Emeutes à Cuba

Effets de mauvaise gestion ou des sanctions américaines?

par Gisela Liebe

Il y a quelques semaines, des reportages et des images de protestations massives à Cuba ont fait le tour des médias du monde entier. Le 11 juillet, des manifestations de masse ont eu lieu et se sont étendues du quartier de San Antonio de los Baños à La Havane à plusieurs villes. Les manifestations visaient à dénoncer les pénuries alimentaires, le manque de médicaments et les coupures de courant. Certains manifestants ont pillé des magasins et attaqué des voitures de patrouille provoquant des réactions violentes de la part de la police, des blessures et des arrestations arbitraires. Momentanément, l’Internet cubain fut hors de fonction. Ces protestations sont-elles authentiques? Si oui, quel en est le contexte? Ou s’agit-il d’une nouvelle tentative de provoquer une autre «révolution de couleur»?

La plupart des médias de langue allemande ont répandu unilatéralement le point de vue du gouvernement américain. Le Président américain Joe Biden a déclaré que Cuba était un «Etat défaillant» opprimant ses citoyens. Le maire de Miami, quartier général des exilés cubains, est allé jusqu’à solliciter une intervention militaire américaine contre Cuba.
    En Amérique latine, on trouve une vision plus différenciée. Gerardo Szalkovicz, rédacteur de la plateforme en ligne «Nodal», comme beaucoup d’autres, pointe d’abord du doigt le blocus économique imposé par les Etats-Unis depuis 1962 restreignant également l’importation de nourriture et de produits de base comme les médicaments, les seringues et les inhalateurs. Au cours des 60 dernières années, cela a provoqué un état de pénurie permanent avec un préjudice estimé à 144 milliards de dollars. Pendant la pandémie, 243 autres sanctions ont été imposées par le Président américain de l’époque, Donald Trump, qui n’ont pas été retirées par son successeur M. Biden – malgré les annonces contraires lors de la campagne électorale. 
    L’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution condamnant le blocus à la quasi-unanimité chaque année depuis 1992. En juin de cette année, les Etats-Unis et Israël ont été les seuls pays à s’opposer à la levée du blocus. Le Président mexicain, M. Andrés López Obrador, l’a dit sans la moindre ambiguïté: si l’on voulait vraiment aider Cuba, la première chose à faire est de lever le blocus économique, ce qui serait un véritable geste humanitaire.
    La pandémie a encore exacerbé les problèmes économiques. Le tourisme, la plus importante source de devises étrangères, s’est effondré. Jusqu’à présent, Cuba a mieux géré la pandémie de Covid-19 que la plupart des autres pays d’Amérique latine, grâce à son bon système de santé, et a même été en mesure de soutenir de nombreux pays grâce à ses médecins bien formés. Toutefois, le nombre d’infections et de décès a augmenté au cours des dernières semaines. Il y a une pénurie de fournitures médicales, notamment de vaccins.
    Quant aux racines plus profondes du mécontentement se manifestant le 11 juillet, M. Szalkovicz dénomme le processus de réforme économique trop lent et trop inefficace qui avait été initié depuis 2011. Franco Cavalli, ancien conseiller national suisse, oncologue et président de Medicuba, ami et connaisseur de Cuba de longue date, déplore lui aussi «la bureaucratie tentaculaire et la lenteur exténuante dans la réalisation des réformes adoptées depuis longtemps».1 Mais il pointe également du doigt la malhonnêteté et le double langage caractérisant nos reportages qui soulignent peu le scandale des sanctions économiques les plus longues et tout aussi illégales au regard du droit international, auxquelles le pays a su résister «presque miraculeusement», comme il dit, et ceci pendant des décennies.
    Depuis l’installation de l’Internet mobile, en 2018, un certain nombre de groupes d’opposition tels que le Mouvement San Isidro ont émergé ces dernières années. Il s’agit notamment d’artistes et de youtubeurs soutenus par Washington et Miami, mais aussi de jeunes gens désireux d’exprimer sincèrement leur mécontentement refoulé.
    Un rôle peu glorieux dans les manifestations est joué par les médias internationaux: par exemple, Pedro Brieger, directeur de la plateforme en ligne «Nodal», note que «le problème est d’autant plus compliqué par l’énorme surdimensionnement et la déformation des faits dans la presse internationale, avec un flot de ‹fake news› et des photos truquées, allant des images d’Egypte donnant l’illusion de montrer des scènes actuelles à Cuba jusqu’aux photos prises lors de manifestations de soutien à la révolution et au gouvernement et actuellement manipulées comme si elles représentaient des cortèges massifs de l’opposition.»2
    Cuba est toujours l’épine dans le pied des Etats-Unis. Cependant, face à son puissant voisin, le petit pays qui compte aujourd’hui onze millions d’habitants a réussi à maintenir son indépendance pendant 60 ans. De nombreuses personnes dans les pays frères d’Amérique latine en sont également conscientes et ressentent une profonde solidarité avec Cuba, même si elles ont des idées politiques différentes.
    Pedro Brieger résume la situation en ces termes: «Certes, beaucoup de Cubains refoulent le socialisme, ils ne sont pas d’accord avec la révolution et préfèrent vivre dans une société capitaliste ou dans l’aisance qu’ils attribuent au capitalisme, même pour les grandes majorités. Il y a aussi de nombreux groupes de jeunes, nés après 1959, qui s’organisent avec des revendications typiques de notre époque. Ils sont très critiques et veulent des changements au sein de la révolution; dans des situations analogues à celles présentes actuellement. Ils ne se sentent pas compris par les dirigeants du pays.»3
    Le Président cubain Miguel Diaz Canela reconnu que nombre des demandes étaient justifiées et a affirmé sa volonté de dialogue.
   La question reste de savoir pourquoi un Etat – prétendument au nom de la liberté et de la démocratie – peut s’arroger le droit de maintenir, pendant des décennies (plus de 30 ans!), des sanctions dirigées contre un autre Etat, sanctions constituant clairement des enfreintes contre le droit international et ignorant la volonté de pratiquement tous les autres Etats.•



1 «Neue Zürcher Zeitung» du 04/08/21
2 https://www.nodal.am/2021/07/la-columna-de-pedro-brieger-en-cuba-tambien-protestan/
https://www.nodal.am/2021/07/cerrar-filas-con-cuba-sin-romantizarla-por-gerardo-szalkowicz/

 

«Il n’y a aucune raison de maintenir la politique de la guerre froide»

Un appel public au Président américain Joe Biden pour mettre fin aux sanctions contre Cuba

Plus de 400 anciens chefs d’Etat, hommes politiques, intellectuels, scientifiques, membres du clergé, artistes, musiciens et activistes du monde entier ont lancé un appel urgent au Président américain Joe Biden pour qu’il lève les 243 mesures coercitives unilatérales (sanctions) imposées à Cuba par l’ancien Président Donald Trump. Ils affirment que ces mesures «ont délibérément asphyxié la vie sur l’île et provoqué encore plus de pénuries».
    
Les signataires – dont les anciens Présidents du Brésil, Luiz Inácio «Lula» da Silva et de l’Equateur Rafael Correa, Noam Chomsky, Daniel Ellsberg, Oliver Stone, Jill Stein, Judith Butler, Roxanne Dunbar-Ortíz, Yánis Varoufákis, Chris Hedges; les artistes Boots Riley, Chico Buarque, Jane Fonda, Susan Sarandon, Danny Glover et Emma Thompson – soulignent que la capacité du pays à acheter des aliments et des médicaments vitaux est entravée par les restrictions imposées par les Etats-Unis sur les envois de fonds et l’accès de Cuba aux institutions financières mondiales, entre autres.
    
Malgré l’embargo économique, Cuba a mis au point cinq vaccins contre la Covid-19 et envoyé des professionnels de la santé dans plus de 50 pays pour les aider dans leurs efforts de prévention de la propagation du virus et de traitement des personnes infectées.
    
Selon les rapports officiels, entre avril 2020 et décembre 2020, le blocus a causé des pertes de 3 586 9 millions de dollars à Cuba. En incluant les pertes de la période précédente (avril 2019 à décembre 2020), celles-ci s’élèvent à 9 157 2 millions de dollars. Les dommages humanitaires, les souffrances et les privations causés aux familles cubaines pendant toutes ces années sont incommensurables.
    
La lettre ouverte a été publiée, entre autres, sous la forme d’une pleine page de publicité dans le «New York Times» du 23 juillet 2021. 

Source: peoplesdispatch.org

Monsieur le Président

Le temps est venu de donner une nouvelle orientation aux relations entre les Etats-Unis et Cuba. Nous, les soussignés, vous adressons cet appel public urgent, tout en rejetant les politiques cruelles mises en œuvre par l’administration Trump qui ont causé tant de souffrances au peuple cubain.
    Cuba – un pays de onze millions d’habitants – traverse une crise difficile en raison de pénuries croissantes de nourriture et de médicaments. Les récentes manifestations ont attiré l’attention du monde entier sur cette question. Si la pandémie de la Covid-19 s’est avérée être un défi majeur pour tous les pays, c’est un défi bien plus grand pour une petite île qui subit l’énorme impact d’un blocus économique.
    Nous considérons que la politique consistant à refuser délibérément nourriture et médicaments au peuple cubain, en particulier durant une pandémie mondiale, est un acte totalement dénué de scrupules.
    Avec la pandémie, les habitants de l’île – et leur gouvernement – ont perdu des milliards de recettes provenant du tourisme international qui, en temps normal, auraient été investis dans le système de santé publique, la distribution de nourriture et l’économie.
    Durant la pandémie, l’administration Trump a renforcé le blocus et est revenue sur l’ouverture de l’administration Obama en instaurant 243 mesures coercitives qui ont délibérément asphyxié la vie sur l’île et provoqué encore plus de pénuries.
    L’interdiction des envois de fonds et la suspension des vols commerciaux directs entre les Etats-Unis et Cuba sont des entraves au bien-être de la plupart des familles cubaines.
    Le 12 juillet dernier vous avez écrit : «Nous soutenons le peuple de Cuba». Si cela est vrai, nous vous demandons de signer immédiatement un décret annulant les 243 «mesures coercitives» mises en œuvre par Donald Trump.
    Il n’y a aucune raison de poursuivre la politique de la guerre froide qui obligeait les Etats-Unis à traiter Cuba comme un ennemi existentiel et non comme un pays voisin. Au lieu de maintenir le cap pris par M. Trump dans son effort pour revenir sur la politique d’ouverture de Barack Obama vis-à-vis de Cuba, nous vous exhortons à renouer avec elle, à la poursuivre et à entamer le processus de levée du blocus. Mettre fin aux pénuries de nourriture et de médicaments doit être la priorité absolue.
    Le 23 juin dernier, une majorité d’Etats membres des Nations unies a voté pour demander aux Etats-Unis de lever le blocus. Telle a été la position constante de la majorité des Etats membres au cours des 30 dernières années. En outre, en avril 2020, sept Rapporteurs spéciaux des Nations unies ont adressé une lettre au gouvernement américain concernant les sanctions contre Cuba dans laquelle ils écrivent que «dans l’urgencesanitaire que représente la pandémie, le manque de volonté du gouvernement des Etats-Unis à suspendre les sanctions peut entraîner un risque accru de pénuries à Cuba.»
    
Nous vous demandons de lever les «mesures coercitives» imposées par M. Trump et de reprendre l’ouverture initiée par M. Obama ou, mieux encore, d’entamer le processus de levée du blocus et de normaliser totalement les relations entre les Etats-Unis et Cuba.

Source: letcubalive.com

(Traduction Horizons et débats)

 

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