de gérer l’attaque présumée aux armes chimiques à Douma montre que l’organisation et son personnel ont besoin d’être protégés contre l’influence menaçante de quelques Ètats.

«J’ai honte de cette organisation»

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, l’OIAC, a reçu le prix Nobel de la paix le 10 décembre 2013. Le directeur général de l’OIAC de l’époque, Ahmet Üzümcü, a fièrement accepté cet honneur posant, la médaille et le certificat en main, devant les caméras. Mais du glamour de l’heure est resté peu de chose. Entre-temps, des membres du personnel décrivent un climat de peur et d’»intimidation» au sein de l’OIAC. Dans un document publié récemment, on peut lire les extraits suivants :

«Nous vivons dans un monde dangereux, je dois donc être très prudent lorsque je parle de choses relatives à l’OIAC. Les années où j’y ai travaillé comme …. (terme noirci) ont été les plus épuisantes et les plus désagréables de ma vie professionnelle».

Et encore :

«J’ai honte de cette organisation et je suis content de ne plus y travailler. Je crains vraiment que les auteurs des crimes commis au nom de «l’humanité et de la démocratie’» n’hésitent pas à nous faire du mal, à moi et à ma famille. Ils ont fait pire, souvent, y compris en Grande-Bretagne … (noirci)».

«Je ne me soumettrai pas, ni ma famille, à leur violence et à leur vengeance. […]

Je ne veux pas vivre une vie où j›ai peur de traverser la rue! J’admire votre travail et votre courage pour mettre la vérité en lumière, mais pour moi, les conséquences de ce que j’aurais à dire peuvent être terribles».

Le nom de l’auteur de ces lignes, écrites fin juin 2019 et publiées, à la mi-février 2020, à The Grayzone, n›est pas mentionné.

Toutefois, la lettre est clairement liée au rapport final officiel «retravaillé» de l’OIAC sur les événements de Douma, en Syrie, en avril 2018, qui a été publié le 1er mars 2019 et arrive aux conclusions suivantes :

«En ce qui concerne l’utilisation présumée de produits chimiques toxiques comme arme à Douma, en République arabe syrienne, le 7 avril 2018, l’évaluation et l’analyse de toutes les informations recueillies par la FFM (c’est-à-dire la mission d’enquête) – témoignages de témoins, résultats d’analyse d’échantillons environnementaux et biomédicaux, analyses toxicologiques et balistiques par des experts, informations numériques supplémentaires provenant de témoins – ont fourni une justification suffisante de l’utilisation d’un produit chimique (substance) toxique comme arme. Ce produit chimique toxique (substance) contenait du chlore réactif. Le produit chimique toxique était probablement le chlore moléculaire».

Les «grands médias» internationaux en ont tiré ces grands titres :

• «Le chlore a probablement été utilisé dans l’attaque de Douma» (BBC, 1er mars 2019).

• «L’OIAC confirme une attaque au gaz toxique à Douma» («Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 1er mars 2019).

• «Le chlore a été utilisé dans l’attaque de la ville rebelle de Douma» («The Guardian» du 1.3.2019).

Ce rapport a confirmé ce que les «Casques blancs»1, les chefs d’Etat britannique, français, allemand et américain avaient affirmé: ce gaz toxique, probablement du chlore, a été en effet utilisé à Douma. Et seule l’armée syrienne, voilà la conclusion présentée en public, pourrait en être responsable. Les Ètats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont donc bombardé la Syrie en guise de «représailles» avant même que la mission d’enquête de l’OIAC n’atteigne Douma. Le rapport officiel de l’OIAC n’a fourni la preuve qu’après donnant ainsi l’absolution aux attaques des puissances nucléaires occidentales. Les attaques n’ont pas été légitimées ni par le droit international ni le Conseil de sécurité des Nations unies.

Les résultats bouleversés

Dans leur premier rapport intermédiaire du juillet 2018, les inspecteurs de la mission initiale d’enquête de l’OIAC à Douma sont parvenus à une conclusion tout autre que celle du rapport final officiel:

«Au moment où le rapport intérimaire a été publié en juillet 2018, nous étions arrivés à la conclusion que nous avions de sérieux doutes quant à l’existence d’une attaque chimique», a déclaré l’ancien inspecteur de l’OIAC, Ian Henderson, qui était sur place à Douma, lors d’une audition au Conseil de sécurité des Nations unies le 20 janvier 2020. «Les conclusions du rapport final de la mission étaient contradictoires et allaient à l’encontre de la conclusion à laquelle l’équipe était parvenue ensemble pendant et après l’enquête sur Douma.»

Henderson s’est exprimé lors d’une réunion au «Format Arria», organisée par la Fédération de Russie au Conseil de sécurité des Nations unies. La réunion était présidée par l’ambassadeur russe auprès des Nations unies, Vassily Nebenzja. Ces réunions, intitulées selon le nom de l’ambassadeur vénézuélien auprès des Nations unies, Diego Arria (1991/93), donnent le cadre pour discuter les crises et les questions litigieuses traitées par le Conseil de sécurité des Nations unies avec des experts ou des parties extérieures aux Nations unies concernés. A l’origine, ces réunions n’étaient pas ouvertes au public, mais depuis 2016, elles sont fréquemment diffusées et archivées sur la chaîne de télévision de l’ONU.

Ian Henderson s’était vu refuser un visa d’entrée par les autorités américaines, il fut relié à la réunion de New York par liaison vidéo. En outre, il avait préparé une déclaration écrite détaillée, distribuée aux ambassadeurs des Nations unies présents. Cette déclaration fut également transmise au gouvernement allemand.

Henderson est ingénieur chimiste et expert en balistique, il a travaillé dans le domaine militaire et de la recherche et a été actif pour l’OIAC pendant douze ans, plusieurs fois à un poste de direction en Syrie. Sa déclaration, distribuée aux ambassadeurs de l’ONU le 20 janvier 2020 et non destinée à être rendue publique, a été envoyée à la rédaction de «The Grayzone», qui l’a publiée.

Dans ce document, Henderson décrit en 43 points son rôle dans la mission d’enquête de Douma, les enquêtes, les événements survenus au siège de l’OIAC à La Haye après le retour de la mission ainsi que la façon dont l’équipe a été marginalisée. Le point 9 indique que lors de la «discussion de dernière minute» sur la manière dont les analyses pourraient être présentées de manière appropriée dans le rapport intérimaire déjà «retravaillé», il lui a été dit que «le premier étage nous a demandé de le présenter comme si nous avions trouvé quelque chose». Le «premier étage» correspond au bureau du directeur général de l’OIAC.

Le point 11 indique que tous les participants de l’équipe Douma-FFM étaient convoqués à un «briefing» le 5 juillet 2018 avec une délégation américaine de trois personnes. «Ils ont présenté leurs enquêtes ‹prouvant› qu’il y avait eu une attaque chimique et des décès», a déclaré M. Henderson qui avait assisté à la réunion.

Henderson a été contraint de conclure que son propre rapport balistique sur les cylindres n’avait pas été inclus dans le rapport intérimaire.

Le point 31 reflète ses efforts pour «discuter de la question en interne sans porter atteinte à la crédibilité du Secrétariat technique» (ST), qui était responsable du rapport Douma ‹réaménagé›». «J’ai demandé une rencontre avec le directeur général [...]. Ma demande fut rejetée. Un cadre supérieur m’a informé que ‹je ne verrais jamais le directeur général’. Et d’ajouter que si j’essayais de le contourner pour l’atteindre, il y aurait des conséquences.›» Il identifierait la personne oralement et en sa présence si on le lui demandait, a déclaré Henderson à propos de cette menace.

L’objectif de ses nombreuses initiatives et enquêtes exclusivement internes à l’OIAC était de clarifier comment la publication du rapport final, qui s’écartait complètement des conclusions initiales de l’équipe Douma, avait pu se faire. Il voulait s’assurer que les incohérences et les erreurs soient identifiées et clarifiées lors d’une discussion technique interne entre les inspecteurs de l’équipe initiale de Douma et ceux qui avaient rédigé le rapport intérimaire et final. Les responsables de l’analyse technique devaient expliquer comment ils étaient parvenus à leurs conclusions lors d’une réunion interne. Henderson a appelé à un «débat scientifique» dans lequel les résultats de l’enquête seraient pesés et évalués. Enfin, une enquête interne devait examiner les actions de la direction chargée du suivi des travaux de la FFM. Ian Henderson dans sa déclaration orale au Conseil de sécurité des Nations unies:

«Cela doit être correctement déterminé, et à notre avis avec la précision de la science et de la technologie. Pour moi, ce n’est que par un débat politique. Il est très clair pour moi qu’il y a un débat politique sur ce qui se passe».

Contre toutes les règles physiques

Ian Henderson a été rejoint par l’ambassadeur syrien auprès des Nations unies, Bashar Jaafari, et par Maxim Grieforiev, directeur de la Fondation pour l’étude de la démocratie. Ce dernier a présenté les interviews que lui et son équipe avaient menées à Douma après la prétendue attaque aux armes chimiques.

L’ambassadeur de Russie auprès de l’OIAC, Alexander Shulgin, a également eu son mot à dire. Il a décrit les écarts entre le rapport intérimaire et le rapport final et les enquêtes initiales de l’équipe Douma, qui avait effectivement prélevé les échantillons, interrogé des témoins oculaires et résumé ses conclusions dans le premier rapport intérimaire, pour ensuite être exclu. Beaucoup de gens ont maintenant compris que les méthodes de travail de la mission d’enquête (FFM) et son contrôle par le Secrétariat technique doivent être remis en question, a déclaré l’ambassadeur. La raison en est que les équipes de la FFM n’ont été introduites spécifiquement pour la Syrie qu’en 2014 et sont soumises à des critères de contrôle différents de ceux des autres missions de l’OIAC. Ils sont contrôlés par le secrétariat technique, le chef de cabinet et le directeur général.

Cependant, toutes les missions de l’OIAC et leurs méthodes de travail doivent être conformes à la Convention sur les armes chimiques et ne doivent pas être instrumentalisées par des Etats influents tels que les Etats-Unis et ses partenaires, a déclaré l’ambassadeur Shulgin dans une déclaration. Les préoccupations exprimées à plusieurs reprises au sujet des contradictions entourant le rapport Douma étaient fondées sur des considérations logiques et le bon sens. Cependant, au lieu de traiter les problèmes et les contradictions, ils ont été confrontés à un «rejet catégorique de la part de divers Etats dirigés par les Etats-Unis», a déclaré M. Shulgin. L’OIAC est dans une impasse. Le Secrétariat technique est sous l’influence des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de leurs partisans. Mais chaque pays membre est chez lui au sein de l’OIAC, afin qu’il puisse y travailler avec confiance et professionnalisme.

Shulgin a montré des diapositives de photographies prises par les inspecteurs à Douma. Ils ont montré les prétendus cylindres de chlore qui auraient été largués d’avions ou d’hélicoptères syriens, tuant plus de 40 personnes. L’examen des cylindres n’a pas permis d’étayer ces affirmations, a déclaré M. Shulgin. Le rapport officiel veut vous faire croire qu’«un cylindre rempli de chlore tombe d’une grande hauteur, traverse un toit de béton de 30cm d’épaisseur, atterrit dans une pièce où il touche doucement le sol puis, contrairement à toutes les règles physiques, flotte sur le lit et s’y installe doucement sans endommager aucun meuble. Il a dû y avoir beaucoup de bruit et de tremblements, mais quand même, si vous regardez les photos, même les plaques sur l’étagère n’ont pas été déplacées. Tout cela soulève des questions auxquelles vous voulez des réponses. Il y avait d’autres questions sur les tests chimiques et toxicologiques, sur les déclarations des témoins oculaires:

«Notre persistance à exiger des réponses à ces questions peut-elle être qualifiée de désinformation? Comment peut-on dire cela (…)? Ce n’est pas de la désinformation, c’est une invitation à une conversation sérieuse au niveau des experts».

Au cours de la discussion qui a suivi, l’invitation n’a été acceptée que par l’ambassadeur chinois auprès des Nations unies. L’ambassadeur Wu Haito a déclaré que la Chine avait écouté attentivement ce qui a été dit. «Ils contiennent des informations précieuses méritant plus d’attention. La Chine est favorable à une discussion ciblée sur le rapport de la mission d’enquête sur l’incident de Douma. Cela aidera toutes les parties à mieux comprendre les faits et la vérité. Depuis la publication du rapport, de nombreux doutes ont été émis, ce qui a entraîné de grandes divergences d’opinion. […] D’importants experts ont remis en question les conclusions du rapport sur la télévision publique. […] Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’OIAC en particulier devraient se pencher sérieusement sur les questions soulevées par les Etats membres. Empêcher intentionnellement une discussion sur les doutes ne serait que contre-productif […].

Des Casques blancs, Humpty Dumpty
et Alice au pays des merveilles

Les trois ambassadeurs de l’ONU des puissances nucléaires et de véto occidentales que sont les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne n’ont pas répondu à «l’invitation sérieuse à parler au niveau des experts». Leurs déclarations ont été marquées par des attaques contre la Russie et la Syrie, les experts invités ont été ignorées, moqués. Les conclusions d’Ian Henderson ont été qualifiées de «privées» par l’ambassadeur britannique auprès des Nations unies. Le faible niveau des déclarations de ces diplomates très bien payés était une insulte à tout intellect.

Un manuel sur la compréhension de la diplomatie
entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne

Dans un article, l’ambassadeur adjoint américain aux Nations Unies, Cherith Norman Chalet, «a catégoriquement rejeté (…) la tentative effrontée de la Russie d’utiliser cette réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour affaiblir la crédibilité de l’OIAC et ses conclusions sur l’attaque de Douma. Il s’agit d’une campagne de désinformation scandaleuse à l’approche de la publication imminente du premier rapport de l’équipe d’enquête et d’identification de l’OIAC. Elle est également cohérente avec la tendance constante de la Russie à utiliser le Conseil de sécurité pour poursuivre ses propres intentions politiques et militaires en Syrie. Ce faisant, la Russie soutient un dictateur meurtrier contre le peuple syrien. Si la Russie et la Syrie n’aiment pas les résultats de l’ONU ou de l’OIAC, elles utilisent ces réunions pour saper l’OIAC et les résultats de ses enquêtes. Nous devons défendre la crédibilité de l’OIAC et de l’ONU et de leurs rapports contre la désinformation».

Enfin, l’ambassadeur américain a parlé des «Casques blancs». Les Etats-Unis sont fiers de soutenir le travail indispensable et vital des «Casques blancs». Jour après jour, ils risquent leur vie pour sauver leurs concitoyens syriens des attaques des forces syriennes et russes. Ils ont été accusés à tort par la Russie et les orateurs du jour – c’est de la désinformation et un «signe inquiétant» que la Syrie et la Russie veulent continuer à attaquer les «Casques blancs». Tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’ensemble des Nations unies sont appelés à défendre le travail de l’OIAC contre les attaques infondées de la Russie et du «régime Assad».

L’ambassadeur américain avait fixé le cap, suivi par les ambassadeurs de France, de Grande-Bretagne et d’Allemagne. La France et la Grande-Bretagne ont évoqué les prisons de torture, les prétendues armes chimiques syriennes non déclarées et les attaques au gaz toxiques près de Damas en 2013, qui ont fait 1300 morts et dont le président syrien Bachar al-Assad et son régime sont responsables. La Russie soutient le dictateur et est elle-même responsable de l’attaque au gaz toxique de Sergei Skripal et de sa fille à Salisbury, au Royaume-Uni. Tous deux ont fait l’éloge des «Casques blancs», tout comme l’ambassadeur allemand auprès des Nations unies, Christoph Heusgen, après eux. Il a voulu profiter de l’occasion pour répéter «combien nous respectons le travail des Casques blancs et leur engagement sans intérêt», a déclaré M. Heusgen.

L’ambassadeur des Nations Unies Heusgen s’est caractérisé par un ton particulièrement condescendant dans ses remarques. «Au début, vous avez promis de nous emmener dans un voyage passionnant […] quand j’ai écouté votre présentation, j’ai pensé à Alice au pays des merveilles. En littérature, cela appartient au genre de la fantaisie et de l’absurdité. Mais Alice au pays des merveilles est de la grande poésie; ce que nous avons entendu aujourd’hui, en revanche, est de la poésie pathétique», a-t-il déclaré, s’adressant au président de la réunion, le diplomate russe des Nations unies Vassily Nebenzja. «Le voyage, ou comme l’a dit le représentant du gouvernement Assad, l’histoire n’a pas commencé à Douma», a poursuivi Heusgen. «Je ne peux que le souligner (…). L’histoire est (…) que le régime syrien a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple (…) A ce jour, la Syrie n’a pas rempli sa déclaration de conformité à la Convention sur les armes chimiques et n’a pas déclaré son arsenal d’armes chimiques».2

«La question est de savoir
qui a le pouvoir, et c’est tout»

L’ambassadeur Nebenzja a réagi aux déclarations de la phalange de l’ambassadeur américano-franco-britannique-allemand avec une comptine britannique bien connue:3

«Humpty Dumpty s’est assis sur le mur, Humpty Dumpty a fait une grande chute. Et tous les chevaux du roi et tous les hommes du roi, n’ont pas pu reconstituer Humpty», a rappelé Vassily Nebenzja et a ajouté: «C’est exactement ce qui s’est passé avec le rapport de la FFM. Juste cela. Il y a eu un premier rapport, puis il y a eu Humpty Dumpty, et il y a eu un autre rapport. Et c’est pourquoi nous sommes assis ici aujourd’hui ».

Si vous avez lu «Alice au pays des miroirs», vous vous souvenez peut-être aussi de l’endroit où Alice et Humpty Dumpty se rencontrent et discutent du sens des mots:

«‘Quand j’utilise un mot’, répondit Humpty Dumpty de façon plutôt désobligeante, ‘alors il signifie exactement ce que je le laisse signifier et rien d’autre’.

‹La question est›, dit Alice, ‹de savoir si vous pouvez donner aux mots autant de significations différentes›. ‹La question est de savoir›, dit Humpty Dumpty, ‹qui a le pouvoir, et c’est tout›».4

Les «attaques aux gaz toxiques»
comme motif de guerre

«Tout le monde sait aujourd’hui que les armes de destruction massive, qui ont servi de prétexte à la guerre en Irak en 2003, n’ont jamais été retrouvées. Elles n’existaient pas», a noté le journaliste britannique Peter Hitchens du «Mail on Sunday» dans une courte vidéo. «Pensez-vous que vous le sauriez un jour si cela se produisait aujourd’hui? Probablement pas». Les médias et la politique ont empêché qu’une telle chose ne soit connue depuis la guerre en Irak.

Hitchens a fait un rapport détaillé sur l’attaque présumée au gaz toxique à Douma, en Syrie. Il a examiné les documents, parlé aux témoins, fait des recherches et écrit. L’affaire était si importante, a déclaré M. Hitchens, «parce que la prétendue attaque avec des armes chimiques était le prétexte d’une attaque de missiles sur la Syrie par la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis». L’OIAC, qui a mené l’enquête, «pourrait un jour jouer un rôle central pour déterminer si nous déclenchons une autre guerre». Des millions de personnes seraient privées de cette information, a déclaré M. Hitchens:

«Vous devriez vous préoccuper davantage de ce qu’on vous dit et de ce qu’on ne vous dit pas».

1 Cette organisation de protection civile, fondée en Turquie en 2014, est exclusivement active dans les zones sous le contrôle de l’opposition armée syrienne. Un membre de cette organisation a été le premier à signaler l’attaque présumée au gaz toxique à Douma en avril 2018-

2 Le 4 janvier 2016, l’OIAC a confirmé que la destruction de l’arsenal d’armes chimiques de la Syrie était achevée: opcw.org/media-centre/news/2016/01/destruction-declared-syrian-chemical-weapons-completed

3 (youtube.com/watch?v=nrv495corBc); Explications entre autres sur les «arguments Humpty-Dumpt» de.wikipedia.org/wiki/Humpty_Dumpty

4 De: Caroll, Lewis. Alice au pays des miroirs, suite d’Alice au pays des merveilles: «(…) Voilà votre gloire!» «Je ne sais pas ce que vous entendez par célébrité», a déclaré Alice. Humpty Dumpty sourit avec mépris. «Bien sûr que non – jusqu’à ce que je vous le dise. Ce que je voulais dire, c’est : «Il y a un bon argument convaincant.» Mais « la célébrité » ne signifie pas « un argument convaincant et agréable », a répondu Alice. « Quand j’utilise un mot », répondit Humpty Dumpty de façon plutôt désobligeante, « il signifie exactement ce que je lui donne et rien d’autre ». «La question est, dit Alice, de savoir si vous pouvez donner aux mots autant de significations différentes.» «La question est», dit Humpty Dumpty, «de savoir qui a le pouvoir, et c’est tout.»

Première publication : https://www.nachdenkseiten.de/?p=58791 du 25 février 2020, réimprimé avec l’aimable autorisation de l’auteur

ef. La journaliste indépendante Karin Leukefeld est née à Stuttgart en 1954 et a étudié l’ethnologie, l’islam et les sciences politiques. Depuis 2000, elle fait des reportages sur le Proche et le Moyen-Orient pour des quotidiens et des hebdomadaires ainsi que pour la radio ARD. En 2010, elle a été accréditée en Syrie et depuis lors, elle ne cesse de fournir des informations sur le conflit syrien sur place. Depuis le début de la guerre en 2011, elle circule entre Damas, Beyrouth et d’autres endroits du monde arabe et son lieu de résidence à Bonn. Elle a publié de nombreux livres, notamment «Syrien zwischen Schatten und Licht – Geschichte und Geschichten von 1916–2016 («La Syrie entre l’ombre et la lumière – histoire et récits de 1916 à 2016. Les gens racontent leur pays déchiré», 2016, Rotpunkt Verlag Zurich); «Flächenbrand Syrien, Irak, die Arabische Welt und der Islamische Staat» («incendie de surface: la Syrie, l’Irak, le monde arabe et l’Etat islamique», 2015, 3e édition révisée 2017, PapyRossa Verlag Cologne. Karin Leukefeld publiera prochainement «Im Auge des Orkans: Syrien, der Nahe Osten und die Entstehung einer neuen Weltordnung» (En face de l’ouragan. La Syrie, le Moyen Orient et l’émergence d’un nouvel ordre du monde, 2020, éd. PapyRossa, Cologne).

 

 

Accord russo-turc sur le cessez-le-feu à Idlib

km. Les présidents de Russie et de Turquie, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, se sont mis d’accord le 5 mars 2020 à Moscou sur un cessez-le-feu dans la région d’Idlib, au nord de la Syrie, en proie aux combats.

Après six heures de négociations, les deux présidents ont fait une déclaration à la presse (http://en.kremlin.ru/events/president/news/62948). Les ministres des affaires étrangères des deux Etats ont ensuite donné lecture de l’accord conclu, qui ne comporte que trois points. Il souligne que l’unité territoriale de la Syrie doit être préservée. En outre, un cessez-le-feu a été convenu pour Idlib à partir du 6 mars 2020 à minuit. Dans un délai de sept jours, les détails d’un retrait des armes lourdes du front doivent être réglés. Les armes doivent être retirées à six kilomètres de chaque côté. Par la suite, les soldats russes et turcs doivent mener des patrouilles conjointes le long de l’autoroute M4, longeant  le front et ayant été le terrain de durs combats.

Les deux présidents ont souligné que le cessez-le-feu vise à créer un corridor d’aide humanitaire pour les personnes prises au piège à Idlib. Le président russe a exprimé ses condoléances pour la mort des soldats turcs à Idlib et le président turc a souligné l’importance de bonnes relations avec la Russie pour son pays. En général, l’apparition des deux présidents devant la presse a montré que malgré de grandes différences d’opinion sur des questions fondamentales, il est possible, avec la volonté appropriée, de trouver des points importants sur lesquels deux Etats peuvent s’entendre politiquement. •

 

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