Horizons et Débats: Professeur Alena Douhan, quelle est la nature de votre mission en tant que rapporteuse spéciale des Nations unies sur les sanctions unilatérales?
Alena Douhan: En tant que Rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits humains fondamentaux, ma tâche consiste à évaluer et analyser la situation résultant du recours aux sanctions unilatérales par les Etats et les organisations régionales en l’absence d’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies; à évaluer les mesures unilatérales du point de vue du droit international; à estimer l’impact des sanctions unilatérales sur les droits humains de la population d’un pays, de groupes spécifiques de personnes et d’individus; et à analyser l’impact sur les différentes catégories de droits humains.
Pour ce faire, j’ai recours à des études thématiques, à des visites dans les pays concernés, à des évaluations pour les situations spécifiques et à la communication avec certaines personnes qui estiment que leurs droits ont été bafoués, ainsi qu’avec les ONG et la communauté universitaire. Je rends compte de mes conclusions au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations unies lors de leurs sessions et je communique sur ces questions avec d’autres organes et agences des Nations unies, des organisations régionales, des gouvernements nationaux ainsi qu’avec le secteur privé.
Priorité à l’Etat de droit et aux principes humanitaires
Je mène des enquêtes et des recherches en rassemblant des informations provenant de diverses sources, allant des gouvernements qui imposent des sanctions jusqu’aux particuliers, afin d’identifier et d’évaluer les tendances en matière de sanctions unilatérales et dans quelle mesure les diverses modalités des sanctions imposées par un pays ont un impact sur les droits de l’homme. Je traite des cas individuels qui sont portés à ma connaissance et je communique avec les parties concernées afin d’en obtenir des informations et de les informer de mes conclusions. Certes, je ne suis ni juge ni arbitre, mais je suis un expert en droit international et me suis spécialisée dans ce domaine depuis plusieurs années. Mon travail consiste à informer et à convaincre les gouvernements que l’état de droit et les préoccupations humanitaires doivent primer sur les objectifs politiques dans leurs interventions.
Aujourd’hui, il y a un nombre accru de sanctions
Le Conseil des droits de l’homme a créé mon mandat en 2015 lorsque la multiplication des sanctions unilatérales, en nombre, en catégorie et en forme est devenue de plus en plus évidente en même temps que l’impact de ces sanctions mettait visiblement à mal les droits de l’homme dans de nombreux pays. Les sanctions sont souvent considérées comme un moyen de faire pression unilatéralement sur les gouvernements étrangers sans pour autant entrer en guerre.
Les sanctions peuvent toutefois enfreindre considérablement les droits de l’homme de la population des pays en cause, surtout lorsqu’elles visent des économies ou des secteurs économiques entiers. Elles peuvent également avoir un effet dévastateur sur les droits de l’homme des personnes qui les subissent. Tous les pays ont l’obligation, en vertu du droit international, de protéger les droits de l’homme de chaque individu et, en fin de compte, il m’incombe de veiller à ce que cette obligation soit plus largement respectée et suivie. Ce n’est pas facile car il y a aujourd’hui plus de sanctions que jamais auparavant, ainsi qu’un plus grand nombre de divers types de sanctions, de types d’objectifs et de méthodes d’application. Je considère que mon rôle consiste à fournir les moyens de minimiser leur impact humanitaire et de reconnecter les relations internationales aux normes du droit international.
«Les organismes pourvoyeurs d’aide humanitaire, y compris les organisations humanitaires, sont tenus de détenir une licence délivrée par les pays sanctionnés. J’ai eu des entretiens d’experts avec un grand nombre d’ONG humanitaires, pour la plupart des ONG reconnues. Elles essayaient de fournir une aide humanitaire à la Syrie. […]
Quand bien même ces organismes cherchent à livrer du matériel médical, ils doivent d’abord prouver qu’ils effectuent cette livraison dans des buts véritablement humanitaires. Même s’il s’agit, par exemple, de tests de dépistage du Covid-19, de scanners CT ou de médicaments. Par conséquent, les petites ONG humanitaires préfèrent ne pas être impliquées du tout dans la fourniture de ce genre d’aide humanitaire, parce qu’elles n’ont pas de juristes qui pourraient s’occuper de la procédure et qui seraient en mesure de le faire. De plus, les organisations ne sont pas en mesure de payer pour le processus elles-mêmes.
Quand la licence d’importation, par exemple, est accordée pour des livraisons d’aide humanitaire à la Syrie, cela ne veut pas dire que l’organisation qui l’a obtenue pourra acheminer cette aide humanitaire au-delà de la frontière et acheter le carburant nécessaire à cette livraison de médicaments ou d’équipements médicaux indispensables. Cela signifie seulement qu’elle doit maintenant se procurer une autorisation supplémentaire pour pouvoir acheter le carburant qui servira un seul véhicule, en vue de la livraison d’aide humanitaire.
Plusieurs organisations humanitaires se sont également plaintes qu’en raison de leur mission humanitaire qui consiste à livrer des médicaments, du matériel médical et de la nourriture en Syrie, leurs comptes bancaires ainsi que les comptes de leur personnel ont été gelés à la suite de la pandémie. Eux aussi tombent sous le coup des sanctions secondaires en quelque sorte.»
Alena Douhan en entrevue avec Aaron Maté
https://thegrayzone.com/2021/01/14/un-expert-crippling-us-sanctions-on-syria-are-illegal-and-hurting-civilians/
du 14 janvier 2021
(Traduction Horizons et débats)
Hd. Alena Douhan (Belarus) a été nommée rapporteuse spéciale sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la réalisation des droits de l’homme, par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en mars 2020. Mme Douhan a une grande expérience du droit international et des droits de l’homme en tant que professeure de droit international à l’Université d’Etat du Belarus (Minsk), professeure invitée à l’Institut de droit international de la paix et de la guerre (Bochum, Allemagne) et directrice du Centre de recherche sur la paix (Minsk). Elle a obtenu son doctorat de l’Université d’Etat du Belarus en 2005 et son habilitation en droit international et européen (Belarus) en 2015. Les intérêts universitaires et de recherche de MmeDouhan portent sur le droit international, les sanctions et les droits de l’homme, le droit international de la sécurité, le droit des organisations internationales, le règlement des différends internationaux et le droit international de l’environnement.
Horizons etDébats: Vous avez récemment, et dans les termes les plus énergiques, appeléà la levée des sanctions contre la Syrie (26 décembre 2020) et contre le Venezuela (14 février 2021). Pour quelles raisons avez-vous entrepris cette action?
Alena Douhan: A l’instar de beaucoup d’autres, ces sanctions violent les droits humains de populations entières dans les pays qu’elles touchent. Le problème est particulièrement aigu en ce qui concerne la pandémie du Covid-19, car les sanctions ont empêché ces mêmes pays de se procurer tous les médicaments, l’équipement médical, les tests et autres fournitures nécessaires à la lutte contre la maladie. Ces deux pays étaient, chacun à leur manière, déjà confrontés à de graves problèmes économiques avant que les sanctions les frappent. Dans le même temps, les sanctions ont considérablement aggravé les situations préexistantes et ont engendré des crises économiques, sociales et humanitaires.
En Syrie, la reconstruction entreprise après des années de conflits est compromise par les sanctions menées à l’encontre des personnes et des entreprises qui coopèrent avec le gouvernement en vue de restaurer les infrastructures vitales ou de relancer la production de pétrole et de gaz. Cette situation perturbe le fonctionnement de l’économie et ralentit la construction de logements, d’hôpitaux, de réseaux électriques et de nombreux autres domaines.
Venezuela: malnutrition et mortalité en hausse
Au Venezuela, le gouvernement doit se contenter d’une infime partie des revenus nécessaires à la survie de la population. Les pénuries de carburant étant déjà considérables, les sanctions empêchent en outre le pays de s’approvisionner à l’étranger.Cela a entraîné des coupures d’électricité, et – puisque les pompes à eau fonctionnent à l’électricité – aussi des coupures d’eau, affectant une grande partie de la population. Le manque de matériel neuf et de pièces détachées ne permet plus d’assurer la maintenance et la restauration des infrastructures. Il n’est plus possible de maintenir le nombre des interventions chirurgicales dans les hôpitaux. On ne peut plus amener les patients à l’hôpital en raison même de la pénurie de carburant, et les taux de malnutrition et de mortalité sont en forte hausse.
La population est de plus en plus dépendante des aides sociales publiques et de l’aide humanitaire internationale. Tous les droits humains sont menacés, depuis le droit à l’éducation et à l’accès à l’information jusqu’au droit à la santé en passant par le droit à l’alimentation, le droit à la vie et le droit au développement. Les personnes en situation d’extrême pauvreté, les femmes, les enfants, le personnel médical, les personnes handicapées ou souffrant de maladies chroniques ou mortelles, et les peuples indigènes sont particulièrement touchés.
Les sanctions unilatérales sont une violation du droit international
Pouvez-vous être plus explicite dans votre critique de la politique de sanctions?
Il convient donc d’en mentionner plusieurs aspects. Premièrement, dans leur écrasante majorité, les sanctions unilatérales actuelles sont imposées en violation du droit international. Tous les pays ont le droit de décider de la manière dont ils souhaitent entretenir des relations internationales, ou même de ne pas en entretenir du tout. Parallèlement, selon la Charte des Nations unies, seul le Conseil de sécurité de l’ONU a le droit d’autoriser des sanctions en tant que mécanisme permettant de faire respecter certains aspects du droit international. Les mesures unilatérales ne peuvent être prises que conformément à l’Etat de droit, aux droits de l’homme, au droit des réfugiés et au droit humanitaire international. Elles doivent respecter les engagements des Etats en vertu du droit international et ne peuvent être appliquées que dans le cadre de contre-mesures autorisées par le droit international. Dans la plupart des cas, la légalité des sanctions unilatérales est très contestable au regard du droit international et puisqu’elles portent atteinte aux droits de l’homme, ces sanctions enfreignent clairement le droit international.
Deuxièmement, les sanctions qui sont appliquées de façon unilatérale – c’est-à-dire par des pays indépendants ou des regroupements de pays, tels que l’Union européenne ou la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO) en Afrique – enfreignent pratiquement toujours les droits humains fondamentaux et souvent de multiples droits simultanément, alors que ces sanctions sont le plus souvent censées contribuer à améliorer la situation des droits humains. Dans la plupart des cas, toute la population du pays en est affectée, y compris dans l’exercice de ses droits humains fondamentaux: droit à la santé, à l’alimentation, à la vie. En raison de la raréfaction des ressources, les pays touchés se voient contraints de stopper ou de suspendre tous les projets de reconstruction et de développement, ce qui compromet la réalisation des objectifs de développement durable.
A cet égard, les chiffres figurant dans mes rapports et portant sur l’impact des sanctions unilatérales dans le contexte de la pandémie (octobre 2020) ainsi que ceux présentés dans le rapport d’évaluation préliminaire de ma visite au Venezuela sont très clairs. Je pense qu’il est absurde de protéger les droits de l’homme en les enfreignant. Il n’y a pas de niveau tolérable pour les «dommages collatéraux» alors même que les états sont tenus par les conventions internationales et le droit coutumier de protéger les droits de tout un chacun et d’adopter un comportement conforme au droit international.
Reconnu coupable en dehors de tout système juridique
Troisièmement, les sanctions ciblées à l’encontre de certains individus impliquent généralement le gel de leurs avoirs bancaires ainsi que d’autres biens et la restriction de leurs déplacements internationaux, ce qui en règle générale interagit en dehors des procédures légales. Cela revient simplement à établir, en dehors de tout système juridique, la culpabilité d’un individu en particulier, et les pénalités qui en découlent sont des sanctions imposées. Le droit à un procès équitable et le droit à la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire, ainsi que le droit à la liberté de circulation, sont bafoués alors qu’ils devraient être protégés selon les règles du droit international.
La Cour européenne des droits de l’homme prévoit certaines possibilités d’accès à la justice sur la base de l’article 275 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne mais le nombre de procédures qualifiées de sanctions connait une expansion rapide. Par ailleurs, il n’existe pratiquement pas de mécanisme de recours contre les sanctions américaines. Il faut également mentionner les problèmes rencontrés par les pays en développement.
Il faut également mentionner les problèmes rencontrés dans la distribution de l’aide humanitaire ainsi que l’extraterritorialité croissante et la surimposition des régimes de sanctions.
Les effets des sanctions secondaires et de l’extraterritorialité
Comment se traduisent les sanctions extraterritoriales et secondaires, qui sont illégales en vertu du droit international, pour un pays comme la Syrie, actuellement en cours de reconstruction après dix ans de guerre?
Les sanctions secondaires et l’extraterritorialité sont deux choses bien distinctes mais étroitement liées. Les sanctions secondaires sont des sanctions unilatérales imposées aux personnes et entreprises accusées de faire des affaires avec les pays, personnes ou entités visés par les sanctions. Les Etats-Unis, en particulier, ont recours à des sanctions secondaires pour faire appliquer les sanctions qu’ils ont initialement imposées. Les personnes et entités visées par les sanctions secondaires peuvent être implantées dans le pays qui a imposé ces mêmes sanctions, ou dans d’autres pays. En fait, certaines sanctions secondaires américaines peuvent concerner toute personne, où qu’elle se trouve, à partir du moment où elle est soupçonnée de commercer avec la partie visée par les sanctions.
C’est là que le problème de l’extraterritorialité entre en jeu, car étendre la juridiction propre d’un pays à un autre pays en y appliquant ses sanctions par le biais de sanctions secondaires n’est pas non plus légal.Une fois de plus, on impose une sanction sans tenir compte du droit propre à tout individu de bénéficier d’une procédure régulière, alors qu’il est visé par des sanctions secondaires. En fait, il peut être parfaitement légal, selon la loi du pays où réside la personne en question, de commercer avec celle qui est la cible des sanctions américaines.
Le principal danger inhérent aux sanctions secondaires est que tout individu ou toute entreprise peut en être affecté, ce qui entraîne une kyrielle derépercussions négatives pour s’y conformer. Lors de ma visite au Venezuela, le secteur privé, les organisations non gouvernementales, les universités, les clubs sportifs et les Vénézuéliens eux-mêmes ont fait état du refus ou de la réticence des banques étrangères à l’ouverture ou à la gestion de comptes bancaires, y compris auprès de banques correspondantes aux Etats-Unis et en Europe; de difficultés à obtenir des visas et à acheter des billets d’avion; de leur obligation de passer par des intermédiaires dans des pays tiers; et de la contrainte de devoir payer des frais d’assurance supplémentaires. Des problèmes similaires ont été cités à plusieurs reprises par les organisations humanitaires internationales qui fournissent une aide humanitaire dans des zones ou des communautés spécifiques.
Dans la pratique, les dérogations
dites humanitaires ne sont pas efficaces
Quel est l’état actuel de l’aide humanitaire internationale et dans quelle mesure est-elle entravée par les sanctions?
Sur le papier, la plupart des régimes de sanctions unilatérales comportent aujourd’hui des dispositions qui permettent la circulation des biens et des services humanitaires vers les pays et les personnes objets de ces sanctions. Le problème est que ces «dérogations humanitaires» ne fonctionnent pas très bien dans la pratique. Il y a de nombreuses raisons à cela. Les règles sont souvent complexes, ce qui fait que les fournisseurs d’aide humanitaire hésitent à exporter des biens humanitaires vers les pays sanctionnés par crainte de violer les sanctions par inadvertance et d’être ensuite eux-mêmes visés par des sanctions secondaires. Même ceux qui seraient disposés à exporter des biens humanitaires pourraient ne pas être en mesure de le faire parce que les banques et autres prestataires de services partagent les mêmes craintes, ce qui affecte les sources de financement de ces biens humanitaires et la capacité de les transporter vers le pays sanctionné. La constitution en strates des sanctions (sanctions imposées par plusieurs Etats ou organisations régionales avec leurs propres listes de sanctions et mécanismes d’exemption) complique encore la situation.
Au nombre des autres problèmes figurent le laps de temps nécessaire à l’homologation des exportations humanitaires vers les pays visés par les sanctions et les éventuels critères requis avant l’octroi d’une licence. Par exemple, les exportateurs de biens humanitaires qui pourraient se révéler à double emploi (civil et militaire) tels que certains appareils paramédicaux ou autres substances médicales, doivent s’assurer que ces biens ne seront pas utilisés à des fins militaires à leur arrivée dans le pays sanctionné. Dans certains cas, cela peut se révéler impossible. Il semblerait en effet que même le dentifrice fasse partie des produits de toilette corporels concernés par ces réglementations. Eh oui, on ne peut pas acheminer de dentifrice vers la Syrie car ce produit y est considéré comme un article à «double usage». Dans l’ensemble, la complexité et le temps nécessaires pour obtenir les autorisations d’exportations humanitaires représentent encore un obstacle entrainant une hausse des coûts de transport.
Il faut également prendre en compte le fait que les dispositions relatives aux «dérogations humanitaires», même lorsqu’elles sont appliquées, sont traditionnellement interprétées de manière très restrictive, excluant notamment les équipements, pièces détachées et autres biens nécessaires à la reconstruction de l’économie, et faisant ainsi obstacle au droit au développement des populations.
Comment les sanctions entravent l’action de l’aide humanitaire
Quel est l’impact des sanctions sur l’aide humanitaire? Pouvez-vous nous en donner des exemples concrets?
La pandémie du Covid-19 nous a révélé la manière dont les sanctions ont empêché les pays visés par les sanctions de bénéficier de l’aide humanitaire, alors même que ces sanctions prévoyaient des dérogations humanitaires autorisant cette aide. Les médecins de certains pays victimes des sanctions américaines n’ont pas pu accéder aux sessions de télémédecine sur Zoomcar dans ces pays, leur utilisation est bloquée. Les équipementsmédicaux donnés par un homme d’affaires chinois pour aider Cuba à combattre le Corona virus n’ont pu être livrés comme prévu car la société américaine qui avait passé un contrat pour les transporter a déclaré forfait, craignant d’être frappée par des sanctions secondaires si elle livrait des marchandises à un pays sous le coup de sanctions.Les organisations humanitaires suisses qui voulaient travailler en collaboration avec des structures médicales cubaines se sont heurtées à des banques refusant de procéder aux transferts d’argent nécessaires pour ce faire. Les sanctions américaines contre l’Iran et le Venezuela ont provoqué l’effondrement de la distribution d’électricité dans ces deux pays, ce qui a empêché un fonctionnement normal des hôpitaux. En raison des pénuries de carburant au Venezuela – une situation aggravée par les sanctions – les gens ne peuvent se rendre dans les hôpitaux et il est impossible d’utiliser les ambulances.
Les sanctions unilatérales, la crainte de sanctions secondaires et la cascade de répercussions en conformité qui en découlent entraînent un nombre croissant de refus de virements bancaires, un allongement des délais de transfert (de 2 à 45 jours), une augmentation des frais de livraison, d’assurance et de transfert de fonds, et des hausses de prix signalées pour toutes les marchandises (principalement importées), atteignant parfois jusqu’à 2 à 4 fois leur prix. Les dérogations humanitaires imposent également une lourde charge aux organisations humanitaires, qui doivent prouver la «pureté» de la finalité humanitaire des fournitures et sont exposées à toutes sortes de risques. Cette situation a un impact négatif, d’une part sur leur capacité d’action en limitant leurs ressources et, d’autre part sur la volonté des donateurs à fournir leur aide, ce qui a des répercussions négatives sur les bénéficiaires dans les pays cibles et dans d’autres pays.
La loi «César» a ouvert une porte béante
La loi «César» (Caesar Civilian Protection Act) qui a été promulguée par le gouvernement américain en juin 2020, concerne principalement les soins de santé destinés à la population. Elle prévoit de sanctionner tous les individus et organisations qui voudraient commercer avec le gouvernement syrien ou tout simplement avec la Syrie tout court. De quelle façon les divers pays ou organisations humanitaires désireux d’apporter leur aide devraient-ils procéder pour faire face à cette situation? Pouvez-vous nous en donner une indication concrète?
La Loi César, qui est entrée en vigueur en 2019 et a été mise en application à partir de 2020, a en fait, avec ses sanctions, ouvert une porte béante. Le meilleur conseil que je puisse donner aux pays et aux organisations caritatives est d’informer les autorités américaines et également mon bureau, des problèmes qu’elles rencontrent dans la fourniture de l’aide humanitaire à la Syrie ainsi que de tout ce qu’elles découvrent sur les conséquences des sanctions sur les droits fondamentaux des personnes désireuses de commercer avec la Syrie – en quoi leurs droits sont bafoués. Garder le silence par crainte de sanctions secondaires ne contribue pas à améliorer la situation, mais au contraire à l’aggraver.
Un rapport qui vient d’être publié par le US Government Accountability Office a révélé que les autorités américaines n’évaluent pas systématiquement l’impact humanitaire des sanctions contre le Venezuela, et je suppose qu’il en va de même pour les sanctions américaines contre la Syrie.
Il est important que ces informations soient divulguées au public comme première étape vers une résolution des problèmes relatifs aux droits humains et de bien d’autres, qui ont été causés par les sanctions de la Loi César.
Le problème des sanctions n’est pas assez connu
Vous avez dit que bien des choses demeurent dans l’ombre du débat public et que les questions d’impact humanitaire sont malheureusement trop souvent oubliées ou ignorées. Pourquoi y a-t-il si peu de réactions?
Il est fort probable que le problème ne soit pas suffisamment connu du public parce qu’il n’a pas fait l’objet de recherches approfondies. En règle générale, ces dernières sont considérées comme ayant des motivations très politiques – c’est-à-dire qu’elles ne voient qu’en «noir et blanc» en termes d’opposition entre le bien et le mal. Cependant, je soutiens que la seule façon de garantir les droits de l’homme est de faire respecter la loi. C’est pourquoi nous allons parler ici des obligations internationales des Etats, de l’état de droit, de l’évaluation de l’impact humanitaire et des garanties humanitaires.
La complexité de la terminologie, l’absence de consensus entre les pays, le manque de clarté du cadre conceptuel et des caractéristiques des sanctions unilatérales ainsi que des mesures coercitives unilatérales, l’absence d’accord sur les objectifs, l’implication croissante des acteurs privés et la sur-exécution qui en résulte, l’absence d’évaluation de l’impact humanitaire et les préoccupations politiques affectent la situation et son analyse par les dirigeants des Etats et le public. Cela est dû à l’ignorance du problème et à une approche humanitaire et juridique inadéquate, ainsi qu’au manque de discussion avec les victimes et les intervenants sur le terrain.
C’est pourquoi j’essaie maintenant d’attirer l’attention sur le vrai problème; je tente d’évaluer la légalité des mesures prises du point de vue du droit international; je cherche à mettre en place des dispositifs de précaution et à évaluer l’impact humanitaire des sanctions unilatérales; je traite des cas individuels et j’invite les universitaires et les organisations non gouvernementales humanitaires à devenir des partenaires de dialogue.
Je souhaite également profiter de cette occasion pour inciter les états, les universitaires, les ONG et les autres partenaires impliqués à préparer un rapport sur le concept, les types, les éléments et les objectifs des sanctions unilatérales à l’intention du Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée générale des Nations unies afin de les sensibiliser, de définir l’état de droit, de protéger les droits de l’homme et d’entamer un dialogue.
Madame Douhan, merci de nous avoir reçus en entretien.•
(Traduction Horizons et débats)
«Les sanctions économiques étendues ont [...] le caractère éthique du bombardement terroriste; les civils sont explicitement utilisés comme otages dans une stratégie de pouvoir et de politique de sécurité.» (p. 11)
«L’article 2 [de la résolution de la Commission des droits de l’homme des Nations unies du 4 mars 1994] stipule explicitement que les sanctions économiques rendent impossible l’entière mise en œuvre de tous les droits de l’homme, en particulier ceux des enfants, des femmes et des personnes âgées. La résolution, évoquant la Déclaration universelle des droits de l’homme, appelle tous les Etats à s’abstenir de telles pratiques.» (p. 29)
«Les sanctions qui suspendent les droits économiques et sociaux fondamentaux de la population, et dans de nombreux cas le droit à la vie, sont inadmissibles en termes de droits de l’homme en tant que jus cogens du droit international.» (p. 20s.)
Source: Köchler, Hans.
Ethische Aspekte der Sanktionen im Völkerrecht.
International Progress Organization, Vienne 1994
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