Droits de l’homme et coexistence pacifique des Etats: universalité – diversité – dialogue*

par le Prof. Dr. Dr. h. c. mult. Hans Köchler, Président de l’Organisation international pour le progrès

La paix est l’une des plus hautes valeurs de la communauté internationale. Elle est indispensable à la réalisation des droits de l’homme, tant au niveau collectif qu’individuel. Dans la hiérarchie des normes relatives aux droits de l’homme, le droit à la vie, fondement de l’idée de paix, est indispensable à la réalisation de tous les autres droits, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels. Les Etats ne peuvent s’épanouir dans la communauté des peuples que si leur souverainetéet leur indépendance ne font l’objet d’aucune violence. L’interdiction du recours à la force dans les relations entre Etats, inscrite dans la Charte des Nations Unies, est un élément essentiel de l’Etat de droit international.
  L’obligation générale des Etatsde mener leurs relations de manière pacifique comprend le respect mutuel et la non-ingérence dans les affaires intérieures. Cela découle également du principe d’égalité souveraine, comprenant le droit pour chaque Etat de régler ses affaires selon ses propres traditions, sur la base de ses propres circonstances et de ses priorités spécifiques.
  Compte tenu de ces normes universelles proclamées par les Nations Unies comme buts et principes directeurs, le respect des droits de l’homme ne peut et ne doit pas être subordonné aux intérêts d’une politique de puissance. Les droits de l’homme reflètent la dignité inaliénable de l’être humain, tant par rapport à l’individu (en tant que citoyen) que par rapport à l’organisation collective de la volonté des citoyens (l’Etat souverain). Cela implique qu’aucun Etat, qu’il soit petit ou grand, faible ou puissant, n’aspire à dominer les autres Etats ou ne cherche à imposer au reste du monde son système national, sa tradition socioculturelle et sa vision du monde. 
  Dans le sens décrit ci-dessus, les droits de l’homme, en tant qu’expression de la dignité humaine (individuellement et collectivement), sont universels. L’universalité des droits de l’homme ne signifie toutefois pas uniformité de leur application. Au niveau mondial, il existe une riche diversité de civilisations et de traditions socioculturelles. Cela se reflète également dans la manière dont les droits de l’homme sont perçus et mis en œuvre dans des circonstances historiques très différentes. Ainsi, lorsqu’on s’engage pour un ordre de paix mondial, il faut reconnaître la diversité non seulement en termes de culture, d’ethnicité, de religion, etc., mais en tenant compte également des aspects sociaux des droits de l’homme. Corrélativement au développement de différentes civilisations et cultures, il existe en effet une grande diversité de points de vue et de paradigmes concernant des concepts tels que «citoyen», «Etat», «individu», «famille» ou «collectif» et leurs liens structurels dans différents contextes. Au niveau international,cela a conduit à une variété d’interprétations des normes sociales, des conventions de bienséance sociale, du protocole, etc., en fonction des traditions nationales et culturelles.
  Par conséquent, concernant les droits de l’homme, aucun Etat n’a le droit d’imposer sa tradition socioculturelle spécifique ou son système de valeurs, comprenez sa vision du monde, aux autres peuples et Etats. Alors que certaines traditions mettent davantage l’accent sur l’affirmation de l’individu face à l’Etat, d’autres traditions adoptent une approche essentiellement communautaire, définissant davantage le rôle du citoyen comme élément intégré, sans opposer l’Etat à la société. Par conséquent, la seule approche adéquate pour faire face à la diversité des conceptions des droits de l’homme est le dialogue fondé sur le respect mutuel. Dans un ordre de paix international, il n’y a pas d’«Etat paradigmatique», et on ne peut pas tolérer une doctrine des droits de l’homme qui vise le paternalisme et ne sert que les intérêts des Etats les plus puissants. 
  Les différences de perceptions et de priorités, liées aux caractéristiques sociales et historiques des Etats, se reflètent également dans le statut de ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Pour ne prendre qu’un exemple: le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’un des principaux traités du système mondial des droits de l’homme, n’a pas été ratifié par les Etats -Unis. La Chine a signé le traité en 1997 et l’a ratifié en 2001. Il va sans dire qu’un pays qui n’est pas partie prenante à un traité ne peut pas faire office d’interprète ou de juge faisant autorité, et encore moins d’exécuteur autoproclamé des droits consacrés par ce traité. Même au sein du groupe des Etats contractants, en ce qui concerne la mise en œuvre nationale des dispositions du traité, aucun Etatn’a le droit d’imposer aux autres Etats parties du traité ses traditions socioculturelles particulières et les coutumes et pratiques qui y sont liées.
  Les différences dans les ratifications des pactes relatifs aux droits de l’homme témoignent du fait quemême dans le monde globalisé d’aujourd’hui, il n’y a pas d’uniformité des cultures et des civilisations. Nier la diversité équivaudrait finalement à une approche totalitaire, qui non seulement contredit diamétralement les droits de l’homme, mais qui demeure également incompatible avec l’égalité souveraine des Etats mentionnée ci-dessus. Un faux universalisme des droits de l’homme, déclarant que les particularités d’une tradition nationale sont «universelles» (et juridiquement contraignantes), incarne en fait l’héritage du colonialisme et, en particulier, de l’euro- (ou occidento-) centrisme. Ce qui est universel, c’est le principe de la dignité humaine, mais pas la mise en œuvre de ce principe dans un contexte (socioculturel) spécifique. La notion de dignité apparaît dans de nombreuses traditions différentes. C’est particulièrement vrai pour les enseignements confucéens, chrétiens et d’autres enseignements religieux, mais aussi pour les idéologies laïques du marxisme ou des Lumières européennes (Emmanuel Kant). 
  Le faux universalisme sert souvent des intérêts géopolitiques cachés. Il fournit le cadre idéologique qui doit permettre de justifier l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats. L’histoire des interventions dites «humanitaires», notamment depuis le XIXe siècle, témoigne de cette instrumentalisation des droits de l’homme.1 Plus récemment, les sanctions politiques et économiques sont devenues de plus en plus un instrument d’«application» des droits de l’homme dans un cadre essentiellement utilitariste. Comme l’ont démontré avec force les sanctions globales économiques contre l’Irak (1990-2003), ces pratiques finissent par se contredire elles-mêmes. Au lieu de protéger les droits de l’homme, les Etats qui ont insisté (pendant plus d’une décennie) sur la poursuite de ces mesures punitives ont systématiquement violé les droits fondamentaux de l’ensemble de la population du pays soumis aux sanctions.
  Le corollaire inévitable de cette forme d’impérialisme idéologique dans la lutte mondiale pour le pouvoir est une politique de «deux poids et deux mesures». Les Etatsqui cherchent à imposer leurs normes à d’autres Etatsau nom de principes humanitaires, ont généralement une approche sélective. Cela s’applique 

1o au choix des pays à sanctionner (qui ne dépend pas de la situation réelle des droits de l’homme, mais de considérations géopolitiques), et 
2o à la pondération des dimensions dans l’interprétation des droits de l’homme.

L’aspect de pondération peut être observé lorsque des Etatsse plaignent de l’irrespect de certains droits dans un Etat, tout en les ignorant délibérément dans un autre Etat, en fonction des opportunités politiques. Souvent, les Etatsintervenants violent également des droits humains fondamentaux sur leur propre territoire, ou n’ont même pas ratifié eux-mêmes les traités dont ils exigent la mise en œuvre par d’autres Etats.
  Un activisme en faveur des droits de l’homme qui serait corrompu par des aspirations géopolitiques risque de saper et, en fin de compte, de discréditer les efforts des Nations Unies pour promouvoir ces droits de l’homme sur une base d’impartialité et d’inclusion. Il s’agit là de deux critères que la présidente du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, l’ambassadrice Nazhat Shameem Khan, a identifiés dans son discours inaugural comme étant essentiels à un monitoring crédible des droits de l’homme au niveau mondial.2 Ce n’est que si l’impartialité et l’inclusion sont respectées que, tout en respectant la souveraineté nationale, la surveillance de l’application des droits de l’homme peut contribuer au renforcement de l’Etat de droit international et donc à un ordre de paix stable. Cela englobe le droit de chaque Etat, en tant que collectivité légalement constituée de ses citoyens, à l’auto-préservation, et évoque le devoir de chaque Etat de se conformer aux traités internationaux qu’il a ratifiés. Tel est le défi auquel sont confrontés les Etats membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. 
  Dans ces circonstances, et compte tenu de l’impératif de coexistence pacifique, la mise en œuvre des droits de l’homme ne laisse pas de place à de l’arrogance idéologique. Aucun Etat n’a le droit de faire la leçon aux autres sur leur vision du monde, leur système de valeurs ou leur tradition socioculturelle. Les droits de l’homme ne doivent pas devenir un instrument de géopolitique. Fondé sur l’obligation des Etats de coopérer pour le bien commun de l’humanité, le discours sur les droits de l’homme devrait au contraire s’inscrire dans un dialogue mondial entre les civilisations et les cultures, fondé sur le respect mutuel. Les Nations Unies devraient faciliter l’échange d’expériences, sine ira et studio, dans la mise en œuvre des droits fondamentaux. Les débats sur ce sujet ne doivent pas être utilisés comme un outil d’endoctrinement ou comme un instrument de confrontation mondiale. Dans l’environnement multiculturel et de plus en plus multipolaire d’aujourd’hui, réprimer la diversité des conceptions en matière de droits de l’homme au nom de ces derniers n’est plus possible. En conséquence, les stratégies et initiatives internationales doivent suivre une approche multilatérale fondée sur l’esprit de coopération entre pairs. Ce n’est qu’à cette condition qu’elles seront conformes à l’engagement solennel pris par les fondateurs des Nations Unies de «pratiquer la tolérance, [et] à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage».3 

 



Köchler, Hans. «Humanitarian Intervention against the Backdrop of Modern Power Politics» / Chinois, in Xiandai Guoji Guanxi/Contemporary International Relations, revue mensuelle / en Chinois, Beijing, n° 9, numération continue n° 143 (2001), pp. 28-33. 
Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, Genève, 8 février 2021, www.ohchr.org.
Préambule de la Charte des Nations Unies, 5ealinéa

(Traduction Horizons et débats)

Contribution principale lors de la conférence de la China society for human rights en collaboration avec la Faculté de Droit et le Centre d’études juridiques de l’Université de Jilin à Changchoun, Chine, du 8 avril 2021

 

Conférence internationale sur les droits de l’homme en Chine

Plus de 100 participants de Chine et de l’étranger ont assisté le 8 avril 2021 à uneconférence hybride* au cours d’une journée parrainée par la China Society for Human Rights Studies et organisée par la Jilin University School of Lawet le Jilin University Human Rights Center. Le discours d’ouverture a été prononcé par le président de la China Society for Human Rights Studies, Qamba Püncog. Mme Li Xiaomei, représentante spéciale aux questions de droits de l’homme au ministère chinois des affaires étrangères, a informé les experts sur la participation de la Chine aux travaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Des universitaires et des journalistes d’Allemagne, d’Autriche, du Burundi, de Colombie, d’Egypte, de France, d’Italie, de Norvège, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont partagé leurs observations sur la diversité des traditions en matière de droits de l’homme en Chine et dans leurs pays respectifs. Parmi les intervenants figuraient Tom Zwart, directeur du Cross-cultural Human Rights Centre de la Vrije Universiteit Amsterdam (Pays-Bas); Anthony Carty, professeur de droit public à l’Université d’Aberdeen (Royaume-Uni); Rune Halvorsen, professeur de politique sociale et codirecteur du Centre for the Study of Digitalization of Public Services and Citizenship à Oslo (Norvège); et Harvey Dezodin, chercheur honoraire au Center for China and Globalization et ancien conseiller juridique de l’administration Carter (Etats-Unis). Des représentants des médias étrangers et des spécialistes en sciences sociales basés en Chine ont parlé de leurs expériences concernant la situation des droits de l’homme dans le pays.
   Les participants à la conférence étaient unanimes sur le fait qu’une attitude autocritique de tous les côtés est essentielle pour un débat mondial fructueux sur les droits de l’homme. Lors de la séance de clôture, des délégués chinois ont abordé les tensions entre l’Est et l’Ouest et ont souligné la nécessité de surmonter les malentendus par une analyse fondée sur les faits. Enfin, le directeur du Centre des droits de l’homme de l’Université de Jilin (Chine), le Professeur He Zhipeng, organisateur de la conférence, a résumé les discussions. Ce dernier a souligné les aspects interculturels des droits de l’homme et a exprimé l’espoir de voir se poursuivre le dialogue entre experts chinois et étrangers.

*Une conférence hybride est la combinaison d’un événement présentiel «live» et d’une composante «virtuelle» en ligne. 
(Note de la rédaction)

Source: communiqué de presse de l’ Organisation international pour le progrès du 8 avril 2021 (extrait)

(Traduction Horizons et débats)

 

«Conférences suisses – Textes sur le droit international et l’ordre mondial»

hd. Le livre «Schweizer Vorträge – Texte zu Völkerrecht und Weltordnung» (Conférences suisses – Textes sur le droit international et l’ordre mondial), publié en juillet 2019, comprend un recueil d’articles publié par Hans Köchler dans le journal suisse Horizons et débats entre 2011 et 2018. Les contributions comprennent principalement des conférences qu’il a données en Suisse au lectorat du journal. Elles sont complétées par des analyses et des interviews illustrant ses positionnements face à l’actualité.
  Les textes d’Hans Köchler combinent des analyses et des réflexions juridico-philosophiques fondamentales avec des questions contemporaines liées au droit international et à l’ordre mondial. Comme le dit l’un de ses textes:

«Mon point de vue philosophico-herméneutique est le suivant: je ne peux me comprendre pleinement que si je suis capable de créer un lien avec d’autres identités. Cela s’applique aussi bien à l’individu qu’au collectif. [...] Si l’on se rend compte que la connaissance d’autres cultures est une condition de la possibilité de savoir qui l’on est, alors on dispose d’une base très différente pour ce que l’on appelle la coexistence pacifique, c’est-à-dire le vivre ensemble pacifique entre les cultures et les pays.» (p.  27)

«Puisse cette lecture permettre d’approfondir et de rendre encore plus fructueuse l’idée du respect des cultures et des personnes les unes pour les autres, la prise de conscience de la richesse des échanges et de la diversité au lieu des politiques de pouvoir violentes, et la ‹nécessité de la compréhension au-delà des frontières idéologiques›.» (p. 75) (Préface des éditeurs, p. 10)

Une édition étendue en anglais sera publiée prochainement.

Le livre peut être commandé auprès de: Horizons et débats.
Rédaction et éditions, Case postale, CH-8044 Zurich.
e-mail:
redaktionzeit-fragen.ch; abozeit-fragen.ch; www.zeit-fragen.ch/fr
CHF 30.- / EUR 25.- (frais de port en sus)
PC (CHF): 87-644 472-4,
IBAN: CH91 0900 0000 8764 4472 4 / BIC: POFICHBEXXX

A propos de l’auteur

Prof. Dr. phil. Dr. h.c. Dr. h.c. Hans Köchler (*1948) a dirigé l’Institut de philosophie de l’Université d’Innsbruck de 1990 à 2008.
    Il est le fondateur et le président (depuis 1972) de l’Organisation international de progrès  (Vienne). Depuis, il plaide en faveur d’un dialogue des cultures par le biais de nombreuses publications, de voyages, de conférences et de son engagement dans diverses organisations internationales. Il travaille également au sein de plusieurs comités et groupes d’experts traitant de questions liées à la démocratie internationale, aux droits de l’homme et au développement. Hans Köchler est membre du conseil universitaire de la University of Digital Science (Berlin). Depuis 2018, il enseigne à l’Academy for Cultural Diplomacy à Berlin. Hans Köchler vit à Vienne.

 

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