par Eliane Perret, psychologue et enseignante spécialisée
Dans le vestiaire, à côté d’une salle de classe, se trouvent les chaussures des enfants. Joliment arrangées, comme cela est évidemment nécessaire. Il est intéressant de constater que toutes les chaussures ont une fermeture velcro, permettant une aisance d’utilisation. Une seule paire a des lacets, mais même ceux-ci semblent être là plutôt pour la décoration; du moins, ils ne semblent pas s’ouvrir, le talon étant écrasé. Apparemment, il n’est plus courant d’acheter des chaussures à nouer un peu plus compliquées à enfiler et exigeant de l’enfant d’apprendre la technique nécessaire. Je me demande pourquoi.
Grâce à sa motricité fine, un enfant d’environ quatre ans serait capable de nouer les lacets de ses propres chaussures. Beaucoup se servent d’une comptine pour les aider: «Voici le papillon peut s’envoler ... et les lacets sont noués!». Si vous ne connaissez pas encore cette méthode, vous devriez l’essayer, elle fonctionne incroyablement bien!
Tout cela est-il une obligation superflue?
On peut se demander si les enfants sont censés apprendre de telles choses. N’est-ce pas une obligation superflue? Ces compétences peuvent être acquises dans un cas donné avec un tutoriel YouTube et ne sont vraisemblablement pas non plus contenues dans les compétences des nouveaux programmes d’études. Eh bien, il me semble utilede se poser la question, car l’observation ci-dessus n’est pas un cas isolé et demeure révélatrices de beaucoup d’autres. De nombreux enfants aujourd’hui ne possèdent pas les compétences de base dont ils auraient besoin pour affronter la vie de manière autonome. Heureusement, ces dernières années, on a de plus en plus reconnu qu’il s’agissait des conséquences d’une tendance néfaste en matière d’éducation.
Que dit la science à ce sujet?
Lorsqu’il s’agit de rechercher les causes de ces phénomènes, nous devons nous tourner vers les sciences humaines, en particulier l’éducation et la psychologie. L’un de leurs domaines de recherche concerne depuis longtemps l’effet des différents styles d’éducation sur le développement de la personnalité de l’enfant. Les chercheurs ont fait une distinction entre les concepts typologiques ou quantifiables. Le psychologue germano-américain Kurt Lewin et la chercheuse américaine Diana Baumrind ont été classés comme représentant les tenants des concepts typologiques; ils ont fait la distinction entre un style parental autoritaire, autocratique et permissif. Dans les années 1970, ces concepts ont été critiqués comme étant inadéquats car ils n’incluaient que des aspects comportementaux et non des dimensions pouvant être mesurées dans des échelles et leurs interactions. Les psychologues allemands Annemarie et Robert Tausch ont repris cette approche et ont fait la distinction entre une dimension de direction, qui décrit le contrôle et l’autorité, et une dimension émotionnelle, qui capte la chaleur, l’affection et l’appréciation. Ainsi, ils ont ajouté quatre autres styles d’éducations aux catégories précédentes en établissant les distinctions suivantes: autocratique, autoritaire, démocratique, égalitaire, permissif, laxiste et négationniste; ceux-ci, bien sûr, ne se retrouvent jamais dans leur forme pure.
Les enfants devraient mieux s’en sortir
Et quel style d’éducation détermine l’environnement éducatif d’aujourd’hui? Les évolutions sociales et les tendances contemporaines doivent être prises en compte lorsque l’on pose ces questions. Dans la première moitié du siècle dernier, marquée par les Guerres Mondiales et l’incertitude économique, le principe éducatif autoritaire a prévalu en Europe. Les gens étaient préoccupés par la sécurisation de leurs moyens de subsistance et la reconstruction de leur vie. Il y avait peu de place pour les questions d’éducation, et on a tenté de forcer la génération montante à prendre le bon chemin par la rigueur, l’humiliation et la dureté. Dans les années soixante, de larges pans de la population connaissaient une certaine prospérité matérielle et, depuis, un style d’éducation «gâtant» (permissif) est devenu de plus en plus courant. Les enfants devraient mieux s’en sortir. Non seulement sur le plan matériel, mais aussi sur d’autres plans, on voulait les tenir – avec les meilleures intentions du monde – à l’écart des difficultés de la vie.
Déjà quelques décennies plus tôt, dans la première moitié du XXe siècle, Alfred Adler, médecin et psychologue viennois et fondateur de la psychologie individuelle, avait mis le doigt sur l’importance de l’éducation et s’était ainsi distingué de Sigmund Freud, qui fondait le développement de la personnalité sur la théorie des pulsions. Adler s’est consacré aux questions d’éducation. Il acquit une notoriété en offrant une formation et un perfectionnement appropriés aux parents, aux enseignants et aux médecins. Dès le moment où il vécut la plupart de son temps aux Etats-Unis, dans les années trente, ses études de cas ne parlèrent que d’un style d’éducation «câlin». Aujourd’hui, le terme «dorlotement» est accepté pour cela.
Rester du côté utile de la vie
Dans ses réflexions sur un style d’éducation adapté à l’enfant, M. Adler est parti du fait anthropologique qu’un enfant dans sa première période de vie est dépendant de l’attention nourricière de ses soignants, sinon il ne survivrait pas. S’ils répondent de manière appropriée aux besoins physiques et émotionnels de l’enfant, celui-ci acquiert de plus en plus la confiance en luinécessaire pour sortir de cette dépendance en fonction de son stade de développement physique afin de participer de manière indépendante à la vie. Dans une relation de confiance, les personnes s’occupant de l’enfant doivent accompagner ce processus d’apprentissage et de développement par l’encouragement et le soutien, et partager les difficultés et les succès. Il est important que l’échange émotionnel crée et maintienne une relation équilibrée entre les deux parties. Cela signifie qu’il faut prendre l’enfant au sérieux, et non le dénigrer, afin qu’il développe le courage de continuer à apprendre et qu’il oriente son activité vers le côté utile de la vie, celui d’admettre l’insertion dans la vie de la communauté. Adler situe les déviances indésirables personnelles dans l’absence de cet échange dans ce contexte.
Il neige – et maintenant?
Ces dernières semaines, nos villages et nos villes ont parfois été recouverts de neige. Une classe de maternelle est passée devant notre maison. Ils avaient joué dans la matinée sur la piste de luge voisine. On pouvait voir le plaisir et l’effort des enfants. Combien de fois avaient-ils tiré la luge en haut de la colline avant de redescendre? Des mères et des pères attendaient devant la porte du jardin d’enfants. L’excitation a continué. Un garçon a tranquillement mis la corde de traction de la luge dans la main de sa mère. Côte à côte, ils sont rentrés chez eux. La mère a tiré la luge, il a joyeusement avancé à gauche et à droite du chemin à travers la neige. Un autre a salué sèchement son père, s’est assis sur sa luge et a été ramené à la maison. Bientôt, une fille m’a dépassée. Elle était visiblement fatiguée. «Alors, tu t’es bien amusée?», lui ai-je demandé. Rayonnante, elle s’est arrêtée un instant: «Oui, je suis descendue vingt fois et je me suis retournée trois fois et maintenant j’ai faim!» Trois enfants, trois façons d’aborder la vie!
Eviter toute déception
Dans de nombreuses familles aujourd’hui, la routine éducative quotidienne est établie de manière à ce que les enfants connaissent le moins de frictions (thermiques!) possibles. Ils sont entourés d’un mur de protection, de sorte que la vie réelle ne peut les pénétrer que dans une mesure limitée. Pourtant, il y aurait de nombreuses possibilités d’apprentissage en dehors de la maison et de l’école. Souvent, de mauvais compromis sont faits pour éviter les réactions désagréables attendues. Cela donne à l’enfant une idée fausse de la vie en commun, et il aura du mal à s’intégrer et à s’orienter dans la communauté plus large de la maternelle et de l’école.
Dans la famille également, l’enfant ne devient pas un acteur fiable apportant une contribution adaptée à son âge à la vie commune. Au contraire, ils sont tentés d’éviter les défis et d’entrer en relation avec des comportements déjà pratiqués afin d’attirer l’attention parentale.
Cette fuite des parents vers la surprotection fait qu’il est difficile pour les enfants d’accepter les conflits et les déceptions dans la vie de tous les jours. Ils évitent de prendre des responsabilités, mais connaissent bien le rôle principal du jeu «Pas moi – lui aussi». Ils ont peu d’acceptation à intégrer les contraintes et deviennent des champions du monde en remettant à plus tard des tâches plus pénibles. Cependant, une telle stratégie n’apporte pas de satisfaction dans la vie. Il est donc avantageux pour un enfant de se familiariser très tôt avec le principe du «Ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd’hui!»
Le chemin mène dans une autre direction
Un style d’éducation surprotégé prive donc l’enfant d’importantes possibilités d’apprentissage, car la vie ne se déroule pas comme sur une PlayStation. Il y a des défis à relever. Il faut se dépasser pour faire ou ne pas faire quelque chose. Il existe des moments d’attente à remplir de manière significative. Parfois, il y a des déceptions et des défaites qui peuvent devenir des opportunités. Parfois, il y a des disputes, il faut négocier quelque chose; cela peut sembler épuisant, car il faut prendre ses distances par rapport à ses propres idées. On trouve cela ennuyeux, et néanmoins, ou juste à cause de cela, cela en vaut la peine. Si cela fait défaut dans la vie d’un enfant, il lui sera difficile de surmonter des situations difficiles par ses propres efforts et éprouver ainsi la satisfaction de ce dont il est capable. Cependant, les éducateurs qui offrent ces expériences à leurs enfants, en prenant position et exigeant des normes sociales, établissent les bases de la réussite à l’école et dans la vie.
Ce n’est pas seulement
un problème pédagogique
Les enfants et les adolescents gâtés deviennent des adultes gâtés. Ils introduisent dans le monde du travail les attitudes qu’ils ont acquises dans leur enfance. Entre-temps, les maîtres artisans et les chefs d’entreprise se plaignent de l’esprit de revendication de certains de leurs employés, de leur besoin constant d’attention, d’éloges et de reconnaissance, mais aussi de leur faible volonté à effectuer un travail moins attrayant de manière fiable et complète. Ils constatent un manque d’initiative et d’élan pour faire un effort au-delà de l’appel du devoir, ainsi qu’un manque d’esprit d’équipe et de volonté constructive pour s’engager dans les conflits. Enfin et ce n’est pas le moindre point important, ils se plaignent également d’un langage souvent peu soigné. Ce n’est pas seulement le cas de la génération Z ou du «flocon de neige», comme on appelle parfois ceux qui sont nés après 1995. Les modes de vie dorlotés et les attitudes de privilège sont également devenus un problème au niveau de la direction.
Pouvoir tester ses propres capacités
La grande majorité des parents souhaitent sincèrement donner à leurs enfants les meilleures chances possibles de mener une vie épanouie et autonome. Mais avec un style d’éducation trop couvée, ils se mettent en traversde leur chemin et de celui de l’enfant. Et maintenant? La recherche des causes doit toujours inclure tous les acteurs. Par conséquent, non seulement l’enfant, mais aussi ses parents sont au centre de l’attention. La «formation des éducateurs» est depuis longtemps l’une des pierres angulaires de la pédagogie et de la psychologie. Il ne s’agit jamais de blâmer, mais plutôt de comprendre de manière différenciée les conditions défavorables ou favorables au développement de la personnalité d’un enfant, afin de pouvoir les modifier si nécessaire et de sortir d’une impasse. Par la façon dont ils abordent les questions de la vie, dont ils façonnent leurs relations et leurs différents domaines de la vie, les parents sont des modèles pour les enfants. A partir de cette substance de base, les enfants développent à leur tour leur propre façon d’être dans la vie. Si le chemin doit être constructif, ils ont besoin de tâches, de vraies tâches, sur lesquelles ils peuvent tester et développer leurs capacités. Les parents ne peuvent pas déléguer cette responsabilité. Les enfants ont besoin de défis pour leur développement, ce qui implique aussi des exigences.
Même en temps de crise
Mais ils existent, ces jeunes qui aiment s’engager! Ils sont souvent agacés par une inquiétude et une indulgence excessives. De plus ils n’ont pas non plus réservé une chambre sans contrepartie à l’«hôtel maman et papa». Qui n’a pas un souvenir ému de l’engagement des jeunes pendant la première vague de la maladie du Covid-19! Nombre d’entre eux ont offert une aide non sollicitée à leurs voisins âgés, en faisant du jardinage, des courses à vélo ou en skateboard et en utilisant les médias numériques pour bavarder ou même lire une histoire à voix haute. Ils se sont portés volontaires pour des travaux de secours dans les hôpitaux et ils ne se sont pas laissés aller à la désolation, comme le font les médias depuis un certain temps, parce qu’ils avaient un autre but dans la vie que de faire la fête et de boire. Ils ont également trouvé des moyens de maintenir et même d’approfondir leurs contacts sociaux avec leurs pairs sans se mettre en danger ou mettre les autres en danger. Ils avaient trouvé un mode de vie qui leur apportait soutien, orientation et satisfaction intérieure, même en temps de crise – le fait de dorloter les jeunes s’oppose à cela. •
Les sources suivantes m’ont été utiles pour la rédaction de cet article:
Kaiser, Annemarie. Das Gemeinschaftsgefühl – Entstehung und Bedeutung für die menschliche Entwicklung. Zurich 1981.
Müller, Andreas. Schonen schadet.Wie wir heute unsere Kinder verziehen. Berne 2018. ISBN 978-3-0355-1088-1.
Berner, Winfried.Verwöhnung: Der Kraftakt, verwöhnte Kulturen zu verändern;
https://www.umsetzungsberatung.de/psychologie/verwoehnung.php.
Consulté le 1erfévrier 2021.Yuna, âgée de huit ans, vient de Corée du Sud et vit en Suisse. Elle sait qu’elle est très privilégiée. Pour son huitième anniversaire, elle a eu une idée spéciale: elle a demandé à son père de contacter le CICR. Au lieu de souhaiter des cadeaux de ses amis, elle voulait collecter de l’argent pour aider ceux qui étaient moins chanceux dans la vie qu’elle. Elle a décoré une boîte avec des photos montrant le travail du CICR et a expliqué à ses amis pourquoi elle voulait soutenir notre organisation. De cette façon, Yuna veut donner un peu de joie aux personnes qui n’ont rien, car elle est consciente que tout le monde n’a pas la possibilité d’organiser une fête pour son anniversaire. Elle veut aussi que les gens pensent davantage aux autres. Yuna a pu nous remettre la boîte lors d’un entretien personnel et depuis lors, elle est encore plus motivée pour soutenir le CICR.
Nous remercions Yuna, ses amis et sa famille pour leur soutien. La générosité n’a pas d’âge.
Source: Das internationale Komitee vom Roten Kreuz. In Aktion,
décembre 2020 no 8, page 4
(Traduction Horizons et débats)
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