L’horloge de l’apocalypse indique 100 secondes avant minuit

Traité ABM et retrait des Etats-Unis – à l’ère de l’armement nucléaire une déclaration de guerre ouverte – la Russie réagit

par Tobias Salander

Le journal «Frankfurter Allgemeine Zeitung» a récemment annoncé à quel point l’humanité frôlait une guerre nucléaire.1En 1947, le «Bulletin of the Atomic Scientists» avait développé aux Etats-Unis la Doomsday Clock, connue chez nous sous le nom d’horloge de la fin du monde, ou d’horloge de l’Apocalypse. Alors que cette horloge indiquait sept minutes avant minuit lorsqu’elle a été présentée pour la première fois en 1947, ses aiguilles étaient à deux minutes avant minuit pendant la crise de Cuba. Et aujourd’hui? Pour la troisième année consécutive, les aiguilles sont à 100 secondes avant minuit. La situation de mai 2022 ne sera toutefois enregistrée qu’au début de l’année prochaine.
    A qui la faute? Le récit occidental a vite trouvé son coupable. Mais un regard sur l’histoire de l’évolution d’une éventuelle guerre nucléaire permet-il de maintenir ce récit comme le seul à pouvoir faire autorité? Dans tous les cas, il est essentiel de se questionner sur la logique de la guerre à l’ère des armes nucléaires, et d’espérer avec ferveur que des personnalités à l’approche rationnelle et experte seront capables de s’imposer face aux idéologues aveugles.

Il est aujourd’hui bien connu que les armes nucléaires tuent sans distinction et violent ainsi les Conventions de Genève. Parmi les spécialistes du droit international, la question de savoir si la possession et la fabrication d’armes nucléaires constituent déjà un crime contre l’humanité est controversée. Si le bon sens trouve rapidement une réponse à l’aspect théorique des choses, leur réalité concrète est beaucoup moins facile à appréhender. Et la réalité des armes nucléaires implique une logique toute particulière, à laquelle toute personne éprise de paix préfère se fermer, tant elle est effrayante. Mais la politique de l’autruche ne résout pas le problème.
    Les Etats-Unis sont la seule puissance à avoir fait usage de l’arme nucléaire, et cela dans un pays dont la plupart des villes avaient déjà été détruites par des bombes incendiaires. Les bombardements américains ont ainsi fait plus de victimes civiles à Tokyo qu’à Hiroshima. Non seulement l’«Enola Gay» et sa cargaison meurtrière étaient accompagnés au-dessus d’Hiroshima par un avion bourré d’instruments scientifiques permettant de mesurer avec précision les événements mortels. Et le pilote n’a jamais exprimé de remords jusqu’à la fin de sa vie, mais le largage n’était même pas nécessaire sur le plan militaire: il s’agissait d’une démonstration de force, notamment vis-à-vis de l’Union soviétique. Cela a été démontré depuis des années avec la plus grande précision, notamment par Florian Coulmas et Paul H. Johnston.2
    En 1949, l’horloge de l’apocalypse a ensuite été réglée sur minuit moins trois minutes, lorsque l’Union soviétique a effectué son premier test d’arme nucléaire. Et à minuit moins deux en 1953, lorsque les deux anciens alliés contre les nazis ont testé la bombe à hydrogène. Mais tout le monde n’était pas d’accord avec la position des aiguilles. Klaus Fuchs, par exemple, a révélé aux Soviétiques les plans de la bombe atomique américaine afin, selon lui, de rendre le monde plus sûr. Comment faut-il comprendre cela? Nous voici arrivés au cœur de la logique des armes nucléaires et du maintien de la paix à l’ère de ces armes, de l’«équilibre de la terreur». La crise de Cuba l’a démontré clairement: les deux parties ne pouvaient pas tolérer d’un côté des armes nucléaires américaines en Turquie, et de l’autre des armes nucléaires russes à Cuba, car le temps de réaction en cas d’attaque réelle ou supposée aurait été fatalement court. Heureusement, Khrouchtchev et Kennedy se sont mis d’accord. Mais comme l’a dit le secrétaire américain à la défense de l’époque, Robert S. McNamara, dans son récit de vie «Fog of war», c’était vraiment de la pure chance, «it was luck, we just lucked out».

Traité ABM en 1972 – maintenir ouverte
la «fenêtre de vulnérabilité»

Un téléphone rouge a alors été installé, car le développement de missiles intercontinentaux exigeait une communication rapide entre les deux commandants en chef.
    Arrivent les années 1970, avec une situation planétaire qui n’est en rien plus confortable. Et c’est dans ce contexte que les dirigeants des deux superpuissances se sont efforcés à conclure un accord, le traité ABM. Conclu le 26 mai 1972, l’Anti-Ballistic-Missiles-Treaty, en français Traité de défense antimissile, suivait la logique de la guerre avec des armes nucléaires: les deux parties voulaient maintenir ouverte la «fenêtre de vulnérabilité». On a donc délibérément renoncé à pouvoir contrer avec des missiles spécialement installés à cet effet la contre-attaque attendue de l’adversaire après une première frappe nucléaire. Pourquoi une telle complexité? C’est très simple: si les deux parties étaient en mesure de se venger et d’anéantir également l’adversaire, les deux parties renonceraient à une première frappe. Car cela reviendrait à se suicider mutuellement. On s’est donc accordé mutuellement la «capacité de contre-attaque». Voilà; pour quiconque parlerait de folie, l’abréviation de cette logique d’armement nucléaire était bel et bien MAD, l’adjectif «fou», mais aussi l’acronyme de «Mutual Assured Destruction» (destruction mutuelle assurée). C’est sur cette base que reposait l’architecture de «sécurité» extrêmement bancale de la guerre froide. On parlait aussi d’«équilibre de la terreur».
    Le traité interdisait non seulement la construction de systèmes de défense nationaux (c’est-à-dire protégeant le territoire de la Russie ou des Etats-Unis) contre les missiles balistiques, mais il comprenait également l’interdiction de déployer des composants de systèmes de défense antimissile en mer, dans des avions et dans l’espace.

Les signataires du traité étaient conscients que sans traité, chaque partie tenterait de développer de nouveaux missiles nucléaires capables de surmonter les défenses antimissiles, avec comme résultat une course à l’armement. Une guerre nucléaire nous ayant été épargnée, le traité ABM a été un grand succès. Et pourtant, nous avons frôlé l’anéantissement à plusieurs reprises: rappelons-nous l’exercice de l’OTAN «Able Archer» de 1983: lors de cette simulation réaliste de guerre nucléaire, l’Union soviétique avait préparé ses bombardiers en Pologne et en RDA et les avait équipés d’ogives nucléaires actives! Et peu de temps auparavant, l’action courageuse du lieutenant-colonel Stanislaw Petrow, en service au centre de défense antimissile de Serpoukhov près de Moscou, avait empêché, à l’occasion d’une fausse alerte, une riposte nucléaire soviétique à une attaque nucléaire américaine qui n’avait pas eu lieu. Comme l’avait dit Mc Namara: «It was luck, we just lucked out».

La «directive présidentielle 59»de Jimmy Carter:
pouvoir gagner la guerre nucléaire

Mais revenons en 1980. Jimmy Carter, rendu célèbre par son mot percutant «Comment notre pétrole se retrouve-t-il sous le sable des Arabes», entre à la Maison Blanche. Et l’on se pose aujourd’hui la question suivante: ce cultivateur de cacahuètes du sud des Etats-Unis avait-il compris la logique des armes nucléaires? Ou jouait-il délibérément avec le feu? Toujours est-il que ce qu’il a fait ne peut pas être compris autrement que comme une déclaration de guerre ouverte contre l’Union soviétique. Ou alors comme une mesure de défense? Quelle était encore la logique des armes nucléaires? Selon la référence en ligne Wikipédia, politiquement neutre et sûrement pas hostile aux Etats-Unis, Carter aurait amorcé l’abandon de la doctrine MAD: «Le 25 juillet 1980, le président américain Jimmy Carter a parlé dans la Presidential Directive 59 d’une ‹stratégie de compensation› (countervailing strategy). L’objectif des planificateurs américains était désormais de pouvoir gagner une guerre nucléaire. La cible déclarée des ogives nucléaires n’était pas la population soviétique, mais en premier lieu les centres de commandement, puis des objectifs militaires. On spéculait donc sur le fait que l’Union soviétique abandonnerait avant la destruction totale de l’URSS et des Etats-Unis.»3 Imaginez comment une déclaration soviétique identique aurait été accueillie aux Etats-Unis. Rappelons la logique des armes nucléaires: il faut des missiles et des ogives encore meilleurs, plus rapides, plus efficaces, pour pouvoir empêcher la première frappe, la frappe de décapitation. C’est donc exactement ce que MAD voulait empêcher. Et plus loin dans Wikipédia: «Le président américain Ronald Reagan a misé dans ce sens et a prévu, avec sa Strategic Defense Initiative (SDI), de remplacer l’équilibre de MAD par une nouvelle stratégie de supériorité américaine. La mise en place d’une défense antimissile globale devait permettre de protéger les Etats-Unis contre les attaques ou les contre-attaques de l’Union soviétique, tout en conservant leur propre capacité de première frappe.»
    Cette ligne anti-soviétique agressive sous la présidence Reagan est notamment illustrée dans le documentaire de Dirk Pohlmann diffusé déjà en 2015 sur ARD, «Operation Täuschung – Die Methode Reagan.»4 (Opération tromperie – la méthode Reagan).
    Sur le site Internet de l’ARD, strictement fidèle aux Etats-Unis, on peut étonnamment lire à ce sujet: «Avec l’arrivée au pouvoir de Reagan, la stratégie des Etats-Unis dans la guerre froide change fondamentalement: l’attaque remplace la défense. Son ‹Comité [secret] pour les opérations de tromperie›, dont l’existence est confirmée pour la première fois dans ce documentaire par des témoins de l’époque, planifie des opérations de renseignement brillantes et perfides contre les Soviétiques, mais aussi contre la politique de détente du Premier ministre suédois Olof Palme. En arrivant au pouvoir en 1981, Ronald Reagan redéfinit la stratégie des Etats-Unis dans la guerre froide: il faut attaquer au lieu de défendre. Avec le réarmement, son ‹Comité pour les opérations de tromperie› est l’un des principaux instruments de la lutte contre l’Union soviétique. Des gazoducs sont sabotés à l’aide de puces informatiques et de chevaux de Troie, des manœuvres aériennes et maritimes sont effectuées devant la principale base soviétique à Mourmansk. Leur but: déstabiliser et humilier tout en faisant une démonstration de force et de supériorité technique.» Et comment une personne ainsi humiliée devait-elle réagir? Comme nous le savons aujourd’hui, l’Union soviétique n’allait plus exister longtemps. Trompé et économiquement au plus bas, notamment en raison des investissements dans l’armement pour repousser les Américains, le pays allait être vendu dans les années 1990 à des groupes occidentaux. Pour mettre fin à cette humiliation sans précédent, il faudra attendre l’arrivée d’un certain Poutine, une des raisons, selon des amis russes, pour lesquelles Poutine jouit encore aujourd’hui d’une telle popularité au sein du peuple russe.
    Mais que dit encore le portail ARD sur les actions des Etats-Unis? «Ces actions mènent le monde au bord de la guerre nucléaire. Lorsque dans les années 1980, le Premier ministre social-démocrate suédois Olof Palme propose avec Willy Brandt et Egon Bahr sa stratégie de sécurité commune et ne veut plus mettre la Suède à disposition de l’OTAN comme ‹porte-avions insubmersible›, il ne se fait pas seulement un ennemi des élites conservatrices au pouvoir dans son propre pays. Très tôt, son approche est également une épine dans le pied de Reagan, car un assouplissement envers l’Union soviétique dans la course aux armements de la guerre froide serait contre-productif pour sa stratégie. Ainsi les pourparlers de rapprochement sont sabotés et Olof Palme discrédité. En février 1986, Palme est assassiné par un auteur inconnu. Le film montre l’importance de la guerre secrète menée par les Etats-Unis pendant la guerre froide en se référant à des témoins de haut niveau et à des images exclusives. Une fois de plus, il apparaît clairement que pour défendre leurs propres intérêts, les Etats-Unis n’hésitaient pas à s’en prendre à la souveraineté d’Etats démocratiques. Un sujet qui, compte tenu de la situation politique que nous vivons et des récents scandales liés aux services secrets, est remarquablement actuel.» C’était en 2015. Comme le ton vis-à-vis des Etats-Unis a changé depuis ...!

George W. Bush dénonce le traité ABM –
«en faveur de la paix»

Revenons donc à la chronologie de cette affaire: depuis Carter et Reagan, les Etats-Unis se sont donc efforcés de mettre en place un système de défense antimissile à l’échelle mondiale, qui devait également comprendre des composants spatiaux. Ce programme, particulièrement renforcé par le gouvernement de George W. Bush, aurait violé les accords du traité ABM. Les évènements du 11 septembre ont été l’occasion idéale pour Bush de résilier unilatéralement le traité en décembre 2001. La résiliation est entrée en vigueur en juin 2002, après un délai de six mois.
    Quelle était la justification de la résiliation? «Today, our security environment is profoundly different. […] Russia is not an enemy, but in fact is increasingly allied with us on a growing number of critically important issues. […] Today, the United States and Russia face new threats to their security. Principal among these threats are weapons of mass destruction and their delivery means wielded by terrorists and rogue states.»5 («Aujourd’hui, notre environnement de sécurité est profondément différent. […] La Russie n’est pas un ennemi et s’allie de plus en plus avec nous sur un nombre croissant de questions d’importance critique. […] Aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie font face à de nouvelles menaces pour leur sécurité. Parmi ces menaces, les armes de destruction massive et leurs vecteurs, utilisés par les terroristes et les États voyous, sont les plus importantes.»)
    George W. Bush était passé maître dans l’art de la contre-vérité politique – et l’on se demande donc également, à la lecture de cette déclaration, comment les terroristes pourraient entrer en possession de missiles intercontinentaux. Où les installer? Et pour ce qu’il en est des «Etats voyous»?
    En 2001, le magazine Der Spiegel, dont la ligne éditoriale est résolument transatlantique, s’en est expliqué ainsi: «Pour le bien de la paix, Washington doit passer outre le traité ABM, qui a été élaboré ‹à une autre époque pour un autre ennemi›, a déclaré Bush à l’académie militaire Citadel. Washington devait protéger l’Amérique et ses amis contre toutes les formes de terrorisme, ‹y compris le terrorisme qui pourrait se manifester au travers d’un missile›.»6
    Le lecteur du Spiegel apprend tout de même que la classe politique de Washington n’était pas du tout d’accord sur cette question. Ainsi, le chef de la majorité démocrate au Sénat, Tom Daschle, aurait déclaré qu’il était contre le retrait de l’accord: «C’est une gifle pour de nombreuses personnes qui se sont engagées pendant des années, voire des décennies, pour le contrôle des armements».
    Qui étaient donc les cercles à l’origine de cette gifle? Le Spiegel en révèle ceci: «A Washington, la décision en faveur de la défense antimissile est considérée comme une victoire des forces entourant le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et son adjoint Paul Wolfowitz sur le secrétaire d’Etat plutôt modéré Colin Powell. Selon les milieux gouvernementaux, la conseillère à la sécurité de Bush, Condolezza Rice, avait d’abord voulu servir de médiatrice entre les deux parties, mais avait soutenu ensuite la position de Rumsfeld.»
  Souvenons-nous que Rumsfeld et Wolfowitz appartiennent au groupe des néoconservateurs, dont les représentants actuels comme Robert Kagan et Viktoria Nuland attisent le sentiment d’agressivité contre la Russie. Les néoconservateurs, comme l’affirment Norman Podhoretz et d’autres dans leur revue Commentary, ont toujours été contre l’Union soviétique et ensuite contre la Russie.
    Et comment la Russie a-t-elle réagi à ce renouvellement non dissimulé de la déclaration de guerre de Jimmy Carter et Ronald Reagan? Le Spiegel se tortille, mais finit tout de même par formuler: «Ces derniers mois, le président russe Vladimir Poutine avait menacé à plusieurs reprises de recourir au réarmement nucléaire si les Etats-Unis dénonçaient unilatéralement le traité ABM. Dernièrement, les dirigeants russes avaient toutefois fait preuve d’une nette complaisance dans les discussions avec Washington sur un désarmement des arsenaux nucléaires des deux pays.» Le lecteur ne comprend toutefois pas ce qui justifie cette dernière phrase, surtout si l’on considère que le président américain Trump a ensuite résilié le traité INF en 2019.

Assemblée générale de l’ONU 1999:
la dénonciation du traité ABM est
une menace pour la paix mondiale

Si l’on veut mieux comprendre l’histoire, il faut consulter le plus grand nombre possible d’analyses et de points de vue. Il est donc important d’écouter également la partie russe. La parole soit donc donnée à un journaliste de RT Deutsch – un site web qui a été interdit dans l’UE. Une gifle pour tout historien! Dans ce contexte, Leo Ensel rappelle qu’au début de l’année 1999, Bill Clinton avait déjà fait adopter le «National Missile Defence Act», qui visait à mettre en place une défense antimissile nationale allégée, contournant ainsi l’accord ABM. Et que s’est-il passé? L’Assemblée générale des Nations unies a reconnu le caractère explosif de la situation et a adopté en décembre 1999 une résolution demandant aux Etats-Unis d’abandonner ces plans. Et qui a voté contre? Avec les Etats-Unis, seuls Israël, l’Albanie et la Micronésie ont dit non. La communauté internationale avait ainsi clairement fait savoir que l’abrogation ou le contournement du traité ABM constituait une menace mortelle pour la paix mondiale, car il rendait à nouveau possible la conduite d’une guerre nucléaire!
    La réaction de la Russie s’est traduite dans le retrait de l’accord START II. START II interdisait les missiles intercontinentaux terrestres à têtes multiples, particulièrement adaptés pour surmonter les systèmes de défense antimissile. Tout ce qui avait été laborieusement mis en place depuis 1972 semblait ainsi perdu!
    Leo Ensel commente ce processus en ces termes: «Il s’en est suivi une guerre des nerfs de près de vingt ans autour du système de défense antimissile américain Aegis, prétendument dirigé contre les missiles iraniens en vol, avec deux modules situés directement à la porte de la Russie, dans le cadre de laquelle les Etats-Unis ont toujours mis la Russie – comme la plupart des partenaires européens de l’OTAN – devant le fait accompli et ont délibérément ignoré les craintes de la Russie en matière de menace et toutes les propositions de compromis de Moscou. Entre-temps, les modules décisifs de Devesulu (Roumanie) et de Słupsk-Redzikowo (Pologne) sont opérationnels. Le système Aegis, purement défensif selon les données officielles occidentales, peut être transformé en système offensif – l’entreprise d’armement Lockheed Martin en fait la publicité sans gêne – uniquement en modifiant le logiciel; ses rampes de lancement Mk 41 VLS peuvent également actionner des missiles de croisière Tomahawk, c’est-à-dire des armes offensives. Bref, des modules de ce système, sur lequel les Etats-Unis travaillent depuis plus de deux décennies, auraient violé le traité INF il y a seulement un an et demi, alors qu’il existait encore!» Le traité INF, valable de 1987 à 2019, devait, en résumé, permettre d’éviter le champ de bataille nucléaire en Europe, notamment en RDA et en RFA. Wikipedia définit ainsi: «Le traité INF (en anglais – Intermediate Range Nuclear Forces Treaty) désigne un ensemble de traités et d’accords bilatéraux entre les Etats-Unis et l’URSS/Russie concernant la destruction de tous les missiles terrestres/à portée intermédiaire et courte (entre 500 et 5 500 kilomètres). Le traité a été signé le 8 décembre 1987 lors du sommet de Washington et est entré en vigueur après ratification le 1er juin 1988 lors du sommet de Moscou. Il a été conclu pour une durée indéterminée, mais est abrogé depuis le 2 août 2019.»7
    Sans le traité ABM et le traité INF, le monde se trouve à nouveau à un point que nous pensions avoir dépassé en 1972, à savoir le début d’une phase de réarmement nucléaire afin de conserver, selon la logique nucléaire, la capacité de seconde frappe. Et c’est ainsi que l’on peut mieux situer les déclarations de Vladimir Poutine lorsque, le 1er mars 2018, à la fin de son discours annuel sur l’état de l’Union, il a annoncé au monde que la Russie disposait désormais de nouveaux systèmes d’armes, tels que des missiles hypersoniques non balistiques d’une vitesse pouvant atteindre Mach-20 et des missiles de croisière à propulsion nucléaire, contre lesquels les systèmes de défense occidentaux étaient impuissants. Un deuxième choc du Spoutnik pour l’Occident, comme le pense Leo Ensel?
    On peut tourner les choses comme on veut: nous vivons une phase de deuxième guerre froide qui peut à tout moment déboucher sur un enfer nucléaire. A la question de savoir quand la nouvelle course aux armements a commencé – il est indéniable qu’elle a commencé – les réponses de l’Est et de l’Ouest sont différentes: c’est Poutine, entend-on dans le récit occidental, tandis que Poutine est convaincu: «Avec la résiliation américaine du traité ABM!»8

Conseil de paix américain:
appel au cessez-le-feu – critique de l’OTAN et des Etats-Unis

Ce tour d’horizon d’un monde épris de folie, celui des armes nucléaires et de leur logique innée, se termine par l’appel du Conseil de paix américain.9 Oui, cela existe aussi aux Etats-Unis – des voix réfléchies qui veulent préserver le monde d’une guerre nucléaire et connaissant leurs interlocuteurs au Département d’Etat qui, plus qu’au Pentagone, étayaient leur planification depuis 1945 par l’utilisation d’armes nucléaires.
    Ledit conseil de paix américain fait remarquer: «Si l’OTAN parvenait à s’étendre jusqu’à la frontière russo-ukrainienne, cela créerait un monde infernal et conduirait à une éventuelle guerre nucléaire. N’oublions pas que l’histoire ne s’arrêterait pas là et que la Biélorussie pourrait être la prochaine cible. C’est pourquoi le mouvement pour la paix doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l’Ukraine reste neutre et que les Etats-Unis/l’OTAN reconnaissent cette neutralité.» Evaluant les responsabilités, il dit: «Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN n’ont pas seulement provoqué cette tragédie, ils tentent de la prolonger en refusant d’entrer en négociation pour un cessez-le-feu. Certes, personne ne gagne dans une guerre, mais ce sont les Etats-Unis qui ont le plus gagné: la poursuite de l’unification de l’OTAN sous la domination américaine, la réduction de la concurrence économique russe sur le marché européen de l’énergie, la justification de l’augmentation du budget de guerre américain et la facilitation de la vente de matériel de guerre aux vassaux de l’OTAN. Une Europe qui reste divisée entre l’UE/le Royaume-Uni et la Russie ne profite à personne, sauf aux Etats-Unis impérialistes.» Pour ensuite revendiquer:

«1. un cessez-le-feu immédiat et l’envoi d’aide humanitaire en Ukraine, y compris dans les républiques autoproclamées indépendantes.
2. reconnaissance de la neutralité de l’Ukraine.
3. retrait des forces armées, des armes et des équipements étrangers – y compris les mercenaires – d’Ukraine.
4. Reprise des négociations sur une solution durable aux conflits internes en Ukraine, avec la participation de toutes les parties concernées.

Conseil de paix des Etats-Unis,
24 mars 2022»

Un appel auquel on ne peut qu’adhérer, même du point de vue européen, prochain champ de bataille nucléaire puisque la protection du traité ABM et du traité INF a disparu. Le conflit doit-il donc être effectivement résolu militairement, comme l’exige Josep Borrell – Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, déjà condamné une fois par la justice pour délit d’initié?10 S’installerait-il alors en Californie? Ou sur Mars, lorsque les premiers missiles nucléaires frapperont la Pologne et la République tchèque, comme l’a annoncé Poutine? C’est là que se trouvent les batteries de défense ou d’attaque antimissile des Etats-Unis. Et les sites de bombes nucléaires des Etats-Unis en Allemagne, dans le sud de l’Italie etc. seraient-elles également des cibles pour les missiles nucléaires russes. Où viseraient-ils les missiles nucléaires américains? Vers l’est de l’Ukraine? Ou vers la Russie?
    Politiciens, faites les militaires vous dire ce que signifie une guerre nucléaire. Il paraît que des cercles importants au Pentagone s’opposent aux plans des blanc-becs militaires néoconservateurs et des bellicistes. Vivement que les militaires réfléchis s’y imposent face à des politiciens qui suivent le flot. •


1https://www.faz.net/aktuell/gesellschaft/menschen/die-weltuntergangsuhr-und-putins-angriff-17834025.html 
2Coulmas, Florian. Hiroshima. ISBN 978-3-406-58791-7, Munich 2010; Johnstone, Paul H.; Johnstone, Diana. From Mad to Madness: Inside Pentagon Nuclear War Planning. Atlanta 2017. ISBN 978-0-9972870-9-7.
3https://de.wikipedia.org/wiki/Gleichgewicht_des_Schreckens#Abkehr_von_der_MAD-Doktrin 
4https://programm.ard de/?sendung=2872414477346630 
5Announcement of Withdrawal from the Abm Treaty. – Communiqué de presse de la Maison Blanche du 13/12/2001; https://georgewbushwhitehouse.archives.gov/news/releases/2001/12/20011213-2.html 
6https://www.spiegel.de/politik/ausland/raketenabwehr-usa-kuendigen-abm-vertrag-a-172585.html 
7https://de.wikipedia.org/wiki/INF-Vertrag 
8https://de.rt.com/opinion/leo-ensel/128380-startschuss-zum-wettrusten-usa-kuendigen-abm-vertrag/ 
9https://uspeacecouncil.org/u-s-peace-council-statement-on-russias-military-intervention-in-ukraine/ 
10https://de.wikipedia.org/wiki/Josep_Borrell 

 

 

Les Etats-Unis sapent les traités sur le désarmement et rejettent les propositions de la Russie

Sergueï Lavrov: «Aujourd’hui, il reste peu de règles. Nous avons le New START – le traité de réduction des armes stratégiques nucléaires [entre les Etats-Unis et la Russie]. [...]
    En même temps, les autres instruments de contrôle des armements et de non-prolifération ont été détruits. Le traité ABM, qui limite les sys- tèmes de défense antimissile, et le traité FNI – le Traité sur les forces nucléaires à portée intermé- diaire – n’existent plus. Les Etats-Unis ont rejeté notre proposition d’introduire un moratoire mutuel, même si nous avons proposé de conve- nir de mécanismes de vérification dans le cadre de cette proposition. La principale objection de l’Occident est qu’il n’a pas «confiance» dans le fait que le système Iskander à Kaliningrad ne violera pas les termes du traité FNI. Guidés par le principe de réciprocité, nous leur avons pro- posé de visiter Kaliningrad, tandis que nous visiterions les bases américaines de défense anti- missile en Pologne et en Roumanie. Il s’agissait d’une proposition honnête, mais ils l’ont refu- sée. Le traité «Ciel ouvert» a également fait son temps. Il n’existe plus.
    Le New START est le seul traité de contrôle des armements encore en vigueur. [...]
    Les Etats-Unis ont annulé presque tous les contacts face à ce que nous avons été contraints de défendre les Russes en Ukraine. Ces gens ont vécu sous des bombardements constants pendant huit ans, sans aucune réponse de l’Occident. Tout ce que l’Occident a fait, c’est encourager les actions russophobes et néo- nazies du régime de Kiev. L’Ukraine a adopté des lois bannissant la langue russe de tous les domaines de la vie: l’éducation, les médias et la communication quotidienne, tout en encoura- geant les théories et pratiques néonazies.
    Pour en revenir aux règles, il s’agit d’un mot à la mode que les Etats-Unis et leurs alliés utilisent lorsqu’ils exhortent tout le monde de bien se comporter. Ils insistent désormais sur le respect de l’ordre fondé sur des règles plutôt que sur le droit international. Cependant aucune descrip- tion de ces règles n’est disponible.»

Source: Interview avec le Ministre des Affaires étran- gères, Sergueï Lavrov dans l’émission débat The Great Game sur Canal 1,
Moscou, du 25 avril 2022

 

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