Qui détermine les valeurs dans la «communauté de valeurs» de l’UE?

par Marianne Wüthrich, Suisse

Dans une lettre récemment adressée à la Commission européenne, 17 chefs d’Etat de l’UE ont critiqué une «loi sur les mesures contre la pédophilie et pour la protection des enfants» adoptée par le parlement hongrois. Cette loi serait discriminatoire à l’égard des personnes en raison de leur orientation sexuelle et est donc inacceptable, ont-ils déclaré. Les chefs d’Etat ont demandé à la Commission, en tant que «gardienne des traités», de veiller au respect du droit communautaire. En réponse, Ursula von der Leyen, cheffe de la Commission, a déclaré que la loi hongroise violait les «valeurs fondamentales de l’Union européenne» et était «une honte». Elle a annoncé une éventuelle procédure d’enfreinte aux traités à l’encontre de la Hongrie.
   En tant que citoyenne suisse et juriste universitaire suisse (doctorat), je me pose un certain nombre de questions à propos de ce processus, notamment sur le plan juridique. Qui est visé par la loi incriminée? Au sein de l’UE, qui compte 27 Etats membres, quelles sont les opinions des neuf autres Etats (outre la Hongrie) n’ayant pas signé la lettre – ou, en d’autres termes: au juste, qui détermine les «valeurs» dans la prétendue «communauté de valeurs» de l’UE? Quelle est l’attitude des dirigeants union-européens face à la diversité qui existe entre les cultures au sein de l’Union? 

La loi hongroise sur la protection 
des enfants affirme le droit des parents d’élever leurs enfants

Il n’est pas facile de discerner l’essence de la loi inculpée, déjà du fait qu’elle est formulée en hongrois, ensuite parce que les grands médias occidentaux, donnant libre cours à leur zèle néo-libéral, répandent une image fortement empreinte de la confusion devenue habituelle mélangeant, de façon inextricable, les faits avec leurs vues politiques et en intégrant les positions partisanes des commentateurs. On peut tout de même arriver à la conclusion que la loi a comme but la protection des enfants et des jeunes. Ainsi, la loi interdit les imprimés et les vidéos d’activités non hétérosexuelles destinés aux enfants et aux jeunes de moins de 18 ans. Elle interdit également de propager l’homosexualité, ainsi que la transsexualité et la chirurgie de réassignation sexuelle auprès des mineurs. La loi ne prévoit aucune restriction pour les personnes dépassant l’âge de 18 ans.
    Quelle est donc la portée de la nouvelle loi? Selon le journal télévisé allemand, M. Viktor Orbán, le chef du gouvernement hongrois, explique que la loi n’est pas dirigée contre l’homosexualité telle quelle, qu’il défend lui-même les droits des homosexuels. Selon lui, l’objectif du règlement est d’affirmer que l’Etat hongrois reconnaît le droit des parents à élever leurs enfants. Selon lui, la nouvelle loi insiste donc sur le droit parental de décider de la manière dont leurs enfants sont éduqués en matière de sexualité.1 On ne peut pas nier que de nombreux Européens, y compris en Suisse, partagent cette opinion.

L’Union des pays européens dignes de 
ce nom doit encourager le débat démocratique sur les valeurs au lieu de l’étouffer 

17 chefs d’Etat de l’UE ont critiqué la nouvelle loi hongroise, dont deux seulement originaires de pays situés à l’est de l’Europe (Estonie et Lettonie). Ce qui veut dire que neuf gouvernements n’ont pas signé la lettre adressée à la Commission européenne: la Bulgarie, la Croatie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque et Malte. Certains pays comme la Pologne et la Slovénie se rangent ouvertement du côté de la Hongrie. Cela montre la vivacité des différends sur l’essence de la famille et l’éducation des enfants, différends liés aux différences culturelles.
    Dans ce vif débat, l’avocat et publiciste hongrois Soma Hegedös écrit: «Dans cette situation, la grande question est de savoir si la Hongrie ou tout autre Etat-membre jouit toujours de la totalité de son droit à une opinion politique particulière sur ces questions, en tant qu’Etat-membre de l’Union européenne.»2 M. Hegedös rappelle que «l’Union européenne a été créée sur la base de traités de droit international selon lesquels les Etats membres – dans le cadre d’une confédération d’Etats – acceptent certaines valeurs comme communes [article 2 TUE], tout en respectant les identités culturelle des différents Etats membres» [articles 3 et 4 TUE]3.
    Puisque les Etats membres ont signé les traités fondateurs de l’Union européenne en tant que parties contractantes agissant en partenaire égales, poursuit le juriste, «la possibilité d’un débat démocratique sur les valeurs entre les Etats membres doit être respectée et garantie». 

«Tous les Etats de l’UE sont égaux, mais certains sont plus égaux» 
(librement selon la formule de Orwell) 

La façon dont les différentes identités culturelles sont traitées aujourd’hui dans l’Union européenne se trouve en flagrant contraste avec la réalité juridique. Certains gouvernements d’Europe occidentale ont tenté d’imposer leur vision des «valeurs communes» à d’autres pays. Certaines des expressions employées à l’égard de la Hongrie n’ont pas leur place dans une union d’Etats revendiquant la paix en Europe. Aux côtés de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen qui a fait diffuser son verdict («Cette loi est une honte.») par tous les médias en Europe et hors d’Europe, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn,a déclaré que M. Orbán était devenu «intenable» et qu’il «ne suivait plus la voie européenne.» C’est recourir involontairement à une image pourtant appropriée: Si l’on veut mettre 27 Etats sur une «voie européenne», il n’y a plus de place pour ceux qui s’en écartent. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutteétait plus direct, estimant que la Hongrie n’avait plus rien à faire dans l’UE (dpa News,25 juin 2021).

Comment ramener les Etats membres récalcitrants 
sur la voie ferrée bruxelloise? 

Les gouvernants de Bruxelles ne peuvent pas expulser la Hongrie de l’UE sans autre forme de procès, mais ils ont inventé d’autres mécanismes de sanction: le retrait des droits de vote si, par exemple, le Conseil européen détermine à l’unanimité qu’«il y a eu une violation grave et persistante par un Etatmembre des valeurs mentionnées à l’article 2» (article 7, paragraphes 2 et 3, du TUE). En d’autres termes, il faudrait le vote de tous les chefs de gouvernement des 26 autres Etats pour mettre la Hongrie à genoux. 
    Cependant, le Conseil et le Parlement de l’UE sont montés de quelques crans récemment: Le 16 décembre 2020, ils se sont mis d’accord sur un «nouveau mécanisme» qui «permettrait à l’UE de suspendre les paiements aux Etats membres s’ils violent l’Etat de droit». Pour de nombreux Etats membres de l’UE, c’est un véritable coup de massue. Après tout, la plupart d’entre eux dépendent de l’argent de Bruxelles. Pour discipliner la Hongrie, la Pologne ou la Slovénie, par exemple, les organes de l’UE ont renversé le principe de l’unanimité: «La décision de réduire les fonds de l’UE est prise par le Conseil sur proposition de la Commission, statuant à la majorité qualifiée».4 La Hongrie et la Pologne ont déposé une plainte auprès de la Cour européenne de justice en raison de l’illégalité de ce règlement. Il n’est pas certain qu’ils aient raison, compte tenu des expériences précédentes avec la CJE.
    Dans la troisième thèse de son discours du 19 juin 2021 (voir encadré page 3 «Nous courons vers une Union européenne à caractère impérial»), le chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán qualifie ce «mécanisme d’Etat de droit» d’instrument de pouvoir purement politique. Dans un premier temps, la Commission a été transformée de gardienne politiquement impartiale des traités en un organe politique. Dans un deuxième temps, elle a produit des «rapports sur l’Etat de droit» sur les différents Etats membres dont les données ont été fournies par des «organisations pseudo-civiles» telles que le réseau de George Soros. Sur cette base, la troisième étape consistera à évaluer les gouvernements démocratiquement élus des Etats membres et à les sanctionner – si «nécessaire». Orbán conclut: «C’est un abus de pouvoir, du pouvoir que les Etats membres ont remis à la Commission.»
    Pour la juriste suisse, il en ressort en toute évidence que le «nouveau mécanisme d’Etat de droit» élaboré de l’UE n’a pas grand-chose à voir avec l’Etat de droit tout court. L’objectif de ce «mécanisme bruxellois» est d’aligner les Etats souhaitant préserver une partie de leur souveraineté et de leurs valeurs culturelles sur la «voie européenne», même pendant la durée de leur adhésion à l’UE.

Le processus d’alignement des valeurs devra donner du fil à retordre aux Suisses

Le Conseil fédéral suisse a bien fait de rompre les négociations sur un accord-cadre institutionnel avec l’UE. Ceux qui se sont promis «davantage de sécurité juridique» grâce à un tel accord devraient prendre note de la manière dont la clique au pouvoir à Bruxelles traite ses propres Etats membres. Dans ses relations avec les autres Etats, y compris les grandes puissances, le petit Etat suisse s’appuie sur son indépendance, ses forces et sa flexibilité. Mieux vaut donc, en toute évidence, ne pas se fier à la sécurité juridique promise par une grande puissance!  



«Orbán hält an LGBTQ-Gesetz fest» (Orban réaffirme le bien-fondé de la loi LGBTQ); Actualités télévisées allemandesdu 24/06/21
Hegedös, Soma. «Guest-opinion: Legislation against paedophile criminals. The target of Hungarian government: gender-ideology should not turn in european standard legislation (Commentaire invité. Il faut une législation à l’encontre de criminels pédophiles. La cible de la Hongrie: l’idéologie du genre ne doit pas devenir doctrine d’Etat en Europe), In: The Epoch Times du 25/06/21.
Art. 3, al. 3 TUE: «Elle [L’Union européenne] respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.» Art. 4, al. 2 TUE: «L’Union respecte l’égalité des Etats membres face aux traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitu
Parlement européen, Etat de Droit: nouveau mécanisme pour protéger le budget et les valeurs de l’UE (majorité qualifiée selon le traité de Lisbonne, minimum de 55 % des Etats membres équivalant au minimum 65 % de la population UE (site officiel du Parlement européen)

 

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