Rapprochement des peuples par le dialogue – réalité ou illusion?

par le professeur Stanislas Bucyalimwe Mararo (RD Congo/Belgique)*

«Rapprochement des peuples par le dialogue – réalité ou illusion?», tel est le titre de ma contribution aux débats en cours. Dans sa version écrite, il s’agit d’un texte d’une vingtaine de pages qui a été rédigé en peu de temps et qui est donc susceptible d’être amélioré. Cependant, je suis convaincu qu’il expose des réalités globales sur le problème du dialogue international, un des thèmes primordiaux de ce colloque. Si, à la fin, mon exposé retient l’attention de quelques-uns d’entre vous et contribue à une prise de conscience plus approfondie du problème du débat dans son ensemble, mon objectif sera atteint. 
    Mon résumé se compose des parties suivantes: une introduction dans laquelle j’expose les points fondamentaux;le corps du texte, c’est-à-dire ma présentation en trois parties des dialogues qui ont échoué au niveau local et mondial; mon évaluation personnelle de la question du dialogue, basée sur cette évaluation et la conclusion, dans laquelle je défends l’idée que le dialogue en tant que moyen de rapprochement des peuples n’est possible et réalisable qu’à petite échelle ou dans le cadre de la résolution de conflits locaux. Au niveau mondial ou dans le cas de conflits régionaux et internationaux complexes, ce rapprochement reste illusoire. 

Introduction

Mon point de départ est que certains individus, personnes, Etats ou nations ont recours à la violence et à la guerre pour «résoudre»un problème ou un conflit dans leur sens. D’autres, en revanche, préfèrent le dialogue. A cet égard, nous sommes aujourd’hui encore confrontés à un problème permanent; l’histoire de l’humanité offre d’innombrables exemples dont nous pouvons tirer des enseignements. 
    Mais même le meilleur cas de règlement de paix en Europe occidentale, celui de l’Après-Seconde guerre mondiale, que certains d’entre vous connaissent mieux que moi, n’est pas exempt de points critiques. Par exemple, l’Allemagne vaincue: ses blessures sont encore palpables; elle a été humiliée et placée sous le contrôle des Etats-Unis et de la machine de l’Union européenne, du moins sur le plan militaire. De plus, Adolf Hitler n’est pas tombé du ciel. Il était le produit du racisme européen qui était déjà à l’œuvre avant lui (voir à ce sujet la large diffusion des idées de supériorité, d’infériorité et d’eugénisme, tous des concepts issus d’idées raciales répandues aux XVIIIe et XIXe siècles et qui perdurent jusqu’aujourd’hui encore. Comment peut-on sérieusement soutenir qu’Hitler est un cas isolé si, à titre d’exemple, l’on considère

  1. ce que la Grande-Bretagne et d’autres grandes puissances occidentales ont fait aux peuples indigènes de différents continents, de même que le roi belge Léopold II et l’Allemagne dans l’ancien «Etat libre du Congo»et en Namibie (Afrique du Sud-Ouest allemande) et comment les Afro-Américains ont été traités pendant et après l’époque de l’esclavage; 
  2. ce que les dirigeants occidentaux ont fait à l’Afrique avec la traite des esclaves du 16e au 18e siècle et ce qui s’est passé, pour des raison d’intentions similaires, à notre époque, par exemple en Serbie, en Irak et en Afghanistan;
  3. et comment ils se comportent dans d’autres «pays en crise»au Proche et au Moyen-Orient et dans la région des Grands Lacs africains.

On trouvera des contributionsdétaillées concernant ce que je n’ai pu dénommer que de manière fort raccourcieen consultant:

Kuljit Kooj Chuhan, «The development of racist theories and idea», www.revealinghistories.org.uk/legacies-stereotypes-racism-and-the-civil-rights; 

David Olusoga, «The roots of European racism lie in the slave trade, colonialism», in The Guardian, 08/09/15; 

Alex Ross, cité de Jason Kottke, in «How American Racism Influenced Adolf Hitler», 18/06/20;

Adam Hochschild, «King Leopold’s Ghost, A Story of Greed, Terror and Heroism in Colonial Africa», 1998;

Joël Kotek, «Legénocide des Herero, symptôme d’un Sonderweg allemand?» , in Revue d’Histoire de la Shoah 2008/2 (N° 189), pp. 177 à 219; «Le premier génocide du XXesiècle fut perpétré à partir de 1904 dans la colonie allemande du Sud-Ouest africain. Il entraîna la mort d’environ 75 000 personnes», quot. par Pierre Ancery, Le génocide des Héréros, Echo de Presse,08/09/20 ;

Keith Harmon Snow, The Plunder and Depopulation of Central Africa: The Politics of Genocide, White Supremacy, Ideology and Political Control, https://libya360.wordpress.comcons . 04/03/21;

Ian Douglas avec Abdul Ilah Albayaty et Hana Al Bayaty, US Genocide in Iraq, Notes On Genocide In Iraq[1].pdf.), The Story of genocide in Afghanistan, https://publishing.cdlib.org/ucpressebooks/view?docId=ft7b69p12h&chunk; 

The Genocide of the Palestinian People: An International Law and Human Rights Perspective, https://ccrjustice.org, August 25/08/16;

La collusion entre le régime national-socialiste et certains dirigeants sionistes entre 1933 et 1945 est souvent passée sous silence ou négligée. Les récits officiels sur l’Holocauste donnent l’impression que certaines personnes détiennent le monopole de la vérité sur la complexité de la Seconde Guerre mondiale, tandis que d’autres sont muselées ou contraintes à une autocensure permanente. Pourquoi cette intolérance intellectuelle ou cette falsification historique? C’est là que repose une question cruciale. 
    Dans son article sur le caractère manipulateur des reportages sur la guerre en Irak, «What if there were no official narratives?» (media, 2018), Caitlin Johnson met le doigt sur une situation qui importe dans ce cas particulier: «Après (la constatation) de la complicité des médias de masse dans la vente [«the selling» par les médias, ndt.] de l’invasion de l’Irak au monde occidental, de nombreuses personnes auraient dû être licenciées et des changements apportés afin d’empêcher qu’une telle complicité impardonnable ne se reproduise jamais. Au lieu de cela, aucun changement n’a été apporté pour que les médias d’information ne puissent plus jamais permettre une autre catastrophe de ce genre, provoquée par les actions secrètes d’agences gouvernementales. Et maintenant, ces mêmes médias peuvent diffuser en toute tranquillité des histoires qui font le tour du monde et qui ne reposent sur rien d’autre que sur le fait ‘que c’est vrai parce que nous l’avons dit’. Il existe aujourd’hui une représentation consensuelle et convenue de ce qui se passe dans le monde, diffusée par tous les médias de masse, indépendemment de la mouvance politique à laquelleces médias adhèrent. A chaque événement ou situation, la manière de présenter les détails peut varier quelque peu d’un expert à l’autre et d’un média à l’autre, mais le récit général de ce qui se passe est le même partout. C’est le récit officiel, et les médias contrôlés par les ploutocrates et la classe politique en maintiennent le contrôle total. Nous connaissons tous le récit officiel, n’est-ce pas? Les Etats-Unis et leurs alliés sont les bons, et ceux qui se trouvent à l’autre bout de ce spectre, ce sont les méchants». 
    Dans ces conditions, il reste des pages sombres dans les récits officiels de la Seconde Guerre mondiale, elle aussi. Le titre de l’ouvrage d’Eddy Bauer «Histoire controversée de la Deuxième Guerre mondiale, 1939-1945 »n’en est qu’un example.2
    Le problème des pays du Sud est ailleurs. Ils sont devenus [pendant la guerre froide, ndt.] les champs de bataille des guerres des puissances occidentales, [qui y ont souvent été menées «à chaud»et non «à froid», ndt.], comme ce fut le cas par exemple pour la République démocratique du Congo au début des années 1960 ainsi qu’après la chute du mur de Berlin en 1989, avec l’opération «Tempête du désert»en 1991 et la «Relance du nouvel ordre mondial»par le président George Bush sous le drapeau du «Twenty-first american century» etle projet de guerres hégémoniques américaines à l’échelle mondiale (Project for the new american century/PNAC»)
    Le«PNAC», cité ici comme source se présentant comme une organisation civile à but non lucratif, a déclaré que «le leadership américain est bon, à la fois pour l’Amérique et pour le monde»tentant d’obtenir du soutien en faveur de«la politique de force militaire et de la clarté morale de Reagan»…Quelle arrogance et quelle mission autoproclamée dans les affaires du monde! On dit que le mal est dans les détails, et il n’en va pas autrement ici.
    Ce sont quelques raisons qui m’infligent une certaine prudence, voire scepticisme lorsqu’il s’agit de faire l’éloge du dialogue entre des partenaires aux forces inégales. 

Des dialogues ayant échoué aux niveaux local, régional et international 

Je choisis six cas significatifs pour étayer ma position déjà esquissée ci-devant. Les trois premiers cas seront présentés chacun séparément, tandis que les trois derniers apparaissent en un tout du fait qu’ils se caractérisent par des éléments communs importants. 

Cas 1 :L’échec du dialogue Nord-Sud
«Le dialogue Nord-Sud fait référence au processus par lequel les pays en développement et les nouvelles nations indépendantes du ‹Tiers monde›, principalement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, ont impliqué les pays industrialisés d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale dans les négociations sur les changements du système économique international dans les années 1970». C’est par ces paroles que deux auteurs contemporains caractérisent ce dialogue dont l’objectif déclaré était de trouver une base commune pour comprendre le fossé économique entre le Nord et le Sud et les moyens de le combler. Cet objectif se résume dans la formule de «partenariat dans la coopération»(Céline Lemme et Franck Signoret. Le Partenariat Nord-Sud à l’épreuve au quotidien. Une dynamique riche, complexe, aux multiples facettes; www.acodev.be,  02/16). 
    Les résultats n’ont toutefois pas été encourageants: le fossé est resté inchangé. Robert L. Rothstein soulignait, en 1984 déjà, que le dialogue Nord-Sud n’avait pas réussi à créer un nouvel ordre économique, comme cela avait été envisagé au début des années 1970; il arriva au constat qu’il n’avait réussi qu’à conclure quelques accords cosmétiques (comme le Fonds commun) tout en gaspillant des ressources rares et en augmentant le cynisme et l’indifférence de nombreux participants. 
    Des études ultérieures menées par Alexander Nnaemeka Aegbaenyi/Michael Chedebe Oddih (2012), Richard Sokolsky/Daniel R. Depetris (2019) et Dick Uduma (2019) confirment ces résultats. Leurs études indiquent que le fossé Nord-Sud persiste en raison de fortes barrières idéologiques, politiques, économiques et culturelles. Selon ces auteurs, ce fossé maintient un système de dépendance au lieu de créer un partenariat bénéfique à la fois pour le Nord et pour le Sud. Dans l’Afrique d’aujourd’hui, la«Françafrique»et la concurrence mortelle entre l’Occident et les Etats-Unis d’une part, et la Russie et la Chine de l’autre, sont des indicateurs de ce système injuste. 
    En dépit de ses projets prometteurs, la pauvreté globale sévissant dans le Sud, centre des matières premières, sans lesquelles les industries occidentales souffriraient drastiquement, s’est empiré encore. Pour la maintenir en vie, les puissances développées gardent le contrôle sur le Sud par le biais d’accords de coopération inégaux, de violences et de guerres incessantes. En d’autres termes, la pauvreté ou le sous-développement du Sud nourrit le développement du Nord. Le documentaire «Le coltan du sang»[qui montre la situation dans l’est de la République démocratique du Congo, ndt.] est un cas d’école. C’est pourquoi je pense que le terme de «développement inégal», terme clé de l’école de pensée de la dépendance, n’exprime pas de manière appropriée la triste réalité à laquelle il est fait allusion ci-dessus. 

Cas 2: L’échec du dialogue socialiste/communiste-capitaliste
En Occident, la «russophobie» ainsi quela «sinophobie»sont desréalités; des sentiments anti-occidentaux sont également forts en Russie et en Chine. Le discours sur la «fin de la guerre froide», souvent invoquée depuis la chute du mur de Berlin en 1989, relève de la rhétorique vide. La haine et la guerre entre les deux camps se poursuivent à bien des égards. Dans le contexte de ce que l’on appelle le «Nouvel ordre mondial»ou la «Nouvelle vague de la mondialisation» (Pierre Hillard, 2014), les Etats-Unis luttent pour leur «Hégémonieà tous les niveaux» (Full spectrum dominance, cf. le livre éponyme de William Engdahl, paru en 2009). Dans cette compétition acharnée pour la domination du monde et le contrôle des ressources du Sud, la guerre est clairement prioritaire; la paix, la stabilité, la liberté et la démocratie sont sacrifiés sur l’autel de la suprématie et ne signifient plus rien. 
    
Karl-Jürgen Müller souligne cette évolution malheureuse d’un point de vue différent lorsqu’il écrit:«Cependant, au cours de ces dernières décennies, la force contraignante du droit international a beaucoup souffert dans le domaine des relations internationales. De plus, dans le processus de dégradation, parmi les Etats ayant commis des violations très importantes de ce droit, figurent notamment les Etats-Unis et certains pays membres de l’OTAN, des Etats qui aujourd’hui, se seraient prétendument alignées pour défendre la liberté et protéger la démocratie. En outre, le fait d’enfreindre la loi dans les relations internationales, par exemple en menant une guerre d’agression en violation du droit international, menace l’éclosion de la liberté et la démocratie au sein des Etats concernés eux-mêmes. Une politique de confrontation évince la liberté et la démocratie.» (Horizons et débats no 16, du 20 juillet 2021) 
    Les différentes discussions sur le désarmement, la promotion de l’Etat de droit et de la démocratie dans le monde, la soi-disant détente, n’ont donné que peu de résultats: la course aux armements se poursuit (l’augmentation annuelle des budgets d’armement des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie en est un bon exemple), la sécurité mondiale est menacée quotidiennement, les démocraties totalitaires se multiplient et la plupart des sociétés des pays puissants se militarisent. La guerre contre ce qu’ils appellent le terrorisme mondial, le terrorisme intérieur qu’elle provoque et la censure du langage et de l’information par les «Big Tech»sapent les valeurs traditionnelles des Etats-Unis. Et pourtant, le mantra des idéologues et des militaristes américains est «la lutte pour la démocratie», «un monde sécuritaire», «un monde de liberté». En effet, la plupart des élites américaines répètent sans cesse ce mantra comme des rodomontades, suivant en cela la fameuse «Manifest Destiny Doctrine»de 1845. Quelle mauvaise blague! Quel mensonge! Dans ce contexte, on ne peut que constater qu’apparemment une poignée de dirigeants américains ressortent souvent la vieille «politique du fouet»et l’appliquent même au sein de leur propre Etat. 
    Malgré leurs rivalités et les fréquents conflits ouverts, il existe un dénominateur commun entre les deux camps: ils sont sous l’influence de stratèges criminels de la mondialisation qui ont des intérêts communs et n’hésitent pas à recourir à des attentats pour les faire valoir lorsqu’il s’agit de soumettre les dirigeants de l’hémisphère Sud qui refusent le diktat du Nord. Depuis les années 1960, plus de 30 chefs d’Etat et dirigeants politiques africains ont été assassinés de cette manière et leurs meurtriers, parmi lesquels des dirigeants occidentaux de renom, continuent de jouir de l’impunité. On a ainsi de plus en plus l’impression que la Cour pénale internationale de La Haye a été créée exclusivement pour poursuivre les dirigeants récalcitrants du Sud. 
    La domination et l’exploitation des peuples du Sud est un autre dénominateur commun des deux camps. Lorsque des guerres éclatent dans de différentes régions du monde, nous entendons souvent le slogan selon lequel il s’agirait de protéger le bien commun occidental. Mais qu’est-ce que cela signifie pour le Sud ? – de la souffrance! 

Cas 3: L’échec du dialogue israélo-palestinien
La déclaration Balfour du 2 novembre 1917, l’accord de transfert de 1933, les accords national-socialistes entre 1933 et 1945, la division de la Palestine en un Etat juif et un Etat palestinien par les Nations unies, le 29 novembre 1947 ainsi que les décisions américaines sur la Palestine de 1948 sont à la fois le prélude et la preuve de la responsabilité de l’Occident (notamment de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, des Etats-Unis et des Nations unies) dans l’alimentation du drame du Proche-Orient. En d’autres termes, le processus qui a conduit à la création de l’Etat d’Israël et sa création elle-même ont entraîné l’ensemble du Moyen-Orient dans une violence et des conflits armés sans fin, la question palestinienne étant au cœur de ce drame. Le fait que les puissances occidentales aient soutenu inconditionnellement les gouvernements israéliens après 1948 n’a pas aidé.
    Nier les facteurs israéliens et occidentaux dans ce drame et approuver les intérêts sous-jacents dans la recherche de la paix et de la stabilité, c’est tout simplement gérer le statu quo. L’échec du dialogue israélo-palestinien est principalement dû à cette négligence. 
    Permettez-moi d’aborder tout de suite les principaux faits qui étayent ce point de vue. En dépit de toutes les discussions encouragées par l’Occident (accords de Camp David en 1978, conférence de Madrid en 1991, accords d’Oslo en 1993, accords d’Hébron en 1997, mémorandum de Wye River en 1998, sommet de Camp David en 2000, sommet de Taba en 2001, sommet de Beyrouth en 2002, Feuille de route pour la paix en 2003, accords de Genève en 2003, Conférence d’Anapolis 2007, pourparlers de rapprochement 2010 – le dialogue israélo-palestinien n’a pas été mené à bien. En dépit de la poursuite des pourparlers de paix israélo-palestiniens jusqu’à aujourd’hui (toujours sous la supervision du meilleur allié d’Israël, les Etats-Unis), la situation est totalement bloquée et l’espoir d’une solution à deux Etats sérieusement compromis. En d’autres termes, 43 ans de pourparlers de paix (1978–2021) n’ont jusqu’à présent mené à rien. Il y a quelques années, Al-Fatah était considéré comme le grand problème des pourparlers de paix; aujourd’hui, c’est le Hamas, qui a d’ailleurs été soutenu au début par Israël contre Al-Fatah et qui représente une menace plutôt faible au vu de la puissance militaire israélienne. Où en sommes-nous? La vérité, à mon avis, c’est que le plus grand obstacle à la paix et à la réconciliation réside dans le projet sioniste de faire d’Israël un Etat juif, de construire un Grand Israël qui s’étendrait de la Méditerranée à l’Euphrate et au Tigre ou aux frontières de l’Iran, et de travailler à être et à rester la seule superpuissancerégionaleau Moyen-Orient – ce qui aboutirait à faire au Moyen-Orient ce que les Etats-Unis essaient de faire dans le monde. 

Cas 4, 5 et 6: l’échec des dialogues au Rwanda, en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire
Les crises dans ces trois pays sont certes historiques, mais elles ont pris une tournure dramatique après les guerres récentes. Ces guerres ont toutes été déclenchées par des puissances étrangères: au Rwanda, entre 1990 et 1994, par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Israël, la Tanzanie, l’Ouganda et le Burundi; au Zaïre, entre 1996 et 2002, par ces mêmes puissances étrangères ainsi que par le Rwanda; en Côte d’Ivoire, entre 2002 et 2011, par la France, les Etats-Unis et le Burkina Faso. Dans les trois cas, les Nations unies (MINUAR/UNAMIR, MONUC/MONUC et ONUCI) se sont rangées du côté de ces puissances étrangères. 
    Ce sont elles qui ont utilisé les Tutsis au Rwanda et au Zaïre et les Burkinabés [ressortissants du Burkina Faso, ndt.] en Côte d’Ivoire pour faire valoir leurs intérêts impériaux. Sur le plan intérieur, ces guerres ont opposé les Tutsis (Nilotes) aux Hutus (Bantous) au Rwanda et aux Congolais (Bantous) au Zaïre, comme elles l’ont fait avec les Burkinabés contre les autochtones en Côte d’Ivoire. 
    Les mêmes puissances étrangères qui ont attisé les conflits ethniques ont joué le rôle de pacificateurs; elles ont imposé des pourparlers et des accords de paix qui ont finalement donné à leurs mercenaires une position dominante dans ce que l’on appelle le contexte post-conflit. Dans les trois cas cités, la réconciliation a ainsi été détournée. 
    Au Rwanda d’après 1994, souvent appelé Rwanda Tutsi/RPF,3 le «Nouvel Israël en Afrique centrale»a instauré un régime d’apartheid dans lequel les Hutus n’ont pas leur mot à dire. Même les Tutsis qui ont pu échapper au génocide en 1994 sont harcelés et tués. Certains Hutus et Tutsis qui se trouvaient au Rwanda avant l’invasion de 1990 voient une issue dans le renversement par tous les moyens du Front patriotique rwandais (FPR) du pouvoir et son exclusion de tout futur gouvernement. La plupart des membres du FPR sont originaires d’Ouganda et sont des étrangers. Les Rwandais honnêtes sont d’avis que ces envahisseurs et occupants n’éprouvent aucun amour pour le Rwanda et le peuple rwandais, mais qu’ils sont entrés dans le pays avec la seule intention de tuer et de piller. La gravité de leurs crimes fait qu’il est trop difficile pour eux de changer pour le mieux. En fin de compte, leur comportement criminel a rapproché certains Hutus et Tutsis de l’intérieur,4 ce qui est un résultat inattendu ou involontaire de la guerre au Rwanda pour les belligérants. 
    Au Congo (Zaïre) après 2002 (le pays a été rebaptisé République démocratique du Congo en juillet 1997), la mise en œuvre des accords de paix de Lusaka de juillet 1999, de Sun-City d’avril 2002 et de Pretoria de décembre 2002 a consolidé les positions du Rwanda et des Tutsi sur les institutions de la République démocratique du Congo. Le document d’Honoré Ngbanda, intitulé «Dossier Enquête sur le fonctionnement de l’infiltration et du système d’occupation de la RDC par le Rwanda»5 est si évidentqu’il n’a pas besoin de commentaires. Comme je l’ai clairement démontré en 2009 déjà, la prétendue «prévention d’un génocide des Tutsi par la communauté internationale en République démocratique du Congo»est aussi dangereuse que relevant de l’hypocrisie humanitaire. Comment peut-on protéger ce qui ressemble à une bande de criminels, les occupants tutsis du Congo? Je tiens à rappeler qu’avant 1990, la population tutsie du Congo jouissait de davantage de privilèges que les autres groupes ethniques (à l’exception des Ngbandi, l’ethnie à laquelle appartenait le président Mobutu). Même après 1990, les Tutsi du Congo ont moins souffert que n’importe quel autre groupe ethnique du pays. Pour le dire brièvement, à la suite de la guerre et de fausses négociations de paix, les Congolais ont été poussés par les «Tutsis sans frontières»dans une nouvelle ère de recolonisation, qui avait commencé avec l’assassinat du Premier-ministre Patrice Lumumba et des dirigeants patriotes en 1961. Tous ces événements ont alimenté un fort ressentiment anti-tutsi qui va durer encore longtemps et qui pourrait conduire à un nouveau drame imprévisible dans un avenir proche ou lointain. 
    En Côte d’Ivoire après 2011, la mise en œuvre des pourparlers et accords de paix de Marcousis de janvier 2002, de Pretoria d’avril 2005 et de Ouagadougou de mars 2007 a consolidé les positions des Burkinabés autour d’Alassane Dramane Ouattara (l’homme de la Banque mondiale et la marionnette des oligarques français). Aujourd’hui, le président Ouattara n’a plus aucune chance d’instaurer la paix et la stabilité dans le pays. La persécution des partisans du président Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro, son ancien allié principal dans la guerre qui àété provoquée contre la présidence de Gbagbo, se poursuit. Entre-temps, Ouattara tente de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, notamment par la corruption massive et les assassinats; sa tentative humiliante de jouer le jeu de la France dans la crise malienne lui a également attiré la colère et la haine des panafricains. En tant que leader, il n’est plus crédible en Côte d’Ivoire et dans de nombreux autres pays africains; sa capacité à réconcilier la population ivoirienne est remise en question. En réalité, l’ancien éclat de la France s’effrite aux yeux de beaucoup, la situation devient de plus en plus problématique pour le rôle que la France s’attribue dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Enfin de compte, Ouattara et son parrain, la France, devront tous deux payer le prix de leurs mauvaises actions, car les sentiments nationalistes augmentent en Côte d’Ivoire et dans toute la région. 

La question cruciale du dialogue 

Pour qu’un dialogue de bonne foi ou authentique puisse aboutir, il faut au moins que les préalables suivants soient garantis: honnêteté et sincérité; transparence: la diplomatie des Etats, qui est toujours mise en avant, va souvent à son encontre; esprit de bonne volonté ainsi qu’expression de la bienveillance envers l’autre; placer l’humanité et les droits de l’homme au centre; comprendre les souffrances, les sentiments et les émotions des autres; s’écouter mutuellement et essayer de se comprendre; esprit d’ouverture et de réconciliation; bonne volonté politique; éviter de remplacer un mal par un autre.
    Les pourparlers de paix mentionnés ci-dessus ont échoué parce qu’ils ne remplissaient pas ces conditions. Leur objectif n’était pas de résoudre les conflits, mais de prendre le dessus sur une partie, grâce à des accords trompeurs. C’est la raison principale pour laquelle un monde sécurisé, où la démocratie se développe et où la liberté et les droits de l’homme sont protégés, est mis à mal «grâce»aux agendas des mondialistes, y compris dans les soi-disant démocraties occidentales. Car la «démocratie totalitaire»(le terme provient de William Engdahl) est loin de rester un phénomène concernant les Etats-Unis seuls. Il n’y a que quelques pays qui, à l’instar dela Suisse, échappent encore à cette dangereuse tendance. Pour combien de temps? Et leur modèle est-il transposable au reste du monde? Ce sont là deux grandes questions restées sans réponse.

Conclusion

Il est clair que certains ne seront jamais prêts à abandonner leur statut de domination. D’autres doivent donc continuer à souffrir de leur soumission. 
    La devise des mondialistes et/ou des grandes puissances est: prospérité pour eux et misère pour les autres (les faibles). Qui dans cette salle peut oublier les crimes commis par les Etats-Unis en Irak? Le président George Bush jr. a décidé d’envahir ce pays alors qu’il savait qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive, contrairement à ce qu’affirmaient les rapports officiels et les médias. Pire encore: le président irakien Saddam Hussein, qui avait longtemps servi les Etats-Unis, a été pendu, et les Nations unies et leur secrétaire général Kofi Annan, qui avaient donné le feu vert à cette invasion, ont reçu le prix Nobel de la paix. C’est donc ce à quoi ressemble le monde d’aujourd’hui! 
    En raison du déséquilibre des forces, les puissants imposent toujours aux faibles leur agenda de «négociations de paix»et déterminent en fin de compte leur résultat. Ainsi, les faibles endossent inévitablement le rôle qui leur est attribué, celui du perdant. 
   Pour toutes les parties au conflit, le dialogue ne peut donc être payant que dans le cas de conflits mineurs ou locaux. C’est une réalité indéniable. Mais au niveau mondial, un dialogue honnête n’est pas possible, car les faibles sont toujours les perdants et les puissants les bénéficiaires. C’est une illusion de croire qu’il peut réussir ainsi. 
    Je vous remercie de votre attention. 



Eddy Bauer, 1902–1972, professeur d’histoire à l’Université de Neuchâtel et à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Son ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale, publié en 1966–1967 et mentionné ici, est une présentation complète en 7 volumes. (ndt.)
FPR: Front patriotique rwandais, FPR, aile politique de la formation de guérilla des exilés tutsis rwandais (APR), dirigée par l’actuel Président de la République Paul Kagame, qui a reconquis depuis l’Ouganda la suprématie perdue tutsie au Rwanda, au travers de la guerre d’intervention de 1990–1994, et qui maintient depuis lors au Rwanda son régime de minorité ethnique et de parti politique unique. (ndt.) 
C’est ainsi qu’on appelle souvent les Tutsis qui sont restés dans le pays après le coup d’Etat de Juvénal Habyarimana (Hutu) en 1973, tandis que les anciens cercles influents tutsis ont émigré, en grande partie en Ouganda, où beaucoup d’entre eux ont soutenu militairement Yoweri Museveni dans sa guérilla contre Obote. Cela a facilité la création du FPR, son armement exclusif et son champ d’action militaire (le tout soutenu par les Etats-Unis) pour les Tutsis rwandais revanchards en exil en Ouganda. (ndt.)
Honoré Ngbanda.Enquête sur le fonctionnement de l’infiltration et du système d’occupation de la RDC par le Rwanda, (12/02/2015); http://www.info-apareco.com/wp-content/uploads/2017/03/Dossier-Enqute-sur-le-fonctionnement-du-rseau-dinfiltration-et-du-systme-doccupation.pdf;  03/2016


* Colloque annuel du groupe de travail Mut zur Ethik:«Le bonum commune dans les relations entre les personnes, les nations et les Etats. Résoudre les problèmes et les conflits avec dignité – les uns avec les autres et non les uns contre les autres», du 3 au 5 septembre 2021 à Sirnach (Suisse).

 

Mot de remerciement

par le Professeur Stanislas Bucyalimwe

Alors que nous approchons de la fin de ce congrès, je voudrais faire trois remarques avant de dire quelques mots de remerciement au groupe de travail Mut zur Ethik (Oui à l’éthique) au nom du peuple congolais. 
    L’attitude de la Hongrie et de la Biélorussie, présentée et discutée lors de ce congrès, est un bon exemple et un signe d’espoir dans la lutte pour l’indépendance et la dignité nationales. Ce combat a souvent un prix élevé. En Afrique, par exemple, les présidents Thomas Sankara (Burkina Faso), Mouammar Kadhafi (Libye), Juvénal Habyarimana (Rwanda), Laurent-Désiré Kabila (RDC), Pierre Nkurunziza (Burundi) et John Magufuli (Tanzanie) ont été assassinés parce qu’ils se battaient pour une cause si noble. 
    S’attaquer au messager plutôt qu’aux signataires du message est devenu une tactique répugnante. C’est la raison pour laquelle des leaders comme le professeur Emmanuel Seemanpillai (Sri Lanka)sont incompris ou même diabolisés. Il a été qualifié d’extrémiste dans son pays par des usurpateurs du pouvoir. Lorsque quelqu’un me traite d’«extrémiste», ma réaction est toujours simple et identique: Dieu merci, je ne suis pas qualifié de «modéré». 
    Une autre tactique sordide des bellicistes consiste à inventer des ennemis ou à agir «sous faux pavillon» afin de créer un casus belli. Un exemple à nouveau très souvent cité de cette tactique est le tristement célèbre 9/11, le 11 septembre 2001. 
    Je voudrais conclure non pas par là, mais par un remerciement. Depuis le début de la guerre impérialiste et raciste en République démocratique du Congo (alors Zaïre) à la fin des années 1990, le groupe de travail «Mut zur Ethik»s’est rangé du côté du peuple congolais en luttant contre les mensonges, la désinformation et l’injustice et en apportant de nombreuses formes d’aide, tant individuelle que collective. Je tiens à les en remercier chaleureusement. 



Intervenant et participant aux débats du congrès «Mut zur Ethik» 2021 (connecté par vidéo)

pk. Elevé comme fils de paysan dans les collines du Nord-Kivu (République Démocratique du Congo), Stanislas Bucyalimwe Mararo a surmonté, à l’époque de Mobutu, tous les ob-stacles d’une carrière universitaire alors extrêmement difficile, interrompue, après l’obtention de son diplôme, par des semestres de doctorat et de post-doctorat dans des universités américaines. Pendant ses longues années d’enseignement dans différents instituts universitaires du Kivu, Stanislas Bucyalimwe Mararo a poursuivi ses recherches sur le thème auquel il avait déjà consacré sa thèse: les influences néfastes des intérêts étrangers sur sa patrie. Son langage clair lui a valu une opposition de plus en plus audacieuse. Lorsqu’à l’automne 1996, les hordes de mercenaires de l’AFDL, qui répandaient le meurtre et l’assassinat sous l’égide de Laurent Desiré Kabila,s’emparent d’abord de Goma, puis de Bukavu, et mettent délibérément les Patriotes congolais en garde à vue ou les tuent immédiatement en pleine rue (comme le courageux archevêque Christophe Munzihirwa, vénéré par le peuple du Kivu, voir encadré p. IV), la situation se dégrade. Bucyalimwe a été informé que son nom figurait en deuxième position (à côté de celui de l’archevêque) sur leurs listes de personnes à tuer. S’ensuivirent six mois de clandestinité à Bukavu, occupée par l’AFDL, puis une longue fuite qui le mena finalement à Anvers, où il se construisit une seconde existence scientifique à l’Institut de recherche de la région des Grands Lacs africains (Université d’Anvers). De nombreuses études, rapports de recherche et analyses témoignent l’envergure de ses publications, désormais respectées dans le monde entier (mais aussi craintes par ses adversaires), ciblées sur l’état actuel des souffrances de sa patrie et leurs racines historiques et actuelles.

 

 

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