«La Russie – des gens et des lieux dans un pays presque inconnu»

par Gisela Liebe

L’idée de ce livre hors du commun est venue d’Heino Wiese, entrepreneur et conseiller politique. En effet, il entretient depuis de longues années des relations économiques et personnelles avec la Russie. En 2013, il a envoyé deux équipes, composées chacune d’une jeune journaliste et d’un photographe, en voyage à travers le plus grand pays du monde. Ils devaient y interviewer des Russes dans les régions les plus diverses et les présenter dans leur quotidien et leurs conditions de vie respectives. L’équipe composée de Jessica Schober et Olga Matveeva a parcouru l’ouest de la Russie, de Kaliningrad à Smolensk, Sotchi, Moscou, Volgograd et de Saint-Pétersbourg à Kazan. Vlada Kolosova et Ewgeny Makarov ont entrepris un voyage à travers la Sibérie, en partant d’Ekaterinbourg, la ville de plus d’un million d’habitants la plus proche de l’Oural et donc de la frontière entre l’Asie et l’Europe, en passant par Novossibirsk, Magadan et Vladivostok, toutes deux situées à environ 10 000 km de Moscou. Dans 30 endroits au total, ils ont rencontré des personnes très différentes, souvent spontanément et par hasard, et ont écouté attentivement leurs histoires. Il en résulte un kaléidoscope varié de personnes très différentes, telles qu’elles vivent dans leurs villes et leurs paysages. Le lecteur a ainsi un aperçu de la grande diversité ethnique, religieuse et culturelle de la Russie. Du concierge de la datcha d’Eltsine à la conductrice du Transsibérien, en passant par les mineurs, les artistes, les scientifiques, les maîtres-nageurs et les hommes politiques, on fait la connaissance de 42 personnes au total. Les textes descriptifs sont accompagnés de nombreuses photos de personnes et de lieux qui donnent l’envie presque irrésistible de visiter un jour ce grand pays et de faire connaissance personnellement avec ses habitants.

Chef de chœur en Transbaïkalie

Le livre commence par un chef de chœur dans un village de 700 habitants en Transbaïkalie (à 5 665 km de Moscou), où vit depuis le XVIIe siècle une communauté religieuse de soi-disant vieux-croyants, mis en exil par l’impératrice Catherine la Grande. Ils y perpétuent depuis lors leurs traditions culturelles et religieuses. Leurs célèbres chants polyphoniques font désormais partie du patrimoine culturel mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, ils vivent avec Internet, mais toujours dans des maisons en bois sans égouts. Le livre, classé par ordre alphabétique des villes visitées, se termine par Volgograd, l’ancienne Stalingrad, où le souvenir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale est entretenu par celle que l’on appelle la «grand-mère chercheuse», Déa Vrazova, 73 ans. Elle rassemble toutes les informations, les souvenirs et les écrits relatifs à la période de la guerre. «Il faut quand même connaître l’histoire de l’endroit où l’on vit, sa petite patrie», dit Wrazowa. Vis-à-vis de l’ancien adversaire de la guerre, l’Allemagne, sa camarade Zinaida Petrovna Stepykina, 91 ans, est elle aussi conciliante : «Je n’ai pas de ressentiment envers les Allemands», dit-elle. «Nous avions en effet déjà remarqué à l’époque que tous les Allemands n’étaient pas des fascistes, qu’il y avait des hommes différents».

Jeu d’échecs et bouddhisme en Kalmoukie

Elista (à 1 261 km de Moscou) est la capitale de la Kalmoukie, une province du sud de la Russie, proche de la frontière avec la Géorgie. Le sport national en Kalmoukie est le jeu d’échecs, que chaque enfant apprend dès son plus jeune âge. Les meilleurs peuvent s’entraîner quatre heures par jour à l’académie d’échecs. Le directeur de l’académie d’échecs, Alexander Abachinov, est fier du fait que trois champions de Russie et trois champions d’Europe soient déjà sortis de Kalmoukie pendant son mandat. Un grand maître a déjà joué sur 30 échiquiers en même temps. Elista abrite également le Churul, le temple de la communauté bouddhiste. Telo Tulku Rinpokhe est le chef spirituel des 160 000 bouddhistes de Kalmoukie. Né aux Etats-Unis, il a été envoyé à l’âge de sept ans par ses parents, d’origine mongole, dans un monastère bouddhiste en Inde. «J’y suis resté pendant 13 ans. A 21 ans, j’ai accompagné le Dalaï-Lama lors de son premier voyage en Kalmoukie. Il m’a demandé de rester. C’est ainsi que j’ai appris à connaître mes racines». La Kalmoukie n’est pas seulement la plus ancienne région bouddhiste de Russie, mais même de toute l’Europe. «Au début des années quatre-vingt-dix, il ne restait rien du bouddhisme ici, pas de monastère, pas de temple, pas un seul moine. Or, il y avait un besoin urgent de quelqu’un qui puisse se charger de la réintroduction de la religion. On m’a demandé de le faire. Je savais que je ne pouvais pas supposer beaucoup de choses connues de la population, mais j’ai été surpris de voir combien de prières et de rituels l’ancienne génération avait encore conservés». Depuis, une trentaine de temples ont été construits en Kalmoukie.
    
De nombreuses personnes présentées ont plusieurs métiers. Anton Koukline, originaire de Vladivostok (à 9 127 km de Moscou, mais à seulement 150 km de la frontière chinoise), a suivi une formation de marin, puis il a fait des études d’ingénieur dans l’industrie de la pêche. Il a connu de grands succès en tant que kickboxer et, après avoir accompli de nombreux détours dans la vie, il travaille désormais dans une banque.

Le permafrost à Yakoutsk

À Yakoutsk (8 352 km et six heures et demie de vol de Moscou), la température moyenne en hiver est de moins 42 degrés. La République de Sakha (Yakoutie), dont la capitale est Yakoutsk, est aussi grande que l’Inde, mais ne compte qu’un million d’habitants. Toute la République de Yakoutie repose sur un permafrost qui ne dégèle qu’en été, jusqu’à une profondeur de deux à trois mètres. Viktor Chepelev, 71 ans, est directeur adjoint de l’Institut du pergélisol de Iakoutsk, le seul institut au monde à étudier les sols gelés en permanence. 65 % de la surface terrestre de la Russie sont gelés en permanence, parfois jusqu’à un kilomètre de profondeur. Dans le laboratoire de l’institut, à douze mètres sous terre, il règne une température constante de moins six degrés. Viktor Schepelew s’inquiète de la manière dont l’homme traite la nature et il s’exprime sur les immenses ressources minières encore inexploitées en Sibérie. «A mon avis, la Sibérie devrait être laissé tranquille. Le Nord et l’Arctique sont des usines d’épuration de notre planète. Nous ne devons pas briser les filtres du monde. Il faudrait plutôt penser à utiliser la ressource naturelle de notre région: le froid. On pourrait par exemple utiliser l’énergie de cristallisation - l’énergie qui est libérée lors de la congélation. Le pergélisol est en outre une archive de l’histoire mondiale: on y trouve des cadavres de mammouths et d’autres animaux préhistoriques bien conservés. En outre, le permafrost est un congélateur naturel. On pourrait y creuser des caves et y stocker des aliments pendant des siècles. Je vous le dis: le gel est un merveilleux moyen de conservation. Regardez-moi! J’ai 71 ans, je n’ai pas pris de vacances depuis douze ans et je me sens comme si j’en avais trente.»

Recherche et datcha

La région de Tioumen (à 2 120 km de Moscou) est considérée comme l’Arabie saoudite de la Russie – elle abrite 64 % des réserves de pétrole et 93 % des réserves de gaz naturel de la Russie. Ekatérina Matyouchkina, 31 ans, travaille ici dans la ville de Tioumen comme endocrinologue dans un établissement pour personnes âgées et fait des recherches sur le diabète de la vieillesse. Sa mère de 65 ans s’occupe de sa petite fille pendant qu’elle travaille. «Sans elle, il serait difficile de concilier enfant et carrière, ou enfant et études – ce que beaucoup font encore ici. Sans les grands-mères et les grands-pères, cela ne fonctionnerait pas ainsi. Et ce sentiment d’être utile maintient la jeunesse, selon la devise: je ne dois pas tomber malade, j’ai bien la datcha, j’ai bien les petits.»

«Apprendre de ceux que tu aimes»

Dans la petite ville de Chtchokino, à 210 km de Moscou, Vlada Kolosova rend visite à son ancienne enseignante Nadejda Khriatchkova, à la table de laquelle elle a passé de nombreuses soirées lorsqu’elle était élève. La conviction pédagogique de cette dernière: «J’y crois! Tu ne peux apprendre que de ceux que tu aimes.» Vlada Kolosova, son ancienne élève, se souvient qu’ils aimaient profondément leur enseignante et qu’ils lui apportaient des pirojki de grand-mère, leurs soucis et même des chats de gouttière à la maison. Les portes de l’enseignante étaient ouvertes à toute heure de la journée. «C’est peut-être une tradition russe d’être professeur 24 heures sur 24. Beaucoup de nos écrivains se sont aussi considérés comme des enseignants», dit Khriatchkova en faisant référence à Dostoïevski et Tolstoï.

Le mufti du Tartarstan

Kazan, une ville de plusieurs millions d’habitants située sur la Volga (à 808 km de Moscou), est le centre musulman de la Russie. 52 % de la population qui y vit est tatare et parle le tatar en plus du russe. Lorsque Kazan a fêté son millième anniversaire en 2005, la grande Mosquée Kul-Sharif a également été inaugurée. Dans les années 1990, la République autonome du Tatarstan ne comptait que 20 mosquées, contre environ 1 500 aujourd’hui. Le mufti du Tatarstan, Kamil Hazrat Samigulline, 28 ans, explique qu’à l’époque soviétique, les érudits musulmans étaient déportés en Sibérie et que de nombreux croyants priaient en secret en direction de La Mecque. La renaissance de l’islam a eu lieu dans les années 1990; aujourd’hui, 60 % des 3,7 millions de Tatars se réclament de l’islam.
    L’orthodoxie russe est ici minoritaire. A l’école, les filles peuvent porter le foulard, ce qui est interdit dans certaines régions de Russie. Concernant la cohabitation des religions, le mufti explique: «Le rabbin, le patriarche et moi, nous sommes directement liés. Certes, beaucoup de choses fonctionnent en parallèle, nous avons par exemple notre propre imprimerie, les chrétiens ont la leur. Mais dans la vie privée, beaucoup de Tatars et de Russes, de musulmans et de chrétiens sont amis. A l’école, les enfants, quelle que soit leur confession, apprennent l’histoire commune de la religion.»
    La Russie fait partie de l’Europe et, avec sa diversité culturelle, son histoire et ses habitants attachants. C’est un pays avec lequel nous sommes liés et que nous devrions mieux connaître au lieu de nous en éloigner de plus en plus.

 

Dédicace d’ Heino Wiese

Je dédie ce livre à mon père Otto Wiese. En 1941, à l’âge de 18 ans, il a dû partir en guerre contre la Russie. Il a passé près de trois ans comme prisonnier de guerre dans les forêts de Nijni Taguil à aiguiser les haches des bûcherons. Il est rentré au pays à l’âge de 24 ans, gravement malade et ne pesant plus que 38 kg. Il a visité Moscou et Leningrad en 1985 et en est revenu enchanté et il m’a appris que la Russie est belle et que les Russes sont des gens chaleureux et aimables.

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