La honte de l’Occident

Discours lors de la manifestation pour la paix à Munich le 1er septembre 2021

par Jürgen Rose*

Chers amis de la paix venus vous rassembler ici!

Avant-hier, le monde a pu constater que le dernier soldat d’occupation occidental a finalement quitté l’Afghanistan – presque exactement vingt ans après que l’empire américain de la barbarie et ses fidèles vassaux de l’OTAN aient déclenché une guerre d’agression contraire au droit international contre le pays de l’Hindou Kouch et son peuple. Au cours des vingt dernières années, des milliers et des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de personnes âgées afghans ont été victimes de ce crime contre les droits de l’homme et le droit international – assassinés, mutilés, violés, torturés – et dans de nombreux cas par ceux qui ont été envoyés par des nations soi-disant civilisées et démocratiques avec la mission d’apporter les droits de l’homme, la démocratie, la liberté et la prospérité en Afghanistan.

Fausses tentatives de légitimation

L’invasion militaire dans le pays de l’Hindou Kouch a été légitimée en tant que légitime défense contre un acte qu’Helmut Schmidt avait décrit comme un «crime de l’ampleur d’un mammouth» terroriste – le fait que pas un seul Afghan n’ait été impliqué dans les attaques terroristes à New York et Washington le 11 septembre 2001 n’ayant apparemment aucune importance. Mais même à cette époque, des millions de personnes dans le monde ne voulaient pas accepter cet acte de guerre arbitraire du président américain George W. Bushet de ses valets de l’OTAN et se sont levés pour élever leurs voix contre la guerre et la terreur en faveur d’une solution non militaire au conflit. Parmi eux, les milliers de citoyens soucieux de la paix s’étaient rassemblés à Stuttgart le 13 octobre 2001 pour manifester contre l’invasion américaine de l’Afghanistan qui avait commencé quelques jours plus tôt. En tant que soldat actif dans la Bundeswehr à l’époque, on m’avait demandé de contribuer à cette manifestation. A l’époque, j’ai justifié mon refus d’approuver l’acte de barbarie mis en scène dans l’Hindou Kouch, et encore moins d’y participer, par les mots suivants, entre autres:

Discours de la paix du 13 octobre 2001:
déjà à l’époque, des doutes planaient sur la guerre de l’OTAN

«Bien sûr, le terrorisme meurtrier doit être contenu et éliminé; je ne suis pas non plus un partisan des vues pacifistes fondamentales. Néanmoins, j’ai de sérieux doutes quant à l’utilité de combattre le terrorisme par le recours à la force militaire sous la forme que nous connaissons actuellement. En effet, le meurtre de terroristes, de fondamentalistes, d’islamistes ou d’autres ennemis des peuples civilisés et la destruction de leurs infrastructures plutôt pauvres, pouvant de toute façon être rapidement remplacées, ne constituent qu’un traitement des symptômes. Cela ne change en rien les causes de l’émergence des schémas de pensée et d’action avec lesquels les martyrs fondamentalistes se lancent dans leur guerre sainte contre un monde perçu comme impie et profondément injuste. 
    Mais au lieu de prendre le temps de réfléchir aux conséquences de la politique mondiale antérieure des Etats-Unis et, si nécessaire, de la modifier fondamentalement, le président américain annonce une «croisade contre le terrorisme», parle de «chasse» et d’«enfumage», jure vengeance et châtiment, exige à la manière d’un Far West l’extradition du principal suspect, Oussama ben Laden, ‹mort ou vif›. Le Congrès américain lui donne carte blanche pour entrer en guerre, seule une congressiste trouve le courage de voter contre. Et les gouvernements du monde entier se joignent à la rhétorique guerrière, sous les applaudissements initiaux de la quasi-totalité du paysage médiatique. 

Le 11 septembre 2001 également,
sont morts 40 000 enfants à cause de la misère, de la faim, de la maladie et de la guerre

Pourtant, le jour où les tours d’argent du World Trade Center ont brillé dans la lumière du soleil levant, quarante mille enfants sont morts dans le tiers monde à cause de la misère, de la faim, de la maladie et de la guerre. Quarante mille – c’est presque dix fois plus de victimes qu’a tuées l’attentat de New York. Mais a-t-on jamais entendu dire que la bourse de Wall Street ouvrait ses marchés par une minute de silence pour ces enfants du tiers-monde qui meurent en silence? Bien sûr, l’horreur, la colère et le chagrin pour ses propres morts sont toujours les plus grands, mais peut-on pour autant ignorer tout simplement la mort des autres?

Les dépenses américaines en armement atteignent des niveaux astronomiques

Cette année, les dépenses américaines en armement atteindront la somme astronomique d’environ 700 milliards de euros, soit plus de quinze fois le budget allemand de la défense. Ce gaspillage scandaleux de ressources est absolument obscène. Non seulement à cause de l’échec de la plus formidable machine militaire de l’histoire du monde, mais aussi parce qu’elle a dû échouer avec une rationalité glaciale, une énergie criminelle à peine surpassable, une détermination barbare et une intrépidité suicidaire de leurs auteurs. Mais surtout parce que les causes et pas seulement les symptômes de la violence terroriste pourraient être combattues avec une fraction des ressources dépensées à des fins militaires. Au lieu de cela, le Congrès américain met à disposition plus de 80 milliards de euros pour une chasse absurde aux terroristes avec des moyens militaires. Imaginez l’indignation des mêmes députés si on leur avait demandé de fournir le même montant pour l’aide au développement. Il est évident que dans un pays comme l’Afghanistan, où la guerre civile fait rage depuis des décennies, les bombes et les missiles sont la dernière chose qui puisse contribuer au rétablissement de la paix. Robert Bowman, qui a lui-même semé la mort et la destruction depuis le ciel en tant que pilote de chasse des forces américaines pendant la guerre du Viêt Nam et qui est aujourd’hui évêque de l’Eglise catholique unie de Melbourne Beach, en Floride, fustige la politique de guerre de son gouvernement en ces termes: ‹Au lieu d’envoyer nos fils dans le monde entier pour tuer des Arabes afin que nous puissions avoir le pétrole se trouvant sous leur sable, nous devrions les envoyer réparer leurs infrastructures, fournir de l’eau pure et nourrir les enfants affamés.› Et de poursuivre: ‹En bref, nous devons faire le bien au lieu du mal. Qui essaierait de nous arrêter? Qui nous détesterait? Qui voudrait nous bombarder? C’est la vérité que les citoyens américains et le monde entier doivent entendre.›

Ce n’est pas la guerre qui peut amener 
la paix, mais seulement la justice

Ce n’est donc pas la guerre qui peut amener la paix, mais uniquement la justice. Dans une modification de la célèbre devise romaine, la devise doit donc être: si vous voulez la paix, servez la paix! Cette lutte pour la paix doit être menée pour les âmes et les cœurs des personnes dans les pays islamiques – mais il est inconcevable que les bombes et les missiles puissent mener au succès dans ce domaine. Chaque bombe sur l’Afghanistan accroît de façon incommensurable la haine et le ressentiment contre les Etats-Unis dans le monde musulman. Chaque frappe de missiles sert à stabiliser des gouvernements du Moyen-Orient qui sont totalement corrompus, inhumains et tout sauf démocratiques. Mais tout cela ne compte apparemment pour rien quand on a besoin d’anciens méchants comme alliés aujourd’hui. Les nations du monde qui se disent civilisées ne doivent pas tomber dans le jargon de la terreur et de la lutte contre la terreur. Au vu de l’horrible catastrophe de New York et de Washington et de la catastrophe des réfugiés et de la famine s’annonçant au moins aussi horribles en Afghanistan, ils devraient plutôt consacrer toute leur énergie à améliorer les conditions politiques, économiques et sociales intolérables dans cette région du monde.
    J’ai vu de mes propres yeux les camps de réfugiés afghans en Iran et au Pakistan, la misère dans les camps palestiniens du sud du Liban et la pauvreté indescriptible des populations au Soudan. Au moins une pensée découle de ces images, à savoir que ce sont les enfers dans lesquels naissent ces jeunes hommes en colère qui ne sont animés que par un seul désir: transformer leur enfer en notre enfer.
    En même temps, au cours de mes nombreux voyages au Proche et au Moyen-Orient, j’ai rencontré d’innombrables personnes – hommes et femmes, enfants et personnes âgées – qui m’ont témoigné, en tant que ‹riche Aléman›, une grande cordialité et une hospitalité extraordinaire des dizaines de fois, malgré leur propre pauvreté. Il est temps de rendre quelque chose de ces expériences, même si ce n’est qu’un peu de solidarité et la certitude que cette guerre n’est pas ma guerre!»

L’Allemagne est au service 
de la «seule puissance mondiale» avec une «solidarité illimitée»

Quoi qu’il en soit, un méli-mélo rouge-vert belliqueux, dirigé par Gerd Schröder, Joschka Fischer et Peter Struck, a assuré la «seule puissance mondiale» d’une «solidarité sans restriction» allemande dans le cadre des guerres de la mondialisation qui s’annonçaient sous la rubrique «guerre mondiale contre le terrorisme». 
    L’épreuve de vérité pour mon refus, alors ouvertement annoncé, de soutenir activement la guerre contre l’Afghanistan et son peuple a eu lieu en mars 2007, lorsque j’ai reçu l’ordre officiel de fournir un soutien logistique au déploiement de systèmes d’armes Tornado de l’armée de l’air allemande à Mazar-i-Sharif, en Afghanistan, qui avait été approuvé par le Bundestag allemand dans la dignité démocratique. J’ai alors signalé à mon supérieur disciplinaire, dans une «déclaration officielle», que je ne pouvais pas concilier avec ma conscience le fait de soutenir le déploiement de ces systèmes d’armes en Afghanistan sous quelque forme que ce soit, car il n’était pas exclu, à mon avis, que je contribue ainsi, par ma propre participation active, à un déploiement de la Bundeswehr contre lequel il existe de sérieuses réserves au regard du droit constitutionnel, du droit international, du droit pénal et du droit pénal international. Dans le même temps, j’ai demandé à être relevé de tous les autres ordres liés à l’«Opération Liberté immuable» – cette mission était la guerre privée de M. Bush contre le terrorisme en violation du droit international – en général et au déploiement des systèmes d’armes Tornado en Afghanistan en particulier. Ma décision à l’époque était fondée sur plusieurs considérations:

Les Tornados allemands cherchaient des cibles pour les bombes américaines
dans une guerre illégale au regard du droit international

Le déploiement des Tornados de la Bundeswehr en Afghanistan a nécessairement impliqué la participation de l’Allemagne à des actions militaires illégales au regard du droit international et non couvertes par le traité de l’OTAN, car les résultats de la reconnaissance obtenus par ces systèmes d’armes ont également été transmis au haut commandement américain aux fins de l’opération «Liberté immuable»– les avions de l’armée de l’air allemande ont reconnu les cibles qui ont ensuite été bombardées par les Alliés.
    La guerre des USA dans le cadre de l’OEF était illégale sous plusieurs aspects, à savoir:

  • Elle ne pouvait plus être justifiée comme une légitime défense et n’était pas fondée sur un mandat du Conseil de sécurité;
  • elle a dépassé même l’autorisation du gouvernement Karzai d’Afghanistan dans la manière dont elle a été exécutée, notamment dans l’impact sur la population civile,
  • elle était incompatible avec les règles du droit international relatives à la protection des civils concernant les dommages dits collatéraux à la population civile qui ont été acceptés,
  • elle violait les principes fondamentaux des droits de l’homme concernant le traitement des prisonniers.

En décidant de déployer les systèmes d’armes Tornado en Afghanistan, le gouvernement allemand a participé activement à une mission de guerre menée sur la base d’une stratégie militaire incompatible avec les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies et du traité de l’OTAN, et y a impliqué les forces armées allemandes.

Le bilan amer de la guerre 
de l’empire américain mégalomane

Le développement que la guerre en Afghanistan orchestrée par un empire américain mégalomane a pris au cours des vingt dernières années était inévitable et confirme pleinement à la fois mon évaluation et mon action correspondante. Car le résultat après toutes ces années de guerre ne peut être décrit que par un seul mot: dévastateur. Des centaines de milliers d’Afghans ont été délibérément assassinés ou désignés comme des «dommages collatéraux» civils, des dizaines de milliers d’envahisseurs étrangers ont été désignés par euphémisme comme des «victimes», d’innombrables personnes ont été blessées dans leur corps et dans leur âme des deux côtés, des crimes de guerre et des crimes contre les droits de l’homme excessifs ont été commis contre la population afghane, le taux de suicide a été très élevé, en particulier parmi les guerriers américains, des villages et des villes ont été bombardés par des milliers de raids aériens, Des milliards de dollars américains et des milliards d’euros d’argent des contribuables gaspillés, dont l’industrie de l’armement, les entreprises de logistique et les sociétés de mercenaires de l’Occident ont profité en premier lieu. En outre, les structures étatiques en Afghanistan ont été complètement désorganisées par une corruption omniprésente, l’OTAN a été démasquée comme un tigre de papier incompétent, et l’Occident ne peut que révéler sa faillite morale. A cet égard, le fait que la nomenklatura de l’Union soviétique ait compris, après dix ans de guerre, qu’une telle guerre ne pouvait être gagnée en Afghanistan, alors que les ignorants et les crétins des bureaux gouvernementaux de l’Ouest ont eu besoin de deux fois plus de temps pour se rendre compte de cette évidence a priori, n’est peut-être qu’un détail mineur. Comme l’a fait remarquer un jour un commandant taliban à ce sujet? «Vous, à l’Ouest, vous avez les horloges, mais nous avons le temps.» Quod erat demonstrandum!

Que reste-t-il à faire?

C’est très simple: faire preuve d’une solidarité généreuse et surtout désintéressée avec le peuple afghan et lui apporter tout le soutien indispensable à la reconstruction pacifique du pays, le tout assorti de la réflexion suivante: plus jamais d’impérialisme des droits de l’homme, plus jamais de guerre!•

(Traduction Horizons et débats)

 

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