Le mariage pour tous?

par Marianne Wüthrich, juriste

Le Conseil fédéral suisse justifie succinctement l’introduction du «mariage pour tous» dans le cahier de référendum: «Les couples de même sexe doivent avoir les mêmes droits que les couples de sexe différent. Ils devraient également pouvoir se marier. L’ouverture du mariage entraîne également une égalité de traitement juridique en matière de naturalisation, d’adoption et de médecine reproductive.» (p. 28) Si la nouvelle loi passe le référendum, diverses dispositions relatives au mariage et aux droits des enfants dans le Code civil suisse (CCS), la loi sur la médecine reproductive et d’autres lois devraient être modifiées. 
    
Trois comités de parlementaires du PDC/Le Centre, de l’UDF (Union démocratique fédérale), du PEV (Parti évangélique populaire) et de l’UDC ont déposé un référendum contre ces modifications de la loi et contre l’ouverture de l’institution du mariage aux couples de même sexe. Ils opposent aussi succinctement à l’argument de «l’égalité des droits» pour tous l’argument suivant: «Le mariage entre un homme et une femme est un ‹privilège› qui repose entre autre sur la biologie. Il ne s’agit pas d’une discrimination. Le principe de l’égalité de traitement signifie que ce qui est égal doit être traité de manière égale; et ce qui est différent, de manière différente». (Livret de vote, p. 26)

En examinant le texte du référendum (p. 30 et suivantes), on constate un nombre considérable d’articles à réaménager concernant diverses lois. Les remarques suivantes concernent les principaux points de friction.

Le droit du partenariat en vigueur correspond
en grande partie au droit des époux

La loi fédérale sur le partenariat enregistré des couples de même sexe (loi sur le partenariat) est en vigueur en Suisse depuis le 1er janvier 2007 et règle l’établissement, les effets juridiques et la dissolution du partenariat ainsi que le droit des enfants. Cette forme juridique est qualifiée, par le groupe parlementaire des Verts libéraux qui avait initié le projet de loi «Mariage pour tous» au Parlement, en 2013, comme un «mariage de seconde zone», un «déclassement fondé sur des différences biologiques» et «incompatible avec une image libérale de la société et un Etat de droit moderne».1 
    Ces qualifications se trouvent pourtant en flagrante contradiction avec la liste des différences et des similitudes entre le mariage et le partenariat enregistré que l’Office fédéral de la justice (OFJ) a établie, en mars 2018, à l’attention du Parlement.2 En fait, selon l’OFJ, il en résulte beaucoup plus de similitudes que de différences. Aussi les dispositions les plus importantes en matière d’union conjugale et de droit patrimonial s’appliquent-elles également aux partenariats, tout comme la réglementation du droit des enfants, dans la mesure où cela est possible d’un point de vue matériel. L’adoption des enfants du partenaire (adoption par alliance) est autorisée depuis 2018, par analogie avec le mariage; seule l’adoption conjointe n’est pas autorisée aujourd’hui selon l’art. 28 de la loi sur le partenariat.
    En cas de décès du partenaire, le droit légal d’héritage et la part obligatoire du survivant sont identiques aux règles applicables aux couples mariés. Le traitement désavantageux des veufs par rapport aux veuves, concernant les pensions de survivants, s’applique également aux personnes mariées en vertu du droit actuel. Le Parlement suisse va probablement modifier cette disposition, car la Cour européenne des droits de l’homme a récemment qualifié la réglementation suisse comme étant discriminatoire. La dissolution d’un partenariat est réglée de la même manière qu’un divorce, y compris les modalités d’entretien, la moitié des cotisations AVS (splitting) et la péréquation des cotisations à la caisse de pension. 
    La naturalisation simplifiée pour les partenaires étrangers est élaborée de manière analogue à la réglementation pour les couples mariés, mais le Conseil des Etats l’a temporairement suspendue jusqu’à la décision sur le «mariage pour tous». 
    Si l’on passe en revue ce statut juridique largement équivalent du partenariat enregistré par rapport au mariage, on se demande où se trouve le bien-fondé de la nécessité de créer une loi supplémentaire, appelé «mariage pour tous». D’où vient ce zèle de briser l’institution du mariage?

«Adaptation au système juridique dans
tous les Etats membres de l’UE?» – n’exagérons pas!

Le projet de loi des Verts libéraux de 2013 était, entre autres, guidée par la volonté d’adapter l’institution juridique suisse du mariage à celle de l’espace européen. Ils ont évoqué de nombreux autres pays, «dont les Etats européens de France, d’Espagne, du Portugal, de Belgique, des Pays-Bas, de Norvège, de Suède, du Danemark et d’Islande ayant déjà légalisé le mariage homosexuel». En 2017, l’Allemagne, la Finlande, le Royaume-Uni et Malte les avaient rejoints, et enfin l’Autriche en 2019.3 Le Bundestag allemand a approuvé le projet de loi en juin 2017 après une opposition prolongée de la CDU/CSU. Euronews a rapporté, le 30 juin 2017, sous le titre «Avec au moins 70 voix de l’Union – le Bundestag approuve le ‹mariage pour tous›»: «La chancelière Angela Merkel n’en faisait pas partie. Pour elle, la protection de l’article 6 de la loi fondamentale inclut le mariage entre un homme et une femme.»
    En revanche, les Etats membres de l’UE appartenant aux aires culturelles romanes et chrétiennes-orthodoxes comme l’Italie, la Roumanie, la Grèce et la Chypre, mais aussi pratiquement tous les pays de l’UE situé dans la partie Est de l’Europe (Bulgarie, Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Estonie, Lituanie, Lettonie, Slovénie, Croatie) ont introduit pour les couples du même sexe, dans la majorité des cas, les partenariats enregistrés mais non pas leur mariage.4 Hormis la Suisse, dans aucun autre pays le peuple n’a pu se prononcer – à l’exception de la Croatie: là, le 1er décembre 2013, deux tiers des électeurs ont voté en faveur de l’intégration dans la constitution le mariage des couples du même sexe.5
    Ainsi, malgré la pression de Bruxelles, un nombre considérable d’Etats membres de l’UE s’en tiennent au mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme. Parmi nos Etats voisins, deux (l’Allemagne et l’Autriche) se sont récemment prononcés en faveur de l’«ouverture» du mariage tandis que l’Italie persiste dans le concept du mariage étant l’union entre un homme et une femme. Quant à la principauté du Liechtenstein, le prince Hans-Adam a récemment provoqué du bruit médiatique, ayant déclaré, en février passé, «qu’en principe, il n’avait rien contre la revendication du mariage pour tous, pour autant qu’il n’implique pas l’adoption d’enfants». Le Liechtenstein offre l’enregistrement des partenariats du même sexe en y excluant le droit à l’adoption ainsi que le don de sperme, mais exclut le mariage pour tous.6

Le don de sperme pour les couples 
de lesbiennes est inconstitutionnel 

Le point le plus controversé du projet de loi est l’admission des couples de lesbiennes au don de sperme. Aussi les comités référendaires ont-ils mis le doigt sur ce problème: «Le projet ‹mariage pour tous› viole de ce fait l’article 119 de la Constitution fédérale, car, pour les couples hétérosexuels, cet article n’autorise le recours à la procréation médicalement assistée qu’en cas de stérilité ou de danger de transmission d’une maladie grave. A cet égard, considérer les couples de lesbiennes comme étant ‹stériles› va à l’encontre de toutes les définitions en vigueur.» (Livret de vote, p. 26) La majorité du corps électoral a approuvé, le 14 juin 2015, le nouvel article 119, alinéa 2c, de la Constitution fédérale sur la médecine de la reproduction, en s’appuyant sur les conditions étroitement définies pour les dons de sperme autorisés en faveur des couples mariés concernés (selon la compréhension juridique suisse composée d’un homme et d’une femme). A cette occasion, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a signalé au Parlement la situation juridique claire se manifestant face au projet de loi «mariage pour tous»: l’exclusion des couples homosexuels des procédures de procréation se fonde directement sur la Constitution fédérale, «puisque le concept constitutionnel d’infertilité ne peut s’appliquer qu’aux couples hétérosexuels». Par conséquent, «l’accès à la médecine reproductive pour les couples mariés de même sexe nécessite en tout état de cause un amendement constitutionnel».7

Dans un premier temps, la Commission des affaires juridiques du Conseil national en a tiré la conclusion qu’il fallait reporter à plus tard les «points délicats» tels que «l’accès à la médecine reproductive» afin d’éviter l’échec du projet de loi lors du référendum.8 Au cours des débats parlementaires, le Parlement a toutefois coupé court à sa propre tactique du salami en intégrant le don de sperme pour les couples de lesbiennes dans le projet de loi référendaire, contrairement à l’instruction juridique de l’OFJ. A cette fin, les articles 16, 23 et 24 correspondants de la loi sur la médecine de la reproduction (FMedG) doivent être reformulés, par exemple l’article 24 alinéa 3, phrase introductive, par un additionnel: «En ce qui concerne la femme bénéficiaire du don de sperme et son époux ou son épouse, les données à consigner sont les suivantes: […]». (Livret du référendum, p. 37; souligné par mw).
    En outre, les comités référendaires, sous le titre «Le bien-être des enfants n’est pas pris en compte», ont déclaré: «Le don de sperme ne sera plus une exception médicale mais une règle prévue dans la loi, quelles que soient les conséquences pour les enfants. [...] De plus, un enfant a besoin d’avoir comme modèle parental un homme et une femme: en autorisant le don de sperme pour les couples de lesbiennes, la loi prive l’enfant d’un père.» (Livret de vote, p. 27)

Le don d’ovules est déjà à l’ordre du jour –
la maternité de substitution suivra-t-elle?

Sous le titre «La procréation médicalement assistée est strictement réglementée», le Conseil fédéral affirme: «Le projet de loi ne prévoit pas d’autres modifications en matière de procréation médicalement assistée. Le don de sperme anonyme, le don d’ovules et la gestation pour autrui resteront interdits.» (Livret de vote, p. 29) La Constitution fédérale en est formelle: 

Cst. Art. 119 para. 2 d. Le don d’embryons et toutes les formes de maternité de substitution sont interdits;

Cela désavantage-t-il les couples d’hommes par rapport aux couples de femmes? C’est du moins l’argument que redoutent les comités référendaires: «La réinterprétation de la stérilité en un désir inassouvi d’avoir des enfants, qui ressort du projet de loi, est contraire à la Constitution. A l’avenir, elle permettra à d’autres groupes (les célibataires, les couples d’hommes) de se fonder également sur ce désir inassouvi d’avoir des enfants. Le don d’ovules ainsi que la maternité de substitution, laquelle est discutable du point de vue éthique, pourraient constituer les prochaines revendications.» (Livret de vote, p. 27)
    Quiconque prétend le contraire n’est pas honnête. Car avant même la votation du 26 septembre, une initiative parlementaire a été déposée au Conseil national – tactiquement peu judicieuse – sous le titre: «Légalisons enfin le don d’ovules, également en Suisse!»9 Les protagonistes l’ont justifié, entre autres, en disant: «Le don de spermatozoïdes est autorisé [...]. Dans le cadre de l’approbation du ‹mariage pour tous›, le Parlement a également légalisé l’accès aux banques de sperme pour les couples de lesbiennes.»(souligné par l’auteur; les initiateurs ont apparemment «oublié» qu’en dernière instance, c’est le souverain qui décidera). Voilà donc l’«argument» selon lequel il serait discriminatoire d’autoriser le don de sperme tout en interdisant le don d’ovules, «bien qu’il n’y ait aucune raison valable de faire une distinction entre les deux types de gamètes».10 
    L’étape suivante, la légalisation de la maternité de substitution – le recours à une femme pour porter un enfant pour deux hommes – risque d’être un peu plus difficile à l’ère de la suprématie féminine. Mais il vaut mieux se défendre de parier. Ceux qui ont comme objectif de briser tout ce qui lie et unifie les êtres humains, tant àpetite échelle (la famille) qu’à grande échelle (l’Etat-nation souverain), ne s’y arrêteront peut-être pas non plus.
    Chanceuse Suisse, pays où c’est toujours le peuple qui décide de ce qui est juste – également le 26 septembre 2021.

Préserver le mariage et la famille 
comme base de la société 

Cst. Art. 14. Le droit au mariage et à la famille est garanti.

Bien que la Constitution n’indique pas explicitement que l’article 14 signifie le mariage d’un homme et d’une femme, cela a toujours été clair d’un point de vue juridique et substantiel. Ainsi, les comités référendaires déclarent: «Le Tribunal fédéral et le Conseil fédéral ont toujours interprété le droit au mariage en tant que communauté de vie durable entre un homme et une femme (article 14 de la Constitution fédérale). Seule l’union d’un homme et d’une femme permet de donner la vie, c’est pourquoi il faut protéger cette composante essentielle de la société et de l’Etat. Instaurer le mariage pour tous par une simple modification de loi est donc clairement contraire à la Constitution.» (Livret de vote, p. 26)
    Contrairement à la compréhension générale de la loi, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a expliqué au Parlement pourquoi une modification de la loi ferait l’affaire. Son raisonnement: le législateur n’était «pas empêché par l’article 14 de la Constitution fédérale de se fonder sur sa compétence législative de droit civil pour ouvrir l’institution juridique du mariage aux personnes de même sexe». Dans ce raisonnement, cela s’arrangerait par un simple amendement de la loi: «une révision de la constitution n’est pas nécessaire».11 Comprenne qui peut, mais en effet, un tel raisonnement reste, juridiquement parlé, incompréhensible.
  Cette interprétation juridique de l’OFJ, plus que douteuse, a ensuite pourtant été adoptée par la Commission du Conseil national, le Conseil fédéral et enfin la majorité du Conseil national ainsi que du Conseil des Etats. Etrange unanimité! Ce dont on ne parle pas officiellement, mais que chacun sait qui est familier avec le processus des votations suisses: le risque du rejet d’un référendum est plus accentué lorsque, en plus de la majorité des voix, la majorité des cantons doit être atteinte elle aussi, ce qui est le cas face aux modifications constitutionnelles (mais non pas face à des modifications de lois, où il ne faut atteindre que la majorité des voix, ndt.). 
    Il y a pourtant eu des députés s’opposant à l’«ouverture» du concept de mariage. Un nombre considérable, beaucoup appartenant au PDC, ont voté, lors des débats au conseil national et au Conseil des Etats, contre le mariagepour tous. Au moins certains d’entre eux se sentent toujours liés aux principes chrétiens-démocrates – malgré le nouveau nom anémique de leur parti («Le Centre»), et se prononceront donc aux urnes, selon leurs propres déclarations, par un non.12 Lors du débat du Conseil national du 3 juin 2020, Pirmin Schwander (UDC), par exemple, a clairement exprimé ce que partagent beaucoup dans le pays: «Nous sommes persuadés que le terme figé dans notre Constitution signifie le mariage entre un homme et une femme. A notre avis, nous ne pouvons pas simplement le gommer au niveau législatif en disant: «Eh bien, aujourd’hui c’est différent! A notre avis, aucun discours public n’indique que depuis l’adoption de la Constitution actuelle la conception de l’ouverture du mariage se serait cristallisé»
   La conception du mariage comme une cohabitation d’un homme et d’une femme est ancrée dans une grande partie de la population. Dans un récent sondage, réalisé par Tamedia («Tages-Anzeiger» du 13 août 2021), plus de 60 % des Suisses interrogés ont déclaré qu’ils voteraient «oui» ou «plutôt oui» au «mariage pour tous». La plupart des gens n’ont rien contre la cohabitation en soi: chacun peut décider pour lui-même de la façon dont il veut vivre. Mais le fait que les enfants puissent grandir avec un père et une mère, dans la mesure du possible – et le terme «mariage» est lié à cela – est quelque chose dont nous ne devons pas nous éloigner. 



13.468 Initiative parlementaire Mariage pour tous. Soumis au Conseil national par : Groupe des Verts libéraux (déposé de Kathrin Bertschy) le 05/12/13
Office fédéral de la justice OFJ. 13.468 Initiative parlementaire Conseil national (Groupe GL) Mariage pour tous. Analyse des effets de l’ouverture du mariage dans les différents domaines juridiques du 27/03/18. Annexe 1: Aperçu tabulaire «Mariage et partenariat enregistré»: principales similitudes et différences.
«In welchen EU-Ländern gibt es die Homo-Ehe?». Ds: Euronews du 13/07/17
Hardegger, Angelika. «Die Ehe für alle auf einen Blick». Ds: Neue Zürcher Zeitung du 28/07/21
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariage_homosexuel#Europe
Meier, Günther. «Der Fürst provoziert Schwule und Lesben». Ds: Neue Zürcher Zeitung du 18/02/21
Office fédéral de la justice OFJ. 13.468 Initiative parlementaire Conseil national (groupe parlementaire GL) Mariage pour tous. Analyse des effets de l’ouverture du mariage dans les différents domaines du droit du 27.3.2018, p.5 
«Un autre pas vers le mariage pour tous». Communiqué de presse de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 6/07/2018; dans le même esprit: communiqué de pressedu Conseil fédéral du 29/01/2020.
9I nitiative parlementaire 21.421 du 17/03/2021
10 Initiative parlementaire 21.421 du 17/03/2021
11 Office fédéral de la justice OFJ. 13.468 Initiative parlementaire Conseil national (groupe parlementaire GL) Mariage pour tous. Analyse des effets de l’ouverture du mariage dans les différents domaines du droit du 27/03/2018, p. 7.
12 Odermatt, Marcel. «Feiglinge im Bundeshaus». Ds: Weltwoche du 02/07/202

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