A cause des restrictions pendant la phase aiguë de la pandémie du Covid 19, beaucoup de familles ont passés leurs vacances en Suisse. Pour les enfants, c’était une chance de faire connaissance des multiples beautés, parfois cachées, de notre pays. Par chance, leurs parents ou grands-parents ont peut-être même pu leur transmettre leur savoir sur l’histoire, la géographie et la biologie des sites visités. Eux devraient au moins pouvoir se rappeler de l’enseignement scolaire de base, par exemple, si une famille en route pour le Tessin choisit la route du St. Bernard et quitte l’autoroute à Avers pour faire une escale dans les Gorges de la Roffla. C’est ce qu’a fait Margret Rettich, auteure de livres pour enfants, il y a plus de cinquante ans. Elle a ensuite décidé d’écrire un livre pour les enfants sur l’histoire de ce site qu’on peut découvrir en lisant une correspondance entre la maison d’édition et la famille Gubser-Pitschen.
Une pause chargée d’histoire
L’éditeur écrit: «Ce destin et ces évènements ont été racontée à l’écrivaine et auteure, Margret Rettich, dans son Hôtel des Gorges de la Roffla. Lors des réflexions sur la présentation d’un tel livre, la famille était d’accord avec Margret Rettich sur le fait qu’il ne fallait pas raconter cette histoire de façon anonyme, quelque part dans les alpes, mais qu’il fallait utiliser le vrai nom et la désignation exacte des lieux. Ce livre d’images ne sera donc pas un conte de fée, mais un livre qui racontera et montrera aux enfants d’aujourd’hui et du futur un destin réel. En plus de lire et d’admirer l’histoire, ils pourront aller visiter cet hôtel sur lieu et admirer avec leurs parents les chutes d’eau de la Roffla.»1
Une vie paisible avec sécurité sociale
Cette histoire offre une belle occasion de parler aux enfants des soucis des habitants de notre pays au 19ie siècle et des raisons qui les ont amenés à quitter leur patrie, à entreprendre un parcours difficile pour tenter leur chance dans un pays lointain et inconnu – et aussi à les amener à réfléchir à la situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui dans notre pays – à éprouver de la gratitude pour tout ce que nos ancêtres ont entrepris pour que nous puissions vivre en paix et avec une sécurité sociale.
Dans des armées étrangères …
Il y a 150 ans, la situation était bien différente. Beaucoup de gens sont partis pour se construire une nouvelle existence dans un pays étranger. Ce n’était pas un phénomène nouveau, car durant les siècles précédents déjà, des habitants de notre pays ont dû émigrer. On peut lire dans les archives que les hommes se faisaient engager dans des armées étrangères dès le 13e siècle. Aujourd’hui il est difficile de s’imaginer qu’au 16e siècle, environs un tiers des hommes de plus de 16 ans se trouvaient dans des armées étrangères. Au siècle suivant, près d’un quart de la population masculine cherchait encore à échapper à la pauvreté. C’est au milieu du 19e siècle seulement que le service dans des armées étrangères a été interdit. En avez-vous entendu parler à l’école?
… ou en tant que travailleurs spécialisés
Au 14e ou 15e siècle, des jeunes gens de familles patriciennes ou de la bourgeoisie aisée se rendaient à l’étranger pour se former dans les universités. Des descendants de familles nobles, des ecclésiastiques, des spécialistes du commerce, de la finance, de la construction faisaient partie de ces émigrés pour différentes raisons. C’étaient des spécialistes recherchés et leur trajectoire les menait en Russie, en Allemagne, en Autriche en France et en Italie. A partir du milieu du 19e siècle, l’émigration a aussi augmenté vers l’Amérique du Nord et du Sud. C’est là qu’on revient à l’histoire des chutes d’eau.2 Comme la famille de Christian Pitschen-Melchior des Gorges de la Roffla, beaucoup d’autres familles ont quitté leur patrie à la fin du 19e siècle. Dans le cas de cette famille, c’était pour se rendre à New York où une vie dure les attendait. Une perspective un peu plus optimiste a ramené la famille en Suisse.
L’éruption du volcan Tambora –
mauvaises récoltes – chômage
Dans la plupart des cas, c’est la misère existentielle qui a incité les gens à quitter la Suisse. Trois grandes vagues d’émigration les ont été poussés vers la Russie, et surtout en Amérique du Nord. En 1815, il y a eu l’éruption du volcan Tambora avec ces masses de cendres qui absorbaient une partie de la lumière du soleil en Suisse aussi. L’année 1816 est entrée dans l’histoire comme «l’année sans soleil». Ce phénomène a conduit à de mauvaises récoltes, à la hausse des prix, à la famine et à la misère. En conséquence, dans les années 1816 et 1817, il y a eu une première vague d’émigration des populations pauvres.
Ce sont de nouvelles mauvaises récoltes qui ont conduit à la deuxième grande vague d’émigration au début des années 1850. Des artisans, des marchands et des agriculteurs issus principalement de régions campagnardes s’y sont aventuriés. Finalement, la dernière grande vague d’émigration a eu lieu vers la fin du 19e siècle. Beaucoup de familles suisses ont cherché leur bonheur outre-mer, car avec la baisse des prix sur le marché mondial, beaucoup de paysans ont été ruinés. Bien que l’industrialisation dans le domaine du textile avait déjà bien progressé lors de la levée du blocus économique de la France contre l’Angleterre, notre pays a été inondé de textiles bon-marchés. Beaucoup de places de travail ont été supprimées, surtout dans le secteur du travail manuel et du travail à domicile. Avait-on affaire à une guerre économique à l’époque déjà?3
Traversée harassante – conditions de vie difficiles
A moins de 21 ans ou en tant que père de famille aux USA, on avait le droit d’acheter un lopin de terre à un prix symbolique, ce dernier devenait ensuite sa propriété au bout de 5 ans. Cependant pas tout le monde n’avait cette chance, car dans la première moitié du 19e siècle en Suisse, il existait peu de réglementations auxquelles les agences d’émigration devaient se tenir. Quelques agents attiraient des gens avec de fausses promesses. Il n’était pas rare que ces agents profitent en précipitant les émigrés dans la misère. Déjà la traversée de l’océan en entrepont d’un grand bateau était très éprouvante et beaucoup d’émigrants n’y n'ont pas survécu. De plus, ils n’ont pas été accueilli à bras ouverts dans les pays de leurs rêves. On a aussi abusé d’eux lors de leur installation pour en évincer les populations indigènes. Souvent ils devaient accepter les travaux les plus durs et les moins bien payés, comme c’est décrit dans «L’histoire des chûtes d’eau» et les terres promises étaient à peine cultivables. Il existe aujourd’hui une Nova Friburgo au Brésil, ou bien Berne dans l’Etat d’Indiana aux USA où les Mennonites de la commune jurassienne de Moutier ont défriché la brousse, séché les marais et lutté contre les ours, les loups et les maladies. Les Suisses installés dans la «Vallée de Zurich» dans la Crimée ont été déporté par Staline et l’endroit a été nommé Zolotoe Pole (champs dorées).4 Beaucoup d’émigrés, comme la famille Pitschen-Melchior des Gorges de la Roffla, sont rentrés en Suisse déçus. Là, un meilleur avenir les attendait, car la Suisse s’est développée en un Etat social où les gens pouvaient vivre en paix et en harmonie. Beaucoup de nos ancêtres ont contribué à ce climat.
Les enfants devraient apprendre tout cela de leurs grands-parents – et ils le doivent – pour pouvoir estimer leur culture et s’y ancrer profondément.
Créer les bases
d’une vie commune en paix
Comme dans de nombreux endroits au monde, dans notre pays aussi, beaucoup de gens conscients de leur responsabilité réfléchissaient et engageaient leur forces pour former une vie commune en égalité.5 Ils triaient les problèmes à résoudre, profitaient des expériences antérieures, faisaient des recherches nouvelles dans diverses branches de la science – toujours avec le but de créer les bases d’une vie commune en paix et appropriée à notre démocratie directe et de rendre les gens capables d’y exercer leurs tâches, et cela dans un pays à quatre régions linguistiques et culturelles, aux régions campagnardes et citadines, et aux diverses religions.
Les connaissances des sciences sociales, spécialement de la psychologie personnelle, ont contribué à construire la base du sentiment de responsabilité et de solidarité avec ses semblables au sein d’un même pays. La plus haute importance revient à la famille, car elle est l’endroit où les valeurs et les normes culturelles vont être transmises, vécues et développées.6 Un devoir important incombe également aux institutions de formation. Les plans d’apprentissage des écoles doivent être élaborés en conséquence. Il faut donner aux enfants la possibilité de connaître l’histoire et la culture du pays dans lequel ils vivent, et c’est là le plus grand devoir de l’école.
Nous voulons être libres
C’est ainsi que s’appelait le manuel d’histoire de Franz Meyer avec lequel nos enfants ont été introduit à l’histoire de notre pays pendant de longues années. Le titre a repris une de exigences du Serment du Rütli: «Nous voulons être libres, comme l’étaient nos pères» voilà un but important de l’éducation vers lequel nous devrons conduire les générations futures et les former (mais ce but est-il encore contenu dans la pédagogie internationaliste du plan d’études 21 qui domine les écoles suisses?) Malgré tout, l’aspiration à la liberté ne fonctionnera pas sans responsabilité pour la communauté. Johann Heinrich Pestalozzi a déjà attiré l’attention là-dessus en exigeant que la démocratie forme les citoyens intellectuellement et moralement, en tant que préalables à leur capacité d’être libres. Il a ainsi attiré l’attention sur l’importance de la formation et de l’éducation pour la vie commune en dignité et en liberté.7
Intégrité et convictions démocratiques
Avec sa démocratie directe, la Suisse est aujourd’hui spécialement mise à l’épreuve. Les élus qui doivent prendre des décisions sont susceptibles d’y apporter de la maturité humaine et du sens de responsabilité. Ils doivent ancrer leur vie et leur travail sur un fond de valeurs éthiques, ils doivent faire preuve d’intégrité et de convictions démocratiques tout en évitant de se laisser guider par des besoins de pouvoir et de reconnaissance et des envies financières. Cela demande d’être enraciné dans sa propre culture et connaître son histoire. Si ce n’est pas le cas, il vaut mieux s’abstenir de remplir un devoir public. Pour que de telles personnalités soient prêtes, il faut commencer avec l’éducation et la formation de la génération émergeante: dans la famille, à l’école et dans la société.
Quelle Suisse voulons-nous?
Ces dernières semaines, il était effrayant de constater comment la neutralité suisse a perdu de substance, avec des arguments bon marchés, inspirés par des spin-doctors qui veulent dégoûter la population de cet élément fondamental de notre démocratie. Arrivés là, on doit certainement se poser des questions sur la «capacité de gouverner» comme Pestalozzi l’a appelé. Que diront les parents et les grands-parents en racontant à leurs enfants l’histoire de la famille Pitschen-Melchior qui est revenue en Suisse pour contribuer à y construire un avenir de paix et de justice sociale? Devrons nous dire «il était une fois …»•
1Le livre d’images a paru, dans sa 1ère édition en 1974 avec plusieurs rééditions, la dernière en 2015. Rettich, Margret. Die Geschichte vom Wasserfall. Baeschlin-Verlag
2v. Head-König, Anne-Lise. «Auswanderung». In: Historisches Lexikon der Schweiz (HSL). Version du 15/10/07. https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/007988/2007-10-15/, consulté le 13/07/22
3v. Altweg, Jonas; Tieber, Sandro. Migration. Schweizer Amerikawanderung des 19. Jahrhunderts. Vertiefung: Not und Armut in der Ostschweiz. www.sozialgeschichte.ch/themen/schweizer-amerikawanderung-des-19-jahrhunderts , consulté le 16/07/22
4Koci, Petra. «Die Schweiz anderswo». www.blog.nationalmuseum.ch consulté le 16/07/22. www.sozialgeschichte.ch. consulté le 16/07/22
5v. Wüthrich, Werner. Wirtschaft und direkte Demokratie in der Schweiz. Geschichte der freiheitlich-demokratischen Wirtschaftsverfassung der Schweiz. Verlag Zeit-Fragen 2020
6v. Buchholz-Kaiser, Annemarie. «Die Bedeutung der Wertevermittlung in der Familie für die Würde und den Wert des menschlichen Lebens». Ds: Zeit-Fragen, Dezember–Januar 1999/2000
7vs. Brühlmeier, Arthur. «Pestalozzis Anschauungen über Wesen und Funktion des Staates».www.heinrich-pestalozzi.de/grundgedanken/staat , consulté le 17/07/22
par Annemarie Buchholz-Kaiser
A Noël, raconterons-nous à nos enfants qu’autrefois il y avait des démocraties? Des pays où les gens étaient libres, où ils pouvaient décider de leurs lois, où chaque citoyen et chaque habitant avait par nature une dignité, où les droits de l’homme existaient et où chacun avait droit à sa propre pensée, à sa propre opinion. Une opinion libre, un droit à sa propre religion et à sa propre tradition, à des procédures juridiques basées sur des preuves?
L'année prochaine, allons-nous leur dire, que – autrefois – la paix représentait une priorité pour les gens, qu’ils s’y étaient engagés de toutes leurs forces et qu’ils y avaient mis du leur? Qu’ils s’étaient engagés avec conviction? Qu'ils avaient réfléchi aux moyens comment aider les pays les plus pauvres? Qu’une fois il y avait eu des voix s’élevant pour la paix et la justice sociale? Qu’il y avait autrefois une Suisse où grâce à la démocratie directe, plusieurs régions linguistiques, plusieurs mentalités, plusieurs religions avaient développé le modèle de cohabitation pacifique, une oeuvre filigrane de création démocratique du bas vers le haut permettant à des régions en crise et à des pays en voie de développement d’accéder à la démocratie. Leur raconterons-nous tout cela en employant le passé? Ou comporterons-nous en véritables citoyens- souverains avant qu'il ne soit trop tard?
Source: Horizons et débats du 21/12/01
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