Le Mouvement des non-alignés et le rôle de l’Autriche

Actuelles possibilités offertes par le multilatéralisme et l’interdiction des armes nucléaires

par Hans Köchler*, Autriche

hd. La cinquième conférence internationale «L’essor de l’Asie dans une perspective historique mondiale» s’est tenue en ligne du 10 au 12 février 2021 sur le thème «60 ans après Belgrade: signification du non-alignement dans un monde multipolaire». Les quelque 140 participants à la conférence étaient des chercheurs issus d’un large éventail de domaines (études régionales, études culturelles, écologie, économie, géographie, histoire, sciences humaines, langues, gestion, sciences politiques et sociales) et des praticiens de divers domaines professionnels (économie, société civile, éducation, entreprise, gouvernement, gestion, parlement, politique publique, mouvements sociaux et solidaires), ainsi que des artistes et des écrivains de divers pays (Afrique, Amérique du Nord, centrale et du Sud, Australie, Asie, Caraïbes, Europe, Océanie, Pacifique). L’un des intervenants était le Professeur Hans Köchler.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche a obtenu son indépendance sur la base d’un engagement constitutionnel en faveur d’une politique étrangère non alignée. Dans le mémorandum de Moscou du 15 avril 1955, le gouvernement autrichien a déclaré qu’il œuvrerait à l’adoption d’une loi inscrivant dans la constitution un règlement de neutralité perpétuelle sur le modèle de la Suisse. La loi devait être adoptée après la ratification d’un «traité d’Etat» avec les quatre puissances alliées sur le retrait de toutes les troupes étrangères du territoire autrichien. Après la conclusion du traité d’Etat le 15 mai 1955 et la fin de la procédure de ratification le 27 juillet de la même année, le Parlement autrichien a décidé le 26 octobre 1955 que l’Autriche renonçait définitivement à rejoindre des alliances militaires et n’autoriserait aucune base militaire sur son sol. Cela s’est produit exactement le lendemain du départ du dernier soldat étranger d’Autriche. La chronologie des événements correspondait ainsi aux décisions du mémorandum de Moscou.
    Comme les négociateurs autrichiens l’ont clairement indiqué à l’époque, la neutralité de l’Autriche ne doit pas être comprise en termes d’équidistance par rapport aux blocs idéologiques. De façon polémique, certains ont qualifié cette prise de position de «neutralisme» (certains commentateurs l’ont par la suite attribuée au Mouvement des non-alignés). L’Autriche s’est toujours considérée comme faisant partie du monde occidental. La «neutralité armée», associée à un engagement de «défense nationale globale» (inscrit dans l’article 9a de la loi constitutionnelle fédérale), est devenue à partir de l’après-guerre un élément déterminant de l’identité étatique de l’Autriche.
    Dans les années 1970 et au début des années 1980, à l’époque du chancelier fédéral Bruno Kreisky, l’Autriche pratiquait une politique dite de «neutralité active», ce qui signifiait, entre autres, le soutien aux préoccupations du Tiers-Monde de l’époque, en particulier à l’instauration d’un Nouvel ordre économique mondial, à l’abolition de l’apartheid et aux efforts de l’Organisation de libération de la Palestine en vue de créer un Etat indépendant. C’était l’époque de l’engagement constructif de l’Autriche dans le Mouvement des non-alignés.L’Autriche jouait également un rôle actif dans les débats sur la politique de développement, et dans le dialogue Nord-Sud. Le Chancelier fédéral, membre fondateur de la Commission Nord-Sud («Commission Brandt»), entretenait des relations étroites avec les principaux représentants du Mouvement des non-alignés, tels qu’Indira Gandhi, Josip Tito ou Yassir Arafat. Avec le président mexicain José López Portillo, il convoqua le Sommet Nord-Sud à Cancún en octobre 1981 («Conférence sur la Coopération internationale et le Développement»),1 au cours duquel le premier ministre chinois proposa la création d’un «nouvel ordre économique mondial». Au niveau européen, dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), l’Autriche coordonnait sa politique étrangère notamment avec la Yougoslavie, dans le but de mettre en œuvre les accords d’Helsinki de 1975.
    Le Chancelier fédéral autrichien a aussi participé activement aux conférences sur des questions de politique mondiale organisées par l’International Progress Organization basée à Vienne. Il s’agissait notamment d’une discussion d’experts sur le nouvel ordre économique mondial à Vienne en avril 1979 avec la participation du ministre autrichien des finances, d’une conférence sur la question palestinienne à Vienne en novembre 1980, ouverte par le ministre autrichien des affaires étrangères, et d’une réunion mondiale sur les principes de non-alignement à Bagdad en mai 1982, au cours de laquelle Leo Mates (chef de cabinet du président yougoslave Josip Tito l’année de la fondation du Mouvement des non-alignés en 1961) occupait le poste de rapporteur général. Au cours de l’été 1983, la Première ministre Indira Gandhia participé à une conférence internationale de dialogue dans le village de montagne autrichien d’Alpbach, à l’initiative de Bruno Kreisky.
    Dans le cadre de sa politique de neutralité, l’Autriche se voyait comme médiatrice dans le dialogue entre les blocs et s’est proposée comme lieu de rencontre neutre. En témoignent également les déroulements des deux des plus importantes réunions au sommet des superpuissances pendant la guerre froide dans la capitale autrichienne, à savoir les rencontres entre le président américain John F. Kennedy et le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev en juin 1961, et entre le président Jimmy Carter et le chef d’Etat et du parti soviétique Leonid Brejnev en juin 1979. Cette dernière réunion avait abouti à la signature du Traité sur la limitation des armements stratégiques(SALT II). En outre, depuis 1960, l’Autriche a fourni des troupes pour des missions de maintien de la paix et d’observation des Nations unies, par exemple en Syrie, au Liban et à Chypre. Depuis les années 1960, l’Autriche a accueilli un nombre croissant d’organisations intergouvernementales telles que les Nations unies, l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), l’Agence Internationale de l’Energie Atomique(AIEA), la Commission préparatoire de l’Organisation du Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires (OTICE), l’  (OPEP) et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).
    Après la fin de la guerre froide, la politique étrangère s’est concentrée sur l’intégration complète dans la Communauté européenne (devenue plus tard l’Union européenne). Immédiatement après avoir rejoint l’Union européenne le 1er janvier 1995, l’Autriche a adhéré au «Partenariat pour la paix» de l’OTAN le 10 février de la même année. En tant que membre de l’Union européenne, le pays participe également aux «groupements tactiques de l’UE» dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union. Cependant, l’intégration dans les structures transnationales de l’UE a été perçue par beaucoup comme incompatible avec le statut de neutralité perpétuelle du pays et donc avec sa Constitution. En conséquence, le Parlement a modifié la loi de neutralité de 1955 en ajoutant un article dans la Constitution afin de permettre la participation active de l’Autriche aux opérations militaires dans le cadre de sa participation à l’UE.2
    A l’heure actuelle, les relations de l’Autriche avec le Mouvement des non-alignés revêtent une importance plutôt historique. Dans les faits, le contact existe au niveau formel ou cérémoniel. Comme d’autres pays européens neutres, mais aussi certains membres de l’OTAN tels que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, l’Autriche est considérée par le mouvement comme un «pays invité». Elle n’a donc pas le statut d’observateur, mais jouit simplement du statut d’«invitée» sur une base ad hoc aux cérémonies d’ouverture et de clôture des sommets et des conférences ministérielles des Etats non alignés.
    La politique étrangère et de défense de l’Autriche s’inspire actuellement de l’Union européenne et, dans une certaine mesure, également des Etats-Unis et de l’OTAN. Cela dit, ces dernières années, l’Autriche ne s’est pas positionnée clairement face à la mondialisation néolibérale. Cela provoque une érosion rampante de sa neutralité au profit d’une realpolitik axée sur l’Occident. Il est toutefois remarquable qu’une majorité d’Autrichiens, contrairement à l’élite dirigeante, s’accroche encore à la conception originelle de la neutralité dans le sens d’un strict non-alignement au pacte. Les citoyens continuent à considérer une politique étrangère sans alliances militaires comme indispensable dans l’intérêt de l’indépendance du pays.
    Malgré l’évident changement de paradigme de la politique étrangère autrichienne depuis l’époque de la Guerre froide, l’engagement continu du pays en faveur du multilatéralisme et sa participation active aux efforts visant à interdire globalement les armes nucléaires pourraient conduire à une coopération sans doute limitée mais constructive avec les pays du Mouvement des non-alignés.

1En raison de son état de santé, il était représenté lors du sommet par le ministre autrichien des affaires étrangères Willibald Pahr.

2Art. 23j (3) de la Loi constitutionnelle fédérale, basée sur l’art. 43(1) du Traité sur l’Union européenne, qui prévoit, entre autres, la participation à des «missions de forces de combat pour la gestion des crises».

(Traduction: Horizons et débats)

Littérature supplémentaire:

Friends with Enemies: Neutrality and Nonalignment Then and Now. International Conference, Vienna, 2–3 March 2020. Summary by Patrick McGrath. Vienne: International Institute for Peace, 2020, https://www.iipvienna.com

Köchler, Hans (édit.). The New International Economic Order: Philosophical and Socio-cultural Implications. Studies in International Relations, vol. III. Guildford (England): Guildford Educational Press, 1980. (Conférence de l’International Progress Organization à Vienne, 2 -3 avril 1979)

Köchler, Hans (édit.). The Principles of Non-alignment: The Non-aligned Countries in the Eighties – Results and Perspectives. London/Vienne: Third World Centre, 1982. (Conférence de l’International Progress Organization à Bagdad, Irak, 4 -6 mai 1982)

Köchler, Hans (édit.) The New International Information and Communication Order: Basis for Cultural Dialogue and Peaceful Coexistence among Nations. Studies in International Relations, vol. X. Vienne: Braumüller, 1985. (Conférence de l’International Progress Organization à Nikosia, Chypre, 26 -27 octobre 1984)

Köchler, Hans. «Non-Aligned Movement», in: Encyclopedia of Global Studies, 3. Los Angeles / London / New Delhi / Singapour / Washington DC: SAGE, 2012, pp. 1248-1250.

Luif, Paul. Die Bewegung der blockfreien Staaten und Österreich. Informationen zur Weltpolitik, Bd. 3. Vienne: Österreichisches Institut für Internationale Politik, 1981


*Conférence lors de la rencontre internationale «L’essor de l’Asie dans une perspective historique mondiale» dont le thème cette année était «60 ans après Belgrade: signification du non-alignement dans un monde multipolaire», organisée au Havre le 11 février 2021 par l’Université Le Havre Normandie, en collaboration avec l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Universitas Airlangga, Surabaya (Indonésie), Kirori Mal College, et l’Université de New Delhi (Inde).

 

 

Les Etats du Mouvement des non-alignés

ef. Le Mouvement des non-alignés (MNA) a été fondé pendant la Guerre froide, principalement à l’initiative du président yougoslave de l’époque, Josip Broz Tito, en tant qu’organisation d’Etats souhaitant rester indépendants ou neutres, plutôt que de s’allier formellement aux Etats-Unis ou à l’Union soviétique. Le concept de base du groupe est apparu en 1955 lors des discussions de la conférence Asie-Afrique qui s’est tenue à Bandung, en Indonésie. Par la suite, une réunion préparatoire pour la première conférence au sommet du MNA s’est tenue au Caire, en Egypte, du 5 au 12 juin 1961. Le Sommet du Mouvement des pays non-alignés se tient tous les trois ans. Le dernier en date a eu lieu à Bakou, en Azerbaïdjan, en 2019. Une délégation de plus de 120 pays a participé au sommet. Les Etats du Mouvement des pays non-alignés représentent 55 % de la population mondiale et détiennent près des deux tiers des sièges de l’Assemblée générale des Nations unies.
   
Tijjani Muhammad Bande, président 2019 de l’Assemblée générale de l’ONU, a déclaré le 25 octobre 2019: «Le MNA doit continuer à être une voix de la raison et de la modération et ne jamais relâcher ses efforts en faveur de la paix, de la stabilité, du progrès humain et de la justice dans le cadre de la Charte de l’ONU, même lorsque cela semble difficile.»

 

 

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