Les hommes et femmes politiques allemands parlent de paix ... mais comment agissent-ils en réalité?

par Karl-Jürgen Müller

Plusieurs milliers de personnes ont été victimes de la guerre en Ukraine au cours des huit dernières années, une nouvelle «défaite de l’humanité» en effet. Chaque jour d’avance sur celui où les armes se tairont sauve des vies humaines. Toutes les parties en présence devront donc œuvrer en direction d’un résultat positif rapide des négociations entre la Russie et l’Ukraine. Mais ils sont toujours nombreux à vitupérer contre cette guerre avec des intentions apparemment belliqueuses. C’est notamment le cas en Allemagne.

Actuellement chaque jour, nos médias abondent en textes et images sur la guerre en Ukraine. Abstraction faite de quelques médias Internet ou de petits journaux indépendants, on constate qu’il ne s’agit généralement guère d’informations en quête de la vérité ou même d’efforts en faveur de la paix, mais qu’il s’agit plutôt de présenter la politique russe – et en particulier son président – sous le pire jour possible tout en blanchissant l’action des Etats de l’OTAN.
    L’une des priorités consiste à accuser la Russie de violations flagrantes du droit international et du droit international humanitaire.1 Cela n’encourage que ceux dont le but est une poursuite manifeste d’escalade du conflit. Officiellement, le langage prône la paix tandis que l’OTAN et l’UE déclarent la guerre hybride à la Russie. De quoi s’agit-il? «La guerre hybride ou la conduite de la guerre hybride décrit l’application mixte et flexible de moyens de conflit réguliers et irréguliers, symétriques et asymétriques, militaires et non militaires, employés ouvertement et en camouflage, dans le but d’effacer entre les états le seuil de guerre et de paix, opposition que le droit international tente de distinguer.» C’est ce que dit Wikipedia, en décrivant ainsi exactement ce que font actuellement les pays de l’OTAN, les pays de l’UE, d’autres pays alliés aux Etats-Unis – et malheureusement même la Suisse. C’est jouer dangereusement (ce n’est pas un jeu!) avec le feu.
    Après ces remarques qui s’imposent face aux attitudes prévalant sur le plan international (au moins en Occident), celles qui suivent porteront sur l’Allemagne.

Pas de zones d’exclusion aérienne
ni de forces de maintien de la paix …

Le 23 mars Olaf Scholz, chancelier allemand, s’est longuement exprimé lors du débat au Bundestag sur le budget du chancelier et de la chancellerie fédérale. A cette occasion, il s’est exprimé de la sorte:
    «J’entends bien sûr les voix de ceux qui réclament une zone d’exclusion aérienne ou des forces de maintien de la paix de l’OTAN en Ukraine. Aussi difficile que cela puisse être, nous ne céderons pas à cela. En près de 80 ans d’histoire d’après-guerre, nous avons réussi à éviter l’inimaginable: une confrontation militaire directe entre notre alliance de défense occidentale, l’OTAN, et la Russie. Il faut en rester là. De nombreux citoyens sont très inquiets, car ils comprennent que c’est précisément ce qui se cache derrière des termes tels que ‹zone d’exclusion aérienne› et ‹forces de maintien de la paix›. Jour après jour, je reçois des centaines de lettres et de courriels inquiets. Partout où l’on parle avec les citoyens, on rencontre tôt ou tard la question suivante: y aura-t-il une guerre, même chez nous? A cette question, il n’y a qu’une seule réponse: L’OTAN ne sera aucunement belligérant. Nous sommes d’accord avec nos alliés européens et les Etats-Unis sur ce point. C’est un impératif de bon sens. Toute attitude divergente serait irresponsable.» Et le chancelier allemand d’y ajouter, un moment plus tard: «Nous poursuivrons toute tentative dans le but que la paix règne à nouveau sur notre continent.» Pour conclure en citant le dicton fameux de Willy Brandt: «Sans aboutir à la paix, tout est vain («… ohne Frieden ist alles nichts»).
    Jusque-là, tout va bien.

… mais qu’en est-il des livraisons d’armes
et de la guerre économique?

Le 7 février 2022, on pouvait encore lire sur la «Deutsche Welle» (DW), la chaîne publique allemande diffusant à l’étranger: «Le gouvernement fédéral rejette les demandes de livraison d’armes de l’Ukraine. Raison invoquée: par principe, l’Allemagne n’envoie pas d’armes de guerre dans les régions en crise.» (Souligné par km.) Or, le chancelier allemand vient d’affirmer, s’adressant directement et en public à Volodymyr Zelensky: «Monsieur le Président Zelensky, l’Ukraine peut compter sur notre aide. Depuis le début de la guerre, l’Allemagne fournit à l’Ukraine des armes blindées et antiaériennes, des équipements et des munitions. L’Union européenne fournit en outre un milliard d’euros d’aide militaire.» N’est-il pas très probable que les livraisons d’armes à l’Ukraine prolongent la guerre?
    Dans le discours du chancelier allemand du 23 mars 2022, on tombe sur le passage qui suit: «En collaboration avec nos partenaires internationaux, nous avons imposé des sanctions qui n’ont pas d’équivalent. Pendant des mois, nous les avons préparées dans les moindres détails pour qu’elles touchent les personnes ciblées, pour qu’elles soient efficaces. […] Et nous le voyons: les sanctions sont en effet une réussite. L’économie russe vacille, la bourse est en grande partie fermée, la monnaie s’est effondrée, les devises manquent, les entreprises étrangères quittent le pays par centaines. Mais ce n’est que le début. Beaucoup des conséquences les plus dures n’apparaîtront que dans les semaines à venir. Nous voilà donc dans un effort constant de rendre plus efficace encore l’impact de nos sanctions.» (Souligné par km.)
    Aujourd’hui, dans les pays de l’OTAN et chez ceux qui partagent les mêmes orientations, on parle en toute franchise de «guerre économique» contre la Russie. Est-ce donc cela qui servira la paix?

L’Allemagne face au réarmement massif

Au cours des cinq prochaines années, l’Allemagne veut débloquer 100 milliards d’euros de plus que prévu au budget de l’armement. Dans l’avenir, les dépenses destinées à l’armement seront durablement augmentées à plus de deux pour cent du produit national brut (PNB) (somme représentant pour l’année 2022, plus de 70 milliards d’euros au lieu des 50 milliards d’euros prévus jusqu’à présent, donc les dépenses de l’armement dépassent celles réservées à l’armement russe).
    Enfin et surtout: le dialogue entre les deux pays ainsi que les échanges culturels avec la Russie et les Russes ont été largement interrompus du côté allemand tandis que les contacts interpersonnels deviennent de plus en plus difficiles.
    
Comment peut-on sérieusement aspirer à la paix tout en menant, activement et en même temps une guerre hybride? Et ceci sans avoir été soi-même attaqué, sans avoir été menacé d’attaque, sans obligation d’alliance (à laquelle les membres de l’OTAN doivent se conformer)? C’est aussi pour cette raison que la rhétorique allemande actuelle sur le réarmement (martelant constamment «la Russie nous menace!») est tout sauf honnête.

La Yougoslavie et la Russie

Une fois déjà, en 1999, l’Allemagne a participé à une guerre d’agression contraire au droit international, celle de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie. A l’époque, la guerre d’agression fut étiquetée d’«intervention humanitaire». Parallèle significative: à l’époque également, aucun Etat membre de l’OTAN n’avait été menacé ou attaqué. Mais de graves crimes ont également été reprochés aux dirigeants politiques et militaires de la République fédérale de Yougoslavie. Le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque, Joseph Fischer (Les Verts) voulait «éviter un nouvel Auschwitz». Dans les étages directeurs des agences de relations publiques de l’OTAN, on a trinqué au champagne après le succès de ce genre de propagande.2 Il n’en reste pas moins que la Russie d’aujourd’hui est capable de se défendre bien mieux que la République fédérale de Yougoslavie de l’époque. Est-ce là, la raison pour laquelle les bombes de l’OTAN ne sont pas encore tombées sur Moscou comme sur Belgrade en 1999?
    Depuis 2007 (discours du président Vladimir Poutine devant la conférence de Munich sur la sécurité), la Russie n’a cessé de présenter et de justifier ses exigences de sûreté les ayant concrétisé par deux projets d’accord datant de la mi-décembre 2021. La Russie les estime toujours essentiels et sollicite une réponse sérieuse insistant sur ce qu’il faut accéder à un degré de sécurité équitable pour tous les Etats européens. Ces exigences sont toujours d’actualité du point de vue de la Russie et ne sont absurdes que du point de vue restreint des pays de l’OTAN. Du moins, c’est ainsi que les Etats-Unis et les pays de l’OTAN ont réagi jusqu’à présent aux propositions et exigences russes.

La guerre économique va de pair
avec la guerre de propagande

Nous avons expliqué à maintes reprises dans Horizons et débats que les sanctions unilatérales sont contraires au droit international et aux droits de l’homme.3 D’autres droits fondamentaux ne sont pas respectés non plus. Cela va de l’atteinte aux propriétés des citoyens russes jusqu’au droit à la liberté d’expression. C’est en Occident, chez nous donc, que les citoyens contredisant le rouleau compresseur de la propagande alignée sur les cercles bellicistes sont cloués au pilori. Il est profondément indigne de voir comment beaucoup cèdent désormais à la pression en faisant leur révérence en public devant la politique de guerre occidentale.
    Le 16 mars, le Redaktionsnetzwerk Deutschland (rnd) titrait: «Ne croyez pas vos yeux! Au milieu de la guerre des images qui déferle, tout est possible.» Plus loin, il y est dit: «Jamais auparavant, une guerre moderne n’a produit un tel flot d’images invérifiables.» On ne peut qu’à y consentir. C’est pourtant au paragraphe suivant où ce réseau rédactionnel se démasque, en disant: «La perfection technique avec laquelle la propagande du Kremlin, par exemple, conçoit et diffuse en masse depuis des années des contes d’images utiles pour influencer, dans le sens de Poutine, l’opinion publique à l’intérieur et à l’extérieur, a atteint, selon les conclusions des experts occidentaux, un nouveau niveau d’escalade.» (Souligné par km.) Et cela continue dans ce style partisan et accusateur jusqu’à la fin de l’article. Qui sont-ils, ces experts? Par exemple le directeur du portail en ligne «tagesschau.de. faktenfinder», qui est en outre «chef du département d’investigation». Eh bien, alors, tout ce qui en découle doit donc être incontestablement vrai…

Quel «changement d’époque»?

Qu’est-ce que ce «changement d’époque» dont parle le gouvernement allemand depuis fin février? Et que faut-il entendre par là lorsqu’un quotidien suisse titre, précisément le 25 février 2022, sur la une: «La fin du vieux monde a commencé»? Nous connaissons ce vocabulaire depuis les jours et les semaines qui ont suivi le 11 septembre 2001. Il s’en est suivi cette interminable «guerre contre la terreur» qui a plongé l’Afghanistan, le Proche-Orient et certaines parties de l’Afrique dans le chaos et dont ces régions du monde n’ont toujours pas réussi à s’en remettre.
    
Aujourd’hui, aux rangs des forces armées ukrainiennes, se battent des russophobes racistes. Avec de l’«aide» allemande? Avec des armes allemandes? La guerre de l’Allemagne nazie contre l’Union soviétique était une guerre d’extermination à motivation raciste contre les «sous-hommes slaves» (l’idéologue raciste nazi Alfred Rosenberg avait repris ce terme de «sous-homme» de l’anthropologue, idéologue racial et eugéniste américain Lothrop Stoddard). Que pensent les Allemands d’aujourd’hui lorsqu’ils réfléchissent à cette question? Acceptent-ils que le chancelier allemand qualifie de «ridicule» le constat russe selon lequel un génocide vient d’être perpétré contre la population d’origine russe dans l’est de l’Ukraine, lors de la «Conférence sur la sécurité» des pays de l’OTAN à Munich, tenue de manière extrêmement agressive, le week-end précédant le 24 février?
    L’ancien président allemand Joachim Gauck avait déclaré, lors d’un talk-show à la télévision allemande de début mars 2022, que l’on pouvait bel et bien «souffrir d’un peu de gel en faveur de la liberté». Il le faisant, s’est pourtant attiré des critiques pour ce mot peu convainquant de quelqu’un qui vit dans des conditions plus qu’aisées. Il faut ajouter la question de savoir de quelle «liberté» il parle. Le fait est que l’Allemagne est en train d’abandonner ce qui lui reste de liberté politique au profit d’un front unique transatlantique qui s’impose. Ce front risque fort de coûter cher aux Allemands eux-mêmes. La déclaration gouvernementale du chancelier fédéral du 27 février 2022 a déjà suffisamment montré le degré de perte d’autonomie de pensée au rang du gouvernement allemand et la régie presque totale des règlements de langage imposés au gouvernement allemand par les spécialistes transatlantiques de la guerre des idées. L’ampleur de l’abus de langage est énorme. Une telle perte de liberté et d’autonomie mentale est dénommée, de cette même source, la nouvelle «solidarité».
    Est-il donc possible que les Allemands acceptent un tel «changement» à long terme?

1Il est impossible d’aborder ici la question de savoir dans quelle mesure la conduite de la guerre par la Russie viole le droit international et le droit humanitaire international. La question est importante, mais je considère qu’il est présomptueux, et donc plutôt relevant de la propagande que de vouloir donner dès à présent une réponse solide à cette question. Dans son discours du 24 février 2022, le président russe a invoqué le traité d’alliance avec les républiques de Donetsk et de Louhansk, reconnues comme Etats indépendants le 21 février 2022, ainsi que l’article 51 de la Charte des Nations unies (droit à la légitime défense individuelle et collective). La Russie conteste les allégations occidentales de crimes de guerre russes. Accuser l’autre partie de crimes de guerre (atrocités) fait cependant partie du répertoire standard de la propagande de guerre. C’est pourquoi, là encore, la plus grande prudence est de mise tant qu’une vérification solide n’est pas effectuée.
2cf. Becker, Jörg/Beham, Mira. «Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod». 2006 (Nomos-Verlag)
3cf. entre autres: de Zayas, Alfred. «Les sanctions unilatérales violent les traités internationaux». Ds: Horizons et débats, éd. 9/10 du 14/04/2015; Köchler, Hans. «Les sanctions du point de vue du droit international». Ds.: Horizons et débats, éd. 11/12 du 22/05/2018

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