Service militaire obligatoire et principe de milice – Réforme AVS 21

C’est le peuple qui doit dire le droit, et non la CEDH de Strasbourg

par Marianne Wüthrich

De nos jours il est devenu courant de crier à la discrimination, entre autres à la discrimination sexuelle. Dernièrement un citoyen Suisse – et donc astreint au service militaire – a porté une affaire explosive devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg, en invoquant l’article 8 de la Constitution fédérale suisse relatif à l’égalité des droits, en particulier son alinéa 3: «L’homme et la femme sont égaux en droit. […]». Il espérait sans doute mettre ainsi un terme à l’obligation constitutionnelle de servir imposée aux Suisses de sexe masculin seuls. C’est sur ce même article de la Constitution suisse, mais vu sous un angle totalement différent, que s’appuient les conseillères nationales et les conseillères aux Etats qui, lors de la session d’hiver du Parlement qui vient de s’achever, se sont opposées à l’augmentation de l’âge de la retraite AVS des femmes, le portant de 64 à 65 ans, l’alignant ainsi sur l’âge de retraite des hommes.
    
Il convient donc à présent de présenter ci-dessous ces deux démarches différentes, pour obtenir gain de cause et de les soumettre à un examen critique.

Le principe de milice, expression directe de la neutralité armée et devoir civique impliqué dans la démocratie directe, est l’un des piliers majeurs du système étatique suisse. Selon l’article 59, alinéa 1 de la Constitution fédérale, tout citoyen suisse est tenu de faire son service militaire, c’est-à-dire qu’il doit accomplir, parallèlement à ses obligations professionnelles, un service obligatoire au sein des forces armées, dans le service civil ou, le cas échéant, dans la protection civile. Pour les Suissesses, le service militaire ou civil est basé sur le volontariat (art. 59, al. 2, Cst.).1 Cette réglementation ne correspond certes plus à la conception actuelle de l’égalité des sexes, mais elle figure dans la Constitution telle qu’elle s’est développée au fil de l’histoire, et la grande majorité des hommes ne se sentent pas «discriminés» en raison de leur obligation de servir.

Voie démocratique
ou recours à Strasbourg?

Si les citoyens suisses souhaitent changer cet ordre des choses, ils ont à leur disposition l’instrument de l’initiative populaire. Le GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée) a tiré profit de cet outil démocratique en 1989 avec son Initiative pour la suppression de l’armée, laquelle initiative a été rejetée par près de deux tiers des votants. Depuis, le GSsA saute sur toutes les occasions de faire entendre sa voix dès que se présente une éventualité d’affaiblir encore davantage l’armée, aux effectifs malheureusement déjà fortement réduits – ainsi avec l’Initiative actuellement en cours contre l’achat d’avions de combat F-35 aux Etats-Unis, un véritable dilemme pour les partisans de l’armée suisse, opposés en même temps à une intégration toujours plus étroite dans l’OTAN dominée par les Etats-Unis. Le GSsA n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais il est dans ses droits en faisant recours à la démocratie directe.
    Un autre citoyen helvétique, M. K., a, quant à lui, emprunté la voie juridique pour faire annuler ses obligations militaires. Après s’être fait déclarer inapte au service, il s’est vu imposer de payer chaque année la taxe d’exemption de l’obligation de servir. Sans succès, il a fait opposition à la facture de 2014 (CHF 1 662), puis a fait recours auprès du tribunal administratif cantonal, affaire qu’il a ensuite portée devant le Tribunal fédéral «en demandant qu’il soit […] exempté de l’obligation de servir ou de la taxe d’exemption de l’obligation de servir».2
    Le Tribunal fédéral a approuvé M. K. dans la mesure où «l’obligation de servir limitée aux hommes (et donc aussi l’obligation de payer la taxe d’exemption qui y est liée) est en contradiction avec l’art. 8, al. 2 et 3, Cst» (considérant 3.3). Par la suite, la plus haute juridiction suisse a toutefois constaté que «l’art. 59, al. 1 et 2, Cst. limite expressément et volontairement l’obligation de servir aux hommes […], tout comme l’art. 61, al. 3, Cst., l’obligation de servir dans la protection civile. Cela constitue une exception à l’art. 8, al. 2 et 3, Cst. contenue dans la Constitution elle-même». (Considération 3.4.)
    La plus haute juridiction suisse poursuit ainsi: «Ce n’est pas au Tribunal fédéral, mais au constituant de décider si cette réglementation est objectivement judicieuse ou si elle doit éventuellement être modifiée. Il n’est donc pas nécessaire d’entrer dans le détail des arguments du requérant selon lesquels l’inégalité de traitement n’est pas justifiée» (Considération, 3.4. mise en italique mw). Le tribunal a ainsi rappelé au plaignant (un juriste, la chose est plaisante) qu’en Suisse, le pouvoir suprême appartient au souverain et, en conséquence, a rejeté le recours.
    Le plaignant M. K. a dès lors critiqué le fait que le Tribunal fédéral ait statué «selon des considérations politiques». Eh bien non, justement, car il n’a fait que s’en tenir à la Constitution fédérale, au droit. Mais pour M. K., le recours au Tribunal fédéral n’était de toute façon qu’un prélude, son objectif étant d’obtenir gain de cause auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg et d’ainsi abolir la réglementation constitutionnelle sur le service militaire obligatoire. Le quotidien «Neue Zürcher Zeitung» commente: «Un service militaire obligatoire également pour les femmes ou un service civique pour tous: M. K. n’a pas là-dessus d’idées précises. La seule chose qui lui importe, dit-il, c’est qu’un tribunal constate que la réglementation en vigueur est juridiquement erronée.»3
    
Katharina Fontana, correspondante de longue date du Tribunal fédéral pour la «Neue Zürcher Zeitung», met les points sur les i par ses observations suivantes: «On peut maintenant penser ce que l’on veut du service militaire obligatoire pour les hommes. On peut considérer qu’il s’agit d’un système dépassé et s’étonner de la facilité avec laquelle les hommes ont jusqu’à aujourd’hui, accepté sans résistance, leur désavantage juridique. Mais c’est une toute autre question que celle de se demander si le recours à un tribunal international est la bonne démarche pour provoquer un changement dans une loi intra-nationale. Doit-on vraiment confier la compétence de trancher à un panel de juges à Strasbourg et non pas engager les instances constitutionelles, donc le Parlement et le peuple?»
    En tant que Suissesse partisanne de la démocratie, je ne peux que souscrire à ce raisonnement. Il faut espérer – mais je ne risquerais pas un pari! – que la CEDH ne s’immiscera pas dans quelque chose d’aussi historiquement établi que le service militaire obligatoire dans les différents Etats. Quoi qu’il en soit, c’est à nous, votants suisses, qu’appartient le dernier mot lorsqu’il s’agit de préserver notre ordre constitutionnel.

Lutte démocratique pour
un relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans, pour les femmes aussi

Lors de la session d’hiver qui vient de s’achever, le Parlement a adopté la dernière réforme de l’assurance vieillesse et survivants (réforme AVS 21). Le sujet central de nombreux débats très animés au Conseil national et au Conseil des Etats depuis la session de printemps a été le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, attendu depuis longtemps, et ainsi leur alignement sur l’âge de départ en retraite des hommes.
    Sur ce point, les hommes suisses étaient jusqu’à présent désavantagés: pour bénéficier d’une pension de retraite complète, ils devaient avoir 65 ans depuis l’introduction de l’AVS en 1948, tandis que les femmes, jusqu’en 1997, y avaient accès dès l’âge de 62 ans. L’âge du départ en retraite des femmes a ensuite été progressivement relevé à 63 ans jusqu’en 2001, puis à 64 ans jusqu’en 2005. Les projets ultérieurs du Parlement concernant la réforme de l’AVS, ainsi que des initiatives populaires sur le même sujet n’ont pas rencontré la faveur des électeurs, le dernier en date étant le 24 septembre 2017, un «paquet électoral» qui, en plus de repousser l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes dans l’AVS (prévoyance étatique), voulait en même temps réorganiser la caisse de pension (prévoyance professionnelle), en combinaison avec une augmentation de la TVA.
    Comme pour tous les projets de réforme des retraites, les socialistes et les Verts ont également mis en avant, dans le cadre de la réforme AVS 21, la discrimination qui, selon eux, continue d’exister dans les faits à l’encontre des femmes dans la vie professionnelle et en particulier au niveau des salaires, afin de s’opposer au départ en retraite à 65 ans ou du moins de le vider de sa substance. Ils s’appuient pour cela sur l’article 8, alinéa 3 de la Constitution fédérale: «L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à leur égalité de droit et de fait, notamment dans la famille, la formation et le travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.» La nature et l’ampleur de cet amortissement ainsi que son financement ont fait l’objet de discussions au sein des deux Chambres, provoquant entre elles plusieurs divergences, qui ont fait l’objet de nombreuses séances consciencieusement menées. Le 15 décembre, les deux chambres ont approuvé la proposition de la conférence de conciliation (proposition de compromis), contre la volonté du PS et des Verts, qui ont voté en bloc contre la proposition et ont déjà annoncé, avec l’Union syndicale suisse (USS), le lancement d’un référendum contre la modification de la loi sur l’AVS.4

Les points clés de la réforme AVS 21

On peut s’attendre à ce que ce référendum aboutisse. En 2022, nous voterons donc pour ou contre une réforme relativement souple de l’AVS, dont l’objectif principal est de garantir les rentes pour les prochaines années (l’AVS a besoin de 26 milliards de francs supplémentaires d’ici 2030). Points essentiels du projet de loi du Parlement:

  • A partir de 2023, l’âge de la retraite des femmes passera de 64 à 65 ans, par étapes de trois mois par an. (Cette mesure devrait permettre d’économiser dix milliards de francs en l’espace de dix ans).
  • Les femmes concernées par la réforme de l’AVS, nées entre 1960 et 1968, recevront une compensation de leur rente à vie, s’élevant à 160 francs par mois pour les bas revenus, 100 francs pour les revenus moyens et 50 francs pour les revenus plus élevés.
  • Les femmes appartenant à la classe de salaire la plus basse pourront continuer à prendre leur retraite un an plus tôt sans que leur rente en soit réduite.
  • Augmentation de 0,4 % de la TVA, qui est actuellement de 7,7 % (pour financer ces mesures compensatoires d’un montant d’environ 3,25 milliards de francs).
  • La question de savoir si le bénéfice de la Banque nationale suisse (BNS) issu des intérêts négatifs devait être utilisé pour financer l’AVS a fait l’objet de discussions à l’issue desquelles le Parlement s’est finalement prononcé contre cette proposition, afin de préserver l’indépendance de la BNS.

Conclusion: Ce projet paraît dans son ensemble assez équilibré, alignant l’âge de la retraite des femmes sur celui des hommes tout en essayant de répondre aux besoins financiers de l’AVS, mais préservant également les droits des générations concernées à une retraite adéquate. Selon le PS, les Verts et les syndicats, les «compensations prévues pour les femmes de la génération de transition sont toutefois absolument insuffisantes».4 La campagne de votation s’annonce passionnante.



«Tout homme de nationaliteé suisse est astreint au service militaire. La loi prévoit un service civil de remplacement. Les Suissesses peuvent servir dans l’armée à titre volontaire.» (Constitution Suisse, aricle 59, al 1 et 2)
Tribunal fédéral. IIe Cour de droit public. Arrêt 2C_1051/2016 du 24 août 2017
Fontana, Katharina. «Diskriminierte Männer: Ein Schweizer sucht sein Recht in Strassburg» dans: «Neue Zürcher Zeitung» du 06/12/2021
«Le PS soutient le référendum contre AVS 21». Communiqué de pressedu PS Suisse du 15 décembre 2021

Je trouve que le principe de milice fait très bien ses preuves en temps de crise

Extrait d’une interview avec Mme Viola Amherd, conseillère fédérale, cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports

A propos de la soi-disant «querelle sur les vaccinations» dans certains parties de la population suisse: «Il faut considérer tout ce qui va bien dans notre pays. Or je pense que nous sommes tout simplement gâtés. Ces dernières décennies, nous nous sommes toujours bien portés. C’est pourquoi nous ne sommes pas habitués à nous confronter à une telle crise. Eh bien, c’est le moment de la regarder en face.»
    Quant à la question de la «liberté personnelle» dans la pandémie: «Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. L’autonomie absolue, c’est-à-dire ne pas tenir compte d’autrui, n’existe pas. Ceux qui défendent une conception de la liberté sans limites ne seraient sans doute pas heureux si leur vis-à-vis revendiquait la même chose.»
    En ce qui concerne le principe de subsidiarité, le Conseil fédéral mobilise actuellement jusqu’à 2500 soldats, hommes et femmes, pour soutenir les cantons qui le souhaitent. A la question de savoir pourquoi cet engagement ne se réalise que maintenant, MmeViola Amherd répond: «L’armée est là lorsqu’on en a besoin. Mais elle ne se met pas en marche automatiquement; elle n’intervient que sur demande».
    Quant au principe de milice, basal pour le système politique suisse:* «Je trouve que le principe de milice fait très bien ses preuves en temps de crise.» Selon elle, les soldats sanitaires qui disposant d’une formation sanitaire professionnelle sont capables d’effectuer un travail de soins dans les hôpitaux, de sorte que le personnel aura davantage de capacités à s’occuper de cas graves. Les soldats disposant d’autres formations professionnelles se prêtent à des engagements où leurs capacités spécifiques seront demandées. «Pour moi, cette crise montre précisément à quel point notre modèle d’armée de milice est bénéfique».

*) Principe de milice: concept basal de la démocratie suisse qui cherche à s’assurer de la collaboration active et responsable des personnes civiques sur tous les niveaux de l’administration de l’état, y compris dans l’armée (où les officiers ne sont des professionnels que dans les grades suprêmes).

Source: Birrer, Raphaela; Stäuble, Mario. «Schauen Sie ‹Tschugger›! Dann wissen Sie, warum es hier so viele Walliser hat»; Interview avec Mme Viola Amherd, conseillère fédérale. Dans: «Tages-Anzeiger» du 20 décembre 2021

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