La conférence ONU des Etats «donateurs» face aux réalités afghanes

par Karl-Jürgen Müller

Sur invitation du Secrétaire général des Nations Unies, les représentants d’une quarantaine d’Etats se sont réunis à Genève pour affirmer en public leur volonté de fournir environ 1,2 milliard de dollars US destinés à l’aide humanitaire à l’Afghanistan à titre d’urgence, lors de la conférence hybride du 13 septembre 2021. A cette occasion, M. Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, a déclaré que son pays fournirait 100 millions d’euros dans l’immédiat tandis qu’il a promis 500 millions supplémentaires. António Guterres s’est montré très satisfait du résultat de son appel. Les Nations Unies elles-mêmes avaient prévu le besoin immédiat d’environ 600 millions de dollars jusqu’à la fin de l’année. Selon les chiffres de l’ONU, 93 % des ménages afghans ne mangent pas à leur faim. Les services de base du pays sont sur le point de s’effondre, a déclaré le secrétaire général. 
    M. Guterres a également fait état de la réception de deux lettres de la part de dirigeants talibans. Comme il l’a dit, dans la première lettre, le régime afghan assurait à l’ONU son soutien total en exprimant son respect à l’égard du travail humanitaire se déroulant dans le pays. L’autre lettredéclarait que l’administration afghane était en mesure de garantir la sécurité des travailleurs humanitaires. Selon M. Guterres, les talibans confirmaient clairement vouloir coopérer avec la communauté internationale.

Qui répond des dégâts en Afghanistan?

Il a été frappant de constater que la conférence des donateurs des Nations unies a fait l’objet d’une couverture médiatique extensive et très positive, notamment dans les médias occidentaux. Dans le contexte des réparations de guerre, il convient tout de même d’ajouter quelques points de vue.
    Les dommages infligés à l’Afghanistan et aux Afghans au cours des 20 dernières années, en raison de la guerre lancée par l’OTAN en flagrante violation du droit international sont difficiles à estimer; ils se chiffreraient en centaines de milliards. Les vies humaines perdues ou mutilées ne se mesurent cependant pas en dollars ni en euros ou en francs. 
    La situation humanitaire actuelle de la population du pays n’est pas non plus à imputer au nouveau régime taliban, mais principalement (à part d’autres causes comme la sécheresse de cette année) à la totalité des dégâts issus de 20 ans de guerre. Un principe important et accepté au sein de la quasi-totalité des communautés juridiques, sur les plans national et internationaux, est que les responsables de dommages doivent en accepter leur responsabilité. Dans le passé, on insistait sur les compensations («réparations») résultant des guerres. Il est vrai que ce devoir était soumis à la possibilité d’en abuser. Mais les cas d’abus ne changent rien au bien-fondé du principe. 
    En fait, l’Afghanistan aura également droit aux compensations, prestations à fournir par les Etats membres de l’OTAN et leurs alliés de guerre. Le premier pas dans ces efforts de réparation consisterait à admettre sans ambages leur culpabilité primordiale. 

Les Etats de l’OTAN ne montrent pas de remords,
tout au contraire, ils affichent toujours un style grandiloquent

Mais nous en sommes loin. Au contraire, les représentants officiels des Etats de l’OTAN ne montrent aucun remords, mais affichent une attitude hautaine et exigeante. La version en ligne du «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 13 septembre en donne l’exemple lorsqu’on y lit: «Les Etats-Unis ont exigé l’engagement explicite et sous forme écrite du gouvernement taliban à respecter les droits des organisations d’aide humanitaire, des femmes et des minorités. ‹Les mots ne nous suffisent pas!› a déclaré l’ambassadrice américaine, Linda Thomas-Greenfield, auprès des Nations unies en ajoutant: ‹Nous avons besoin de la preuve des actions›». Le ministre allemand des affaires étrangères et les représentants d’autres Etats membres de l’OTAN ont soutenu cette attitude en ajoutant des affirmations similaires.
    Personne ne conteste que le peuple afghan a le besoin urgent d’aide humanitaire. C’est là que les 1,2 milliard de dollars jusqu’à la fin de l’année ont tout leur poids. Mais cette somme ne mérite définitivement pas le grand retentissement médiatique qu’elle a trouvée, ni la gratitude effusive y liée. Comparé aux dommages réellement causés, le montant d’1,2 milliard de dollars US et la façon dont il est concédé frôlent l’affront.

 

3,7 % ou le conte de fées officiel sur la reconstruction occidentale en Afghanistan

«Selon les chiffres de l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), jusqu’à présent, la guerre a coûté près de 1 000 milliards de dollars aux Américains, soit un trillion*. Sur ce montant, la grande majorité (837 milliards) a été dépensée pour la guerre, 133 milliards sont déclarés comme coûts de reconstruction. Mais même sur les coûts de reconstruction, la plus grande partie a été consacrée à la sécurité du pays. Environ 89 milliards de dollars ont été dépensés pour la formation des soldats afghans, la lutte contre le trafic de drogue et le maintien de la paix. Environ 36,3 milliards (3,7 % des dépenses totales) ont été consacrés au développement du pays, par exemple dans des projets d’infrastructure, des programmes sociaux ou le système de santé. Là aussi, une partie de l’argent a été consacrée à la lutte contre le trafic de drogue. Les dépenses du gouvernement américain pour les projets d’aide humanitaire ont été limitées à 4,2 milliards de dollars.»

Source: «Wo die Billion Dollar geblieben ist, welche die USA in den Afghanistan-Krieg gesteckt haben» (Ce qui est arrivé aux mille milliards de dollars que les Etats-Unis ont dépensé pour la guerre en Afghanistan). Dans: NZZ en ligne, consulté le 23 août 2021.

*Les chiffres fournis par les différents instituts diffèrent fortement dans certains cas. Par exemple, l’institut américain Watson avait calculé un montant de 2,26 trillions de dollars US pour les seuls coûts de la guerre pour les années 2001-2021 (cf. Horizons et débat n° 19/20 du 31 août 2021). Les chiffres exacts ne sont toutefois pas déterminants dans ce contexte, car il s’agit de se rendre compte de l’ampleur très réduite des fonds réellement disponibles à l’aide à la reconstruction de l’Afghanistan. (Note de l’éditeur)

 

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