Démocratie directe en Suisse – il souffle un vent de fraîcheur

De plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une nouvelle coopération avec Bruxelles

par Marianne Wüthrich

 mw. Depuis peu, de nouvelles associations et comités se prononcent en faveur d’une Suisse libre, juste et solidaire ainsi que d’une Suisse ouverte sur le monde, économiquement performante et libre (l’adjectif «libre» manque rarement parmi nous autres Suisses). Deux comités référendaires viennent de remettre leurs feuilles de signatures au Palais fédéral, l’une contre la loi Covid-19 et l’autre contre la loi anti-terroriste, mises au vote le 13 juin prochain. D’ici là, nous aurons largement le temps de nous faire une opinion là-dessus. Malgré les restrictions de la vie publique qui sont actuellement nécessaires, les activités de démocratie directe se poursuivent.
     
En plus, on constate avec satisfaction que, dès les premiers jours de la nouvelle année, de plus en plus de voix se font entendre parmi les entrepreneurs et les hommes politiques de toutes tendances qui souhaitent clore les négociations sur le traité-cadre avec Bruxelles et réajuster les relations de la Suisse souveraine avec l’UE sur un pied d’égalité. Il est rafraîchissant de voir que même les politiciens actifs sortent des pâturages habituels mais ratissés des partis en disant ce qu’ils pensent. Tout cela selon les normes prévues par la démocratie directe!

L’opposition des entrepreneurs suisses 
à l’accord-cadre va croissante …

La défense réussie des intérêts britanniques vis-à-vis de Bruxelles1 a fait bouger les choses en Suisse aussi. Alors que le Conseil fédéral fait de l’obstruction et attend la «clarification» des fameux «trois points» (protection salariale, directive sur la citoyenneté de l’UE, subventions d’Etat) par les seigneurs à Bruxelles, de nombreux entrepreneurs suisses s’unissent en démentant ceux qui prétendent, depuis des années, que sans accord-cadre la voie bilatérale serait épuisée et la place économique suisse s’effondrerait. 

Parmi eux figure cette association d’entreprises suisse sous le nom «autonomiesuisse»qui s’est présentée en public en novembre 2020 en contre-mouvement à «économiesuisse» (dont la prétention est d’être le seul représentant de l’«économie suisse», prétention qui s’effrite de plus en plus). «Autonomiesuisse» compte à ce jour environ 350 membres, parmi eux de nombreuses personnalités du monde économique et dont le conseil d’administration compte également plusieurs membres du PLR (les Libéraux-radicaux). Quant à ses buts, l’organisation se prononce sans équivoque en ces termes: «La discussion sur l’accord-cadre tourne autour de questions secondaires, alors que l’essentiel est oublié: cela signifierait la fin de la souveraineté suisse et la perte de conditions économiques attrayantes. Nous dissipons les mythes en montrant sept conséquences fatales de l’accord-cadre pour la place économique suisse.»2 (mise en relief par l’auteure) La lecture de ces sept conséquences, chacune présentée sur une fiche d’information, est recommandée à tous ceux voulant saisir plus précisément le lien entre la réussite de la place économique suisse et le modèle suisse indépendant et de démocratie directe. 

Dans son communiqué de presse du 15 janvier, «autonomiessuisse» résume sa position de manière succincte et claire: «Le présent accord-cadre signifierait le transfert irrévocable de compétences à Bruxelles et la subordination à la Cour de justice de l’UE (CJUE). Cela mettrait en danger le modèle de réussite de la Suisse avec ses conditions cadres compétitives.» Les entrepreneurs appellent les politiciens à «repenser la relation avec l’UE», par exemple avec le développement des traités bilatéraux et l’accord de libre-échange (ALE) de 1972 (qui garantit l’accès au marché de l’UEpour les entreprises suisses).3 

En plus, c’est le réseau d’entrepreneurs suisse «Partners Group», présenté dans Horizons et débats du 20 octobre 2020, qui se prononce à nouveau en public.4 Actuellement, l’entrepreneur Alfred Gantner et le directeur général Philip Erzinger présentent, dans les colonnes du grand quotidien suisse «Tages-Anzeiger» l’association «Allianz Kompass/Europa»qui lutte également contre l’accord-cadre et compte 250 sympathisants, «à partir des syndicalistes aux agriculteurs en passant par les grandes entreprises». M. Gantner affirme qu’il ne croit pas à la «théorie de l’érosion des accords bilatéraux sans accord-cadre car l’UE a tout autant d’intérêt que la Suisse à ce que ses relations soient réglementées».5

Allianz Kompass/Europe vise «une sorte de traité Brexit-plus», déclare Philip Erzinger: «avec un gros plus, car nous avons déjà un accord de libre-échange et des traités bilatéraux qui fonctionnent». Afin de protéger les droits de nos citoyens, dit M. Gantner, il est également prêt à accepter la perte marginale de croissance attendue, car avec l’accord-cadre «nous nous retrouverions tellement entre les mains de l’UE que nous devrions aussitôt devenir membre de l’UE sans réserves».

D’ailleurs, il y a également des représentants haut de gamme des méga-corporations qui pensent de cette façon et osent le dire, au moins après leur retraite. M. Oswald Grübel, ancien PDG de Crédit suisse et de l’Union des Banques suisses (UBS), a récemment répondu en public à la question de savoir quelles conclusions il tirerait pour la Suisse face à l’accord entre le Royaume-Uni et l’UE: «Pour moi, l’accord de libre-échange montre que la Suisse n’a pas besoin d’un accord-cadre avec l’UE. Elle ne doit pas se soumettre aux diktats de la Cour de justice de l’Union Européenne sans nécessité.»6

… ainsi qu’en politique: le jeune membre du parti libéral au Conseil des Etats montre son profil – rafraichissant!

Le commentaire spectaculaire de l’ancien conseiller fédéral, M. Johann Niklaus Schneider-Ammann (PLR), publié en septembre 2020 dans les colonnes du quotidien-«fief» des protagonistes de l’accord-cadre, intitulé «Accord-cadre: trois clarifications ne suffisent pas. C’est la question de la souveraineté qui doit être abordée»7 a débloqué les voix de nombreux Suisses épris de l’esprit de souveraineté et de liberté – notamment au sein de son propre parti. Les négociations fructueuses du Royaume-Uni avec Bruxelles ont apparemment joué leur rôle à cet égard.

Dans ce contexte, il convient de prendre note tout particulièrement de la récente déclaration de M. Thierry Burkart, membre du Conseil aux Etats (il y représente le canton d’Argovie) et appartenant aux hommes politique de la jeune génération au sein du PLR. Le 14 janvier, il a revendiqué la clôture des négociations avec l’UE8 mettant ainsi les choses en route – d’abord au sein de son parti, le PLR. Il ne faut pas oublier que celui-ci s’est positionné, jusqu’à présent, de manière pratiquement univoque (du moins en apparence) en faveur de l’accord-cadre et la poursuite des négociations par le Conseil fédéral. Dans son commentaire, Thierry Burkart soulève deux principaux points de critique:

  • «L’adoption dynamique du droit, associée au rôle de la Cour de justice de l’Union Européenne (CEUE) dans le règlement des différends entre la Suisse et l’UE, restreint considérablement notre souveraineté». En cas de litige, la CJCE trancherait en dernière instance. Elle pourra juger des décisions politiques du Parlement ou des citoyens si le droit européen est affecté, même de manière marginale. La perte de souveraineté signifierait «en fin de compte moins de co-détermination» pour chaque citoyen.
  • Avec l’accord-cadre on n’a pas affaire à un «développement de la voie bilatérale» parce qu’en raison de la «clause guillotine globale», il n’y aura en effet aucun moyen de sortir de l’accord-cadre pour la Suisse, «sauf de rejoindre l’UE».

Ainsi, le député du conseil d’Etat (parti libéral) conclut que du point de vue d’un «Etat souverain dans lequel l’électorat est habitué à avoir le dernier mot», le prix à payer pour la mise à jour des accords d’accès au marché est «nettement trop élevé». L’accord-cadre sous cette forme, voilà le verdict du conseiller d’Etat, n’obtiendra donc pas le soutien majoritaire» lors de la votation populaire.

Un redémarrage ne ferait pas de mal

M. Burkart appelle le Conseil fédéral à clore les négociations: «Cela porterait moins atteinte à la crédibilité du Conseil fédéral que si notre délégation de négociation continue à agir comme si cet accord était bon et juste et pouvait passer, d’une manière ou d’une autre, devant le peuple et la majorité des cantons.»

Un nouveau départ ne nuirait pas non plus à l’avenir du pays, affirme M. Thierry Burkart, car la grande ouverture de la Suisse sur le monde et son économie resteraient sans entraves. L’accord de libre-échange de 1972 et les accords bilatéraux avec l’UE pourraient être développés plus loin, même sans accord-cadre. Voilà comment le jeune conseiller d’Etat conclut sa déclaration: «Comme la Grande-Bretagne s’accordant avec l’UE a montré, il ne faut à la Suisse ni l’adoption unilatérale de la loi ni de la cour de l’autre partie en guise d’arbitre des différends. Tout ce qu’il faut, c’est la volonté mutuelle dans le maintien de bonnes relations dont profitent les êtres humains, ici autant que là-bas».

La déclaration de Thierry Burkart est approuvée au sein du parti libéral même

Comme on pouvait s’y attendre, le positionnement clair du Conseil des Etats argovien a été mal accueilli par la majorité du groupe parlementaire du PLR – notamment par la présidente du parti, Mme Petra Gössi, et les conseillers nationaux M. Kurt Fluri et Mme Christa Markwalder. Cependant, les médias suisses du 16 janvier 2021 font également état de tout un groupe de députés PLR qui, comme M. Burkart, «rejettent ou sont sceptiques quant au rôle de la Cour de justice de l’Union européenne dans le règlement des litiges», à savoir les conseillers aux Etats M. Martin Schmid et M. Thomas Hefti ainsi que les conseillers nationaux Mme Maja Riniker, M. Marcel Dobler, M. Peter Schilliger et M. Christian Wasserfallen. Même M. Andrea Caroni, membre du Conseil des Etats et vice-président du PLR, ne figure pas non plus «parmi les ardents défenseurs de l’accord».9 Comme nous l’avons déjà indiqué, plusieurs entrepreneurs libéraux ont également rejoint le comité d’«autonomiesuisse».

Le «oui de la raison» que les parlementaires du PLR ont décidé quant à l’accord-cadre, en février 2019, fut basé, comme certains l’avouent  maintenant, sur des idées trop positives. A cela aura contribué le fait que la Chancellerie fédérale n’avait mis en ligne le texte du traité en allemand qu’à la mi-janvier 2019, personne ne pouvant saisir, dans ce court délai, ce qui s’y trouve emballé et formulé dans le style bureaucratique européen en cours. Le programme de politique étrangère du PLR ne souffle mot sur l’accord-cadre, il est vrai, mais sa position se trouve pratiquement impliqué dans la phrase suivante: «Le PLR est le seul parti qui s’engage, sans réserve, en faveur de la voie bilatérale avec l’UE. Cependant, il rejette autant l’adhésion à l’UE ou à l’EEE qu’une politique d’isolement.» (www.fdp.ch/positionen/aussenpolitik). En réalité, la plupart des autres partis sont également favorables à la voie bilatérale avec l’UE en principe, mais de nombreux politiciens, entrepreneurs et citoyens ne veulent tout simplement pas accepter d’emblée tout ce que Bruxelles prévoit pour la Suisse. M. Burkart précise également que pour lui, renoncer à l’accord-cadre formulé par Bruxelles ne signifie aucunement l’«isolement» suisse.

Quant à l’adhésion à l’UE, certains hommes politiques du PLR semblent avoir oublié qu’ils y étaient très favorables, il n’y a pas si longtemps (ceux qui acceptent maintenant l’accord qui pourra contraindre la Suisse à adhérer à l’UE comme membre dans quelques années). C’est le cas, par exemple, de Mme Christa Markwalder, conseillère nationale PRL, qui vient de réprimander son collègue du groupe parlementaire Thierry Burkart avec des mots extraordinairement durs: «De tels actions de sniper sont inutiles sur le plan de la politique intérieure et nuisibles sur celui des affaires étrangères» (le terme «sniper» désignant, selon le dictionnaire Larousse, un tireur d’élite dirigeant son arme sur une victime ne soupçonnant rien et à partir d’un endroit embusqué). Selon Mme Markwalder, il serait «insensé de rompre les négociations, car ce que la Suisse a réalisé jusqu’à présent – par exemple le tribunal d’arbitrage pour le règlement des différends – est très bon»10 C’est sérieux? Il semble que oui: Christa Markwaldera été présidente du Nouveau Mouvement Européen-Suisse (Nomes, cheval de bataille pour l’adhérence suisse à l’UE) de 2006 à 2014. La journée d’entrer dans ses fonctions, le 7 mai 2006, Mme Markwalder a déclaré, selon la «Neue Zürcher Zeitung»: «Après une décennie de négociations bilatérales, il est temps de mener à nouveau une politique européenne plus offensive. Le rapport du Conseil fédéral sur l’Europe serait une bonne occasion d’approfondir le débat sur l’adhésion de la Suisse à l’UE».11 Apparemment, cela résonne encore.

Le président des syndicats suisses rejoint les revendications de Thierry Burkart

Une autre surprise encourageante est survenue le lendemain de la déclaration de M. Burkart. M. Pierre-Yves Meillard, président de l’Union syndicale suisse et conseiller national PS, s’est joint à son collègue parlementaire libéral pour revendiquer la clôture des négociations: «Nous voulons préserver une protection salariale autonome et le service public. L’accord met en péril ces préoccupations. C’est pourquoi nous avons toujours dit qu’elle n’aurait que peu de chances devant le peuple. Nous affirmons donc qu’il serait plus clair et plus honnête de rechercher l’arrêt complet des négociations en cours.»

C’est depuis longtemps que les dirigeants syndicaux (dont M. Adrian Wüthrich deTravail.Suisse) avaient déjà déclaré la sauvegarde de la protection des salaires et du service public suisse comme condition de leur aval à la conclusion d’un accord avec l’UE. Jusqu’à présent, M. Maillard n’avait pourtant pas mentionné aussi clairement la sortie des négociations en cours comme option réelle. La question de la souveraineté dans l’accord est «très difficile», a estimé M. Maillard. Et d’ajouter que le traité entre la Grande-Bretagne et l’UE, dans lequel la CJUE ne joue aucun rôle, montre qu’il existe d’autres solutions réalisables.12

Perspectives pour 2021

C’est un début prometteur de la nouvelle année quant au débat sur l’UE en Suisse. L’enjeu n’est pas la rupture des relations amicales avec l’UE, mais une sortie digne du Conseil fédéral d’un projet de traité qui a été rédigé à Bruxelles et qui n’a jamais convenu à la Suisse. Ce faisant, le Conseil fédéral pourra exprimer sa solidarité avec le peuple suisse de manière beaucoup plus crédible qu’en signant un accord condamné à échouer au Parlement ou, au plus tard, lors de la votation populaire (référendum). Heureusement que nous ayons pu d’abord attendre le résultat des négociations entre Londres et Bruxelles nous donnant de l’élan supplémentaire. Et quelle chance de pouvoir constater que nous soyons nombreux, citoyens, politiciens et entrepreneurs, à ne pas accepter d’abandonner le modèle suisse.


v. Wüthrich, Marianne. «Les dinosaures ont disparu, les hérissons se portent bien», dans: Horizons et débats du 5 janvier 2021
v. autonomiesuisse. «Sept raisons pour un meilleur accord-cadre», https://www.autonomiesuisse.ch/fr/raisons
v. autonomiesuisse. «Accord-cadre Suisse-UE: le front commence à lézarder.» Communiqué de presse du 15/01/21. www.autonomiesuisse.ch/fr/documents
«Accord-cadre entre la Suisse et l’UE: clôturer les négociations en dignité», ds. Horizons et débats du 27/10/20
Alich, Holger. «Widerstand gegen Rahmenabkommen. Mit Bernhard Russi und Kurt Aeschbacher gegen den EU-Vertrag. Gespräch mit Philip Erzinger und Alfred Gantner»,
ds: Tages-Anzeiger du 16/01/21
Zulauf, Daniel. «Jetzt werden die Zahlen richtig astronomisch.» Interview mit Oswald Grübel», ds: St. Galler Tagblatt du 04/01/21
Neue Zürcher Zeitung du 19/09/20
«FDP-Ständerat fordert Übungsabbruch beim Rahmenabkommen: Der Bundesrat sollte gegenüber der EU ehrlich sein. Gastkommentar von Thierry Burkart», ds: Aargauer Zeitung du 14/01/21
Benini, Francesco. «Schweiz – EU. Dafür oder dagegen? Das Rahmenabkommen mit der EU entzweit die Freisinnigen», ds: Aargauer Zeitung du 16/01/21
10 Benini, Francesco. «Schweiz – EU. Dafür oder dagegen?» ib.
11 «Christa Markwalder ist neue Nebs-Präsidentin», ds: Neue Zürcher Zeitung du 08/05/0612 Benini, Francesco. «Verhandlungen mit EU abbrechen. Gewerkschaftspräsident Pierre-Yves Maillard unterstützt die Forderung von FDP-Ständerat Thierry Burkart», ds: St. Galler Tagblatt du 15/01/21  

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