«Ennemi» extérieur mais aussi «l’ennemi intérieur»

L’Allemagne avant les élections fédérales

par Karl-Jürgen Müller, Allemagne

Les résultats des élections régionales du 6 juin dans le Land allemand de Saxe-Anhalt – les dernières élections régionales avant les élections fédérales de fin septembre 2021 – et les débats publics, avant et après ces mêmes élections, ont une fois encore fait ressortir les caractéristiques de la culture politique en Allemagne: les véritables enjeux sont camouflés sous le prisme d’une hypothétique lutte entre le bien et le mal. Il conviendrait donc de clarifier les termes et les contextes politiques pour éviter de tomber dans des schémas superficiels. 

Que ce soit avant ou après les élections régionales du land de Saxe-Anhalt, un thème dominait largement les commentaires et autres analyses des médias: l’AfD. («Alternative für Deutschland»). Avant les élections, scénario d’horreur: l’AfD allait probablement devenir le groupe parlementaire majoritaire du nouveau parlement régional. Après les élections, unanimité, ou presque, sur un point: pour l’instant, le fantôme reste dans le placard. La CDU – qui, dans ce Land, est considérée être plus «conservatrice» que la CDU fédérale – a remporté près de 37 % des voix (elle est même parvenue à augmenter son score), soit nettement plus que l’AfD, qui a tout de même réussi à rassembler plus de 20 % des électeurs, constituant ainsi la deuxième formation du nouveau parlement du Land, tout en enregistrant également un léger revers. Le parti de gauche «Die Linke», le SPD et l’«Alliance 90/Les Verts» ont vu leurs espérances cruellement déçues, les deux derniers se situant en dessous des 10 % tandis que le FDP (libéraux) avec un peu plus de 5 % retrouvait ainsi l’accès au parlement du Land, après 10 ans.

Le spectre de la menace 
de l’extrême-droite

Le spectre du péril représenté par l’extrême droite a une longue histoire en Allemagne et il a, après 1990, progressivement et très officiellement remplacé le spectre de la menace représentée par l’extrême gauche dans le rôle du principal danger. Dans ce qui fut autrefois l’Allemagne de l’Ouest, bien des gens croient pouvoir distinguer ce fantôme en chair et en os, tout particulièrement dans l’ex-RDA, à l’Est. On en a eu un très récent exemple le 28 mai dernier avec les déclarations dans le «FAZ Podcast for Germany» de Marco Wanderwitz, politicien de la CDU et délégué du gouvernement pour l’Est du pays: d’après lui, la tendance à voter en faveur des partis de la droite radicale serait nettement plus prononcée à l’Est de l’Allemagne qu’à l’Ouest:
    «Nous sommes ici confrontés à des gens qui ont été à tel point formatés par une dictature socialiste que, même au bout de trente ans, ils ne sont pas encore entrés en démocratie.» Une partie de la population est-allemande présenterait ainsi selon lui des «opinions anti-démocratiques bien ancrées».

Précisions sur les termes employés 

En Allemagne, ces déclarations ne suscitent que de trop rares réactions; en d’autres termes, on constate un manque flagrant de précisions quant à la véritable signification des mots «radical de droite», «non démocratique», etc. Même l’Office fédéral et les administrations en charge de la protection de la Constitution, dont on serait en droit d’attendre des prises de position solides sur ces questions, ne sont malheureusement pas aujourd’hui d’un grand secours. Les «définitions» proposées par ces corps de l’Etat se sont entre-temps fort bien adaptées à l’esprit du temps. 
    L’auteur de ces lignes a grandi en Allemagne à une époque où le terme de «droite radicale» était réservé à l’idéologie et au régime du «Parti national-socialiste des travailleurs allemands» (NSDAP). Quant aux caractéristiques de l’idéologie et du régime national-socialiste, elles étaient les suivantes: le principe du «Führer» tout-puissant qui rejetait et excluait la démocratie; une doctrine raciale inhumaine méprisant l’individu, basée sur l’illusion de l’existence de «races» supérieures et inférieures, ces dernières devant être exterminées; une politique étrangère agressive axée sur la guerre et la conquête (à l’Est, en particulier en Union soviétique).

L’expérience de la République de Weimar

A l’époque de la République de Weimar, l’Allemagne avait fait l’amère constatation que dès l’été 1932 – c’est-à-dire encore du temps de la République – la majorité des sièges de députés au Reichstag, le parlement de la République, était détenue par le NSDAP (ainsi que par le KPD communiste) et que tout exercice parlementaire proprement dit était désormais devenu impossible. Les nationaux-socialistes avaient publiquement proclamé qu’ils entendaient conquérir des sièges au Parlement dans le seul but de pouvoir mieux le détruire. Finalement, Hindenburg – pas vraiment un ami de la démocratie, mais pas non plus un national-socialiste – qui était à l’époque président du Reich, nomma Adolf Hitler chancelier du Reich le 30 janvier 1933, sous la pression de forces influentes en Allemagne et à l’étranger mais officiellement en accord avec les règles de la constitution.

Après 1945: 
la démocratie allemande sur ses gardes

Dans l’Allemagne de l’Après-guerre, il ne fallait plus que ce genre de choses se reproduise. La République démocratique allemande, elle, figea son antifascisme, défini par les communistes, en principe constitutionnel. Quant à la République fédérale allemande, elle ne déclara pas seulement, dans La Loi fondamentale, que les droits civiques de fond, droits libéraux, constitutionnels et démocratiques étaient immuables, mais stipula en même temps que le nouvel Etat formait une «démocratie capable d’auto-défense», dans laquelle l’individu pouvait être déchu de ses droits fondamentaux (dans des cas extrêmes où ils seraient instrumentalisés dans le but de s’en prendre à l’ordre fondamental libéral, d’état de droit et démocratique, selon l’art. 18) et à qui il serait permis, dans les cas de figure les plus extrêmes, d’en venir à interdire certains partis pour cause d’inconstitutionnalité («ceux des partis dont les objectifs déclarés ou encore par le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne», selon l’article 21). A l’époque, on savait, probablement déjà que les expressions «ennemi de la Constitution» ou «anticonstitutionnel» peuvent être utilisées à mauvais escient dans la compétition politique. Par conséquent, seule la Cour constitutionnelle fédérale détient le pouvoir de déterminer l’anticonstitutionnalité d’un parti et donc de l’interdire. Le tribunal ne l’a fait que deux fois: dans les années 1950, dans le cas du Parti socialiste du Reich (PSR), classé d’extrême droite, et de Kommunistische Partei Deutschlands (KPD), classé extrémiste de gauche, ce dernier notamment dans le contexte de la Guerre froide. 

L’AfD et les autres cibles 

La question de savoir si l’AfD, dans sa constitution actuelle, est «d’extrême droite», «radicale de droite» ou «anticonstitutionnelle» fait encore l’objet d’un débat approfondi. Mais la question n’est pas là. Car dans l’Allemagne d’aujourd’hui, tous ces termes sont utilisés notamment dans les conflits politiques – ne visant pas seulement un parti, mais souvent une certaine façon de penser et d’agir tout court. Il s’agit là avant tout de décourager toute controverse. Prenons quelques exemples: opposition à une politique familiale qui obéirait à l’idéologie «du genre»; opposition à une politique migratoire qui plaide en faveur de «l’ouverture des frontières» et contre la «Deutsch-Land» (l’Allemagne aux Allemands); opposition à un supranationalisme décidé à rompre avec le principe de la souveraineté étatique légitimée démocratiquement; opposition à une mondialisation qui serve avant tout l’industrie financière; opposition à une «occidentalisation» dont le fruit amer est l’arrogance et l’agressivité envers d’autres cultures, peuples et Etats. 

En quoi l’Est de l’Allemagne dérange-t’il? 

Le fait que, dans l’Allemagne d’aujourd’hui, ce sont principalement les habitants de l’Est du pays qui sont visés par ce phénomène constitue un désaveu de l’unité allemande, entraîne sa polarisation et, en fin de compte, porte préjudice à l’ensemble du pays. Peut-être faudrait-il discipliner les Allemands de l’Est: parce que le «Zeitgeist», ce qui est dans l’air du temps, y est souvent examiné de manière plus critique; parce que l’idée de la démocratie directe («le peuple, c’est nous – au sens propre») est plus vivace chez eux qu’à l’Ouest du pays; parce que la distance critique vis-à-vis des autorités et d’une politique gouvernementale «du haut vers le bas» prévalant en Allemagne est plus grande qu’à l’Ouest du pays; parce que le paternalisme politique y est moins bien perçu qu’à l’Ouest. Ces vertus est-allemandes n’ont absolument rien à voir avec la «droite radicale»; c’est ce qui rend ce mensonge politique particulièrement malvenu.

 

Un message twitter de l'Inde

M. K. Bhadrakumar: «L'inattendu et l'inprédicible deviennent réels … Revers des attententes de l'Après-Merkeldes Etats-Unis. Et si on rendait responsables de ce virage dans la politique allemande les Russes aussi – ensemble peut-être avec un choix de sanctions?»

… Quant à la nouvelle propagée de Deutsche Welle (DW): «Les Verts allemands – querelles internes et les résultats en libre chute dans les sondages. Lors d'une assemblée du parti, les délégués veulent nommer officielllement Annalena Baerbock candidate à la Chancellerie allemande»

(Traduction Horizons et débats)

 

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