Deux poids, deux mesures au Conseil des droits de l’homme et au Conseil de sécurité de l’ONU

par le Prof. Dr. Alfred de Zayas*

Ce n’est un secret pour personne que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU sert essentiellement les intérêts des pays industrialisés occidentaux et n’a pas d’approche holistique de tous les droits de l’homme. Le chantage et le harcèlement sont des pratiques courantes, et les Etats-Unis ont prouvé qu’ils disposaient d’un «soft power» suffisant pour persuader des pays plus faibles. Il n’est pas nécessaire de menacer dans l’hémicycle ou dans les couloirs, un coup de téléphone de l’ambassadeur suffit. Les pays sont menacés de sanctions, ou pire, comme je l’ai appris par des diplomates africains. S’ils abandonnent l’illusion de la souveraineté, ils sont bien sûr récompensés par le fait d’être qualifiés de «démocratiques». Seules les grandes puissances peuvent se permettre d’avoir leur propre opinion et de voter en conséquence.

En 2006, la Commission des droits de l’homme, créée en 1946, qui avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme, de nombreux traités sur les droits de l’homme et introduit le système des rapporteurs, a été supprimée. A l’époque, j’avais été surpris par l’argumentation de l’Assemblée générale, car la raison invoquée était la «politisation» de la Commission. Les Etats-Unis s’étaient engagés sans succès pour la création d’une commission plus petite, supposée être composée uniquement de pays respectant les droits de l’homme, et pouvant juger le reste. Il s’est avéré que l’Assemblée générale a créé un nouvel organe de 47 Etats membres, le Conseil des droits de l’homme qui, comme le confirmera tout observateur, est encore plus politisé et moins objectif que son prédécesseur décrié.

Déséquilibre à la session spéciale
du Conseil des droits de l’homme du 12 mai

La session spéciale du Conseil des droits de l’homme du 12 mai à Genève sur la guerre en Ukraine a été particulièrement douloureuse, marquée par des déclarations xénophobes contraires à l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Les orateurs ont diabolisé la Russie et Poutine avec méchanceté, tout en ignorant les crimes de guerre commis par l’Ukraine depuis 2014, le massacre d’Odessa, les huit années de bombardements ukrainiens sur la population civile de Donetsk et Louhansk, etc.

    Un bref coup d’œil aux rapports de l’OSCE de février 2022 est révélateur. Le rapport de la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine du 15 février a enregistré 41 explosions dans les zones de cessez-le-feu. Ce chiffre est passé à 76 explosions le 16 février, 316 le 17 février, 654 le 18 février, 1413 le 19 février, 2026 au total les 20 et 21 février et 1484 le 22 février. Les rapports de la mission de l’OSCE indiquent que la grande majorité des impacts de l’artillerie ont eu lieu du côté séparatiste de la ligne de cessez-le-feu. On pourrait facilement comparer les bombardements ukrainiens sur le Donbass aux bombardements serbes sur la Bosnie et Sarajevo. Mais l’agenda géopolitique de l’OTAN privilégiait alors la Bosnie, et là aussi, le monde était divisé entre les bons et les méchants.

    Tout observateur indépendant frémirait devant le manque d’équilibre des discussions du Conseil des droits de l’homme du jeudi 12 mai. Mais y a-t-il encore beaucoup de penseurs indépendants dans les rangs de «l’industrie des droits de l’homme»? La pression de la «pensée de groupe» est énorme.

    L’idée de créer une commission d’enquête sur les crimes de guerre en Ukraine n’est pas forcément une mauvaise idée. Mais une telle commission devrait être dotée d’un mandat assez large pour lui permettre d’enquêter sur les crimes de guerre commis par tous les belligérants, aussi bien les soldats russes que les soldats ukrainiens et les 20 000 mercenaires de 52 pays qui combattent du côté ukrainien. Selon al-Jazira, plus de la moitié d’entre eux, soit 53,7 pour cent, sont originaires des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, et 6,8 pour cent d’Allemagne. Il serait également justifié de donner à la commission le mandat d’enquêter sur les activités des 30 laboratoires biologiques américano-ukrainiens.

    Ce qui est particulièrement choquant dans le «spectacle» du 12 mai au Conseil, est le fait que les Etats ont fait preuve d’une rhétorique contraire au droit de l’homme à la paix (résolution 39/11 de l’Assemblée générale) et au droit à la vie (article 6 du PIDCP). L’accent n’a pas été mis sur le fait de sauver des vies humaines en cherchant des moyens de promouvoir le dialogue et de parvenir à un compromis raisonnable pour mettre fin aux hostilités, mais uniquement sur la condamnation de la Russie et l’invocation du droit pénal international, bien entendu exclusivement contre la Russie. Lors de cette assemblée, les orateurs se sont en effet surtout livrés à des accusations, le plus souvent sans preuves, car nombre d’entre elles n’étaient pas étayées par des faits concrets susceptibles d’être jugés. Les accusateurs se sont également appuyés sur des allégations que la Russie avait déjà abordées et réfutées. Mais comme le disent les paroles de la chanson de Simon & Garfunkel «The Boxer», «On entend ce que l’on veut entendre et on ignore le reste».

    Le but d’une commission d’enquête devrait justement être de rassembler des preuves vérifiables de tous les côtés et d’entendre autant de témoins que possible. Malheureusement, la résolution adoptée le 12 mai n’augure rien de bon pour la paix et la réconciliation, car elle est terriblement unilatérale. C’est précisément pour cette raison que la Chine a dérogé à sa pratique d’abstention lors de tels votes et a voté contre la résolution. Il est louable que le haut diplomate chinois au bureau de l’ONU à Genève, Chen Xu, se soit prononcé en faveur d’une médiation de paix et d’une architecture de sécurité globale. Il a toutefois regretté que: «nous avons constaté que ces dernières années, la politisation et l’esprit de confrontation [au sein du Conseil] ont augmenté, ce qui a fortement affecté sa crédibilité, son impartialité, et la solidarité internationale».

Réunion du Conseil de sécurité de l’ONU:
présentation de documents sur deslaboratoires biologiques en Ukraine

Bien plus important que l’exercice rituel de dénigrement de la Russie à Genève et l’hypocrisie époustouflante de la résolution, une autre réunion de l’ONU, cette fois au Conseil de sécurité à New York le jeudi 12 mai, a vu l’ambassadeur adjoint chinois à l’ONU, Dai Bing, faire valoir que les sanctions anti-russes auraient certainement l’effet inverse: «Les sanctions n’apporteront pas la paix, elles ne feront qu’accélérer la propagation de la crise et déclencheront des crises alimentaires, énergétiques et financières de grande ampleur dans le monde entier» a-t-il déclaré.

    Le vendredi 13 mai, le représentant permanent de la Russie auprès des Nations unies, Vassily Nebenzia, a présenté au Conseil de sécurité des preuves documentant les activités dangereuses d’une trentaine de laboratoires biologiques américains en Ukraine. Il a rappelé la Convention sur l’interdiction des armes biologiques de 1975 (CABT) et s’est dit préoccupé par les risques énormes liés aux expériences biologiques menées dans des laboratoires de guerre américains comme Fort Detrick, dans le Maryland.

    Nebenzia a souligné que les laboratoires biologiques ukrainiens étaient directement supervisés par l’US Defense Threat Reduction Agency au service du National Center for Medical Intelligence du Pentagone. Il a confirmé que plus de 140 conteneurs d’ectoparasites de chauves-souris avaient été transférés d’un laboratoire biologique de Kharkov vers l’étranger, sans aucun contrôle international. Il existe bien sûr toujours le risque que des agents pathogènes soient volés à des fins terroristes ou vendus sur le marché noir. Il est avéré que des expériences dangereuses ont été menées depuis le coup d’Etat inspiré et coordonné par l’Occident contre le président de l’Ukraine Viktor Ianoukovitch, démocratiquement élu en 2014.

    Il semble que le programme américain ait déclenché un nombre croissant d’infections dangereuses et économiquement significatives en Ukraine. Nebenzia a déclaré: «Il existe des preuves qu’à Kharkov, où se trouve l’un des laboratoires, 20 soldats ukrainiens sont morts de la grippe porcine en janvier 2016, et 200 autres ont été hospitalisés. Par ailleurs, l’Ukraine connaît régulièrement des foyers de peste porcine africaine. En 2019 s’est propagée l’épidémie d’une maladie dont les symptômes ressemblaient à ceux de la peste».

    Selon des rapports du ministère russe de la Défense, les Etats-Unis ont demandé à Kiev de détruire les agents pathogènes et d’effacer toute trace des recherches afin que la partie russe ne puisse pas entrer en possession de preuves de violations ukrainiennes et américaines de l’article 1 de la Convention sur les armes biologiques. L’Ukraine s’est donc empressée de mettre fin à tous les programmes biologiques, et le ministère ukrainien de la Santé a ordonné l’élimination à partir du 24 février 2022 des agents biologiques stockés dans les laboratoires biologiques.

    L’ambassadeur Nebenzia a rappelé que la sous-secrétaire d’Etat Victoria Nuland avait confirmé, lors d’une audition devant le Congrès américain le 8 mars, qu’il existait en Ukraine des laboratoires biologiques dans lesquels des recherches étaient menées à des fins militaires et qu’il était impératif que ces installations de recherche biologique «ne tombent pas entre les mains des forces armées russes».

    Pendant ce temps, l’ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a rejeté les preuves russes, les qualifiant de «propagande» et faisant allusion, de manière gratuite, à un rapport discrédité de l’OIAC sur la prétendue utilisation d’armes chimiques à Douma par le président syrien Bachar el-Assad, établissant ainsi une sorte de «culpabilité par association».

    Plus pathétique encore: la déclaration de l’ambassadrice britannique Barbara Woodward, qui a qualifié les préoccupations de la Russie de «grossière série de théories du complot, totalement infondées et irresponsables».

La Chine demande la destruction
des armes biologiques et chimiques

Lors de cette réunion du Conseil de sécurité, l’ambassadeur chinois Dai Bing a demandé aux pays possédant des armes de destruction massive (ADM), y compris des armes biologiques et chimiques, de détruire leurs stocks: «Nous nous opposons fermement au développement, au stockage et à l’utilisation d’armes biologiques et chimiques par tout pays, quelles que soient les circonstances, et nous demandons aux pays qui n’ont pas encore détruit leurs stocks d’armes biologiques et chimiques de le faire dès que possible. Tout indice d’activités biomilitaires devrait être un motif de grande préoccupation pour la communauté internationale». La Chine a appelé toutes les parties concernées à répondre dans les meilleurs délais aux questions pertinentes et à fournir des clarifications complètes afin de dissiper les doutes légitimes de la communauté internationale.

    Il est probable que les médias dominants accorderont une grande attention aux déclarations des Etats-Unis et du Royaume-Uni et ignoreront délibérément les preuves fournies par les propositions de la Russie et de la Chine.

    Il y a encore d’autres mauvaises nouvelles pour la paix et le développement durable. Des mauvaises nouvelles pour le désarmement, en particulier le désarmement nucléaire; et des mauvaises nouvelles pour les budgets militaires en constante augmentation et le gaspillage des ressources pour la course à l’armement et la guerre. Nous venons d’apprendre la candidature de la Finlande et de la Suède à l’adhésion à l’OTAN. Se rendent-ils compte qu’ils rejoignent ainsi une «organisation criminelle» au sens de l’article 9 du Statut du Tribunal de Nuremberg? Sont-ils conscients du fait qu’au cours des 30 dernières années, l’OTAN a commis le crime d’agression et des crimes de guerre en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie? Bien sûr, l’OTAN est restée impunie jusqu’à présent. Mais le fait qu’elle «reste impunie» ne rend pas ces délits moins criminels.

Crédibilité gravement atteinte

La crédibilité du Conseil des droits de l’homme n’est certes pas encore anéantie, mais nous devons admettre qu’elle est gravement atteinte. Malheureusement, le Conseil de sécurité ne mérite pas que des louanges non plus. Tous deux sont des arènes de gladiateurs dans lesquelles les pays s’efforcent de marquer des points. Ces deux institutions deviendront-elles un jour des forums civilisés destinés à des débats constructifs sur des questions de guerre et de paix, de droits de l’homme et de survie de l’humanité?                        •

Source: Counterpunch du 18 mai 2022

(Traduction Horizons et débats)

 


­­*Alfred de Zayas est Professeur de droit international à l’Ecole de diplomatie et de relations internationales de Genève, en Suisse. De 2012 à 2018, il a été expert indépendant de l’ONU sur l’ordre international. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, le dernier étant «Building a Just World Order», Clarity Press, 2021.

 

 

 

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