«Un nouveau départ, un nouveau chapitre dans l’histoire des relations entre la Suisse et l’UE»

Et tout ce qui se trame autour de l’évènement

par Dr. iur. Marianne Wüthrich, Suisse

La décision du Conseil fédéral de rompre les négociations avec Bruxelles a mis les partisans suisses de l’UE dans tous leurs états. Dès que l’éclatement de la baudruche de l’accord-cadre préalable à l’adhésion à l’UE a été prévisible, ils n’ont cessé de clamer haut et fort leurs exigences en se livrant à des gestes bizarres.
    Sans se laisser impressionner, le Conseil fédéral a justifié de manière convaincante sa décision d’interrompre les négociations à la fois dans un communiqué de presse ainsi que lors de la conférence de presse du 26 mai, et a répondu calmement et sans détour aux questions provocatrices des journalistes. 

Organisations ou personnalités, ce sont depuis longtemps toujours les mêmes qui voudraient voir la Suisse devenir un Etat membre de l’UE. Parmi eux, on trouve des professeurs d’université comme Thomas Cottier,qui n’apprécie manifestement pas la conception suisse de l’Etat: «Sur l’éventail politique suisse, de la gauche à la droite, il existe une conception très conservatrice et nationale de la souveraineté, orientée vers l’autodétermination, l’autonomie et peut même dans certains cas aller jusqu’au l’autarcie. Tout engagement international est perçu comme une perte de souveraineté […].»1 Mais alors, quelle autre définition donner à la souveraineté? Il convient par contre de réfuter farouchement la dernière phrase: Nous, les Suisses, ne sommes pas si égoïstes! L’engagement de la Suisse en faveur du CICR et des Conventions de Genève, la coopération en matière de développement et les bons offices diplomatiques – pour ne citer que quelques-uns des domaines les plus importants de la politique étrangère suisse – font tous partie intégrante de la souveraineté suisse. 

Conseil fédéral: la poursuite d’une 
coopération bilatérale qui a déjà fait ses preuves est dans l’intérêt des deux parties

La plupart des Suisses maîtrisant encore la notion de souveraineté, la décision du Conseil fédéral de mettre fin à l’expérience de l’accord-cadre suscite un soulagement certain dans de vastes catégories de la population. Dans le même temps, les partisans d’une intégration plus étroite au sein de l’UE affirment que cette décision de rupture est un signe de faiblesse, que le Conseil fédéral n’a pas de plan pour «sauver les accords bilatéraux», etc.
    Mais tous ceux qui ont pris la peine de lire le communiqué de presse du Conseil fédéral du 26 mai et le même jour, d’écouter la conférence de presse d’une heure et demie en auront retiré une toute autre impression: ce n’est pas une tâche facile pour un gouvernement national de se dresser pour constater que malgré de longues années de négociations, il a été impossible d’aboutir à un accord qui ne soit pas seulement avantageux pour Bruxelles mais également pour la Suisse. 
    Dans son communiqué de presse, le Conseil fédéral affirme que la Suisse peut tout à fait faire jeu égal avec l’UE: «De l’avis du Conseil fédéral, il est dans l’intérêt commun de la Suisse et de l’UE de poursuivre la coopération bilatérale qui a fait ses preuves, malgré l’échec de l’InstA. Cette coopération repose, entre autres, sur plus de 100 accords bilatéraux. Avec ses 27 Etats membres, l’Union européenne est le principal partenaire commercial de la Suisse, qui est, à son tour, l’un des principaux partenaires commerciaux de l’UE: elle se classe au 4e rang pour les échanges de marchandises, au 3e rang pour les services et au 2e rang pour les investissements. En outre, l’UE affiche un excédent commercial de plusieurs milliards à deux chiffres. 1,4 million de citoyens européens vivent en Suisse. De plus, on dénombre environ 340 000 travailleurs frontaliers en provenance des pays de l’UE [...].»2 
    Après ces éclaircissements et bien d’autres explications globalement compréhensibles données lors de la conférence de presse du 26 mai, le président Guy Parmelin, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter et le conseiller fédéral Ignazio Cassis ont fait face avec sérénité aux questions pour la plupart provocatrices des journalistes.3
    «Non, a déclaré le Président Parmelin à un journaliste, cette journée n’a pas été un ‹mercredi noir›: Nous nous trouvons confrontés à un nouveau départ, à un nouveau chapitre dans l’histoire des relations entre la Suisse et l’UE.»Il a ajouté que le Conseil fédéral s’efforcerait de mettre en œuvre les accords existants dans l’intérêt des deux parties. «Afin d’amortir les conséquences négatives, le Conseil fédéral a depuis quelque temps entrepris de planifier et de partiellement concrétiser des mesures de compensation.» Dans le domaine des dispositifs médicaux, par exemple, «le Conseil fédéral a déjà décidé de mesures unilatérales pour assurer la sécurité de l’approvisionnement et la surveillance du marché au cas où le chapitre pertinent de l’ARM [Accord sur les obstacles techniques au commerce] ne serait pas actualisé». 

L’estimation des coûts est une affaire délicate –
le modèle suisse peut résister à des tempêtes bien plus violentes

De manière plus générale, le conseiller fédéral Cassis a commenté l’énorme préjudice financier que l’association économique économiesuisse,notamment, pressent depuis des années en cas d’échec de l’accord-cadre: «Le passé nous a démontré que les évaluations de coûts sont souvent un exercice purement symbolique, et que le Conseil fédéral s’est très souvent trompé.»
    Guy Parmelin a cité en exemple les prévisions sur l’immigration avant la conclusion de l’Accord sur la libre circulation des personnes (bilatéral I): «Selon les estimations de divers experts, il s’agissait d’une immigration nette maximale de huit à dix mille personnes par an en Suisse. Aujourd’hui, on peut voir où nous en sommes réellement.» [Jusqu’à dix fois plus par an] – Un journaliste a insisté sur le fait que le Seco (l’Office fédéral de l’économie) avait autrefois «calculé une fourchette d’environ 400 à 600 milliards de francs d’ici 2035» en cas de suppression des Accords bilatéraux. Le président Parmelin a commenté: «Il est extrêmement difficile d’estimer les charges auxquelles la Suisse serait soumise. Un exemple: la non-reconnaissance de l’équivalence boursière, pour laquelle il nous a fallu trouver des solutions pragmatiques, que nousavons finalement trouvées. A l’époque, ces conséquences avaient été dramatisées.»
    Et comment! Quand les journaux publient quotidiennement de sombres prédictions, elles s’impriment dans nos neurones – à moins que nous ne fassions le point par nous-mêmes. Un exemple phénoménal, qui est restée dans la mémoire de la plupart des Suisses, est celui des prophéties désastreuses faites avant la votation de 1992 sur l’adhésion à l’EEE en cas de vote négatif du souverain. Aucune de ces prophéties ne s’est réalisée et l’économie suisse a continué à se développer avec succès. 
    Les facteurs majeurs qui sont les garants de la bonne santé de notre économie nationale reposent en fait sur les points forts du modèle suisse, à savoir la démocratie directe, le fédéralisme et le principe de subsidiarité, l’économie de proximité (implantations d’entreprises également dans les cantons ruraux et montagnards), le systême de la formation professionnelle dualiste, le principe de milice et l’engagement citoyen au service du bien public. Si nous cultivons ces points forts en collaboration avec les autorités des communes, des cantons et de la Confédération, notre économie trouvera des solutions flexibles à ces défis. Pour cela, la condition préalable est que la Suisse reste aussi indépendante que possible.

L’effervescence de certains pro-UE 

– L’adhésion à l’UE en même temps que la protection des salaires, du service public et du franc suisse?
Certains élus du PS ne semblent clairement vouloir en faire qu’à leur tête. Ainsi, le vice-président du parti, Cédric Wermuth, affirme: «L’accord-cadre est en fait la pire de toutes les options possibles pour garantir une relation stable avec l’UE. L’ouverture des négociations d’adhésion résoudrait le problème de la souveraineté de la Suisse.»4 Effectivement, l’adhésion à l’UE résoudrait la question de la souveraineté suisse – à condition de considérer l’abolition de cette dernière comme la «solution». Quant à la protection des salaires suisses, que Wermuth défend à juste titre, l’UE la digèrerait-elle aussi? 
    Le conseiller national Fabian Molina (PS, ZH) a quant à lui déposé une motion demandant au Conseil fédéral d’entamer des négociations d’adhésion avec l’UE. Outre la protection des salaires, la liste de ses propositions déposée auprès de Bruxelles inclut également le maintien de la très haute qualité du service public suisse ainsi que celui du franc suisse.5 Au terme de l’échec des négociations avec Bruxelles, tout le monde aurait pourtant dû comprendre que l’UE se soucie peu des positions indépendantes de ses parties contractantes. 
    La motion de M. Molina en faveur d’un rattachement à l’UE a été rejetée par son propre groupe parlementaire. Le 8 juin, la télévision suisse a rapporté: «Il reste à voir si le PS en tant que parti soutiendra finalement sa demande d’adhésion. Le PS devrait préciser ses objectifs en matière de politique européenne d’ici au printemps prochain. Cela inclura également les critiques de l’accord-cadre.»6 Voilà qui ne témoigne pas d’un grand enthousiasme en faveur de l’adhésion de la part des camarades– qui sait s’ils ne veulent pas tout simplement faire disparaître l’objectif d’adhésion à l’UE du programme de leur parti?

– Markwalder, «Opération Libero» & Co. réclament à grands cris un référendum 
Les détracteurs de la démocratie directe suisse, ceux qui souhaiteraient la voir se diluer dans les structures antidémocratiques de l’Union européenne, crient maintenant au scandale parce que le Conseil fédéral, en rompant les négociations, se substituerait au droit de codétermination du peuple.
    Les fanatiques de l’UE Christa Markwalder (FDP, BE), Tiana Moser (GLP, ZH) ainsi que d’autres membres de la CPE du Conseil national ont exigé dans une lettre datée du 18 mai que le Conseil fédéral remette l’accord-cadre au Parlement et ne le soumette qu’ensuite au référendum facultatif.7
    Dans le même temps, le groupe de réflexion «Opération Libero» ayant ressenti «un profond malaise au sein de la société civile»a prévu en conséquence le lancement d’une initiative populaire au contenu encore indéterminé afin d’inscrire le rapprochement de la Suisse avec l’UE dans la Constitution fédérale. Soit dit en passant, la «société civile»qui soutient le projet se compose principalement du Nouveau Mouvement Européen (auparavant présidé par Mme Markwalder et dont le président actuel est Eric Nussbaumer, également conseiller national PS et membre de la CPE) et de la Foreign Policy Society (dont Mme Markwalder est actuellement présidente).8 
    Comme je l’ai déjà dit, ce sont toujours les mêmes personnes qui n’aiment pas le modèle suisse. Heureusement, la majorité des électeurs se refuse à mettre son bon sens en veilleuse. 



Tribelhorn, Marc; Gafafer, Tobias. «Ich würde Ihnen widersprechen:Die Schweiz ist ein Teilmit-glied der EU» Entretien avec Thomas Cottier et André Holenstein. Dans: Neue Zürcher Zeitung du 26/05/21.
«Pas de conclusion pour l’accord institutionnel entre la Suisse et l’UE». Communiqué de presse du Conseil fédéral du 26/05/21.
Conseillers fédéraux Parmelin, Cassis et Keller-Sutter concernant l’accord institutionnel Suisse-UE. Conférence de presse du 26/05/21. https://www.youtube.com/watch?v=OzL_cScGsOY
Neuhaus, Christina. «Das Rahmenabkommen ist ja eigentlich die schlechteste aller Varianten für ein gesichertes Verhältnis mit der EU»Entretien avecCédric Wermuth. Dans: Neue Zürcher Zeitung du 22/05/21.
Vögeli, Dorothee. «SP-Nationalrat Fabian Molina findet den EU-Beitritt die beste Option – nun möchte er im Parlament Druck aufsetzen». Dans: Neue Zürcher Zeitung du 06/06/21.
Washington, Oliver. «Neuer Ideen zur Europapolitik kursieren im Bundeshaus». Dans: SRF News du 08/06/21.
Feusi, Dominik. «Die Rettungsversuche für das Rahmenabkommen (2): Der Plan von Christa Markwalder und den EU-Diplomaten». Dans: Nebelspalter du 21/05/21.
Washington, Oliver. «Rahmenabkommen: Volksinitiative soll Druck auf Bundesrat erhöhen». Dans: SRF News du 18/05/21.

 

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