A l’est du Congo, les crimes de guerre sont devenues monnaie courante - Le silence régnant sape l’autorité de l’ONU et encourage les acteurs des crimes

par Stanislas Bucyalimwe Mararo

Les territoires marqués désignent les rayons dans lesquels opèrent les divers groupes armés irréguliers – à part, ensemble avec, ou à l’encontre des factions d’armées régulières. Tout en cachant souvent leurs identités et leurs véritables buts, leurs comportements sont identiques: semer la terreur parmi les populations autochtones au point que des contrées entières se dépeuplent (pk.) 
(carte: http://www.irenees.net/bdf_fiche-pays-1_es.html ).

En date du 10 juin 2021, un nouveau rapport du Groupe d’Experts des Nations-Unies (S/2021/560)1 expose en des termes on ne peut plus clairs le calvaire que certaines populations de la RD Congo continuent à endurer suite à la guerre et à l’exploitation illégale des ressources, et ce malgré la présence de plus de 20 000 agents onusiens dits de maintien de la paix.

 

Ces mots qui ouvrent ledit rapport en disent long: «La population civile a continué de subir une violence perpétuelle dans l’est de la République démocratique du Congo et a manifesté son désespoir, en partie par des émeutes et des manifestations, contre la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), la communauté internationale et les autorités congolaises, notamment depuis mars 2021. Des groupes armés ont continué d’opérer pratiquement en toute impunité dans l’est de la République démocratique du Congo durant la période considérée».
    Ce sont les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu qui ont fait l’objet d’enquête; les deux premières sont soumises à l’état de siège depuis le 6 mai 2021. Mais, six mois après, la situation n’a fait que s’empirer et le nombre des massacres a continué à grimper: «Des dérapages, des violations des droits de l’Homme, de la corruption .... Ce sont les mots employés pour qualifier l’état de siège à l’est de la RDC et cette fois, ils viennent des députés congolais. La commission Défense et sécurité de l’Assemblée nationale vient de rendre un rapport accablant».2 Malgré les dénonciations de son bilan désastreux par plusieurs organisations et certains députés originaires de ces deux provinces – et ce récent et premier rapport parlementaire leur donne raison – Kinshasa reste insensible. C’est pour dire que l’Exécutif a abdiqué ses responsabilités et que le Parlement ne fait aucune pression sur lui. En réalité, il se contente du statu quo, en faisant ainsi preuve de complicité face au drame de l’Est du pays. Car, les quelques rares interpellations pathétiques de certains députés originaires de l’Est restent inaudibles ou ne suscitent aucun intérêt évident dans l’Hémicycle. En fait, et ceci vient de certains députés frustrés par l’immobilisme du Parlement, celui-ci est plein d’individus qui sont sous la coupe de Joseph Kabila (Mabunda et Tambwe Mwamba) ou sous celle de «son» président Félix Tshisekedi (Mboso et Bahati Lukwebo). Leur rôle est d’exécuter les instructions de ces derniers et non pas d’assurer un bon travail de législation et de contrôle parlementaire.
    Les acteurs mis en cause par ledit Groupe d’experts sont les suivants: les groupes armés tels le Front de résistance patriotique de l’Ituri/FRPI, la Coopérative pour le développement du Congo/CODECO, la Force patriotique et intégrationniste du Congo/FPIC en Iturri et dans les territoires d’Irumu et de Djugu; la Nduma défense du Congo Rénové/NDC-R et le Collectif des mouvements pour le changement/CMC dans les territoires de Masisi, de Rutshuru, de Walikale et dans le sud de Lubero; les Allied Democratic Forces/ ADF à Beni; les groupes Maï-Maï dont les Maï-Maï Yakutumba et Maï-Maï Apa Na Pale, Gumino, Twirwaneho, RED-Tabara, et le Front national de libération/FNL dans les Hauts-Plateaux des territoires de Fizi, d’Uvira et de Mwenga; ainsi que les Forces Armées de la République Démocratique du Congo/FARDC. Le rapport met en évidence leurs affrontements, les massacres des civils et les déplacements massifs et fréquents des populations (désertion des villages et concentration dans des camps de déplacés ou, mieux, des centres de concentration qui ne disent pas leurs noms); ainsi que leurs implications dans le trafic d’armes, des minerais (cassitérite, coltan, étain, tungstène, tantale, or, diamant, etc.) et du cacao.

Sérieux défauts

Mais, ce groupe d’experts semble avoir passé sous silence les rôles néfastes des armées ougandaise, rwandaise, sud-soudanaise, et burundaise qui, pourtant, sont présentes sur le terrain pour leurs business. Dans ces conditions, l’insécurité générale régnante est présentée comme une affaire locale; ses dimensions nationale, régionale et internationale sont délibérément éludées. Et ce face au fait que le gouvernement congolais vient de faire appel au Rwanda et à l’Ouganda pour aider la RDC «à mettre fin à l’insécurité» alors que ce sont eux qui en sont à la base et qui l’entretiennent, circonstance qui dépasse tout entendement.3 Outre la confirmation de l’impuissance de l’armée rd-congolaise ou, mieux, du gouvernement de Kinshasa (un aveu de son échec, de son inutilité), cette démarche tend à donner l’impression que ces deux pays agresseurs et la RDC auraient les mêmes intérêts. Ce qui est aberrant. Il suffit de rappeler les faits. Enfin, les troupes rwandaises et ougandaises n’ont jamais quitté la RDC malgré la mise en application de l’Accord global et inclusif/AGI de Pretoria, datant du 17 décembre 2002, et l’entrée dans une phase de soi-disant post-conflit. Dès lors, autoriser un nouveau déploiement des troupes rwandaises et ougandaises, c’est en fait accroître leur nombre sur l’espace convoité par les deux pays. On revient donc avec force à la situation qui prévalait aux temps glorieux du RCD (janvier 1999 – juin 2003), à triste mémoire de tout patriote congolais, où l’Est était divisé en deux zones d’influence, l’une rwandaise, l’autre-ougandaise, le point de démarcation étant Kanyabayonga (l’Ouganda contrôlant le Grand Nord ou l’espace Nande et l’Ituri, tandis que le Rwanda s’arrogea le contrôle du reste du Nord-Kivu ainsi que du Sud-Kivu).

Machinations à consolider
l’emprise étrangère sur l’Est du Congo

C’est ce que le récent renforcement de la militarisation est en train de consolider car il est impensable que les petits groupes armés rwandais (FDLR-FOCA) et ougandais (ADF, LRA, NALU) puissent être épinglés comme les principales sources de l’insécurité à l’Est du pays susceptibles de constituer une menace pour les régimes dictatoriaux de Paul Kagame et de Yoweri Kaguta Museveni. Du reste, ces groupuscules-ci n’ont jamais fait des incursions au Rwanda et en Ouganda depuis 1999 car ce sont les armées rwandaise et ougandaise qui font la loi (grâce à leurs brigades autonomes et à leurs milices supplétives) à l’Est et c’est leurs hommes qui sont au pouvoir à Kinshasa.
    Quant à l’ADF, qui s’est fait un renom particulièrement redoutable parmi les populations du Nord-Kivu, il faut retenir ceci:
    Sous ce nom se cachent en effet les militaires rwandais, mais ces derniers temps certaines factions des FDLR aussi, comme l’extrait suivant d’un rapport actuel témoigne en ces termes: «La campagne de bombardements aériens et de tirs de l’artillerie au sol, menée de façon surprise dans la nuit du 30 novembre 2021, a infligé de lourdes pertes aux forces rwandaises (RDF) qui opéraient de manière cachée dans les zones frontalières de Beni et de l’lIturi sous le masque des ADF ... Dans les périmètres de Nobili, Kamango et de Semliki, la quasi-totalité de ces infrastructures ‹ADF› mises en place par le Rwanda ont été détruites. Les survivants des bombardements et les blessés ont été récupérés par les militaires ougandais dont ils ont obtenu abondamment de renseignements au fil des interrogatoires. Les blessés ont été soignés dans les hôpitaux sous le contrôle des UPDF en Ouganda et continuent de fournir de précieux renseignements. […] Blessé dans son orgueil par la destruction de ses bases qu’il a mis un temps à consolider dans les maquis de Beni et en Ituri, Paul Kagame compte se venger des Ougandas en lançant des vagues d’attentats terroristes dans l’est du Congo. Le journal ougandais affirme que le Rwanda recrute des bandes des FDLR pro-Kagame pour lancer des attaques contre l’armée ougandaise»4 (soulignements de l’auteur). Kinshasa (Joseph Kabila et Félix Tshisekedi en tête), AFRICOM, la MONUSCO et certains de l’élite nande (les Antipas Mbusa Nyamwisi, Julien Paluku Kahongya et autres membres du PPRD qui ont des accointances avec Kigali) devraient être au courant de ces activités de l’armée rwandaise dans cette partie troublée du pays.
    Mais tous ces groupuscules, que représentent-ils vraiment pour défier les FARDC (armée congolaise), la MONUSCO (mission ONU au Congo), l’AFRICOM (Commandement de Etats-Unis pour l’Afrique), les troupes rwandaises et ougandaises et pour justifier le récent renfort de ces dernières et l’appel aux troupes kényanes? Rien! Pourquoi cet appel alors que Félix Tshisekedi Tshilombo et ses sbires ne cessent de dire que l’état de siège a porté des fruits? Ces minuscules groupes armés étrangers sont plutôt un prétexte pour justifier les interventions de Kigali, de Kampala et des multinationales et l’occupation territoriale en RDC; avec au sommet de l’état congolais un Félix Tshisekedi Tshilombo qui ment comme il respire au peuple congolais. De plus, tout le monde, y compris le Conseil de sécurité, sait que ce sont l’Ouganda et le Rwanda qui financent et arment les groupes armés suivants, pour ne citer que quelques-uns: la CODECO, la URDPC, le FPIC, la CMC, les ADF, le M23, la NDC, la NDC-R, la Raïa Mutomboki, CNPSC, Gumino, Twigwaneho, RED-Tabara, et FNL. Vont-ils cesser de le faire dans cette nouvelle donne? Non, ne soyons pas naïfs, car ce sont leurs autres cartes favorites sur le terrain dans un jeu que contrôlent les puissances régionales et internationales, notamment les Etats Unies (voir carte).
    Concernant les véritables acteurs du drame, Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda (et voix éminente de désigner du doigt les crimes du régime Kagamé), vient de donner une information hallucinante: 250 prisonniers auraient été extraits dans la nuit, de la prison de Cyangugu et envoyés au Nord-Kivu pour gonfler les rangs des ADF. Et d’ajouter que ce genre d’opérations se fait régulièrement avant de conclure que les ADF sont l’extension de l’armée rwandaise en RDC.5 Que cela se fasse pendant l’état de siège est une preuve que Félix Tshisekedi en est informé. Aussi, selon certains témoignages, le FPR enlève les détenus des prisons du Rwanda et les conduit en RDC pour, une fois sur le terrain, les tuer et ensuite rapporter que de ces tués, il s’agirait des militants FDLR6 Ceci est d’autant plus vraisemblable que les dividendes que certains de ces groupes tirent du trafic illégal des minerais ne suffisent pas pour se procurer toutes les munitions dont ils ont besoin7. Ne sont-ils pas en même temps des sous-traitants de ces deux pays voisins et des multinationales occidentales? 

Descente aux enfers continuelles?

Face à cet imbroglio, les Congolais suivent médusés la descente aux enfers de leur pays; ils se sentent abandonnés par leurs dirigeants et la fameuse communauté internationale. Au contraire, Kinshasa et la MONUSCO se renvoient souvent la balle: l’un impliquant l’autre dans l’incapacité à faire sa part dans la restauration de la paix et la protection des populations civiles. Comme pour se laver les mains, la représentante de la MONUSCO souligne ce qui suit: «Les défis auxquels le Gouvernement est confronté dans la mise en œuvre de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu mettent en exergue les limites d’une approche strictement militaire à la protection des civils et la neutralisation des groupes armés›, a déclaré MmeBintou Keita dans un exposé lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la situation en RDC. Elle a noté que la période de l’état de siège, décidé en mai dernier, a vu en effet une augmentation de 10 % du nombre de violations et abus des droits de l’homme dans le pays, comparée à la période précédente, attribuables dans la grande majorité aux groupes armés et aux forces de sécurité dans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. «Une solution durable à la violence à l’est de la RDC nécessite un engagement politique plus large pour s’attaquer aux causes profondes des conflits. Afin que la stabilité revienne à l’est du Congo, l’Etat doit réussir à restaurer et à maintenir la confiance de la population en sa capacité à protéger, administrer, exercer la justice et répondre à ses besoins essentiels», a dit l’envoyée de l’ONU8.

Toutes ces souffrances
pour imposer le partage du Congo?

Or, beaucoup de Congolais et d’observateurs honnêtes estiment que la raison d’être de la MONUSCO se résume à faire avancer les intérêts de l’Occident/USA et de leurs Etats-clients du Rwanda et de l’Ouganda: «En République démocratique du Congo, les priorités stratégiques de la MONUSCO ne sont pas d’assurer la protection ni de contenir et vaincre ‹la menace d’actes terroristes de l’ADF/ NALU’ dans l’Est du pays», comme l’avait souligné le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres; plutôt, la MONUSCO avait un rôle très important à jouer en RDC depuis 2006, celui qui consistait dans «une garantie sécuritaire pour les Tutsis au Nord-Kivu» (soulignement de l’auteur). Les Nations Unies et la communauté internationale dans son ensemble ont décidé de soutenir le Rwanda et non pas les forces patriotiques congolaises, les communautés locales et les acteurs de la société civile dans la lutte contre l’insécurité à l’Est du Congo Kinshasa. Le soutien de Washington à l’accord stratégique «Tripartite Plus Un» à l’instigation de Washington (il a été instituée une réunion tripartite comprenant le Burundi, la République Démocratique du Congo et le Rwanda jusqu’à s’élargir à l’Ouganda et devenir ainsi quadripartite, alliance que l’on appelle parfois «Tripartite plus un»). L’objectif de la réunion tripartite plus un aurait consisté à assurer la «sécurité collective». Si l’on en croit la presse internationale, notamment le «Tageszeitung» allemand daté du samedi 3 novembre 2007, le schéma américain aurait compris plusieurs propositions que les diplomates de Washington, se relayant dans la sous-région des Grands-Lacs africains, ont fait passer auprès de tous leurs interlocuteurs. L’une, parmi ces propositions données, et non pas la moindre, c’est que la «présence américaine [dans l’Est du Congo] constituerait une garantie pour la sécurité des Tutsis au Nord-Kivu». Il s’agirait donc à garantir la sécurité à un groupe seulement, celui des Tutsis du Nord-Kivu. En fait, une façon élégante de donner un «statut spécial à cette communauté et donc de la dresser contre les autres ethnies du Congo-Kinshasa».9 (soulignements de l’auteur)
    Ainsi, les Congolais ne savent pas à quel saint se vouer. Se prendre en charge, oui. Mais encore faut-il qu’émerge des leaders de bonne moralité et assez responsables pour porter haut le flambeau de la libération du pays, en dépit des dirigeants illégitimes actuels qui ne manifestent aucun amour pour le pays. •

1V. Rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 10 juin 2021. Mission de l’Organisation des Nations Unie pour la stabilisation en République démocratique du Congo.https://www.undocs.org/fr/S/2021/560; 
2V. RD Congo; rapport accablant sur l’état de siège. TV5 Monde, 31/10/2021.
3«Le président congolais Félix Tshisekedi a autorisé, le 29 novembre 2021, l’armée ougandaise à traverser la frontière pour combattre ce groupe (les ADF/Allied Democratic Forces) responsable de massacres dans l’est du pays […] Cette autorisation n’est pas vue d’un bon œil par tous les Congolais, certains pointant du doigt le rôle joué par les voisins ougandais et rwandais dans la déstabilisation de l’est de la RDC depuis près de trente ans.» Ds: L’armée ougandaise procède à des frappes aériennes sur des positions ADF en RDC, France 24, 30/11/2021. Pire encore, Félix Tshisekedi Tshilombo a aussi autorisé la police rwandaise de se déployer à Goma au moment où la Compagnie RwandaAir a fait de l’aéroport de Goma le point-pivot de ses vols internationaux. (V. Analyse du 16 décembre 2021: Police Rwandaise à Goma, la souveraineté de la RdCongo bafouée?. https://www.youtube.com/watch?v=Tax3mD8SPdA. )
4Pascal Masumbko, SOS: RDC/Ouganda/Rwanda. Les ingrédients d’une guerre froide Kampala-Kigali.https://benilubero.com/s-o-s-rdc-ouganda-rwanda-les-ingredients-dune-guerre-froide-kampala-kigali/ 
5(v.Amb. JMV Ndagijimana. Incursion RDF en RDC. Vague d’arrestations. Paul Kagame a peur et intensifie les crimes, 20/10/2021, sur https://www.youtube.com/watch?v=4rw9LbZeVZg. )
6Iryavuzwe riratashye – RPF mu marembera, Isinijuru tv, 15 décembre 2021», https://www.youtube.com/watch?v=6Pug_P7qPZk. 
7Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo (S/2019/469). New York 16/06/2019
8Le retour de la stabilité dans l’est de la RDC nécessite de restaureer la confiance de la population, déclare l’envoyée de l’ONU. ONU-Info, 06/12/21
9V. Partage RDC. La MONUSCO, une garantie sécuritaire pour les Tutsi au Nord-Kivu. ds: La Prunelle RDC, 27/12/2021. Pour plus de détails lire: Bucyalimwe Mararo Stanislas. Prévention du génocide des Tutsi en RDC: une politique très dangereuse, dans: Masisi et Rutshuru dans la dynamique nationale et régionale (1993–2009). Editions Universitaires Européennes, 2009. 
(Traduction Horizon et débats)

pk. Elevé comme fils de paysan dans les collines du Nord-Kivu (République Démocratique du Congo), Stanislas Bucyalimwe Mararo a surmonté, à l’époque de Mobutu, tous les ob-stacles d’une carrière universitaire alors extrêmement difficile, interrompue, après l’obtention de son diplôme, par des semestres de doctorat et de post-doctorat dans des universités américaines. Pendant ses longues années d’enseignement dans différents instituts universitaires du Kivu, Stanislas Bucyalimwe Mararo a poursuivi ses recherches sur le thème auquel il avait déjà consacré sa thèse: les influences néfastes des intérêts étrangers sur sa patrie. Son langage clair lui a valu une opposition de plus en plus audacieuse. Lorsqu’à l’automne 1996, les hordes de mercenaires de l’AFDL, qui répandaient le meurtre et l’assassinat sous l’égide de Laurent Desiré Kabila, s’emparent d’abord de Goma, puis de Bukavu, et mettent délibérément les Patriotes congolais en garde à vue ou les tuent immédiatement en pleine rue (comme le courageux archevêque Christophe Munzihirwa, vénéré par le peuple du Kivu), la situation se dégrade. Bucyalimwe a été informé que son nom figurait en deuxième position (à côté de celui de l’archevêque) sur leurs listes de personnes à tuer. S’ensuivirent six mois de clandestinité à Bukavu, occupée par l’AFDL, puis une longue fuite qui le mena finalement à Anvers, où il se construisit une seconde existence scientifique à l’Institut de recherche de la région des Grands Lacs africains (Université d’Anvers). De nombreuses études, rapports de recherche et analyses témoignent l’envergure de ses publications, désormais respectées dans le monde entier (mais aussi craintes par ses adversaires), ciblées sur l’état actuel des souffrances de sa patrie et leurs racines historiques et actuelles.

 

Un langage sobre – réalité intolérable, y remédier reste urgent

Même si de telles choses ont du mal à pénétrer dans nos consciences, notamment en raison de la focalisation actuelle sur un seul théâtre de guerre (dans notre monde qui râle face à d’innombrables champs de batailles ensanglantés qui ne connaissent aucune couverture des grands médias occidentaux), un nouveau rapport d’experts de l’ONU sur la situation désespérée de la population civile dans l’Est du Congo, ravagé par la guerre, a été publié. Ce dernier a été ordonné par le Conseil de sécurité, rédigé par des experts de bonne foi et délivré dans les délais imposés. Dans un langage sobre et objectif, il dresse la liste du calvaire auquel sont soumises les populations habitant cette région autrefois appelée le paradis sur terre et que l’on décrit aujourd’hui comme une contrée maudite, ce depuis maintenant près de trois décennies.
   Depuis maintenant 26 ans, les hommes, les femmes et les enfants sans défense sont livrés aux agissements révoltants d‘une soldatesque le plus souvent anonyme qui vole, tue, incendie, viole et torture pratiquement en permanence dans plusieurs des territoires mentionnés du rapport et ce en toute impunité, comme les auteurs du rapport le soulignent dès les premières phrases. Ces faits se déroulent sous le regard de la plus grande mission de l‘ONU jamais établie depuis les précaires accords de «paix» de Lusaka et Sun City (il y a maintenant presque 20 ans!), mission qui avait justement comme tâche primordiale de protéger la population civile de telles atrocités.
    Plus encore: le rapport réaffirme que ce sont des membres des troupes de l’ONU ainsi que des éléments de l’armée congolaise et de sa gendarmerie qui sont directement ou indirectement impliqués dans certaines de ces infamies. A cet égard, Stanislas Bucyalimwe Mararo insiste sur l’optique trop étroite de ce rapport. Bien qu’il soit désormais connu et attesté que les commanditaires, les profiteurs et les acteurs de ces atrocités apparemment sans fin se trouvent à la tête des gouvernements du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda (y compris dans les niveaux supérieurs et les cercles promouvant les réseaux d’armement occidental) et les orchestrent, ce rapport passe lui aussi à côté des véritables réalités et se contente d’énumérer, de manière sobre et statistique, les victimes humaines qu‘elles ont causées. Malgré cela, les gouvernements occidentaux continuent de dérouler le tapis rouge aux véritables coupables, notamment ceux qui prétendent haut et fort défendre les droits de l›homme menacés partout dans le monde.
    Combien de temps encore cette indolence et cette négligence active face aux souffrances réelles et amplement documentées, cet échec de tout droit face au triomphe du barbarisme, cette honte de l‘humanité vont-ils durer? Combien de rapports faut-il encore? Ils ne réduisent en rien le désespoir des populations concernées. Pour elles, il est devenu quotidien; tout comme le haussement d‘épaules à la lecture des quelques six ou dix lignes que dépensent nos grands médias dans leur zèle de préparer idéologiquement la nouvelle Grande guerre contre ceux qui n’adoptent pas les fausses promesses du néolibéralisme face aux événements ukrainiens. La folie de la suprématie des soi-disant puissances mondiales se fait sentir là aussi et perturbe les relations non violentes entre les peuples et les Etats, comme l‘a une fois de plus démontré de manière impressionnante le professeur Bucyalimwe lors de son intervention au congrès «Oui à l‘éthique» de l‘année passée (voir à ce sujet et sur le contexte politique mondial le supplément spécial de Horizons et débats, n° 25/26, 2021). Peter Küpfer

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