L’ONU devrait convoquer un sommet inclusif pour la démocratie

par Alfred de Zayas*

Personne ne saurait nier la valeur universelle de la démocratie, fondée sur la volonté librement exprimée des peuples de déterminer leurs propres systèmes politiques, économiques, sociaux et culturels et sur leur pleine participation à tous les aspects de leur vie.

 

En collaboration avec tous les Etats membres, les Nations unies peuvent faire progresser la démocratie au niveau national et international afin de réaliser les aspirations universelles de paix et de justice, dans la bonne foi et une plus grande liberté. Il est temps que l’ONU prenne l’initiative de convoquer un sommet pour la démocratie véritablement inclusif, une conférence qui, conformément au chapitre VI de la Charte des Nations unies, garantirait la participation équitable de tous les Etats membres de l’ONU, des Etats observateurs, des populations autochtones, des personnes vivant sous occupation, des peuples non autonomes et de la société civile. 
    L’initiative du Président américain Joe Biden d’inviter seulement certains pays et régions en excluant d’autres à son «summit for democracy» privé constitue un retour aux paradigmes obsolètes de la guerre froide et reflète une régression des conceptions modernes du multilatéralisme. Il est évident qu’une telle conférence ne peut servir la paix et la justice, car elle exclut des milliards d’êtres humains. Loin d’être un exercice de démocratie, le sommet américain divise artificiellement le monde en deux camps – les pays considérés unilatéralement par les Etats-Unis  comme «démocratiques» et ceux qualifiés d’antidémocratiques. Ne s’agit-il, pas là, d’un narcissisme impérial classique? Les Etats-Unis donnent le mauvais exemple et toutes les parties participant à ce système sont complices de la dissolution de la démocratie.
    Si l’on observe la manière dont le département d’Etat américain utilise le terme «démocratie», il devient évident qu’il ne correspond pas au droit à l’autodétermination des peuples et qu’il ne respecte pas la diversité des approches caractérisant le monde réel, la Charte des Nations unies et la Constitution de l’UNESCO.
    Les Etats-Unis redéfinissent arbitrairement le terme «démocratie» et le font coïncider avec le modèle économique néolibéral, c’est-à-dire avec le capitalisme. Mais dans le Document final du Sommet mondial de 2005, adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale, le monde a convenu «que si les démocraties partagent des caractéristiques communes, il n’existe pas de modèle unique de démocratie car celle-ci n’appartient à aucun pays ou région (Résolution 60/1)».
    La compréhension limitée de M. Biden de l’idée de la démocratie ne semble pas tenir compte de la véritable signification de la démocratie: le pouvoir du peuple, le gouvernement par et pour le peuple – et non par une oligarchie. Joe Biden semble penser que les caractéristiques de la démocratie «représentative» sont suffisantes. Mais les sénateurs et les membres du Congrès représentent-ils réellement l’électorat, ou répondent-ils à de puissants lobbies, dont l’industrie pharmaceutique et le complexe militaro-industriel-financier?
    M. Biden serait bien avisé de regarder derrière le voile et de poser les questions ontologiques suivantes: l’électorat a-t-il accès à toutes les informations nécessaires pour élaborer le jugement politique, est-il consulté sur les problèmes, les électeurs ont-ils de vrais choix ou seulement la possibilité de voter pour des candidats qui ne s’intéressent pas à leurs problèmes, et dans quelle mesure?
    Un grand nombre d’invités à la fête égocentrique de M. Biden sont des pays où l’«écart» entre le gouvernement et les gouvernés est en augmentation. Il est vrai qu’un grand nombre de ces pays et régions organisent des élections pro-forma tous les deux ou quatre ans, mais le peuple a très peu d’influence sur la désignation des candidats, souvent imposés par les machines des partis ou par des élections «primaires» truquées.
    Afin d’évaluer la réalité de la démocratie chez les participants au sommet de Joe Biden, j’ose suggérer les questions suivantes.
    Les citoyens veulent-ils la paix dans le monde ou sont-ils prêts à risquer une nouvelle guerre mondiale en continuant à provoquer d’autres Etats?
    Les citoyens veulent-ils une coopération avec toutes les nations – ou préfèrent-ils la confrontation?
    Les citoyens approuvent-ils le gaspillage de milliers de milliards de dollars dans des budgets militaires extravagants, ou préfèrent-ils que les recettes fiscales soient utilisées pour les soins de santé, l’éducation, les infrastructures?
    Les citoyens approuvent-ils l’utilisation continue de drones et d’armes à l’uranium appauvri tuant des dizaines de milliers de civils?
    Les citoyens approuvent-ils la poursuite de la persécution de Julian Assange et d’Edward Snowden alors que les soldats et les responsables de l’OTAN jouissent de l’impunité pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité?
    Les citoyens approuvent-ils l’imposition de mesures coercitives unilatérales à Cuba, à la Syrie, au Venezuela, alors que l’on sait que ces sanctions ont déjà tué des dizaines de milliers d’innocents? 
    Les citoyens approuvent-ils la législation gouvernementale créant et protégeant les paradis fiscaux?
    Nous savons que – si on leur donnait le choix – une majorité de citoyens n’approuverait jamais de tels traitements cruels et inhumains. C’est précisément pour cette raison qu’ils ne sont jamais consultés. Nous savons par expérience que la volonté du peuple a été écartée par les dirigeants «démocratiques» d’Italie, d’Espagne et du Royaume-Uni, ignorant la voix des millions de personnes ayant manifesté à Rome, Milan, Madrid, Barcelone, Londres et Manchester contre l’agression illégale menée par les Etats-Unis contre l’Irak en 2003.
    Nous savons également que l’essence même de la démocratie est la participation du public, ce qui nécessite une pluralité de sources d’information, et non un paysage médiatique homologué réduit aux vues des gouvernements et des entreprises. 
    Dans de nombreux pays occidentaux «démocratiques», les médias sont en grande partie entre des mains privées – trop peu de mains. Souvent, les médias sont contrôlés par des conglomérats à l’écoute des entreprises et des annonceurs qui déterminent le contenu des informations et des autres programmes, diffusant fréquemment des fausses nouvelles ou supprimant des informations cruciales nécessaires au dialogue démocratique.
    En effet, le black-out médiatique sur les questions importantes constitue un grave obstacle à la démocratie, car en l’absence d’informations suffisantes et de médias libres et pluralistes, la démocratie est dysfonctionnelle et le processus politique, y compris les élections, devient pur formalisme et non l’expression de la volonté du peuple.
   Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, et l’Assemblée générale des Nations Unie sont la responsabilité d’appeler les choses par leur nom et de qualifier le «sommet» de Biden d’incompatible avec la lettre et l’esprit du document final du Sommet mondial des Nations Unies de 2005.•

Source: https://news.cgtn.com/news/2021-12-01/UN-should-convene-an-inclusive-summit-for-democracy-15BEUI1xd16/index.html du 01/12/2021

(Traduction Horizons et débats)


*Alfred de Zayas est professeur de droit international à la Geneva School of Diplomacy and International Relations en Suisse et était expert des Nations Unies pour la promotion d’une ordre international democratique et juste 2012–2018.

 

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